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Il est "criminel" de vouloir détruire "l'idéologie de l'hitlérisme" "par la force" ou "la guerre" (Discours de Viatcheslav Molotov du 31 octobre 1939)

Le 31 octobre 1939, soit un mois après la signature avec Hitler d'un Traité de frontières et d'amitié marquant la fin de la Campagne de Pologne, Viatcheslav Molotov, président du Conseil, prononce devant le Soviet suprême un discours sur la politique extérieure de l'URSS. (Doc. 1)

Dans ce discours illustrant parfaitement l'alliance germano-soviétique, il fait les déclarations suivantes :

1) la France et l'Angleterre "sont responsables de la continuation de la guerre" parce qu'elles ont refusé de faire la Paix avec l'Allemagne.
2) il est "criminel" de vouloir détruire "l'idéologie de l'hitlérisme" "par la force" ou "la guerre".
3) "une Allemagne forte est la condition nécessaire d'une paix solide en Europe."

Son contenu pro-allemand suscitera deux réactions diamétralement opposées.

Le "dégout" comme l'écrira Léon Blum dans Le Populaire du 2 novembre 1939 :

"Je rappelais à l'instant le discours de Ribbentrop. Le sentiment de révolte et de dégoût que m'inspire le discours de Molotov n'est pas moins intolérable. Il est vraiment impossible de pousser plus loin l'hypocrisie cauteleuse et pateline, le déni outrageant de la vérité. Dans ces paroles publiques, proférées à la face du monde, on ne trouve plus la moindre considération pour la dignité humaine, plus la moindre trace de respect humain."

L'enthousiasme comme le prouvera cette initiative allemande : le largage au-dessus de la région parisienne de tracts reproduisant des extraits du discours de Molotov.


Fin de la Campagne de Pologne

Le 28 septembre 1939, l'URSS et l'Allemagne signent un Traité de frontières et d'amitié qui organise le partage de la Pologne entre les deux bourreaux du peuple polonais et fonde sur cette double annexion territoriale "le développement et le progrès des relations amicales entre leurs peuples".

Signé à Moscou, ce traité marque la fin de la Campagne de Pologne. Il est accompagné d'une Déclaration dans laquelle les gouvernements soviétique et allemand appellent la France et l'Angleterre à reconnaître le partage de la Pologne entre les deux signataires, s'engagent à faire "des efforts communs" pour "mettre fin à l'état de guerre qui existe entre l'Allemagne d'une part, la France et l'Angleterre d'autre part", et enfin affirment que l'échec de leur démarche établirait le fait que la France et l'Angleterre "sont responsables de la continuation de la guerre".

Le 6 octobre, dans son discours prononcé devant le Reichstag, le chancelier Hitler célébre la victoire des armées allemandes en Pologne et salue le rôle positif de l'URSS. Il formule aussi des propositions de Paix qui se composent de deux volets :

1) reconnaissance par la France et l'Angleterre du règlement définitif de la question polonaise par le Traité germano-soviétique du 28 septembre 1939,
2) convocation d'une conférence internationale qui portera sur l'organisation politique et économique du continent européen ainsi que sur son désarmement.

Dans une allocution radiodiffusée le 10 octobre, le président du Conseil, Edouard Daladier, rejettera cette offre de "paix allemande" et accusera les communistes de "trahison" pour l'avoir soutenue par avance dans une lettre du 1er octobre adressée au président de la Chambre :

"Il y a quelques semaines à peine que les chefs communistes se présentaient à vous comme de farouches patriotes. C'étaient, à les entendre, de nouveaux Jacobins. Ils n'avaient pas de mots assez durs et même pas assez d'injures pour flétrir les efforts pacifiques du gouvernement.
Ils annonçaient dans les meetings qu'ils seraient à la pointe du combat contre Hitler et contre ses armées, pour la liberté, pour la patrie, et il a suffi que les bolchevistes trouvent leur intérêt à s'entendre avec les nazis et à partager avec eux la Pologne pour que ces mêmes grands patriotes fassent l'apologie d'une paix de trahison . [...]
Je sais bien qu'on vous parle aujourd'hui de paix, de la paix allemande, d'une paix qui ne ferait que consacrer les conquêtes de la ruse ou de la violence et n'empêcherait nullement d'en préparer de nouvelles.
A quoi se résume en effet le dernier discours du Reichstag ? A ceci : J'ai anéanti la Pologne, je suis satisfait, arrêtons le combat, tenons une conférence pour consacrer mes conquêtes et organiser la paix

Dans son discours prononcé à la Chambre des Communes le 12 octobre, le premier ministre anglais, Neville Chamberlain, jugera que le plan de Paix proposé par Hitler est inacceptable :

"Il faut en conclure que les propositions que présente le chancelier du Reich pour ce qu'il appelle « la certitude de la sécurité européenne » doivent être fondées sur la reconnaissance de ces conquêtes et le droit de faire de ceux qu'il a vaincus ce que bon lui semblera. Il serait impossible à la Grande-Bretagne d'accepter aucune base de ce genre sans forfaire à l'honneur et abandonner sa thèse que les différends internationaux doivent être réglés par la discussion et non pas par la force."


5e session du Soviet Suprême de l'URSS

Au vu de la situation internationale, le Soviet Suprême de l'URSS se réunit du 31 octobre au 2 novembre 1939 pour une session extraordinaire, la cinquième de la législature.

Le premier jour de cette session extraordinaire est consacré à la ratification du rapport présenté par Viatcheslav Molotov sur la politique extérieure de l'URSS. Le deuxième jour, le Soviet suprême approuve l'adhésion de l'Ukraine occidentale à l'URSS. Il fait de même le lendemain pour la Biélorussie.

L'Ukraine occidentale et la Biélorussie correspondent aux territoires annexés en Pologne par l'Union soviétique en vertu du Traité de frontières et d'amitié signé avec l'Allemagne.


Discours de Molotov

Le 31 octobre 1939, Viatcheslav Molotov, président du Conseil et commissaire du peuple aux Affaires étrangères, prononce devant le Soviet suprême un discours consacré à l'action de son gouvernement en politique étrangère.

Situation internationale

Le chef du gouvernement soviétique débute son rapport en indiquant que la situation internationale a connu trois changements majeurs depuis son intervention du 31 août 1939 qui était motivée par la signature du Pacte germano-soviétique :

1) amélioration des relations entre l'URSS et l'Allemagne,
2) disparition de l'Etat polonais,
3) transformation de la guerre : germano-polonaise dans un premier temps elle oppose désormais le bloc anglo-français à l'Allemagne.

Concernant la disparition de l'Etat polonais, il souligne que la défaite de la Pologne résulte avant tout d'une collaboration militaire entre l'URSS et l'Allemagne :

"Les milieux dirigeants de la Pologne ne se sont pas peu vantés de la « solidité » de leur Etat et de la « puissance » de leur armée.
Cependant il a suffi que la Pologne reçoive un coup bref, d'abord de l'armée allemande et puis de l'armée rouge pour qu'il ne restât rien de cet avorton issu du Traité de Versailles et qui ne vivait que de l'oppression des nationalités non polonaise."

France et Angleterre

Viatcheslav Molotov s'attaque ensuite à la France et à l'Angleterre en montrant que leur décision de poursuivre la guerre contre l'Allemagne s'explique par leur bellicisme et leur impérialisme.

Il estime que le rejet des propositions de paix allemandes par les gouvernements français et anglais témoigne de leur bellicisme. En conséquence, la France et l'Angleterre sont désormais considérées par l'URSS comme les agresseurs autrement dit les responsables de la guerre. Cet argumentaire est conforme à la Déclaration germano-soviétique du 28 septembre 1939.

En outre, il affirme que le véritable objectif de cette guerre n'est ni le rétablissement de la Pologne dans ses droits, ni la destruction du nazisme mais le maintien de l'hégémonie mondiale de la France et de l'Angleterre capitalistes. Leur guerre est donc impérialiste autrement dit illégitime. 

