TROISIÈME PARTIE
LES VOLTE-FACE DU PARTI COMMUNISTE
DEVANT L'AGRESSION D'HITLER
Je veux maintenant revenir à des sujets peut-être moins agréables à discuter, car j'entends répondre aux accusations qui ont été portées à cette tribune par l'orateur qui m'a précédé, en ce qui concerne l'attitude du gouvernement français de 1939-1940 vis-à-vis du parti communiste.
Première attitude :
CONTRE LE NAZISME
Le pacte germano-russe est donc signé le 23 août. Il est publié dans la stupeur de l'Europe. L'organe central du parti communiste le défend et déclare en propres termes, le 25 août, que « la conclusion d'un tel pacte de non-agression ne peut que réjouir tous les amis de la paix, communistes, socialistes, démocrates et républicains. Tous savent qu'un tel pacte aura comme unique conséquence la consolidation de la paix, tous savent qu'il ne privera aucun peuple de sa liberté (Exclamations et rires à droite), qu'il ne livrera aucun arpent de terre d'une nation quelconque, ni même une colonie » [Déclaration du PCF publiée dans L'Humanité du 25 août 1939].
Et dans le journal Ce soir, de la veille, après avoir publié le pacte, on déclare sous la signature, si je ne me trompe, de M. Aragon, qu'il existe entre la France et la Pologne un traité d'assistance mutuelle, c'est-à-dire que « si la Pologne est victime d'une agression, la France doit venir à son aide et tout bon Français qui ne veut pas voir se répéter la honte de Munich souhaitera, comme nous, que la France tienne ses engagements internationaux ».
On ajoute d'autre part qu'il existe entre la France et l'URSS un traite d'assistance mutuelle et que « si la France se porte au secours de l'Etat victime d'une agression, par le jeu de ses traites propres, la Pologne par exemple, nécessairement l'URSS aidera la France. » [Ce Soir du 25 août 1939 diffusé le 24 au soir].
Dans les jours qui suivirent, le parti communiste prit une attitude résolue contre une agression hitlérienne éventuelle.
Le 25 août, il déclarait: « Si Hitler déclenche la guerre, qu'il sache bien qu'il trouvera devant lui le peuple de France uni, les communistes au premier rang, pour défendre la sécurité du pays, la liberté et l'indépendance des peuples. C'est pourquoi notre parti approuve les mesures qui ont été prises par le Gouvernement pour garantir nos frontières » [Communiqué de presse du groupe parlementaire communiste du 25 août 1939].
Le 26 août, il disait encore : « La Pologne, qui fait front au danger sans faiblir, est en droit d'attendre que nous considérions comme un attentat contre tous les peuples libres la menace dont elle est l'objet. C'est le sentiment de tous les Français dignes de ce nom » [L'Humanité du 26 août 1939 - édition de province. Numéro saisi par la police dans l'après-midi du 25 août avant sa sortie d'imprimerie].
Le 31 août, dans la nuit, les armées allemandes pénètrent en Pologne. La Chambre est convoquée en séance extraordinaire le 2 septembre. Avant la séance, le groupe communiste se réunit et, sur la proposition de Maurice Thorez, vote la résolution suivante :
« Le groupe parlementaire communiste s'est réuni le 1er septembre à la Chambre des députés, sous la présidence de Maurice Thorez. Il a proclamé unanimement la résolution inébranlable de tous les communistes de se placer au premier rang de la résistance à l'agression du fascisme hitlérien, pour la défense des libertés, de l'indépendance nationale, des principes de la démocratie et de la civilisation.. » [Cet extrait est tiré du Communiqué de presse du groupe parlementaire communiste du 1er septembre 1939 et non de la Résolution du groupe parlementaire communiste du 2 septembre 1939]. (Applaudissements à l'extrême gauche.)
Il en fut ainsi pendant plusieurs jours.
M. Fernand Grenier. L'Humanité était déjà suspendue !
Deuxième attitude :
SUR LES INSTRUCTIONS DE MOSCOU
LE PARTI COMMUNISTE VOLE AU SECOURS DES AGRESSEURS
M. Edouard Daladier. Mais vers le 20 septembre, des instructions nouvelles arrivèrent de Moscou. (Rires à droite. — Murmures à l'extrême gauche.)
Un changement total se produisit, qui fut ensuite confirmé lorsque parvinrent certains rappels à l'ordre de Moscou au parti communiste de France, dont je vous donnerai lecture tout à l'heure. (Mouvements divers.)
