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Brochure "Réponse aux chefs communistes" 5/10 - Discours de Daladier du 18 juillet 1946 - Réponse à Florimond Bonte


UN DISCOURS FLEUVE
DE M. FLORIMOND BONTE


L'Assemblée nationale avait écouté avec la plus grande attention l'exposé de M. Edouard Daladier. A plusieurs reprises les députés - sauf bien entendu la fraction communiste- applaudirent les paroles de l'ancien président du conseil.
M. Daladier avait apporté des faits, des textes, des preuves qui accablaient le parti du « patriotisme à éclipses ».
A ce discours, sobre, vibrant, pathétique, M. Florimond Bonte tenta de répondre par un interminable discours fleuve. Le second orateur communiste s'efforça de justifier les revirements et les reniements de son parti par un flot de paroles et de citations sur Munich, le pacte germano-soviétique et les mesures prises par le gouvernement français en fin août et en septembre 1939. A la stupeur de l'Assemblée M. Florimond Bonte alla même jusqu'à affirmer que le « responsable du pacte germano-soviétique, c'est M. Daladier lui-même ! » (Exclamations sur divers bancs à gauche et à droite. - Applaudissements à l'extrême-gauche.)
L'orateur communiste prétendit ensuite démontrer que M. Edouard Daladier, chef du gouvernement français en 1939, avait violé la légalité républicaine et préparé la défaite de la France en... réprimant les menées défaitistes et anti-nationales du parti communiste, alors partisan d'une « paix brune » avec Hitler. Cynique déformation de la vérité qui valut d'ailleurs à M. Florimond Bonte cette remarque de M. Coste Floret :
« Votre passion vous égare ». (J. O., 18 juillet 1946, p. 2.702).
Dans une brève et incisive réplique, M. Daladier fit rapidement justice des accusations et des injures de M. Florimond Bonte.


LA REPLIQUE DE M. DALADIER


M. Edouard Daladier. Mesdames, messieurs, nous venons d'entendre M. Florimond Bonté développer avec sobriété et mesure (Rires à droite) des accusations que nous lisons depuis déjà quelques mois, sinon, depuis plusieurs années.
Vous trouveriez peut-être excessif que je consacre un temps trop long à lui répondre. Je voudrais cependant apporter quelques précisions.
M. Florimond Bonte, si j'ai bien compris son discours, a invoqué deux séries d'arguments : les uns intéressent surtout la politique extérieure, les autres la politique intérieure de ces derniers mois ou de ces dernières années.
Sur la politique extérieure, j'ai entendu, certes, beaucoup de reproches. J'aurais pu me permettre de l'interrompre lorsqu'il parlait notamment de la politique de l'année 1938 en lui rappelant ces paroles, qui furent alors si applaudies, de M. Maurice Thorez, secrétaire général de son parti :
« Il faut s'entendre avec quiconque veut : la paix, avec quiconque offre une chance, si minime soit-elle, de sauvegarder la paix. Il faut s'entendre avec l'Italie en dépit de la dictature fasciste; il faut s'entendre même avec l'Allemagne d'Hitler, comme je l'ai proclamé le 5 avril dernier. (Rires et exclamations sur divers bancs à gauche, au centre et à droite. Interruptions à l'extrême gauche.)
A l'extrême gauche. Quel argument !
M. Edouard Daladier. Continuant ce rappel de textes, dont je ne suis pas surpris qu'il soulève quelques incidents, je pourrais citer le discours qui fut prononcé à Berlin, quelques jours avant l'avènement au pouvoir de M. Hitler, par le secrétaire général du parti communiste, M. Thorez.(Annexe 6) :
« Nous, communistes de France, nous luttons et nous appelons les travailleurs de notre pays à la lutte pour l'annulation du traité de Versailles, pour la suppression définitive et sans condition des réparations, pour l'évacuation immédiate de la Sarre, pour la libre disposition du peuple d'Alsace-Lorraine jusques et y compris la séparation d'avec la France; pour le droit de tous les peuples de langue allemande de s'unir librement. » (Exclamations à droite, au centre et à gauche.)

« VOUS NE FEREZ PAS OUBLIER »

