LA VERITE SUR LES NEGOCIATIONS
AVEC L'URSS
Mais
si violente que soit cette campagne contre les accords de Munich,
aujourd'hui encore, après huit années, il semble pourtant que l'effort
du parti communiste porte davantage sur les négociations
anglo-soviétiques qui se sont déroulées au printemps et pendant l'été de
1939. Leur conclusion imprévue a été la signature du pacte
germano-russe dont M. Léon Blum a pu écrire à plusieurs reprises qu'il
était la véritable cause de la seconde guerre mondiale.
Mais,
si nous avions livré la Russie à Hitler, si à Munich, nous avions
orienté les coups d'Hitler vers la Russie des Soviets, pourquoi cette
même Russie des Soviets aurait-elle négocié avec la France et
l'Angleterre pendant plusieurs semaines et même pendant plusieurs mois ?
Alors
que l'on fait gloire au gouvernement de Moscou d'avoir fait preuve de
loyauté et de franchise, on vous affirme et l'on affirme au peuple
Français que, si les négociations ont échoué, c'est en raison de la
mauvaise foi de la France et sans doute de l'Angleterre, qui n'avaient
d'autre préoccupation que de tendre un piège à la Russie des Soviets
afin de détourner vers elle les coups de l'Allemagne
nationale-socialiste.
Je
n'ai pas à mettre en cause la politique d'un gouvernement étranger,
mais je veux montrer par contre que la thèse du parti communiste ne
résiste pas à l'examen impartial des textes et des faits.
J'affirme
ici, appuyé sur des documents également sûrs et authentiques, que
pendant cette négociation le gouvernement français n'a pas cessé un seul
jour de soutenir non seulement les propositions russes, mais — j'ai le
droit de le dire — les exigences russes, même lorsqu'à bon droit le
gouvernement français les trouvait excessives.
LES EXIGENCES SOVIETIQUES
Aussi
bien me bornerai-je à citer deux exemples caractéristique, sur lesquels
d'ailleurs a porté depuis plusieurs mois la propagande communiste :
l'exemple de l'assistance militaire aux pays baltes et l'exemple de ce
qu'on appelle l'agression indirecte.
Le
2 juin, alors que l'accord était fait sur les points essentiels au
point de vue politique, la Russie des Soviets a brusquement exigé que
les trois grandes puissances en négociation, l'Angleterre, la France et
la Russie, accordassent leur assistance militaire à tous les pays baltes, même s'ils la refusaient.
Lorsque
le gouvernement de Londres fut saisi de cette proposition, il protesta
déclarant qu'il était vraiment impossible de donner une garantie
militaire à des Etats qui la refusaient.
Nous
avons alors insisté auprès du gouvernement de Londres et j'ai le droit
de dire que c'est en partie en raison de l'insistance du gouvernement
français que quelques jours après, l'Angleterre donna son adhésion à
cette proposition déclarée d'abord insolite.
Mais
alors que nous croyions que tout était terminé et qu'il n'y avait plus
qu'à signer l'accord, le 4 juillet, nous nous trouvions en présence
d'une nouvelle exigence : il ne suffisait pas d'imposer une assistance
militaire à des nations qui la refusaient, il fallait encore faire jouer
l'alliance militaire des trois grandes nations au cas où se produirait
ce que le gouvernement russe appelait « une agression indirecte ».
Que
signifie « l'agression indirecte » ? Cela veut dire que, si un coup
d'Etat politique se produisait à Riga ou à Tallinn, que s'il se
produisait,, dans l'un des pays baltes, un changement de politique
intérieure qui parût favorable à l'agresseur éventuel, il en résultait,
le pacte jouant, la guerre générale en Europe.
La
France a accepté. Elle a donné tous apaisements et elle voulait donner
tous apaisements à la Russie, parce qu'elle savait bien que la crise
européenne s'aggravait de jour en jour et qu'il fallait mettre un terme à
des pourparlers qui déjà avaient duré trop longtemps.
Mais
le gouvernement britannique s'irrita, et je pourrais vous lire le
télégramme dans lequel un homme comme lord Vansittart, l'apôtre, depuis
de nombreuses années, de la sécurité collective, exprimait son
inquiétude et un certain découragement.
Qu'avons-nous
fait ? Nous avons insisté encore; j'ai insisté personnellement. La
Grande-Bretagne a accepté et enfin, le 17 juillet, après tant de
traverses, après avoir côtoyé tant d'écueils, nous avions l'illusion
d'arriver au port, puisque M. Molotov déclarait qu'il ne subsistait plus
que des divergences de dernier ordre, que
l'accord politique était virtuellement conclu.
