LES COMMUNISTES FONT DONNER LA GARDE :
M. JACQUES DUCLOS
En
vain, les deux orateurs du parti communiste, MM. Charles Benoist et
Florimond Bonte s'étaient-ils acharnés contre M. Edouard Daladier.
L'ancien
président du Conseil n'avait pas eu de peine à réfuter leurs
allégations et à convaincre l'Assemblée nationale. D'accusé, il était
devenu accusateur.
Mis en déroute, le parti communiste tenta alors
une défense désespérée, en faisant avancer la garde, en la personne de
M. Jacques Duclos.
Le secrétaire général adjoint du parti
communiste voulut tout d'abord démontrer, en déformant audacieusement
les précédents parlementaires, que l'invalidation de M. Edouard
Daladier, cependant régulièrement élu par le suffrage universel, serait
conforme « à la véritable tradition républicaine ».
Puis,
M. Jacques Duclos revint, une fois de plus, sur les accords de Munich,
dénaturant les faits, et fardant la vérité avec une telle désinvolture
qu'un député, M. Pierre André, ne put s'empêcher de lui crier : « c'est
du roman ».
Pour conclure, le secrétaire adjoint du parti
communiste affirma que la validation de M. Edouard Daladier aurait les
plus graves répercussions à l'étranger.
M. DALADIER
RÉPOND A M. JACQUES DUCLOS
M. Edouard Daladier.
Je crois inutile de remonter à la tribune pour réfuter ce que
j'appellerai un texte écrit en marge de Ponson du Terrail. (Sourires sur
divers bancs.)
Car nous avons entendu un vrai roman.
Il est
prodigieux qu'un homme qui exerce dans son parti une autorité certaine
se présente ici avec une telle méconnaissance des faits. Quand il vient
dire, par exemple, que la France, par le pacte ou plutôt par la
négociation franco-allemande du 6 décembre, a violé, rejeté et détruit
aussi bien le pacte avec la Pologne que le pacte avec la Russie, il dit
le contraire de la vérité. (Exclamations à l'extrême gauche.) Car, M.
Souritz, votre ambassadeur à Paris... (Vives protestations à l'extrême
gauche.)
M. Jean Duclos. Monsieur le président, nous demandons que le mot soit retiré. Je demande la parole.
LES COMMUNISTES DÉCLENCHENT
DE VIOLENTS INCIDENTS
M. le président. Non ! Laissez-moi présider.
Monsieur
Daladier, vous venez d'employer une expression qui a heurté nos
collègues. (Exclamations sur divers bancs à droite et au centre.)
Je vous prie de la retirer.
M. Edouard Daladier.
Si j'ai heurté la sensibilité des membres du parti communiste en
employant cette expression, je veux leur dire qu'ils ont peut-être
heurté davantage ma propre sensibilité tout à l'heure en me qualifiant
de traître. (Vives interruptions à l'extrême gauche. — Bruit.)
Voix nombreuses à l'extrême gauche. Retirez vos paroles !
Vous avez couvert l'espion Bonnet.
M. le président. Si le bruit continue, je vais suspendre la séance.
(M. Daladier monte à la tribune. — Applaudissements sur quelques bancs à gauche et à droite.)
M. Edouard Daladier.
Je regrette d'avoir été amené à remonter à la tribune, mais il n'est
pas possible que je laisse passer sans y répondre un certain nombre
d'affirmations.
Vous avez dit : « Vous auriez dû vous faire oublier. » C'est possible.
M. Florimond Bonte. Sommes-nous des Français, oui ou non ? Retirez-vous votre parole ?
M. Jean Cristofol. Monsieur de président, veuillez le mettre en demeure de retirer ce qu'il a dit. C'est un scandale !
M. Raymond Guyot. M. Daladier a insulté un pays allié de la France !
M. Florimond Bonte. Monsieur Daladier, retirez-vous votre parole, oui ou non ?
M. le président.
Mais oui, il la retire. (En réalité M. Daladier s'est énergiquement
refusé à la retirer ce qui explique la suspension de séance)
M. Edouard Daladier. Quelle passion ! (Interruptions à l'extrême gauche. — Protestations à droite. — Bruit prolongé.)
M. le président. La séance est suspendue.
(La séance, suspendue - à minuit cinquante-cinq minutes, est reprise à une heure vingt-cinq minutes.)
M. le président. La séance est reprise.
Mesdames,
messieurs, nous arrivons au terme de ce débat. Je vous conjure de le
terminer dans le calme car dans l'énervement et le déchaînement des
passions, on arrive à échanger de part et d'autre des injures qu'on ne
proférerait pas de sang-froid et que l'on regrette ensuite.
Monsieur Daladier, vous avez la parole pour continuer votre discours.