J'aurais pu rappeler bien d'autres textes. Mais cette évocation m'a simplement permis de considérer qu'on trouve beaucoup de mots, beaucoup de formules, qu'on déploie une grande ardeur pour démontrer que la France seule devait faire la guerre pour sauver la Tchécoslovaquie; mais lorsque la France est en péril, alors ce n'est qu'un puissant impérialisme qui a été abattu.
La mission militaire française a mis trop longtemps pour se rendre à Moscou ? Elle a dû emprunter la voie de mer; elle ne pouvait pas passer par l'Allemagne, comme d'autres qui y ont fait un voyage...(Applaudissements à droite, au centre et à gauche. — Protestations à l'extrême gauche.)
M. Jean Duclos. Vous êtes un misérable ! (Vives protestations à gauche, au centre et à droite.)
M. le président. Monsieur Jean Duclos, je vous prie de mesurer vos paroles.
Au surplus, votre parti pourra répondre tout à l'heure.
M. Edouard Daladier. En réalité, vous pouvez multiplier vos efforts, vous pouvez essayer d'accumuler des dates ou de citer des textes de journalistes plus ou moins français: vous n'arriverez pas à faire oublier que Ribbentrop a quitté Moscou décoré de l'ordre de Lénine après que le partage de la Pologne eût été décidé; vous n'arriverez pas à faire oublier que j'ai fait expulser Abetz avant la guerre et que vous avez sollicité de lui le droit de faire reparaître votre journal l'Humanité. (Annexe 4). (Interruptions à l'extrême gauche.)
Vous pouvez protester vous ne ferez pas oublier que Molotov, le 12 novembre 1940, passait à Berlin la revue de la garde d'Hitler, tandis que déjà des Français tombaient sous les coups de la Gestapo. Vous ne ferez pas oublier le fameux message à Ribbentrop proclamant : notre alliance a été cimentée dans le sang.
Mais oui, voilà la la vérité. Vous pouvez m'injurier, je vous connais trop pour m'en émouvoir. (Exclamations à l'extrême gauche.)
A l'extrême gauche. Vous avez assassiné les nôtres !
M. le président. Vous avez mis l'orateur en cause, il vous répond. (Applaudissements à gauche, au centre et à droite.)
A l'extrême gauche. Applaudissez, messieurs !
M. Pierre Métayer. Nous applaudissons à l'impartialité de notre président. Nous en avons le droit.
M. le président. Je dois faire connaître à l'Assemblée que M. Jacques Duclos m'a informé qu'il répondrait à M. Daladier. Je l'ai inscrit.
Mon devoir de président est de faire respecter le droit de parole de chaque orateur. (Applaudissements à gauche, au centre et à droite.)
Je le ferai tout à l'heure quand M. Duclos sera à la tribune, mais je vous en prie : facilitez la tâche de votre président ou supprimez le règlement et supprimez la liberté. (Vifs applaudissements à gauche, au centre et a droite. — Les députés siégeant sur ces bancs se lèvent.)
S'il faut, pour apaiser les passions, suspendre la séance, je le ferai.
Je vous prie donc d'écouter en silence M. Daladier, et je donnerai aussitôt après la parole à M. Duclos.

« L'HISTOIRE ENREGISTRERA
CES TEXTES ET CES FAITS DECISIFS »

M. Edouard Daladier. Tout est dû à la Russie, même la victoire de la Marne. J'avoue que je ne m'attendais pas à cet hommage à la Russie tsariste. (Sourires.)
Mais il y a eu aussi Brest-Litovsk, c'est-à-dire 200 divisions allemandes qui sont revenues contre nous lorsque le front russe fut abandonné par vos maîtres, j'entends par ceux dont vous vouliez suivre l'exemple dans la dernière guerre. Ainsi l'ont proclamé tant de tracts et notamment celui de la « Jeunesse de France » qui déclarait : « Si nous avions pu si nous avions eu le pouvoir de le faire, nous aurions fait la paix, comme l'ont fait les bolcheviks au cours de la guerre 1914-1918 ».
De tout cela vous ne parlez pas. Des sabotages vous ne parlez pas. Des tracts distribués dans les usines, mis dans la poche de l'ouvrier, vous ne pariez jamais, surtout quand ces tracts disent: « Par tous les moyens en votre pouvoir, sabotez les fabrications de guerre ».
De tout cela, pas un mot, mais des considérations que vous croyez peut-être de haute politique extérieure.
Moi, je dis ceci qui est simple, qui n'a pas besoin d'être soutenu et étayé par tellement de textes et de faits : il y a eu une heure dans la vie de l'Europe ou l'accord des trois grandes puissances pouvait et devait se faire. J'ai démontré, et vous n'avez rien pu produire là contre, que Doumenc avait reçu l'ordre de signer, qu'il avait offert, pendant toute une journée, de se présenter devant les délégations militaires, mais l'URSS était engagée déjà, depuis plusieurs mois, dans une négociation secrète, et c'est cette dernière qu'elle a choisi de faire aboutir.
Vous ne pourrez rien contre cette démonstration. Vous avez fait appel à l'histoire. L'histoire enregistrera ces textes et ces faits décisifs.