Brusquement, vers le 20 septembre, l'attitude du parti communiste change [Le 21 septembre 1939 le Comité central du PCF adopte une Résolution intitulée "Il faut faire la Paix"]. Le 18 au matin, l'armée rouge a envahi la Pologne à l'Est, sur un front de plusieurs centaines de kilomètres, et M. Molotov dira, le 31 octobre 1939, à une séance du Soviet suprême :
« Les cercles dirigeants polonais s'étaient vantés de la puissance de leur armée. Cependant, un coup rapide de l'armée allemande, d'abord, et, ensuite, de l'armée rouge, et rien n'existait plus de cette hideuse création du traité de Versailles. » [Discours de Molotov 31 octobre 1939] (Mouvements divers.)
Et surtout, le 28 septembre, un nouveau pacte germano-russe venait d'être signé (Annexe 2) : pacte singulier, car après avoir tiré les conséquences de leur victoire, l'Allemagne et la Russie déclarent que « les questions qui découlent de la dissolution de l'Etat polonais sont définitivement réglées, qu'il existe donc ainsi une base, sûre pour une paix durable en Europe orientale et que, dès lors, les véritables intérêts de toutes les nations sont de mettre fin à l'état de guerre qui existe entre l'Allemagne, d'une part, et la France et l'Angleterre, de l'autre. »
« Les deux gouvernements entreprendront, disent MM. de Ribbentrop et Molotov, des efforts communs, le cas échéant, d'accord avec d'autres puissances amies, pour parvenir le plus rapidement à ce but. Si, toutefois, les efforts des deux gouvernements restaient sans succès, le fait serait alors constaté que l'Angleterre et la France sont responsables de la continuation de la guerre; et, dans ce cas, les gouvernements de l'Allemagne et de l'Union se consulteraient réciproquement sur les mesures nécessaires. » [Cet extrait est tiré de la Déclaration germano-soviétique du 28 septembre 1939]
Cela veut dire que si la France et la Grande-Bretagne ne s'inclinent pas devant le coup de force, si elles n'acceptent pas la disparition d'une nation de la carte de l'Europe, elles deviennent des puissances impérialistes. Si elles ne s'inclinent pas, ce sont elles qui, désormais, seront les agresseurs et seront traitées comme telles
LES COMMUNISTES EXIGENT « LA PAIX D'HITLER »
En effet, aussitôt, le groupe communiste, ou plutôt le groupe ouvrier et paysan...
A l'extrême gauche. Pourquoi ?
M. Fernand Grenier. Pourquoi n'est-ce plus le groupe communiste, mais le groupe ouvrier et paysan ?
M. Edouard Daladier. C'est le groupe ouvrier et paysan, car le parti communiste avait été dissous. (Exclamations et rires à l'extrême gauche.)
Oh ! soyez tranquilles, je m'expliquerai sur tous ces points, vous pouvez en être sûrs. (Très bien ! très bien ! à droite et sur quelques bancs à gauche.) Pour le moment je m'explique sur la volte-face que vous avez accomplie, car il ne s'est plus agi, à ce moment, de défendre l'indépendance des nations, la liberté des peuples ou la civilisation, mais de proposer au Parlement français et au gouvernement français de souscrire à la paix, qu'on appelait la « paix blanche », qui était en réalité la « paix brune », la paix des nazis, la paix de Hitler. (Applaudissements sur divers bancs à gauche, au centre et à droite.)
Et quelques jours après, le 1er octobre on faisait, en effet, cette proposition par une lettre adressée au président Herriot. Vous avez cité tout à l'heure des opinions; je pourrais vous citer ce que pensaient de cette initiative et de ce texte des hommes comme M. Léon Blum, comme M, Georges Bidault, sans parler de quelques autres.
M. MAURICE THOREZ « PREND CONGÉ DE SON RÉGIMENT »
Quelques jours après, M. Maurice Thorez prenait congé de son régiment (Rires à gauche, au centre et à droite) et il expliquait ses raisons dans une interview donnée au journal communiste The Daily Worker, dans un numéro daté du 20 octobre, interview qui fut reproduite dans le premier numéro imprimé de l'Humanité de novembre 1939, dans les Cahiers du bolchevisme, numéro du deuxième semestre 1939, et enfin dans un tract spécial.
« La presse vendue dit que je suis déserteur. J'aurais été un déserteur si je n'avais pas fait le nécessaire pour demeurer dans la bataille de classe que le peuple de France doit livrer aux fauteurs de guerre, aux fascistes, aux exploiteurs capitalistes. (Applaudissements à l'extrême gauche.)