LA VOLONTE DU SUFFRAGE UNIVERSELLE
SERA-T-ELLE RESPECTÉE
M. Edouard Daladier.
Mesdames, messieurs, je vous l'ai dit, je ne veux pas répondre
longuement à l'orateur qui m'a précédé. Aussi bien dois-je remercier
l'Assemblée de m'avoir autorisé à occuper à trois reprises la tribune.
On m'a dit : « Vous auriez dû vous faire oublier ». J'ai pensé qu'il faudrait d'abord que certains m'eussent oublié !
J'ai
pensé qu'il était excessif de multiplier contre moi des accusations et
des attaques sans que j'eusse la faculté d'y répondre, puisque beaucoup
d'entre elles étaient proférées alors que j'étais moi-même soit à la
prison de Riom, soit en Allemagne.
Et, d'autre part, M. Jacques
Duclos, que j'ai apprécié autrefois — s'il me permet cette expression —
pour sa finesse, me paraît avoir déroulé à la tribune une ficelle qui,
en vérité, est un câble d'une certaine dimension, lorsqu'il vous a dit,
essayant de pratiquer l'art de la greffe : « Si vous validez cette
élection, vous validerez Munich. »
C'est comme si je disais: «
Ceux qui invalideraient cette élection prendraient parti pour la
politique qu'a suivie pendant la guerre le parti communiste. »
Il ne
s'agit pas de cela. Il s'agit de savoir si vous-respecterez la volonté
du suffrage universel. Car tous les exemples qui ont été cités — M.
Ramadier le faisait observer avec raison — n'étaient que la confirmation
de la doctrine constante du parti républicain.
Mais enfin, c'est un débat qui prendrait une allure un peu trop personnelle et que je ne veux pas poursuivre.
Je désire simplement faire observer qu'au fur et à mesure que les chefs communistes parlent, le nombre des fascistes, et même des cagoulards, ne cesse de s'accroître.
LE PACTE A QUATRE
En
1933, en effet, nous avons eu l'idée — l'initiative était britannique —
de faire ce que l'on a appelé un pacte à quatre, qui a donné lieu
ici-même à de vifs débats.
Qui avait négocié ce pacte ? Qui avait participé aux discussions approfondies de cette époque? C'était M. Paul-Boncour. Voilà donc encore un homme rangé dans la catégorie des réprouvés !
En
réalité, de quoi s'agissait-il ? De pratiquer un accord international
pour la réduction des armements, et il n'est pas démontré que
l'Angleterre et la France n'auraient pu « à cette époque » agir avec
efficacité pour une réduction contrôlée des armements, et c'est une des
raisons pour lesquelles le parti socialiste, contrairement à ce que
pense M. Duclos, avait ce jour-là voté pour le Gouvernement.
LES LOIS SOCIALES
On attaque avec violence ce qu'on appelle mon reniement des lois sociales.
Mais
le discours du 21 août 1938 dont vous parlez, dont vous dites qu'il
avait pour but de diviser la classe ouvrière à une heure difficile de la
politique internationale, était déterminé, vous le savez bien, par le
refus vraiment aveugle et excessif opposé par certaines organisations
ouvrières à la nécessité d'exécuter quelques heures supplémentaires dans
quelques établissements travaillant pour la défense nationale.
Lorsqu'on
demandait, par exemple, à la maison Messier, à Montrouge, de faire
quelques heures supplémentaires pour la fabrication de trains
d'atterrissage, lorsque nous demandions qu'à la maison Ratier, qui
fabriquait des hélices, ont voulût bien faire des heures
supplémentaires, lorsque nous demandions qu'à l'usine Couson, au
Bourget, qui fabriquait des alliages légers de haute résistance, on
voulût bien en faire aussi, lorsque nous faisions la même demande pour
la fabrication d'hélices chez Chauvière à Vitry ou chez Gnome et Rhône à
Gennevilliers et à Paris, que se passait-il ? Les demandes faites
conformément à la loi, présentées à ces organisations au début du mois
de juillet 1938, n'avaient pas encore reçu de réponse au commencement du
mois d'août, et lorsque la réponse vint, elle fut défavorable.
Vous
croyez qu'à cette époque grave, un Gouvernement pouvait admettre de tels
refus ? Je pourrais multiplier ces chiffres et ces exemples.
M. Alfred Costes. Je demande la parole.
M.le président. Je vous inscris.
LES NÉGOCIATIONS AVEC L'URSS
M. Edouard Daladier.
Je vous répondrai, car soyez sûr que je répondrai jusqu'au bout et que
je ne reculerai pas. (Applaudissements sur quelques bancs à gauche.)
Lorsque
vous dites que nous avons fait preuve de mauvaise volonté dans les
négociations avec la Russie, vous savez bien que pour la France le
reproche est injuste et que l'Angleterre, que vous attaquez, s'est jetée
le 31 mars dans la mêlée diplomatique et dans la guerre, au mois de
septembre, et qu'elle avait tout de même appuyé sa négociation à Moscou
par le rétablissement du service militaire obligatoire. La France aussi a
fait son devoir !