LES ROMANS COMMUNISTES
SUR LA FINLANDE ET LA SYRIE

Puis, vous avez raconté des romans sur la Finlande, sur la Syrie. Vous avez oublié que j'ai été renversé le 20 mars 1940, parce que la Chambre des députés jugeait que je n'avais pas fait, en faveur de la Finlande, l'effort qu'elle avait elle-même désiré et indiqué.
Vous racontez que le général Weygand était à la tête de 150,000 hommes en Syrie. Vous ne voyez pas double, vous voyez triplé, en réalité, avec des lunettes spéciales qui doivent être soviétiques. (Rires à droite, au centre et à gauche.)
Comment est-il possible que de telles niaiseries soient propagées par vous ? En réalité, vous le savez bien, la petite armée, si l'on peut dire, du général Weygand en Syrie a été envoyée là-bas parce que l'espoir a régné, pendant quelque temps en France, que l'on pourrait, par la Turquie, parvenir à trouver une sorte de ciment entre tous ces pays de l'Europe Centrale et orientale qui, s'ils avaient uni leurs efforts, pouvaient présenter une force de 110 ou 120 divisions contre l'Allemagne.
C'est cela que le général Weygand est allé faire en Syrie. Tous les textes le démontrent, vous m'entendez bien, et vous racontez des légendes.
Notez qu'après ce que j'ai lu du pacte Rlbbentrop-Molotov du 28 septembre, nous aurions eu le droit de considérer la Russie des Soviets comme l'ennemie de la France et de l'Angleterre. Mais il n'a jamais été question d'antre chose que d'essayer de donner confiance à la Turquie et aux autres pays balkaniques qui avaient peur, en effet, de subir le sort qui avait été celui de la malheureuse Pologne, broyée par l'accord des deux partenaires du 23 août.

LA POLITIQUE DU GOUVERNEMENT DALADIER
A ÉTÉ APPUYÉ PAR LA CGT

Puis, vous vous être livré à des considérations de politique intérieure, sur la politique sociale.
Vous dites que nous avons violé des lois démocratiques. La politique sociale ? J'aurai, peut-être, en effet, tout à l'heure, l'occasion d'y revenir, mais laissez-moi vous dire que toutes les mesures que nous avons prises contre le parti communiste ont été approuvées par ce que vous appelez vous-mêmes les forces démocratiques et les forces ouvrières de ce pays.
J'ai ici, dans ce dossier, les ordres du jour votés par la Confédération générale du travail, avant même que le parti communiste ait été dissous... (Interruptions à l'extrême gauche.) Ah ! elle ne représentait pas la classe ouvrière ?
A l'extrême gauche. René Belin, oui !
M. Edouard Daladier. Non, c'était M. Léon Jouhaux.
A l'extrême gauche. René Belin !
M. le président. L'orateur a entendu, il vous répondra.
M. Edouard Daladier. Bien sûr, j'ai entendu ! J'entends d'ailleurs d'autant mieux qu'on crie moins fort ! (Sourires.)
Lisez, messieurs, l'ordre du jour de la commission administrative de la Confédération générale du travail, le 25 septembre, avant que le parti communiste ait été dissous :
« Elle approuve et confirme la décision prise par la majorité du bureau confédéral le 18 septembre, constatant l'invasion du territoire polonais par les armées soviétiques. Le bureau confédéral déclare que le pacte Staline-Hitler, qu'il avait déjà condamné, prend ainsi toute sa signification d'aide à l'agresseur. C'est une trahison préméditée et consommée contre la paix. C'est une trahison envers les prolétaires que l'on avait appelés à se dresser contre le nazisme. Cette aide apportée au gouvernement agresseur et destructeur de toute liberté met en péril la vie de millions d'êtres humains, parmi lesquels des millions de travailleurs.
« Devant cette situation douloureuse, le bureau confédéral déclare qu'il n'y a plus de collaboration possible avec ceux qui n'ont pas voulu ou qui n'ont pas pu condamner une telle attitude qui brise les principes de solidarité humaine qui sont l'honneur de notre mouvement ouvrier. »
Monsieur Bonte, vous avez longuement cité votre lettre du 1er octobre au président Herriot, après nous avoir fait un tableau dramatique de votre expulsion de cette Assemblée. Elle ne fut pas tellement mouvementée. Il ne faut pas exagérer, ni laisser croire qu'entre vous et moi c'est vous qui pourriez être le méridional. (Rires sur de nombreux bancs. — Protestations à l'extrême gauche.)
M. Florimond Bonte. Il y avait ici dix huissiers qui m'ont insulté et qui m'ont arraché de mon banc. Et vous oubliez ce que vous avez fait avec Michels; il a été battu...