« Une première question maintenant : ne crois-tu pas que d'autres camarades du parti pourront être tentés de s'en aller de l'armée pour poursuivre la lutte dans l'illégalité ?
« Non, mon cher camarade, sois sans crainte, les communistes savent où et comment ils doivent lutter. Il fallait assurer envers et contre tous la direction du parti. (Vifs applaudissements à l'extrême gauche.)
« J'ai obéi à cette préoccupation... »
M. Roclore. Le parti avant la France !
M. Edouard Daladier. « ... et tous les travailleurs qui pensent aux luttes qui se préparent m'approuvent.
Les membres du parti luttent et lutteront là où ils peuvent influencer les masses populaires et les organiser. Cela signifie que les communistes ont leur tâche toute tracée parmi les soldats à l'armée ».
M. Arthur Ramette. Ils l'ont prouvé.
M. Marc Dupuy. Il n'y a pas eu de déportés d'honneur parmi nous.
« UNION CONTRE LA GUERRE ET POUR LA PAIX IMMÉDIATE »
M. Edouard Daladier. Et en effet, dans l'Humanité du soldat, vous trouverez ces formules :
« Tout notre passé nous appelle l'union contre la guerre et à l'action résolue pour la paix immédiate. Dans les casernes et les cantonnements, dans les casemates de la ligne Maginot, dans les ports et sur les navires, partout gronde le peuple soldat. Nous savons désormais où est l'ennemi. Nous désignons les responsables. À bas le Gouvernement des jusqu’au-boutistes ! A bas les chefs réformistes et socialistes vautrés dans l'union sacrée de guerre et de trahison ! Voilà notre cri unanime. Nous savons que nous ne sommes pas seuls. De même que nous combattons Daladier et Reynaud, les soldats allemands combattent Hitler (Rires et exclamations au centre, à droite et à gauche) et les ouvriers anglais combattent Chamberlain et Churchill. La lutte internationale contre la guerre est engagée. Nous saurons la poursuivre jusqu'à la paix que nous voulons tous. » [L'Humanité du soldat du 1er mai 1940].
LE DÉFAITISME DES COMMUNISTES EN 1940
Le 15 mai 1940, en pleine bataille de France, alors que le front a été forcé, alors qu'une grande angoisse règne dans le pays, l'Humanité publie le texte suivant :
« Pour les travailleurs et les soldats, l'impérialisme franco-anglais responsable de la guerre ne devient pas plus sympathique parce qu'il est aux prises avec un impérialisme aussi haïssable. »
Ainsi était défini le choc des deux armées, allemande d'un côté, franco-britannique de l'autre :
« Quand deux gangsters se battent entre eux, les honnêtes gens n'ont pas à secourir l'un d'eux sous prétexte que l'autre lui a porté un coup irrégulier... » (Exclamations sur les mêmes bancs.)
Mesdames, messieurs, cette expression : un coup irrégulier » sert à désigner l’invasion de la Belgique et de la Hollande au mépris des traités !
« ... ils s'efforcent au contraire de profiter de l'occasion pour les mettre tous deux hors d'état de nuire. Chacun essaiera de mater celui dont il pourra le plus facilement s'emparer ».
Le 26 mai, alors que déjà se poursuivent dans Paris des intrigues, que l'on a bien souvent signalées, pour la conclusion d'un armistice, on lit dans l'Humanité :
« Il faut constituer un gouvernement de paix en s'appuyant sur les masses populaires, prenant des mesures immédiates Contre la réaction et rétablissant la paix générale. »
Le 17 juin, à la veille de l'appel que le général de Gaulle devait lancer de Londres à la résistance de tous les Français, l'Humanité écrit :
« Paul Reynaud, après l'abandon de Paris, a lancé un appel à Roosevelt. La réponse ne constitue qu'une promesse platonique. Les Etats-Unis ne reconnaîtront aucune annexion au détriment de la France, mais ils refusent toute aide militaire. »
Et l'Humanité ajoute :
« Un conseil des ministres a examiné cette réponse afin d'en conclure si, oui ou non, la France pouvait continuer à se battre seule sur son territoire. Dimanche soir, la radio ne savait pas encore la décision prise. Est-ce que la Cité de Londres obtiendra la continuation du massacre de nos frères et de nos fils pour permettre à l'Angleterre, avec ses 40 millions d'habitants, d'en exploiter 400 millions, ou la volonté du peuple français obtiendra-t-elle gain, de cause ?
« C'est du peuple que dépend la réponse. Par notre action, nous devons imposer la paix dans la sécurité, en exigeant par tous les moyens un gouvernement l'appuyant sur les masses populaires.