Dans son soutien au IIIe Reich, le chef du gouvernement soviétique va même jusqu'à condamner sur un plan moral toute guerre visant à détruire "l'idéologie de l'hitlérisme" :

"L'idéologie de l'hitlérisme, comme tout autre système idéologique, peut être reconnue ou rejetée — c'est une question d'opinion politique. Mais n'importe qui comprendra qu'on ne saurait détruire une idéologie par la force, qu'on ne saurait en finir avec elle par la guerre. C'est pourquoi il est insensé, voire criminel, de mener une semblable guerre, soi-disant pour « l'anéantissement de l'hitlérisme », en la couvrant du faux drapeau de la lutte pour la « démocratie »".

Illustration de la totale soumission du Parti communiste français aux intérêts de l'Union soviétique, cette condamnation morale sera reprise dans l'Humanité n° 4 du 7 novembre 1939 :

"Ils sont furieux surtout que Molotov ait avec force, et justesse, reproché à l'Angleterre et à la clique gouvernementale et bourgeoise française de prêcher une prétendue guerre idéologique. Le fascisme au pouvoir en France, les amis de Hitler, conseillers de Daladier, les méthode nazies copiées contre les travailleurs, contre les syndicats libres, contre le grand Parti Communiste, voilà ce qu'on ose appeler "la démocratie contre l'hitlérisme" ! Sanglante duperie pour imposer au peuple une guerre impérialiste dans l'intérêt de la réaction et du grand patronat."

Relations bilatérales

Après ces premiers développements, le Chef du gouvernement soviétique consacre la plus grande partie de son intervention à décrire les relations de l'URSS avec plusieurs pays.

Sont ainsi évoqués le "renforcement des relations amicales avec l'Allemagne", l'intervention en Pologne, la signature de Pactes d'assistance mutuelle avec la Lituanie, la Lettonie et l'Estonie, les pourparlers avec la Finlande, l'échec des négociations avec la Turquie, et enfin l'amélioration des relations avec le Japon.

Allemagne

Les relations germano-soviétiques sont décrites en ces termes :

"Aujourd'hui, nos relations avec l'Etat allemand ont pour base des rapports d'amitié, notre volonté de soutenir les aspirations de paix de l'Allemagne et en même temps notre désir de contribuer par tous les moyens au développement des relations économiques soviéto-allemandes à l'avantage réciproque des deux pays."

L'Union soviétique déclare officiellement que ses relations avec l'Allemagne d'Hitler sont fondées sur "des rapports d'amitiés". Ce point vient confirmer la signature du Traité de frontières et d'amitié du 28 septembre 1939. Nazis et communistes sont donc non seulement des alliés mais aussi des amis.

Elle manifeste en outre sa volonté de "soutenir les aspiration de paix de l'Allemagne". Pour l'URSS et les communistes français, Hitler est un donc un pacifiste. A l'inverse la France et l'Angleterre sont considérées comme des puissances impérialistes.

Enfin, elle plaide pour un "développement des relations économiques soviéto-allemandes à l'avantage réciproque des deux pays". Ce vœux sera réalisé le 11 février 1940 avec la signature d'un accord commercial.

Preuve supplémentaire des relations idylliques entre l'URSS et l'Allemagne, cette affirmation de Molotov qui perdra toute valeur avec l'invasion allemande du 22 juin 1941 :

" Nous avons toujours été de cette opinion qu'une Allemagne forte est la condition nécessaire d'une paix solide en Europe."

Blocus anglais et embargo américain

Le Chef du gouvernement soviétique termine son rapport sur la politique extérieure de l'URSS en condamnant le blocus anglais et la décision des Etats-Unis de lever leur embargo sur les exportations d'armes vers les pays belligérants.


Diffusion

Le discours de Molotov sera publié dans le Bulletin de la presse russe du 25 novembre 1939 qui propose une traduction du texte reproduit dans les Izvestia du 1er novembre 1939.

Le Monde n° 8 du 4 novembre 1939 diffusera une version distincte avec des passages mis en valeur. L'hebdomadaire Le Monde est une publication belge de l'Internationale communiste lancée en septembre 1939 à la suite de l'interdiction en France de la revue Correspondance Internationale. Imprimés en Belgique les numéros de cette revue sont ensuite diffusés clandestinement sur le territoires français. Cette version sera reprise dans les Cahiers du Bolchévisme du 2e semestre 1939.

Des extraits de l'intervention de Molotov seront aussi reproduits dans l'Humanité n° 3 du 3 novembre 1939 avec ce commentaire : "Par la voix de MOLOTOV l'URSS, qui garde sa neutralité, a ainsi dénoncé le caractère impérialiste de la guerre imposée au peuple de France et d'autre pays".

Enfin, on mentionnera qu'en novembre 1939 des avions allemands diffuseront sur le territoire français des tracts reproduisant ce discours de Molotov. Ce sera donc son second discours approuvé publiquement par l'Allemagne nazie. Rappelons que dans son allocution du 1er septembre 1939, le Chancelier Hitler avait exprimé sa totale adhésion à celui du 31 août 1939 : "Je puis souscrire mot pour mot au discours qu'a prononcé le commissaire du peuple Molotov."


Editorial de Léon Blum

Dans Le Populaire du 2 novembre 1939 Léon Blum dénonce avec virulence le discours de Viatcheslav Molotov du 31 octobre dans lequel le chef du gouvernement soviétique attribue la responsabilité de la guerre à la France et à l'Angleterre :

"[...] Je rappelais à l'instant le discours de Ribbentrop. Le sentiment de révolte et de dégoût que m'inspire le discours de Molotov n'est pas moins intolérable. Il est vraiment impossible de pousser plus loin l'hypocrisie cauteleuse et pateline, le déni outrageant de la vérité. Dans ces paroles publiques, proférées à la face du monde, on ne trouve plus la moindre considération pour la dignité humaine, plus la moindre trace de respect humain.
[...] Si jamais dans une guerre quelconque il y eut un agresseur incontestablement désigné, c'est Hitler dans la guerre actuelle. Si jamais il y eut un fait d'agression caractérisé avec évidence, c'est l'agression hitlérienne contre la Pologne.
[...] Mais aujourd'hui il est devenu incommode pour l'U.R.S.S. qu'Hitler assumât le rôle d'agresseur. Qu'à cela ne tienne, et voilà que Molotov affirme sans rougir devant l'opinion universelle que depuis trois ou quatre mois - depuis l'accord de principe entre l'Allemagne et l'U.R.S.S. - les mots d'agresseur et d'agression ont changé de signification, que certaines vieilles formules sont désormais périmées ! !
[...] Selon Molotov, Hitler n'est pas l'agresseur; pourtant, il en faut bien un : si ce n'est pas Hitler, qui est-ce ? Selon Molotov, c'est Hitler aujourd'hui qui veut la paix, ce sont les Alliés qui veulent la guerre, et ils ne la veulent pas pour des raisons d'ordre idéal, ni même d'ordre politique, mais pour des motifs d'intérêt, d'égoïsme matériel, de cupidité. Ainsi, la responsabilité de l'agression est retournée; la responsabilité actuelle de l'état de guerre est reportée sur les Alliés !".

Premier numéro imprimé de l'Humanité clandestine, le numéro spécial de novembre 1939 répondra à cet éditorial en qualifiant le dirigeant socialiste "d'agent de la bourgeoisie" dans un texte intitulé "Le sinistre Blum" :

"Léon Blum a été chargé par son patron Daladier de se livrer à un débordement d'injures contre le discours du camarade Molotov qui a mis les points sur les i et souligné la responsabilité des fauteurs de guerres impérialistes.
Le sinistre Léon Blum, dont les mains sont rouges du sang des républicains espagnols qu'il a livré aux agresseurs, continue à faire son métier d'agent de la bourgeoise.
Tout ce que dit et écrit cet individu provoque un sentiment de dégoût et de mépris chez les travailleurs. Mais que Blum ne l'oublie pas, il y aura des comptes à régler."


Document 1 :

Discours de Viatcheslav Molotov
du 31 octobre 1939

Camarades députés !