LE REFUS DE MOLOTOV
Mais
comme nous demandions que, puisqu'il était conclu, des signatures y
fussent apposées, il s'y refusa, il ne voulût pas donner son accord à un
communiqué qui, cependant, à cette époque, étant donné la tension
européenne, aurait eu de très grands et très heureux effets pour la
pacification de notre continent. On se borna donc à parapher l'accord et
on accepta tout de suite la convocation de missions militaires.
On
m'a reproché d'avoir envoyé comme chef de la mission militaire
française, au lieu du chef d'état-major général de l'armée, le général
Doumenc.
Ceux d'entre vous, qui connaissant le général Doumenc pensent que le choix était, au contraire, excellent. Et d'ailleurs, à cette époque, à la fin de juillet, alors que tous les jours on redoutait une agression allemande, il était impossible d'envoyer à Moscou le chef d'état-major général.
Ceux d'entre vous, qui connaissant le général Doumenc pensent que le choix était, au contraire, excellent. Et d'ailleurs, à cette époque, à la fin de juillet, alors que tous les jours on redoutait une agression allemande, il était impossible d'envoyer à Moscou le chef d'état-major général.
NOUVELLES EXIGENCES DU MARECHAL VOROCHILOV
Je m'excuse, mesdames Messieurs, de rappeler tous ces faits et d'être peut-être trop long. (Non ! non !)
Mais je le fais par respect pour l'Assemblée. Je veux aussi que ces
documents soient versés au débat et que le peuple français les
connaisse.
Les
missions militaires se réunissent, les plans sont confrontés; mais
brusquement, le 14 août, alors que jusqu'à ce moment, c'était la France,
l'Angleterre et la Russie qui négociaient entre elles et s'engageaient
entre elles, le maréchal Vorochilov posa la question du passage des
troupes russes par le territoire polonais et déclara que, si ce passage
était refusé à l'armée russe, les négociations militaires n'étaient plus
possibles.
Nous
fûmes informés, le 15 août, de ces événements. La Pologne avait souvent
affirmé que si elle était prête à s'entendre avec l'URSS, une fois les
hostilités déclarées, elle refusait de prendre un engagement dès le
temps de paix, parce que, disait-elle, l'Allemagne, dès qu'elle serait
informée de cet engagement, se précipiterait sur elle.
Par contre, lorsque la guerre aurait éclaté, les difficultés seraient surmontées.
Il
est certain qu'il y avait aussi dans l'esprit des gouvernants de la
Pologne quelques arrière-pensées. Le gouvernement polonais croyait que
si l'armée russe était autorisée à franchir la frontière et à passer par
son territoire, elle ne s'en irait plus et qu'elle s'installerait
définitivement dans les provinces orientales de la Pologne.
Voilà,
mesdames, messieurs, ce qui explique que, du 16 au 20 août, malgré tous
les moyens de pression employés par le gouvernement français sur les
hommes responsables du gouvernement et de l'armée polonais, les uns et
les autres se sont obstinés dans leur refus.
LA FRANCE INSISTE AUPRES DE LA POLOGNE
C'est
alors que, dans la matinée du 21 août, je convoquai l'ambassadeur de
Pologne; je lui expliquai que le pacte que nous étions en train de
conclure était la seule garantie d'un maintien possible de la paix, que
si la guerre éclatait, il nous donnait une grande espérance de victoire.
J'ajoutai
que son pays prenait une terrible responsabilité en s'enfermant ainsi
dans une position intransigeante, qu'il savait très bien qu'en vertu
même des accords franco-polonais, la France ne pourrait intervenir
efficacement qu'après le 15e ou même le 17e jour suivant le début des
hostilités.
J'ajoutai, enfin, que si cet aveuglement persistait la France serait sans doute amenée à réviser son traité d'alliance.
«
Si vous venez me dire », concluais-je, « au début de cet après-midi,
après avoir téléphoné à Varsovie, que la Pologne persiste dans son
attitude, alors, je saisirai aussitôt le conseil des ministres et,
devant lui sera évoqué tout le problème de l'alliance franco-polonaise.
Si, au contraire, vous ne manifestez plus votre opposition, comme les
heures pressent, cet après-midi, je télégraphierai au général Doumenc
l'autorisation de signer, au nom de la France, la convention militaire
qui nous est proposée. »
J'ai
envoyé ce télégramme au général Doumenc l'autorisant à signer la
convention militaire. Il reçut cette dépêche le 21 août à 22 heures, et
j'ai toujours pensé qu'elle avait été retardée dans sa transmission,
mais qu'importe !
Dès
le 22 au matin, le général Doumenc faisait connaître au maréchal
Vorochilov la réponse affirmative du gouvernement français et par
conséquent, du gouvernement britannique que nous avions informé de notre
décision.