« A Paris même, des listes de pétition et des lettres individuelles doivent être envoyées au comité restreint du conseil municipal qui est resté à l'Hôtel de Ville ».
Mesdames, messieurs, je pourrais lire bien d'autres textes (Annexe 3). Je les ai groupés. Ils sont tous, bien entendu, à votre disposition car, figurez-vous qu'aussi bien les archives du premier tribunal militaire de Paris que le compartiment des journaux clandestins, à la Bibliothèque nationale, n'ont encore subi, sans doute par un oubli singulier, aucune sorte d'épuration. (Rires à droite et sur divers bancs.)
LES ACTES DE SABOTAGES
Mais, au fur et à mesure que se poursuivaient ces événements que je retrace, les mots d'ordre dont il s'agit ne restaient pas platoniques. Des tracts, par centaines, par milliers, répandus sur le territoire d'un pays en état de guerre, c'est déjà une chose grave et qui peut avoir de très lourdes conséquences. Mais il y a eu aussi des sabotages. Il y a eu le sabotage des moteurs d'avions aux usines Farman, à Boulogne-Billancourt, dans des conditions vraiment affreuses.
A droite. Il en est résulté des accidents mortels.
M. Edouard Daladier. Il y a eu un certain nombre de sabotages dans les poudreries, notamment à la poudrerie de Sorgues, où l'ingénieur Muret les a relevés. Il y a eu des sabotages dans les casemates de la région fortifiée de Boulay, des sabotages de fusées d'obus et de balles anti-tank en pleine bataille de France.
POURQUOI ET COMMENT
J'AI DISSOUS ET DÉFÉRÉ EN JUSTICE
LE PARTI COMMUNISTE
Oui, mesdames, messieurs, j'ai dissous le parti communiste. Oui, j'ai traduit devant les tribunaux les signataires de l'appel à la « paix brune ». J'ai pris le décret du 18 novembre qui permettait de changer de leur domicile ou d'interner les hommes dont l'activité était de nature à nuire à la défense nationale.
M. Léopold Figuères. Vous l'avez fait bien avant !
M. Edouard Daladier. Ici, au cours d'une séance de la Chambre, M. Albert Sarraut, ministre de l'intérieur, a déclaré que c'était sur son initiative que ces mesures avaient été prises. Non, mesdames, messieurs, c'est moi qui en ai pris la responsabilité et je la revendique encore aujourd'hui à la tribune de l'Assemblée nationale. (Applaudissements à droite. — Exclamations à l'extrême gauche.)
Ce décret du 18 novembre, vous dites qu'il a eu pour conséquence de déterminer l'internement de milliers et de milliers de communistes, de provoquer un répression sauvage. En réalité, il faut préciser que, d'après le tableau dressé à la fois par la préfecture de police et par la sûreté générale à la date du 1er mars 1940, le total de ces internements s'élevait à 365 personnes. (Exclamations à l'extrême gauche.)
M. Florimond Bonte. Et les camps militaires spéciaux ?
M. André Mercier (Oise). Vous êtes responsable, de la mort d'Henri Janin.
M. Edouard Daladier. Vous fournirez vos noms et vos chiffres; ce débat vous en offre l'occasion.
Lorsque vous portiez contre moi, dans mon pays, l'accusation que je viens de rappeler, je voyais se dresser des hommes, des communistes, qui me déclaraient que je les avais fait arrêter et, quand je leur demandais à quelle date, la plupart d'entre eux répondaient que c'était après l'armistice ou plus tard encore, et quelques uns d'entre eux, d'ailleurs, avaient été libérés soit par les autorités allemandes, soit par le gouvernement Pétain. (Rires à droite.)
Mais, encore une fois, il vous est loisible de produire vos listes. J'ai les miennes. Nous discuterons.
Ce que je viens de dire n'a pas du tout pour but d'atténuer une responsabilité que je revendique, au contraire, très nettement devant vous tous. (Exclamations à l'extrême gauche.) Il s'agit d'une mise au point rendue nécessaire par une campagne d'exagération systématique qui, elle non plus, ne résiste par à l'examen des faits.
A droite. A la même époque, d'autres se faisaient tuer !
M. Edouard Daladier. Ce qui est vrai, c'est que ce décret du 18 novembre — que, d'ailleurs, le général de Gaulle, en Afrique du Nord, devait rétablir, sans doute avec l'approbation de ceux d'entre vous qui siégeaient à l'Assemblée consultative (Rires sur quelques bancs à gauche, au centre et à droite) —, a été abrogé par le maréchal Pétain le 3 septembre 1940. Au lieu de laisser la décision de l'internement au ministre de l'intérieur, comme l'avaient prescrit nos instructions, le maréchal Pétain donnait ce droit aux préfets seuls.