UN ARTICLE DU « POPULAIRE »
SUR L'ATTITUDE DES COMMUNISTES

M. Edouard Daladier. Attendez ! je n'oublie rien, soyez-en sûr. Mais je me souviens de ceci, c'est que vous avez été emmené hors de cette Assemblée par les huissiers — par ceux de la Chambre, bien entendu — après quelques paroles du président Herriot, que vous avez oublié de rappeler. Il vous a dit que votre présence dans cette Assemblée, à ce moment, était un scandale intolérable.
M. Florimond Bonté. C'étaient ses paroles qui étaient un scandale ! J'avais le droit d'y être.
M. Edouard Daladier. C'était un républicain, et c'est toujours un républicain que le président Herriot. Vous avez oublié cette citation entre beaucoup d'autres.
Mais cette lettre, que vous avez citée avec fierté, que vous avez lue avec fierté aussi, elle a été l'objet, bien entendu, dans la presse française, d'un certain nombre de commentaires.
Il y a eu cet article du Populaire, qui n'était pas, je crois, un journal pro-fasciste... Oh! après tout ! (Rires.)
M. André Le Troquer. L'hypothèse fait rire.
M. Edouard Daladier. Cela dépend des événements et des instructions générales ! (Rires sur divers bancs.)
Mais je lis tout de même cette phrase :
« Quand un ami m'a lu, au téléphone, la lettre adressée à Herriot par les députés ex-communistes, j'ai arrêté le lecteur au bout de deux phrases. Un haut-le-cœur m'avait soulevé. Je n'en aurais pas supporté davantage. Administrés à cette dose, le cynisme et l'hypocrisie sont physiquement intolérables et l'estomac les rejette comme un aliment altéré (Rires au centre et à droite.)
« Mais il faut passer outre à ce mouvement instinctif de dégoût. Il faut réfléchir et juger. Or, à la réflexion, ce qu'il y a de plus grave dans la démarche des députés ex-communistes, ce n'est pas le cynisme et l'hypocrisie, c'est la servilité, c'est ce que j'appelais, l'autre jour, l'omni-obéissance. »
C'est signé de M. Léon Blum. (Voir également Annexe 7). (Rires et applaudissements sur divers bancs.)
Je pourrais vous citer d'autres articles qui démontrent que, même dans des milieux politiques que vous avez pu vous croire favorables, le jugement porté était aussi sévère si ce n est davantage, mais encore une fois laissons cela.
Ce que je retiens comme une explication nouvelle, comme une explication originale de beaucoup de faits qui ont été cités par M. Florimond Bonte, c'est qu'au fond le grand reproche que vous me faites, c'est de ne pas avoir attaqué le premier jour la ligne Siegfried, sans même attendre que les courants de concentration fussent terminés et, si j'ai bien compris, c'est probablement l'absence de grandes batailles immédiates qui a fait passer des hommes, partis d'abord avec une bouillante ardeur sur le front, vers des pays et des horizons plus lointains. [NdB : Référence à la désertion de Maurice Thorez] (Rires à droite.) La drôle de guerre ? Pour vous peut-être, pas pour ceux qui l'ont faite ! (Applaudissements sur divers bancs à gauche et à droite. — Vives protestations à l'extrême gauche.)
Vous avez parlé de faux et de documents tronqués. Vous les employez contre moi sans répit. Vous faites apposer sur les murs, avec des titres plus ou moins sensationnels, des affiches dont vous savez vous mêmes
que les textes qu'elles reproduisent sont faux.
Vous avez prétendu que j'avais insulté, au procès Pétain, les prisonniers de guerre. Vous savez, que c'est faux, parce que vous avez lu le compte rendu du procès Pétain. Un homme ignorant peut, à la rigueur, se tromper. Mais vous, vous ne vous trompez pas ! Vous avez tronqué ma déposition, vous l'avez défigurée, vous l'avez falsifiée et vous avez dit : « Il a insulté les prisonniers de guerre », ce qui est faux. Mais je ne veux pas insister. Pourquoi le ferais-je ?
[A l'extrême gauche. Vous avez bien, vous, assassiné des hommes !] [NdB : cette intervention que l'on l'on peut lire dans le discours de Daladier publié au Journal officiel n'est pas mentionnée dans la brochure "Réponse aux Chefs communistes".]

LE PARTI COMMUNISTE 
VOULAIT LA PAIX D'HITLER

M. Edouard Daladier. Vous avez émis un certain nombre de considérations d'ordre philosophique sur les charmes de la paix, et l'on croyait entendre, en effet, en écoutant M. Bonte, je ne sais quels chants bucoliques.
Mais la paix que vous demandiez, en octobre 1940 [octobre 1939], dans une lettre qui soulevait le dégoût dont je vous parlais tout à l'heure, ce n'était pas la paix loyale, franche, respectant toutes les nations, la personnalité de toutes les nations, sans laquelle il n'y a pas de paix véritable, comme le démontrent les événements qui se succèdent depuis quelques mois. En réalité, ce que vous vouliez, c'était la paix d'Hitler. (Rires à l'extrême gauche.) Vous pouvez rire ! c'était la paix d'Hitler, c'était la paix de la trahison. (Applaudissements sur quelques bancs à gauche et à droite.)