Ce
22 août, aux premières heures de la matinée, il lui demandait
instamment de réunir l'après-midi même les délégations militaires. Le
maréchal Vorochilov lui répondit seulement de venir le voir
personnellement à dix-huit heures trente, donc à la fin de l'après-midi,
après toute une journée. Lorsque le général Doumenc se présenta chez
lui, il exprima une nouvelle exigence.
Jusqu'alors,
nous avions négocié à trois Jusqu'alors les engagements que nous
prenions l'étaient vis-a-vis de nous trois. Nous étions responsables de
nos actes les uns vis-à-vis des autres. Jamais, au cours de la
négociation, du côté de la Russie des Soviets, le problème polonais
n'avait été posé.
LES ATERMOIEMENTS DU MARECHAL VOROCHILOV
Cependant,
au lieu de répondre au général Doumenc : « Oui, nous allons réunir les
délégations militaires », on lui dit : « Il faut que nous ayons
l'assurance que le gouvernement polonais et le gouvernement roumain sont
bien consentants. Alors la rédaction du pacte militaire sera faite
facilement, si les circonstances politiques restent les mêmes. Il faut
donc de toute façon, conclut le maréchal, attendre quelques jours pour
nous réunir ».
Pourquoi
cet atermoiement ? Quelles circonstances politiques pouvaient faire
obstacle à la conclusion d'un pacte entre trois nations qui affirmaient,
depuis des semaines et des mois, leur volonté commune de faire face à
l'agresseur éventuel ?
DEUXIEME PARTIE
La Vérité
sur le Pacte Germano-soviétique
sur le Pacte Germano-soviétique
du 23 Août 1939
Lorsque
le général Doumenc sortit de cette entrevue, il put apprendre qu'en
cette même journée du 22 août l'agence nazie de Berlin, le DNB.,
annonçait que M. de Ribbentrop arriverait à Moscou le 23 août pour
signer avec la Russie des Soviets un pacte de non agression qui, en
réalité, comme je le démontrerai, était un pacte de partage éventuel du
territoire polonais.
Ce
même jour, aussi, à Moscou, l'agence Tass informait le général Doumenc
que M. de Ribbentrop était en route. Et le même jour, à Berchtesgaden,
Hitler, pris d'une sorte de délire frénétique, annonçait avant qu'il fût
conclu, la signature du pacte germano-russe, ajoutant qu'il irait le
dimanche suivant serrer la main de Staline sur la nouvelle frontière de
l'Allemagne et de la Russie et que tous deux se partageraient le monde. (Sourires à droite.)
Ribbentrop était reçu, en effet, au Kremlin le 23 août, à quinze heures trente.
Ah
! il ne s'agissait plus de prendre tant de précautions, il ne
s'agissait plus de soulever tant de difficultés ! En quelques heures,
l'accord fut signé (Annexe n° 1).
On
a beaucoup discuté sur ce texte, on a cru que c'était vraiment un pacte
de non-agression et, dans la presse communiste, on l'a, célébré comme
une victoire diplomatique de la Russie des Soviets.
C'est
possible. Mais ce que je sais, c'est que ce pacte n'était pas un pacte
de non-agression, que son article 2 reproduit la clause qui figure déjà
dans le pacte d'acier signé entre Hitler et Mussolini, qu'il contient
aussi des clauses secrètes qui prévoient la destruction d'une nation au
profit des deux signataires. Il ne s'agissait nullement d'un pacte de
neutralité ou d'amitié, il s'agissait d'un pacte de complicité dans le
partage éventuel d'un malheureux pays qui, avait peut-être commis des
fautes politiques, mais qui, en tout cas, pendant plusieurs années et
encore jusqu'à la veille de la guerre, avait toujours refusé à Hitler
d'être son second dans une guerre contre la Russie des Soviets. (Applaudissements sur quelques bancs à gauche et à droite.)
Voilà la vérité, et on ne peut rien contre elle.
Où est donc, dans ces événements, la responsabilité du gouvernement français ?
Je ne parle pas de trahison, je n'aime pas ces grands mots (Rires à l'extrême gauche),
surtout quand vous les employez d'une manière aussi vague, sans
apporter aucun fait ni aucune accusation qui ne soit de mauvaise foi.
Mais s'il y a eu une « trahison » contre la paix, où est-elle, où est la
responsabilité du gouvernement français ?
[Je voudrais ajouter qu'en réalité, le gouvernement de Moscou a mené concurremment deux négociations : l'une à peu près publique avec la France et l'Angleterre, l'autre secrète avec l'Allemagne de Hitler, et que je suis d'accord avec Léon Blum lorsqu'il dit que, dès le mois d'avril, la décision de Moscou était prise. (Murmures à l'extrême gauche.)] [NdB : ce paragraphe que l'on peut lire dans le discours de Daladier publié au Journal officiel n'est pas mentionné dans la brochure "Réponse aux Chefs communistes".]
- La vérité sur les négociations avec l'URSS (3/10)