La garantie de la commission d'appel instituée par notre décret du 18 novembre a été également abrogée par le texte du 3 septembre du gouvernement Pétain et, dans les jours qui suivirent, vous le savez bien, ce furent des sections spéciales de cours d'appel qui furent instituées par ces hommes qui dessaisirent, même avec effet rétroactif, des juridictions déjà saisies, même quand il s'agissait de personnes qui avaient déjà été condamnées.
Enfin, ce fut l'institution du tribunal d'Etat, par lequel beaucoup de Français qui même avaient été acquittés par les tribunaux furent livrés aux Allemands comme otages.
Après la défaite de Juin 1940
LE PARTI COMMUNISTE « FAIT DE LA RÉSISTANCE »
CONTRE... LES ALLIES
Je voudrais, maintenant, examiner, puisque aussi bien j'ai abordé cette période qui a suivi l'armistice, quelle fut, exactement, jusqu'à l'entrée en guerre de la Russie des Soviets, l'attitude politique du parti communiste.
« L'HUMANITE » DEMANDE A REPARAITRE
SOUS L'OCCUPATION
Le 20 juin 1940 avant que l'armistice ne fût conclu, un membre du comité central du parti communiste, accompagné de deux dames, était arrêté. C'était M. Maurice Tréand. Ces personnes portaient, des papiers de la Propagandastaffel, établissant que des pourparlers avaient été engagés avec les services allemands dans le but de faire reparaître l'Humanité. Une de ces dames était d'ailleurs munie, d'autre part, d'un laissez-passer établi à son nom par les mêmes services pour les besoins de ce journal et signé : lieutenant Weber.
Sur réquisitoire du procureur de la République, une instruction fut ouverte contre eux et trois mandats de dépôt furent délivrés; M. Maurice Tréand fut écroué à la Santé et les deux dames à la Roquette.
Mais, le 25 juin, ils étaient délivrés par intervention des autorités allemandes, sur l'ordre du conseiller supérieur de justice — il porte un nom national, puisqu'il s'appelle Fritz — chef des affaires de la justice au Palais-Bourbon.
Il ne s'agit pas là de faux émanant de la Gestapo. Il suffit d'aller consulter le registre d'écrou de la Santé ou de la Roquette ou d'interroger les magistrats qui ont poursuivi, pour avoir confirmation de ces faits.
Ainsi, au 20 juin, dans Paris occupé par les forces allemandes, au moins un membre du comité central du parti communiste sollicitait l'autorisation de faire reparaître publiquement l'Humanité. (Annexe 4).
Quelques jours après, d'ailleurs, l'Humanité reparaissait, mais toujours sous une forme clandestine. (Exclamations, et rires à l'extrême gauche.)
C'était à un refus, sans doute, que le parti communiste s'était heurté, non pas de la Propagandastaffel, mais de la préfecture de police agissant au nom du gouvernement de Vichy. (Exclamations sur les mêmes bancs.)
De sorte que, sans Pétain, l'Humanité aurait reparu et aurait été d'ailleurs interdite à la libération.
M. Raymond Guyot. On est en plein roman feuilleton !
M. Arthur Ramette. C'est du pastis !
M. Edouard Daladier. Monsieur Ramette, ce sont des plaisanteries que Gringoire a employées avant vous et que vous pourriez lui laisser.
LES CAMPAGNES DE FRATERNISATIONS DE « L'HUMANITE »
A partir du 4 juillet, l'Humanité entame une campagne pour la fraternisation des ouvriers français avec les soldats allemands.
A l'extrême gauche. Non !
M. Edouard Daladier. Les textes sont formels. On en retrouve encore dans l'Humanité du 13 juillet.
Le 27 juillet, l'Humanité réclame la reprise du travail et elle invite les ouvriers, lorsqu'ils se heurtent à la volonté des patrons qui voudraient saboter la reprise économique, à procéder eux-mêmes à la réouverture des usines.
Quelque temps après, M. Billoux, qui avait été poursuivi et condamné écrit au maréchal Pétain pour lui demander de témoigner contre nous au procès de Riom.