LES FÉLICITATIONS DE M. CHURCHILL
ET DES AMIS DE M. ROOSEVELT
Vous me dites que cette validation aura de graves conséquences internationales ?
Lorsque
j'ai été élu, le premier télégramme que j'ai reçu était signé de
Winston Churchill qui, avec d'ailleurs quelque humour, m'a félicité
d'abord...
M. Jacques Duclos. Il était contre Munich, lui
M. Edouard Daladier.
Il était contre Munich, mais il m'a félicité d'être réélu, disant qu'il
exprimait une profonde satisfaction de me voir à nouveau retourner dans
l'arène (Rires.) — je m'excuse de cette expression...
M. Jacques Duclos. Non, elle est très bien !
M. Edouard Daladier.
... de cette allusion à un surnom [NdB : Elu du Vaucluse, Daladier
était surnommé "le taureau du Vaucluse"] que j'ai vraiment conscience
de ne mériter à aucun titre. (Nouveaux rires.)
J'ai reçu également
des amis intimes, vraiment intimes, du président Roosevelt, de ceux qui
ne l'ont jamais abandonné à aucune heure difficile de sa vie, des
télégrammes de félicitations.
Alors, quelles répercussions
internationales ? Vraiment, je suis confus. Trois orateurs du parti
communiste [NdB : Benoist, Bonte puis Duclos], un quatrième qui demande la
parole, les répercussions nationales, les répercussions internationales!
Comme les citoyens du Vaucluse qui ont voté pour moi seront satisfaits
et pleins d'un légitime orgueil ! (Rires.)
LA QUESTION EST JUGÉE
Alors, laissons tout cela, reprenons notre calme, notre sérénité et, si possible, notre bonne humeur.
Vous
avez, contre moi, repris les attaques mêmes, les expressions qui furent
employées à Riom par Pétain et par Laval. Vous avez présenté contre
moi, libellée de la même façon, la fameuse accusation d'avoir « trahi
les devoirs de ma charge » sur laquelle tous les juristes se sont déjà
affrontés ou confrontés.
Pour moi, je retiens que je suis venu ici
pour défendre mes idées, étroitement associé à mon parti. Je suis venu
ici également pour défendre les intérêts légitimes des populations que
j'ai représentées pendant très longtemps dans cette enceinte.
Je
viens ici aussi, s'il le faut, pour me battre, pour me battre sans
crainte pour cet idéal républicain et patriote qui est ma véritable foi.
Vous
pouvez reprendre vos attaques et vos injures. J'ai ici encore quelques
textes que je pourrais lire. A quoi bon ?. La question est jugée par tous ceux
qui, au dessus des passions ou de la haine, mettent le respect du droit
républicain et de la volonté du suffrage universel. (Applaudissements à
gauche et à droite.)
M. ALFRED COSTES
CONFOND LES DATES ET LES FAITS
CONFOND LES DATES ET LES FAITS
M. Jacques Duclos avait fabriqué un roman à la Ponson du Terrail.
M. Alfred Costes, quatrième orateur communiste, se contenta de confondre les faits et les dates. Il soutint que les organisations syndicales n'auraient jamais refusé d'accepter les heures supplémentaires pour la Défense Nationale. Et de citer la sentence Jacomet.
M. Alfred Costes, quatrième orateur communiste, se contenta de confondre les faits et les dates. Il soutint que les organisations syndicales n'auraient jamais refusé d'accepter les heures supplémentaires pour la Défense Nationale. Et de citer la sentence Jacomet.
Or les
événements auxquels il se référait se plaçaient en 1936, alors que M.
Edouard Daladier avait parlé d'incidents qui s'étaient produits beaucoup
plus tard, en juillet 1938.
C'est ce que l'ancien chef du gouvernement français releva dans une courte réplique.
UNE DERNIÈRE MISE AU POINT
DE M. DALADIER
M. Edouard Daladier.
Monsieur le président, un simple mot pour faire observer à l'Assemblée
que M. Costes .vient de parler d'entrevues de 1936, puis de l'arbitrage
de M. Jacomet, en ce qui concerne les usines d'aviation.
J'ai
parlé à la tribune d'un certain nombre de dossiers soumis, au mois de
juillet 1938, à la Fédération des métaux, d'entreprises dont j'aí donné
les noms, qui travaillaient pour l'aviation et pour lesquelles les
quelques heures supplémentaires ont été refusées.
Commission d'enquête ! Nous nous y retrouverons. (Applaudissements à gauche. - Exclamations à l'extrême gauche.)
LE VOTE
Les
conclusions du 10e Bureau tendant à la validation de M. Edouard
Daladier ont été adoptées au scrutin public à la tribune par :
311 voix pour,
132 voix contre,
Les
132 voix qui ont voté contre, c'est-à-dire pour l'invalidation de M.
Edouard Daladier, sont exclusivement des voix communistes.
- Réponse à Jacques Duclos (6/10)