Au cours de ces deux derniers mois, d'importants changements se sont produits dans la situation internationale. Cela a trait avant tout à la situation en Europe, mais aussi aux pays située bien loin de l'Europe. En connexion avec ces changements, il faut indiquer trois circonstances essentielles ayant une importance décisive.

[Trois changements majeurs 
dans la situation internationale]

Tout d'abord, il faut souligner les changements qui se sont produits dans les rapports entre l'Union soviétique et l'Allemagne. Depuis la conclusion du pacte de non-agression soviéto-allemand du 23 août, il a été mis fin à la situation anormale qui a existé durant des années entre l'Union soviétique et l'Allemagne. A l'hostilité, réchauffée par tous les moyens par certains Etats européens, a fait place un rapprochement et l'établissement de rapports amicaux entre l'U.R.S.S. et l'Allemagne.

L'amélioration ultérieure de ces nouveaux, de ces bon rapports a trouvé son expression dans le pacte germano-soviétique portant sur l'amitié et les frontières entre l'U.R.S.S. et l'Allemagne, signé le 28 septembre à Moscou. Le brusque tournant qui s'est opéré dans les rapports entre l'U.R.S.S. et l'Allemagne — entre les deux plus grands Etats de l'Europe — ne pouvait manquer de se faire sentir sur l'ensemble de la situation internationale. Les événements ont entièrement confirmé l'appréciation qui a été donnée à la dernière session du Conseil Suprême sur la portée politique du rapprochement soviético-allemand.

Il convient de signaler l'effet de la débâcle militaire de la Pologne et de la désagrégation de l'Etat polonais. Les milieux dirigeants de la Pologne ne se sont pas peu targués de la soi-disant solidité de leur Etat et de la prétendue puissance de leur armée. Cependant, il a suffi que la Pologne reçoive un coup bref d'abord de l'armée allemande et puis de l'armée rouge pour qu'il ne restât rien de cet avorton issu du traité de Versailles et qui ne vivait que de l'oppression des nationalités non polonaises. « La politique traditionnelle » de louvoiement et de jeu sans principes entre l'Allemagne et l'U.R.S.S. a révélé sa carence et a fait complètement faillite.

II faut reconnaître que la grande guerre qui a éclaté en Europe a radicalement changé toute la situation internationale; cette guerre ayant commencé entre l'Allemagne et la Pologne s'est transformée en une guerre entre l'Allemagne d'une part, l'Angleterre et la France d'autre part. La guerre entre l'Allemagne et la Pologne a pris fin rapidement, par suite de la faillite complète des dirigeants polonais. Comme on sait, les garanties anglaise et française n'ont été d'aucun secours à la Pologne. On ignore proprement, jusqu'ici, ce qu'étaient ces « garanties ». (Hilarité générale.) La guerre commencée entre l'Allemagne et le bloc anglo-français n'en est qu'à son premier stade ! elle n'a pas encore pris un véritable développement. On comprend, toutefois, que cette guerre pouvait apporter des changements radicaux à la situation de l'Europe, et pas seulement de l'Europe.

[Condamnation de la France et de l'Angleterre impérialistes]

En relation avec ces changements importants survenus dans la situation internationale, certaines vieilles formules dont nous nous servions récemment encore — et auxquelles beaucoup s'étaient tellement accoutumés — sont manifestement périmées et désormais impraticables. Il faut s'en rendre compte, afin d'éviter les erreurs grossières dans l'appréciation de la nouvelle situation politique en Europe.

On sait, par exemple, qu'en ces quelques derniers mois les notions telles que « agression », « agresseur » ont reçu un nouveau contenu concret, ont acquis un nouveau sens. On conçoit aisément que nous ne puissions plus aujourd'hui nous servir de ces notions dans le même sens qu'il y a trois ou quatre mois, par exemple. Si l'on parle aujourd'hui des grandes puissances européennes, l'Allemagne se trouve dans la situation d'un Etat qui aspire à voir la cessation la plus rapide de la guerre et à la paix, tandis que l'Angleterre et la France, qui hier encore s'affirmaient contre l'agression, sont pour la continuation de la guerre et contre la conclusion de la paix. Les rôles changent, comme vous le voyez.

Les tentatives des Gouvernements anglais et français pour justifier leur nouvelle attitude en arguant des engagements pris envers la Pologne sont, bien entendu, nettement inconsistants. Il ne saurait être question, chacun le sait, de rétablir l'ancienne Pologne. Aussi est-il insensé de continuer la guerre actuelle, sous prétexte de rétablir l'ancien Etat polonais. Les Gouvernements de France et d'Angleterre, tout en s'en rendant compte, ne veulent cependant pas cesser la guerre et rétablir la paix, mais ils cherchent une nouvelle justification pour continuer la guerre contre l'Allemagne.

Depuis quelque temps, les milieux dirigeants d'Angleterre et de France essayent de faire figure de champions des droits démocratiques des peuples contre l'hitlérisme; ainsi, le Gouvernement anglais a proclamé que, pour lui, la guerre contre l'Allemagne aurait pour but, ni plus ni moins, « l'anéantissement de l'hitlérisme ». II s'ensuit qu'en Angleterre, de même qu'en France, les partisans de la guerre ont déclaré à l'Allemagne quelque chose comme une « guerre idéologique », qui rappelle les vieilles guerres de religion. En effet, les guerres de religion contre les hérétiques et les hétérodoxes eurent leur temps. Elles ont entraîné, on le sait, les plus funestes conséquences pour les masses populaires, la ruine économique et le déclin culturel des peuples. C'est qu'elles ne pouvaient donner rien d'autres; mais elles remontent au Moyen Age. N'est-ce pas vers le Moyen Age, vers cette époque des guerres de religion, de superstitions et de déclin culturel que nous entraînent à nouveau les classes dominantes d'Angleterre et de France ? Voici que l'on a entrepris aujourd'hui, sous le signe « idéologique », une guerre de plus grande envergure et présentant des dangers encore plus graves pour les peuples de l'Europe et du monde entier. Or, une guerre de ce genre ne saurait être justifiée en aucune façon. L'idéologie de l'hitlérisme, comme tout autre système idéologique, peut être reconnue ou rejetée — c'est une question d'opinion politique. Mais n'importe qui comprendra qu'on ne saurait détruire une idéologie par la force, qu'on ne saurait en finir avec elle par la guerre. C'est pourquoi il est insensé, voire criminel, de mener une semblable guerre, soi-disant pour « l'anéantissement de l'hitlérisme », en la couvrant du faux drapeau de la lutte pour la « démocratie ». En effet, on ne saurait aucunement qualifier de lutte pour la démocratie des actes tels que l'interdiction du Parti Communiste en France, les arrestations de députés communistes de la Chambre française ou la restriction des libertés politiques en Angleterre, l'oppression nationale toujours aussi forte dans les Indes, et ainsi de suite.

N'est-il pas clair que le but de la guerre actuelle en Europe n'est pas celui qu'on avoue dans les déclarations officielles, destinées au grand public en France et en Angleterre, c'est-à-dire que ce but n'est pas la lutte pour la démocratie, mais quelque chose d'autre, dont ces Messieurs ne parlent pas ouvertement ?

Le motif réel de la guerre anglo-française contre l'Allemagne, ce n'est pas que l'Angleterre et la France aient juré de rétablir l'ancienne Pologne, ni, bien entendu, qu'elles aient résolu, soi-disant, de prendre sur elles de lutter pour la démocratie. Les milieux gouvernants de l'Angleterre et de la France ont, comme de juste, d'autres motifs plus réels pour une guerre contre l'Allemagne. Ces motifs ne sont pas du domaine d'une idéologie quel conque, mais bien de la sphère de leurs intérêts, essentiellement matériels, de grandes puissances coloniales.