M. Desjardins. Donnant, donnant !
POUR LES COMMUNISTES LA FRANCE VAINCUE
C'ETAIT UN « IMPÉRIALISME ABATTU »
M. Edouard Daladier. Je ne vous lirai pas sa lettre, que vous connaissez. Je constate simplement que, si M. Billoux était venu témoigner au procès de Riom et s'il y avait défendu la thèse que le gouvernement français était responsable de la guerre, thèse qui était alors et qui est toujours celle du parti communiste, il se serait heurté, non seulement aux protestations d'une défense particulièrement vigoureuse, mais encore au refus des magistrats choisis par Pétain. Ces magistrats, ce procureur général avaient, en effet, repoussé cette accusation et, après une longue instruction, rendu un non-lieu. Il est vrai qu'ils n'étaient pas les serviteurs d'Hitler.
Puis les événements se poursuivent; la guerre, contrairement aux prévisions, continue.
Dans le numéro des Cahiers du bolchevisme du premier trimestre de 1941, à la page 7 — mais il a sans doute été rédigé, si j'en crois le contexte, en novembre ou en décembre 1940 — je trouve ces phrases que je dois vous lire :
« Pendant la première guerre impérialiste, ce fut seulement au bout de trois ans de guerre que se rompit le front de l'impérialisme et que la classe ouvrière prit le pouvoir sur un sixième du globe. Nous sommes au quatorzième mois de la seconde guerre impérialiste en Europe et nous avons sous les yeux le bilan suivant : un puissant impérialisme a été abattu. »
En 1940, mesdames, messieurs, pour le parti communiste, la France vaincue et occupée, ce n'était qu'un impérialisme abattu.
Plus tard encore, lorsque la résistance s'affirme, lorsque, à la radio de Londres, des patriotes français, orateurs de grand talent, s'efforcent de lutter contre le découragement du peuple français...
M. Maurice Schumann. Tout en condamnant Munich et l'esprit de Munich, monsieur Daladier. (Applaudissements à l'extrême gauche.)
M. Edouard Daladier. Voyez qui vous applaudit. Je pense, monsieur Schumann, que vous êtes satisfait. M. Maurice Schumann. Je dis la vérité, c'est tout ! (Interruptions à droite.)
M. le président. Je prie mes collègues de ne pas interrompre.
M. Edouard Daladier. Ces interruptions ne me gênent nullement. Je demande seulement qu'on me laisse poursuivre cet exposé.
Nous sommes bien loin de Munich, nous sommes au moment où la question se pose de savoir si l'appel du général de Gaulle et d'autres patriotes sera entendu, s'il y aura une organisation de la résistance, et vous savez que, déjà, en 1940, il y avait en France un commencement d'organisation et de lutte contre les Allemands. (Exclamations à l'extrême gauche.)
Je pourrais citer des noms et je le ferai, d'ailleurs, car ce débat n'est pas épuisé.
M. Waldeck Rochet. En tout cas, ce n'est pas grâce aux Munichois, que vous représentez.
M. Fernand Grenier. Le 5 octobre 1940, quarante communistes étaient arrêtés à Paris.
LES COMMUNISTES CONTRE DE GAULLE EN 1941
M. Edouard Daladier. Je dis qu'à cette époque vous meniez la bataille contre le général de Gaulle, contre le général de Larminat. Vous les représentiez, suivant vos expressions, comme les agents de la finance anglaise; vous les couvriez d'insultes dans vos publications.
Dans l'Humanité du 1er mai 1941, sous le titre « Les assassins de la liberté », vous écriviez ceci :
« En France, les autorités d'occupation protègent le gouvernement Pétain. Les mitrailleuses allemandes sont prêtes à taper dans le tas pour défendre les coffres forts. » (Rires à l'extrême gauche.)
« Aux Etats-Unis, les ploutocrates...
A l'extrême gauche. La haute trahison des trusts !
M. Edouard Daladier. « ...menacent de de la chaise électrique les ouvrier à qui luttent pour leurs revendications et, en Angleterre, la presse communiste est interdite...»
A l'extrême gauche. C'était vrai.
M. Edouard Daladier. « ...Les impérialismes rivaux sont animés du même souci d'assassiner la liberté et, quand les propagandistes anglais présentent le mouvement gaulliste comme un mouvement démocratique, ils mentent effrontément. » (Mouvements divers à droite, au centre et à gauche.)
M. Ramarony. Vous approuvez ce jugement, monsieur Schumann, ou vous le condamnez ? (Interruptions. — Bruit.)
M. le président. Je prie mes collègues d'écouter l'orateur en silence.
M. Edouard Daladier. « Ce général à particule, dit le texte, veut non pas la liberté de notre pays, mais le triomphe des intérêts impérialistes auxquels il a lié son sort.