L'Empire de Grande-Bretagne, dont la population propre atteint 47 millions d'habitants, possède des colonies avec une population de 480 millions d'habitants. L'Empire colonial de la France, dont la population ne dépasse pas 42 millions d'habitants, compte 70 millions d'habitants dans les colonies françaises. C'est la possession de ces colonies, permettant d'exploiter des centaines de millions d'hommes, qui forme la base de l'hégémonie mondiale de l'Angleterre et de la France. La peur devant la prétention de l'Allemagne à ces possessions coloniales, voilà le dessous de la guerre actuelle, de la guerre de l'Angleterre et de la France contre l'Allemagne, guerre qui s'est sérieusement aggravée, dans ces derniers temps, à la suite de l'effondrement du traité de Versailles. La crainte de perdre l'hégémonie mondiale dicte aux Gouvernements d'Angleterre et de France une politique d'excitation de guerre contre l'Allemagne.

Dès lors, le caractère impérialiste de cette guerre devient évident pour quiconque veut voir la situation réelle des choses et ne ferme pas les yeux sur les faits.

Tout ceci montre à qui est nécessaire cette guerre, menée pour l'hégémonie mondiale; pas à la classe ouvrière, évidemment; une telle guerre ne promet rien à la classe ouvrière, que de sanglants sacrifices et des calamités.

Après cela, jugez vous-mêmes : le contenu de notions telles que « agression », « agresseur », a-t-il changé ou non pendant la dernière période ? Il est facile de voir que l'emploi de ces mots dans leur vieille acception, — c'est-à-dire, comme c'était le cas avant le dernier tournant décisif dans les rapports politiques entre l'U.R.S.S. et l'Allemagne et avant que la grande guerre impérialiste ait commencé en Europe, — ne peut que créer la confusion dans les cerveaux et pousser inévitablement à des conclusions erronées. Afin d'éviter cela, nous ne devons pas permettre une attitude dépourvue d'esprit critique à l'égard de ces vieilles notions impraticables dans la nouvelle situation internationale.

C'est ainsi qu'apparaît la situation internationale pendant la dernière période.

Nous en venons maintenant aux changements qui se sont produits dans la situation extérieure de l'U.R.S.S. elle-même. Les changements qui s'y sont produits ne sont pas insignifiants, mais si l'on part de l'essentiel, on ne peut s'empêcher de reconnaître que grâce à l'application suivie de notre politique extérieure de paix nous avons réussi à renforcer considérablement nos positions et l'importance internationale de l'U.R.S.S. (Applaudissements prolongés.)

["renforcement des relations amicales avec l'Allemagne"]

Nos rapports avec l'Allemagne, comme je l'ai déjà dit, se sont foncièrement améliorés. Ici les choses ont évolué dans le sens du renforcement des relations amicales, du développement de la collaboration pratique et du soutien politique de l'Allemagne dans ses aspirations à la paix. Le pacte de non-agression conclu entre l'U.R.S.S. et l'Allemagne nous obligeait à la neutralité en cas de participation de l'Allemagne dans une guerre. Nous avons appliqué cette ligne avec esprit de suite et l'entrée de nos troupes, commencée le 17 septembre sur le territoire de l'ancienne Pologne n'y contredit nullement. Il suffira de rappeler qu'à cette même date du 17 septembre, le gouvernement soviétique remettait à tous les gouvernements avec lesquels il est en relations diplomatiques, une note spéciale, déclarant que l'U.R.S.S. poursuivra à l'avenir également la politique de neutralité à leur égard. On sait que nos troupes n'ont pénétré sur le territoire de la Pologne qu'après que l'Etat polonais eut été désagrégé, qu'il eut en réalité cessé d'exister.

Certes, nous ne pouvions rester neutres en présence de ces faits, puisque ces événements posaient devant nous avec acuité le problème de la sécurité de notre Etat. En outre, le gouvernement soviétique ne pouvait pas ne pas prendre en considération la situation exceptionnelle qui était créée pour la population sœur de l'Ukraine Occidentale et de la Russie-Blanche Occidentale, laquelle était livrée au gré du sort, dans la Pologne désagrégée.

Les événements postérieurs ont pleinement démontré que les nouvelles relations soviéto-allemandes étaient édifiées sur la solide base des intérêts réciproques. Après l'entrée des unités de l'Armée Rouge sur le territoire de l'ancien Etat polonais se sont posées de sérieuses questions de délimitation des intérêts d'Etat de l'U.R.S.S. et de l'Allemagne. Ces questions furent vite réglées d'un commun accord. Le pacte germano-soviétique d'amitié et de délimitation des frontières entre l'U.R.S.S. et l'Allemagne conclu fin septembre a consolidé nos relations avec l'Etat allemand.

Les rapports de l'Allemagne avec les autres Etats bourgeois de l'Europe Occidentale pendant ces vingt dernières années ont été déterminés avant tout par le désir de l'Allemagne de rompre les chaînes du Traité de Versailles dont les auteurs avaient été l'Angleterre et la France, aidées activement par les Etats-Unis. C'est ce qui, en définitive, a conduit à la guerre actuelle en Europe.

Les relations de l'U.R.S.S. avec l'Allemagne reposaient sur une autre base qui n'avait rien de commun avec la perpétuation du système de Versailles d'après guerre. Nous avons toujours été de cette opinion qu'une Allemagne forte est la condition nécessaire d'une paix solide en Europe. Il serait ridicule de penser qu'on pourrait « simplement mettre hors de combat » l'Allemagne et l'éliminer de tous les calculs. Les puissances qui caressent ce rêve stupide et dangereux ont oublié la triste expérience de Versailles. Elles ne se rendent pas compte de la puissance accrue de l'Allemagne et ne comprennent pas que la tentative de répéter Versailles dans la situation actuelle, essentiellement différente de celle de 1914, peut les amener à une catastrophe.

Nous nous sommes constamment efforcés d'améliorer nos relations avec l'Allemagne et avons toujours salué les tendances analogues en Allemagne même. Aujourd'hui, nos relations avec l'Etat allemand ont pour base des rapports d'amitié, notre volonté de soutenir les aspirations de paix de l'Allemagne et en même temps notre désir de contribuer par tous les moyens au développement des relations économiques soviéto-allemandes à l'avantage réciproque des deux pays. A noter spécialement que les changements qui se sont produits dans les relations soviéto-allemandes sur le plan politique ont créé des conditions favorables au développement des relations économiques entre l'U.R.S.S. et l'Allemagne.

Les dernières négociations économiques de la délégation allemande à Moscou et celles que la délégation soviétique mène en ce moment en Allemagne préparent une large base pour développer les échanges entre l'U.R S.S. et l'Allemagne.

[Intervention en Pologne]

Et maintenant, permettez que je m'arrête aux événements qui se rattachent directement à l'entrée de nos troupes sur le territoire de l'ex-Etat polonais. Je n'ai pas besoin de décrire le cours de ces événements. Notre presse en a parlé en détail, et vous, camarades députés, vous connaissez parfaitement les faits. Je ne vous dirai que l'essentiel.

Inutile de démontrer qu'au moment où l'Etat polonais était en complète désagrégation, notre Gouvernement avait le devoir de tendre une main secourable à nos frères ukrainiens et blanc-russiens, habitant l'Ukraine occidentale et la Russie-Blanche occidentale. C'est ce qu'il a fait. (Applaudissements bruyants et prolongés. Les députés se lèvent et font une ovation.) L'Armée Rouge a pénétré dans ces régions, entourée de la sympathie générale de la population ukrainienne et blanc-russienne qui a accueilli nos troupes comme ses libérateurs du joug des seigneurs, des hoberaux et des capitalistes polonais.

Au cours de l'avance de l'Armée Rouge dans ces régions, nos unités eurent, par endroits, de sérieux engagements avec les troupes polonaises, par conséquent, des pertes à enregistrer : quelles furent ces pertes, on le verra tout à l'heure. Sur le front blanc-russien, nous avons eu, dans les unités de l'Armée Rouge, parmi les hommes de troupe et le commandement, 246 tués et 503 blessés, au total 749 hommes. Sur le front ukrainien, nous avons eu, parmi nos hommes de troupe et le commandement, 491 tués et 1.359 blessés, au total 1.850 hommes. Par conséquent, le nombre total des pertes subies par l'Armée Rouge sur le territoire de la Russie-Blanche Occidentale et de l'Ukraine Occidendale s'élève à 737 tués et 1.862 blessés, soit au total 2.599 hommes. En ce qui concerne nos trophées militaires, en Pologne, ce sont plus de 900 canons, 10.000 mitrailleuses, 300.000 fusils, 150 millions de cartouches, près d'un million d'obus, jusqu'à 300 avions, et ainsi de suite.