« Ouvriers, paysans, ce n'est pas vers les de Gaulle, vers les de Larminat et autres réactionnaires de même acabit qu'il faut tourner vos regards, ce n'est pas des « V » qu'il faut écrire sur les murs, mais c'est l'emblème de la faucille et du marteau ». (Rires à droite.)
LES COMMUNISTES ATTAQUENT
L'ANGLETERRE ET LES ETATS-UNIS
Quelques jours après, on peut encore lire dans L'Humanité :
« Il ne faut pas permettre que le peuple de France, les ressources de notre pays, soient utilisés dans la guerre entre l'Allemagne et l'Angleterre. Certains Français et certaines Françaises, qui souffrent de voir notre pays opprimé par l'envahisseur, placent à tort leurs espérances dans le mouvement de Gaulle. A ces compatriotes, nous disons que ce n'est pas derrière un tel mouvement d'inspiration réactionnaire et colonialiste à l'image de l'impérialisme britannique que peut se réaliser l'unité de la nation française pour la libération nationale. » (Applaudissements à l'extrême gauche. — Rires et exclamations à droite, au centre et à gauche.)
Voilà pour l'Angleterre et le général de Gaulle.
Voici maintenant pour les Etats-Unis qui, depuis plusieurs mois, ravitaillent l'Angleterre qui poursuit seule une lutte héroïque et qui, en cet été de 1940, a tout de même sauvé la liberté du monde. (Les députés siégeant à gauche, au centre et à droite se lèvent et applaudissent longuement.)
Une voix à l'extrême gauche. Les Etats-Unis, ce n'est pas vous.
Mme Jeannette Vermeersch. Un autre a utilisé les morts. M. Daladier utilise les alliés. (Très bien ! très bien ! à l'extrême gauche.)
M. Edouard Daladier. Ne parlez pas des morts. Vous en avez acclamé l'autre jour quelques-uns et je pourrais rappeler ce que vous aviez écrit à leur sujet.
M. Florimond Bonte. Regardez vos mains ! (Applaudissements à l'extrême gauche.)
M. Edouard Daladier. Je ne vous crains pas et je continuerai mon exposé. (Interruptions à l'extrême gauche.)
M. le président. Monsieur Bonte, vous allez répondre. Gardez donc le silence maintenant.
M. Arthur Ramette. M. Daladier n'a pas besoin de provoquer ce côté-ci de l'Assemblée.
M. Edouard Daladier. Voici pour les Etats-Unis qui, depuis plusieurs mois, accomplissaient un effort d'autant plus méritoire que, vous le savez, le peuple américain, même à cette époque, était fortement travaillé par l’isolationnisme.
Je me souviens encore de ces nuits où j'entendais la voix chantante de Roosevelt que j'invoquais pour que la loi Johnson ne fût pas appliquée à la France en guerre, pour que le matériel de guerre commandé par la France aux Etats-Unis lui fût livré sans retard; je me souviens encore de cette voix qui, de l'autre rive de l'Atlantique, me disait: « Rassurez-vous, ayez confiance; la loi Johnson, je finirai bien par la faire suspendre. Mais quant à un concours positif des Etats-Unis, il vous faudra attendre plusieurs mois, car l'opinion publique est fortement travaillée par la propagande isolationniste. »
Roosevelt a tenu sa parole. Il a livré le matériel de guerre. Roosevelt s'est jeté, sous sa responsabilité personnelle, dans la bataille contre le nazisme. (Vifs applaudissements à gauche, au centre et à droite.)
A ce jour, où il semble que l'Angleterre sera fortement aidée dans sa résistance héroïque, qu'écrit-on dans les Cahiers du Bolchevisme ?
« La puissance qui, de l'autre côté de l'Atlantique, se couvre d'une carapace d'acier, qui va mobiliser pour la guerre le travail de ses citoyens, dont les avions vont sillonner le ciel de l'Europe, quelle est-elle, que représente-t-elle ? Elle représente l'omnipotence des trusts, le pouvoir du capitalisme le plus évolué. C'est la dictature de quelques familles oligarchiques qui descend dans l'arène de la guerre. »
Les trusts ! Le capitalisme le plus évolué ! Les avions qui vont sillonner le ciel de l'Europe ! Mesdames, messieurs, si ces avions n'avaient pas sillonné le ciel, est-ce que nous serions ici ? (Applaudissements à gauche, au centre et à droite.)
Mais, brusquement, tout change.
Mais, brusquement, tout change.
Juin 1941
HITLER ATTAQUE LA RUSSIE SOVIÉTIQUE
LE PARTI COMMUNISTE
OPÈRE UNE NOUVELLE VOLTE-FACE
Le 22 juin 1941, après avoir reçu de la Russie des Soviets des centaines et des centaines de milliers de tonnes de céréales, de pétrole, de métaux de diverses sortes et même de wolfram [sic] puisé an fond de l'Asie russe, il se trouve que Hitler considère que l'heure est venue de réaliser ce qui était depuis longtemps son véritable plan : la conquête de vastes territoires à l'Est, la conquête du véritable espacé vital.
Il se décide à envahir la Russie. Il veut reprendre l’œuvre des chevaliers de l'ordre teutonique.
Alors, mesdames, messieurs, deuxième, troisième ou quatrième revirement du parti communiste. Il y en a presque autant, en vérité, que de pactes germano-russes ! (Rires sur quelques bancs à gauche et à droite.)
Tout change : Hitler a attaqué. Alors, l'Angleterre et l'Amérique ne sont plus des puissances impérialistes; ce sont de grandes démocraties. (Nouveaux rires.)
Les avions qui vont sillonner le ciel de l'Europe ne sont pas les avions des trusts; ce sont les avions de la liberté du monde. Et le parti communiste prend sa place, avec courage et héroïsme, parmi tous les résistants de France.
[M. Prosper Moquet. Il n'avait pas attendu cette date pour y prendre sa place. Il l'a prise dès 1939, après que vous m'avez eu jeté en prison, ainsi que mes collègues communistes, et nous l'avons conservée, cette place, en 1940. (Applaudissements à l'extrême gauche.)
Et je tiens à vous rappeler, monsieur Daladier, que mon fils, Guy Môquet, dès le mois de juin 1940, était déjà dans la lutte, et dans l'action contre les boches et leurs valets de Vichy et le 13 octobre 1940, était arrêté et jeté en prison. (Les députés siégeant à l'extrême gauche se lèvent et applaudissent.)] [[NdB : cette intervention que l'on peut lire dans le discours de Daladier publié au Journal officiel n'est pas mentionné dans la brochure "Réponse aux Chefs communistes".]
CONCLUSION
« C'EST L'OBÉISSANCE AUX ORDRES DU GOUVERNEMENT SOVIÉTIQUE
QUI L'EMPORTE DANS LA VIE DU PARTI COMMUNISTE FRANÇAIS »
M. Edouard Daladier. Que démontrent ces textes ?
En réalité, à travers les différences de tactique, c'est toujours la fidélité au communisme international, c'est la soumission aux organes du communisme international. C'est l'obéissance aux ordres du gouvernement soviétique qui l'emporte dans la vie du parti communiste français.
Si nous ne contestons pas au parti communiste français le droit d'avoir cette attitude, ce que nous contestons fortement, c'est sa prétention d'être le seul parti de patriotes clairvoyants, d'être seul animé d'un patriotisme vigilant et vigoureux.
Nous repoussons cette prétention parce qu'elle ne résiste pas à l'examen des faits.
Aussi bien, mesdames, messieurs, en ai-je terminé avec cette première partie de ma tâche.
A l'extrême gauche. Il est temps ! (Protestations à droite.)
M. Edouard Daladier. J'aurai peut-être le regret de la reprendre et de la poursuivre quand j'aurai entendu, messieurs (l'orateur s'adresse à l'extrême gauche), vos autres orateurs.
Ce que je veux marquer, en terminant, c'est que j'ai versé au débat quelques textes qui pourront être utiles à la commission d'enquête qu'on a proposé d'instituer.
Cette enquête, je ne surprendrai, je crois, aucun de ceux qui furent à Riom, je ne surprendrai pas l'avocat Le Troquer, en disant que je l'attends avec impatience depuis ce jour d'avril 1942 où, après avoir été, à la radio de Pétain, accusé pendant plus de deux ans d'être un traître ou d'avoir livré la France à l'Allemagne, j'ai vu se dérober les accusateurs.
Je l'attends avec impatience depuis ce moment.
Je suis sûr qu'elle fera toute la lumière. Et laissez-moi exprimer aussi, en quittant la tribune, cette pensée que la vérité qui éclatera au-dessus des passions partisanes mettra en valeur, dans toute cette période dramatique de l'histoire de l'Europe, ce que parfois contestent quelques étrangers : la loyauté et le courage de la France.
(Applaudissements sur quelques bancs à gauche et à droite.)
- Les volte-face du Parti communiste devant l'agression d'Hitler (4/10)