Le territoire passé à l'U.R.S.S. est aussi étendu qu'un grand pays européen. Celui de la Russie-Blanche Occidentale a une superficie de 108.000 kilomètres carrés et une population de 4.800.000 habitants. Celui de l'Ukraine Occidentale a une superficie de 48.000 kilomètres carrés et a 8 millions d'habitants. Donc, les territoires de l'Ukraine Occidentale et de la Russie-Blanche Occidentale qui sont passés à nous s'élèvent à 196.000 kilomètres carrés avec une population d'environ 13 millions d'habitants, dont plus de 7 millions d'Ukrainiens, 3 millions de Blanc-Russiens, 1 million de Polonais et plus d'un million de Juifs.

On ne saurait surestimer le sens politique de ces événements. Toutes les informations venant de l'Ukraine et de la Russie-Blanche occidentales attestent que la population a accueilli avec un enthousiasme indescriptible sa libération du joug des seigneurs polonais, et qu'elle a chaleureusement salué la nouvelle grande victoire du pouvoir soviétique. (Ovation prolongée.)

Les élections qui ont eu lieu dernièrement aux Assemblées nationales de l'Ukraine et de la Russie-Blanche occidentales, élections qui, pour la première fois, furent organisées dans ces régions sur la base du suffrage universel direct et égal et au scrutin secret, ont montré que les 9/10 au moins des habitants de ces régions étaient prêts, depuis déjà longtemps, à être rattachés à l'U.R.S.S. Les décisions des Assemblées nationales à Lvow et à Bielostok, que nous connaissons déjà aujourd'hui, démontrent l'unanimité complète des élus du peuple dans toutes les questions politiques.

[Pactes d'assistance mutuelle
avec l'Estonie, la Lettonie et la Lituanie ]

Passons maintenant à nos relations avec les Pays baltes. Là aussi, comme l'on sait, des changements importants se sont produits.

Les relations de l'U.R.S.S. avec l'Estonie, la Lettonie et la Lituanie sont réglées sur la base des traités de paix respectifs conclus en 1920. En vertu de ces traités, l'Estonie, la Lettonie et la Lituanie ont acquis l'existence indépendante en tant qu'Etats; de plus, durant toute la période écoulée, l'U.R.S.S. a constamment pratiqué une politique amicale à l'égard de ces petits Etats nouvellement constitués. Là est la différence radicale entre la politique du pouvoir des Soviets et celle de la Russie tsariste qui opprimait sauvagement les petits peuples sans leur donner la moindre possibilité de développement national et étatique indépendant et qui leur a laissé bien des souvenirs pénibles. Il faut reconnaître que l'expérience de ces vingt années de relations amicales soviéto-estoniennes, soviéto-lettones et soviéto-lithuaniennes a créé des conditions très favorables au renforcement continu des relations politiques et autres entre l'U.R.S.S. et ses voisins baltes. En témoignent aussi les dernières négociations diplomatiques avec les représentants de l'Estonie, de la Lettonie et de la Lituanie, ainsi que les traités qui, à la suite de ces négociations, ont été signés à Moscou.

Vous savez que l'U.R.S.S. a conclu avec l'Estonie, la Lettonie et la Lithuanie des pactes d'assistance mutuelle de très grande importance politique. Ces pactes s'inspirent d'un seul et même principe : ils sont basés sur l'assistance mutuelle entre l'U.R.S.S., d'une part, et l'Estonie, la Lettonie et la Lithuanie, de l'autre, y compris l'assistance militaire mutuelle en cas d'attaque contre l'un de ces pays. Etant donné la situation géographique particulière de ces pays, qui représentent, pour ainsi dire, des voies d'accès vers l'U.R.S.S., surtout du côté de la mer Baltique, ces pactes autorisent l'U.R.S.S. à avoir des aérodromes et des bases navales en des points déterminés de l'Estonie et de Lettonie. Quant à la Lituanie, ils établissent la défense conjuguée avec l'Union soviétique des frontières lituaniennes. La création de ces bases navales et de ces aérodromes soviétiques sur le territoire de l'Estonie, de la Lettonie et de la Lithuanie et l'introduction de certains contingents de troupes de l'Armée Rouge pour assurer la garde de ces bases constitue un moyen sûr de défense non seulement pour l'U.R.S.S., mais pour les Pays baltes eux-mêmes; et par là ils servent la cause du maintien de la paix à laquelle nos peuples sont intéressés.

Les pourparlers diplomatiques qui ont eu lieu ces derniers temps avec l'Estonie, la Lettonie et la Lithuanie ont montré qu'il existe entre nous une confiance suffisante, ainsi que le sentiment de la nécessité qui s'impose de réaliser ces mesures militaires de défense, aussi bien dans l'intérêt de l'U.R.S.S. que dans celui de ces Etats eux-mêmes. Ces négociations ont fait apparaître nettement la volonté des participants de maintenir la paix et de garantir la sécurité de leurs peuples occupés à un travail pacifique. Toutes ces circonstances ont assuré l'heureux achèvement des pourparlers et la conclusion de pactes d'assistance mutuelle d'une haute importance historique.

Le caractère particulier des pactes d'assistance mutuelle en question ne signifie nullement une immixtion de l'U.R.S.S. dans les affaires de l'Estonie, de la Lettonie et de la Lituanie comme cherchent à le faire croire certains organes de la presse étrangère. Au contraire, tous ces pactes d'assistance mutuelle réservent fermement l'intégrité de la souveraineté des Etats signataires et le principe de non-immixtion d'un Etat dans les affaires de l'autre. Ces pactes s'inspirent du respect réciproque de la structure étatique, sociale et économique de chacun des contractants et doivent affermir la base de la coopération pacifique et de bon voisinage entre nos peuples. Nous sommes pour une application loyale et ponctuelle des pactes conclus sous le régime de la réciprocité absolue et nous déclarons que le bavardage sur la soviétisation des Pays baltes n'est profitable qu'à nos ennemis communs et aux provocateurs anti-soviétiques de toute espèce.

Les relations politiques s'étant ainsi améliorées avec l'Estonie, la Lettonie et la Lithuanie, l'U.R.S.S. est allée largement au-devant des besoins économiques de ces Etats en signant des conventions commerciales respectives. En vertu de ces conventions, les échanges s'intensifient de plusieurs fois et on note des perspectives favorables de leur développement ultérieur. Au moment où le commerce de tous les pays d'Europe, y compris les Etats neutres, connaît des difficultés immenses, ces conventions de l'U.R.S.S. avec l'Estonie, la Lettonie et la Lithuanie sont de très grande importance pour ces pays.

De cette façon, le rapprochement survenu entre l'U.R.S.S., l'Estonie, la Lettonie et la Lithuanie favorisera l'essor plus rapide de l'agriculture, de l'industrie, des transports et en général favorisera le bien-être de nos voisins baltes.

Les principes de la politique soviétique ont trouvé une brillante démonstration en ce traité qui remet la ville et la région de Wilno à la république de Lituanie. Ainsi l'Etat lituanien avec ses 2.500.000 habitants agrandit notablement son territoire, augmente sa population de 550.000 habitants et reçoit la ville de Wilno deux fois plus peuplée que l'actuelle capitale lituanienne. L'U.R.S.S. a décidé de remettre Wilno à la république de Lithuanie, non parce que la population lithuanienne y est prééminente; non la majorité de la population de Wilno n'est pas lithuanienne; mais le gouvernement soviétique a envisagé que Wilno, que la Pologne avait arrachée par violence à la Lithuanie, devait appartenir à cette dernière parce que cette ville était liée d'une part au passé historique de l'Etat lithuanien et de l'autre aux espoirs nationaux du peuple lituanien. On fait remarquer dans la presse étrangère que l'histoire universelle n'avait pas connu d'exemple de grand Etat qui, de son propre gré, ait remis à un petit Etat une ville de cette importance. Cet acte atteste avec d'autant plus d'éclat la bonne volonté de l'Etat soviétique.

[Pourparlers avec la Finlande]

Nos relations avec la Finlande sont dans une situation particulière. Cela tient principalement à ce qu'en Finlande s'exercent davantage certaines influences extérieures de la part de tierces puissances. Les gens impartiaux doivent reconnaître cependant que les mêmes problèmes de la sécurité de l'U.R.S.S. et notamment de Léningrad, qui ont fait l'objet de pourparlers avec l'Estonie, font aussi l'objet de pourparlers avec la Finlande. On peut dire qu'à certains égards le problème de la sécurité de l'U.R.S.S., de ce côté, aurait même plus d'acuité, puisque la principale ville de l'Etat soviétique après Moscou — Léningrad — est distante de 32 kilomètres seulement de la frontière finlandaise. C'est-à-dire que Léningrad est distant de la frontière d'un autre pays moins qu'il ne le faut pour bombarder la ville avec des pièces d'artillerie moderne à longue portée. D'autre part, les approches de Léningrad par mer dépendent également, dans une grande mesure, de l'attitude hostile ou amicale observée à l'égard de l'U.R.S.S. par la Finlande, à laquelle appartient toute la partie nord du littoral du golfe de Finlande et toutes les villes situées le long de la partie centrale de ce golfe.

Etant donné cet état de choses et devant la situation créée en Europe, on peut penser que la Finlande se rapprochera de la compréhension nécessaire.

Sur quoi ont reposé les relations de l'U.R.S.S. avec la Finlande durant toutes ces années ? On sait que la base de ces relations est le traité de paix de 1920, du même type que nos traités avec nos autres voisins de la Baltique. De son consentement libre, l'U.R.S.S. a assuré l'existence autonome et indépendante de la Finlande. Il est hors de doute que seul le gouvernement de l'U.R.S.S., reconnaissant le principe du libre développement des nationalités, a pu accomplir ce geste. Il faut dire qu'aucun gouvernement en Russie, sauf le gouvernement soviétique, ne pourrait tolérer l'existence d'une Finlande indépendante aux portes mêmes de Léningrad. L'expérience du gouvernement « démocratique » de Kerenski-Tsereteli en témoigne avec éloquence, sans parler du gouvernement du prince Lvov-Milioukov et à plus forte raison du gouvernement tsariste, car nul doute que cette considération importante pourrait servir de préambule à l'amélioration des relations soviéto-finlandaises, auquel cas la Finlande, évidemment, n'est pas moins intéressée que l'U.R.S.S.

Les pourparlers soviéto-finlandais ont commencé récemment sur notre initiative. Quel est l'objet de ces pourparlers ? Il n'est pas difficile de comprendre que dans la situation internationale actuelle, alors qu'au centre de l'Europe se poursuit entre les plus grands Etats une guerre pleine de grandes surprises et de dangers pour tous les pays de l'Europe, l'U.R.S.S. n'a pas seulement le droit, mais elle a le devoir de prendre des mesures sérieuses pour renforcer sa sécurité. Il est naturel qu'en l'occurrence le gouvernement soviétique se soucie particulièrement du golfe de Finlande, qui est la voie d'accès de Léningrad par mer, et aussi de cette frontière terrestre qui, située à quelque 30 kilomètres, constitue une menace pour Léningrad.

Je rappelle que la population de Léningrad atteint 3 millions 1/2 d'habitants, ce qui équivaut à peu près à la population de toute la Finlande, laquelle compte 3.650.000 habitants. (Animation dans la salle.) Il n'est guère besoin de nous arrêter aux fables répandues par la presse étrangère sur les propositions de l'U.R.S.S. au cours de ses pourparlers avec la Finlande. Les uns prétendent que l'U.R.S.S. « exige » pour elle la ville de Vipuri (Vyborg) et la partie nord du lac Ladoga. Disons, pour notre part, que c'est là pure invention et mensonge. D'autres soutiennent que l'U.R.S.S. « exige » la remise des îles Aaland : même invention et mensonge. On bavarde encore sur de certaines prétentions que l'U.R.S.S. formulerait à l'égard de la Suède et de la Norvège. Mais ces mensonges sans scrupules ne méritent même pas un démenti. (Hilarité générale.) En réalité, nos propositions dans les pourparlers avec la Finlande sont d'une modestie extrême et se réduisent au minimum sans lequel il est impossible d'assurer la sécurité de l'U.R.S.S. et de régler les relations d'amitié avec la Finlande.

Nous avons engagé les pourparlers avec les représentants de la Finlande. A cet effet, le gouvernement finlandais avait délégué à Moscou MM. Paasikivi et Tanner. Nous avons commencé par proposer la conclusion d'un pacte soviéto-finlandais d'assistance mutuelle, à peu près sur le modèle de nos pactes d'assistance mutuelle avec les autres Etats baltes. Le gouvernement finlandais nous ayant déclaré que la conclusion d'un tel pacte serait en contradiction avec son attitude de neutralité absolue, nous n'avons pas insisté sur nos propositions. Dès lors, nous avons offert de passer à l'examen des questions concrètes qui nous intéressent du point de vue de la sécurité de l'U. R. S. S. et notamment de la sécurité de Léningrad, tant du côté de la mer — golfe de Finlande — que celui de la terre, étant donné que la ligne frontière passe si près de Léningrad. Nous avons proposé de nous entendre pour délimiter la frontière soviéto-finlandaise de l'isthme de Carélie de quelques dizaines de kilomètres au nord de Léningrad. En échange, nous avons offert à la Finlande une partie de la Carélie soviétique, deux fois plus grande que celle qui sera cédée à l'U.R.S.S. Nous avons proposé aussi de nous entendre sur la prise à bail par nous pour un délai déterminé, d'un petit secteur finlandais près du golfe de Finlande afin d'y organiser une base militaire navale. Etant donnée l'existence d'une base navale soviétique à l'entrée du golfe de Finlande, notamment dans le port baltique, ainsi qu'il a été stipulé dans le pacte soviéto-esthonien d'assistance mutuelle, la création d'une base navale à l'entrée même du golfe de Finlande pourrait assurer pleinement la sécurité de ce dernier contre tout attentat hostile de la part d'autres Etats. Il est hors de doute pour nous que la création de cette base est conforme non seulement aux intérêts de l'U.R.S.S., mais aussi à la sécurité de la Finlande elle-même. D'autres propositions, et notamment celle concernant un échange de territoires de certaines îles du golfe de Finlande, ainsi que d'une partie des presqu'îles Rybatchy et Sredni contre une double étendue de territoire en Carélie soviétique, ne rencontre pas, semble-t-il, d'objection de la part du gouvernement finlandais. Les divergences sur plusieurs de nos propositions ne sont pas encore surmontées et les concessions faites par la Finlande à cet égard, par exemple, la cession partielle de territoire dans l'isthme de Carélie, n'atteignent évidemment pas leur but.

Nous avons fait ensuite une série de nouvelles avances pour nous entendre avec la Finlande. Nous avons dit que si nos principales propositions étaient acceptées, nous serions prêts à lever nos objections contre l'armement des îles Aaland, sur quoi le Gouvernement finlandais insiste depuis longtemps. Toutefois, nous avons fait cette réserve que nous lèverions nos objections contre l'armement des îles Aaland à condition que la Finlande effectue cet armement par ses propres moyens, sans la participation d'aucun tiers pays pour autant que l'U.R.S.S. n'y participe pas. Nous avons proposé également à la Finlande de procéder au désarmement des régions fortifiées tout le long de la frontière soviéto-finlandaise dans l'isthme de Carélie, ce qui doit répondre entièrement aux intérêts de la Finlande.

Nous avons exprimé par ailleurs le désir de renforcer le pacte soviéto-finlandais de non-agression par des garanties supplémentaires réciproques. Enfin, le raffermissement des relations politiques entre l'U.R.S.S. et la Finlande serait aussi certainement une excellente base pour le prompt développement des relations économiques entre nos deux pays.

Ainsi, nous sommes prêts à aller au-devant de la Finlande, dans les questions qui l'intéressent tout spécialement.

Dès lors, nous ne croyons pas que, du côté de la Finlande, on cherche des prétextes pour faire échouer la convention envisagée. Cela ne serait pas conforme à la politique d'amitié qui préside aux rapports soviéto-finlandais et cela porterait naturellement un préjudice grave à la Finlande.

Nous sommes certains que les milieux dirigeants de la Finlande comprendront comme il se doit l'importance qu'il y a à renforcer les relations d'amitié entre l'U.R.S.S. et la Finlande, et que les hommes d'Etat finlandais ne se laisseront influencer par aucune pression et instigation antisoviétique, d'où qu'elle vienne.

Je dois toutefois vous dire que même le Président des Etats-Unis a jugé bon de se mêler de ces questions, ce qu'il est difficile de concilier avec la politique de neutralité américaine. Dans son message adressé le 12 octobre au camarade Kalinine, président du Présidium du Conseil Suprême de l'U.R.S.S., le président Roosevelt a exprimé l'espoir de voir se maintenir et se développer les relations d'amitié entre l'U.R.S.S. et la Finlande. On pourrait croire que les affaires marchent mieux pour les U.S.A., par exemple avec les Philippines ou Cuba, qui réclament depuis longtemps aux Etats-Unis leur liberté et leur indépendance, sans pouvoir les obtenir, ce qui n'est pas le cas de l'U.R.S.S. avec la Finlande, laquelle a obtenu depuis longtemps sa liberté et son indépendance en tant qu'Etat. Le camarade Kalinine a répondu à la missive du président Roosevelt de la façon suivante :

« J'estime qu'il y a lieu de vous rappeler, Monsieur le Président, que l'indépendance de la République finlandaise a été reconnue de plein gré par le Gouvernement soviétique le 31 décembre 1917, et que la souveraineté de la Finlande est garantie par le traité de paix signé entre la Russie et la Finlande, le 14 octobre 1920. Les principes fondamentaux des rapports entre l'U.R.S.S. et la Finlande ont été déterminés par les actes précédemment indiqués du Gouvernement soviétique. C'est en conformité avec ces principes que sont menés actuellement les pourparlers entre le Gouvernement soviétique et le Gouvernement finlandais. Contrairement aux versions tendancieuses répandues par les milieux qui ne sont évidemment pas intéressés à la paix européenne, l'unique but des pourparlers en question est de resserrer les relations entre l'U.R.S.S. et la Finlande et de renforcer la coopération mutuelle des deux pays en vue d'assurer la sécurité de l'U.R.S.S. et de la Finlande. »

Après cette réponse du Président du Présidium du Conseil Suprême de l'U.R.S.S., il doit être absolument clair que, la bonne volonté aidant, le Gouvernement finlandais ira au-devant des propositions minima qui, loin de sacrifier les intérêts nationaux et étatiques de la Finlande, assurent la sécurité extérieure et créent une solide base qui permettra de développer largement les rapports politiques et économiques entre nos deux pays.

[Echec des négociations avec la Turquie]

Quelques mots sur les pourparlers avec la Turquie.

A l'étranger, on écrit toutes sortes de légendes sur le fond même de ces pourparlers. Les uns prétendent que l'U.R.S.S. aurait exigé la transmission des districts d'Ardahan et de Kars. Disons, pour notre part, que c'est là une invention forgée de toutes pièces et un mensonge. D'autres soutiennent que l'U.R.S.S. aurait réclamé la modification de la convention internationale conclue à Montreux et des privilèges de l'U.R.S.S. dans la question des détroits : mêmes inventions et mensonges. En réalité, il s'agissait de la conclusion d'un pacte d'assistance mutuelle limité aux régions de la mer Noire et des Détroits. L'U.R.S.S. considérait que la conclusion d'un tel pacte, premièrement ne pourrait pas l'obliger à des actes susceptibles de l'entraîner dans un conflit armé avec l'Allemagne et que, deuxièmement, l'U.R.S.S. devait avoir une garantie qu'en raison de la menace de guerre, la Turquie ne laisserait pas passer par le Bosphore, dans la mer Noire, de navires de guerre appartenant à des puissances non riveraines de la mer Noire. La Turquie a décliné toutes ces réserves de l'U.R.S.S. et a rendu par là impossible la conclusion du pacte.

Les pourparlers soviéto-turcs n'ont pas abouti à la conclusion d'un pacte, mais ils ont aidé à tirer au clair ou tout au moins, à effleurer une série de questions politiques nous intéressant. Dans la situation internationale actuelle, il importe évidemment de connaître le vrai visage et la politique des Etats dont les rapports avec nous ont une sérieuse importance. Bien des choses nous apparaissent maintenant beaucoup plus claires, dans la position de la Turquie, tant à la suite des pourparlers de Moscou qu'à la suite des derniers actes du Gouvernement turc dans le domaine de la politique extérieure.

On sait que la Turquie a préféré lier son sort à un groupe déterminé de puissances européennes qui participent à la guerre. Elle a conclu un pacte d'assistance mutuelle avec l'Angleterre et la France, qui mènent, depuis deux mois déjà, la guerre contre l'Allemagne. Ce faisant, la Turquie a définitivement rejeté la politique prudente de neutralité et est entrée dans l'orbite de la guerre européenne, en voie de développement. L'Angleterre et la France, qui cherchent à entraîner le plus possible d'Etats neutres dans la sphère de leurs guerre, en sont très satisfaites. La Turquie n'aura-t-elle pas lieu de se repentir ? Nous n'essayerons pas de le deviner. (Animation dans la salle.) Nous nous contenterons de marquer ces nouveaux éléments de la politique extérieure de notre voisine et de suivre avec attention le cours des événements.

Si, à présent, la Turquie s'est liée les mains jusqu'à un certain point et a accepté, non sans risques pour elle, de soutenir une des parties belligérantes, il est évident que le Gouvernement turc se rend .compte de la responsabilité qu'il assume. Mais ce n'est pas la politique extérieure que suit l'U.R.S.S., et grâce à laquelle elle s'est déjà assuré de nombreux succès dans sa politique étrangère. L'U.R.S.S. préfère continuer à garder les mains libres et pratiquer avec un esprit de suite sa neutralité, et, bien loin d'aider à attiser la guerre, elle préfère continuer à renforcer les tendances qui se manifestent en faveur du rétablissement de la paix. Nous sommes certains que la politique de paix menée invariablement par l'U.R.S.S. conduit à de meilleures perspectives d'avenir. Nous pratiquerons aussi cette politique dans la zone de la mer Noire, avec la certitude que nous assurerons entièrement sa bonne application, comme l'exigent les intérêts de l'U.R.S.S. et les Etats amis. (Applaudissements.)

[Améliorations des relations avec le Japon]

Passons maintenant à nos relations avec le Japon :

Depuis quelque temps, une certaine amélioration s'est produite dans les rapports soviéto-nippons. Cette amélioration s'est ébauchée dans le récent accord de Moscou, qui a mis fin au conflit que l'on connaît sur la frontière mongolo-mandchoue.

Durant plusieurs mois, ou, plus exactement, au cours de mai, juin, juillet, août et jusqu'à la mi-septembre, les opérations militaires, avec la participation des troupes nippo-mandchoues et soviéto-mongoles, se sont déroulées dans la région de Nomankhan, confinant à la frontière soviéto-mandchoue. Pendant cette période, toutes les armes, y compris l'aviation et l'artillerie lourde, ont pris part aux dites opérations. Par moment, les batailles furent très sanglantes. Ce conflit, dont nul n'avait besoin, a causé des pertes importantes de notre côté, mais de plusieurs fois supérieures du côté nippo-mandchou. Enfin, le Japon nous ayant proposé de liquider le conflit, nous avons volontiers déféré au désir du gouvernement japonais.

Comme on sait, le conflit avait été provoqué par la tentative du Japon de s'approprier une partie du territoire de la République Populaire de Mongolie et de modifier ainsi par la force, à son profit, la frontière mongolo-mandchoue. Cette méthode unilatérale devait rencontrer une énergique riposte. Elle a montré, une fois de plus, sa complète inefficacité à l'égard de l'U.R.S.S. ou de ses alliés.

Si le malencontreux exemple de la Pologne a démontré, récemment, le peu de prix que valent parfois les pactes d'assistance mutuelle signés par certaines grandes puissances d'Europe (rires), la preuve du contraire a été faite sur la frontière mongolo-mandchoue.

Ici la preuve a été faite de la valeur qu'ont les pactes d'assistance mutuelle qui portent la signature de l'U.R.S.S. (Tempête d'applaudissements.) En ce qui concerne le conflit en question, il a été liquidé à la suite de l'accord soviéto-nippon, signé le 15 septembre à Moscou, et la paix a été entièrement rétablie sur la frontière mongolo-mandchoue. Un premier pas a été fait complétant l'amélioration des rapports soviéto-nippons.

Il reste encore, pour délimiter la frontière, à constituer une commission mixte qui sera composée de représentants soviéto-mongols et nippo-mandchous. Elle aura à examiner certaines des questions litigieuses concernant la frontière. On peut ne pas douter qu'avec de la bonne volonté, non pas seulement de notre part, la méthode qui consiste à examiner certaines questions concernant la frontière sur un terrain, pratique, donnera des résultats positifs.

La possibilité est apparue, en outre, d'engager des pourparlers au sujet du commerce soviéto-nippon. Il faut bien reconnaître que le développement des échanges soviéto-nippons est conforme aux intérêts des deux pays.

Ainsi nous avons toutes les raisons de parler d'une amélioration qui s'ébauche de nos rapports avec le Japon. Il est difficile de juger dès à présent dans quelle mesure on peut compter sur un rapide développement de cette tendance. Nous n'avons pas encore pu élucider à quel point le terrain est sérieusement préparé dans les milieux japonais. Nous devons dire, quant à nous, que nous sommes favorables à ce genre de propositions venant du Japon, que nous les considérerons, du moins, du point de vue de notre position politique essentielle et du souci que nous avons des intérêts de la paix.

[Condamnations du blocus anglais
et de la levée de l'embargo américain sur les armes]

Enfin quelques mots au sujet de la contrebande de guerre et de l'exportation des armes effectuées par certains pays neutres vers les pays belligérants.

Le Gouvernement soviétique a publié récemment une note en réponse à celles du Gouvernement d'Angleterre, en date du 6 et 11 septembre. Notre note expose le point de vue de l'U.R.S.S. sur les questions de la contrebande de guerre. Elle indique que le Gouvernement soviétique ne peut considérer comme telle les denrées alimentaires et les combustibles destinés aux populations paisibles, ainsi que les vêtements, que l'interdiction de l'importation des articles de grande consommation reviendrait à vouer des enfants, des femmes, des vieillards, des malades à des misères et à la famine.

Le Gouvernement soviétique indique dans sa note que de semblables questions ne peuvent être l'objet d'une décision unilatérale comme l'a fait l'Angleterre et qu'elles doivent être résolues d'un commun accord par toutes les puissances. Nous comptons que les pays neutres, de même que l'opinion publique en Angleterre et en France reconnaîtront le bien-fondé de notre position et prendront les mesures pour que la guerre entre les armées des pays belligérants ne dégénère pas en guerre contre les enfants, les malades et les vieillards. Dans tous les cas, notre pays, comme pays neutre, n'a pas intérêt à voir s'étendre la guerre. Il prendra toutes les mesures pour la rendre moins destructrice, pour l'affaiblir et en accélérer la fin dans l'intérêt de la paix.

D'après cette perspective, la décision du Gouvernement américain de lever l'embargo sur les armes à destination des pays belligérants, soulève des doutes légitimes. On ne peut guère douter que cette décision, loin d'affaiblir la guerre et d'en rapprocher la fin, au contraire la renforcera, l'aggravera, la fera traîner en longueur. Certes, pareille décision peut assurer des profits élevés à l'industrie de guerre américaine, mais la question se pose : cette circonstance peut-elle justifier la levée de l'embargo sur les exportations d'armes des U.S.A. ? Il est clair que non.

Telle est, en ce moment, la situation internationale.

Tels sont les principes de la politique extérieure de l'Union soviétique. (Tempête d'applaudissements. Ovation. Tous les députés se lèvent.)



Document 2 :

Note de Molotov sur le blocus britannique
remise à l'ambassadeur anglais à Moscou,
le 25 octobre 1939 

Le gouvernement britannique, en fixant par un acte unilatéral, dans sa note du 6 septembre, la liste des marchandises qu'il proclame être propagande de guerre, viole les principes de la loi internationale, qui trouvent leur expression générale dans la déclaration internationale des règlements de la guerre navale du 26 février 1909, porte un grave préjudice aux intérêts des pays neutres et détruit le commerce international.

En faisant entrer dans sa liste de contrebande de guerre des articles et des marchandises tels que les combustibles, le papier, le coton, le fourrage, les chaussures, les vêtements et les matières qui servent à les fabriquer, et même les denrées alimentaires — pain, viande, beurre, sucre et autres produits — le gouvernement britannique déclare, en fait, articles de contrebande les articles essentiels servant à la consommation des masses, et il crée la possibilité d'un arbitraire sans limite par le classement de tous les articles de consommation parmi les articles de contrebande.

Ceci conduit inévitablement à une profonde désorganisation du ravitaillement en articles de première nécessité de la population civile pacifique, met gravement en danger la santé et la vie de la population civile pacifique et laisse prévoir d'innombrables calamités pour les masses du peuple.

On sait que les principes universellement reconnus de la loi internationale interdisent le bombardement aérien des populations pacifiques : femmes, enfants et vieillards.

En s'appuyant sur les mêmes bases, le gouvernement soviétique n'estime pas qu'il soit permis de priver la population pacifique de denrées alimentaires, de combustible et de vêtements et de soumettre ainsi les enfants, les femmes à toutes les misères et à la famine, en proclamant contrebande de guerre les marchandises nécessaires à la consommation populaire.

En conséquence, le gouvernement soviétique déclare qu'il n'est pas d'accord avec la Note du gouvernement britannique du 6 septembre, et il refuse de reconnaître à cette note aucune validité.

Le gouvernement de l'U.R.S.S. déclare également qu'il n'est pas d'accord avec la note britannique du 11 septembre et qu'il ne reconnaît aucune validité à cette note, qui notifie l'institution unilatérale par le gouvernement britannique d'un système de contrôle des navires de commerce des pays neutres dans des ports spécialement désignés pour cela par le gouvernement britannique.

Le gouvernement soviétique regarde comme absolument infondé et arbitraire que le gouvernement britannique exige que ces navires soient obligatoirement amenés dans lesdits ports, exigence renforcée par la menace d'y contraindre ces navires par la force.

De telles mesures violent les principes élémentaires de la liberté de navigation de la marine marchande. Elles ne sont pas conformes à la déclaration internationale du 26 février 1909 et à la décision prise e 6 mai 1903 par le Tribunal de la Haye, dans le cas du navire français Carthage.

En même temps, le gouvernement soviétique ne peut pas manquer de déclarer que les navires marchands de l'U.R.S.S. sont propriété de l'Etat et que cette raison doit suffire à les exempter des mesures de contrainte appliquées aux navires qui appartiennent à des entreprises privées.

Pour tous ces motifs, le gouvernement le l'U.R.S.S. réserve son droit de réclamer compensation au gouvernement britannique pour les pertes causées aux organisations, institutions ou citoyens de l'U.R.S.S., en raison des mesures ci-dessus mentionnées du gouvernement britannique et en raison des actes des autorités britanniques.

(Bulletin périodique de la presse anglaise n° 410 du 16 novembre 1939)