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Quand les députés communistes écrivaient au maréchal Pétain pour demander leur libération et...

Au nombre des documents que les historiens officiels censurent à défaut de pouvoir les détruire : les lettres des députés communistes adressées au maréchal Pétain, Chef de l'Etat français, au cours des six premiers mois de l'occupation allemande. 

On en dénombre au moins neuf dont on donnera la liste en précisant la circonscription du député :

- lettres de Joanny Berlioz (Seine) du 4 août 1940 et du 8 décembre 1940.
- lettre de Florimond Bonte (Seine) du 1er octobre 1940.
- lettre de Georges Lévy (Rhône) du 30 octobre 1940.
- lettre de Gaston Cornavin (Cher) du 8 novembre 1940.
- lettre de Virgil Barel (Alpes-Maritimes) du 11 novembre 1940.
- lettre de Lucien Midol (Seine-et-Oise) du 8 décembre 1940.
- lettre de Alfred Costes (Seine) du 8 décembre 1940.
- lettre de François Billoux (Bouches-du-Rhône) du 19 décembre 1940.

Trois faits significatifs concernant ces députés communistes. Tout d'abord, ils ont été emprisonnés en octobre 1939 dans le cadre de la procédure engagée par la justice militaire contre le groupe parlementaire communiste pour une lettre en date du 1er octobre 1939 dans laquelle il prônait la Paix sous les auspices de l'URSS et pour laquelle ses membres ont été condamnés à 5 ans de prison au mois d'avril 1940.

Ensuite, ils ont été déchus de leur mandat par une résolution de la Chambre adoptée le 20 février 1940 en application de la loi du 20 janvier 1940 prononçant la déchéance de tous élus qui n'avaient pas rompu avec le Parti communiste. Cette loi a été la conséquence directe du refus des députés communistes de rendre hommage aux armées de la République à la séance du 9 janvier. Mobilisés, ces derniers avaient bénéficié d'une permission pour participer à la première séance de l'année 1940.

Enfin, 6 de ces 8 parlementaires appartenaient aux organes de direction du PCF. Berlioz, Bonte, Cornavin et Midol étaient membres du Comité central du PCF. Quant à Billoux, il siégeait au Bureau politique du Parti.

Pour quelles raisons ces supposés combattants de l'antifascisme ont-ils écrit au signataire de l'armistice franco-allemand, au fondateur du régime de Vichy ou encore au partisan de la collaboration avec Hitler ?

On pourra répondre à cette question en citant un extrait de la lettre de François Billoux adressée à "Monsieur le Maréchal Pétain, chef de l'Etat Français" au nom de tous ses camarades :

"Le 26 juin 1940, dans un manifeste, vous disiez, monsieur le Maréchal : "Je hais les mensonges qui vous ont fait tant de mal". Il faudrait alors pour dissiper un certain nombre de mensonges que vous fassiez connaitre à l'ensemble de la population de France :
1° La lettre du groupe ouvrier et paysan français adressée le 1er octobre 1939 au Président de la Chambre;
2° les comptes rendus des débats de notre procès et de la déclaration que j'ai lue au nom de tous mes amis au terme de ces débats. [...]
Si vous voulez donc en finir avec les mensonges, monsieur le Maréchal, il faut aussi libérer immédiatement tous les communistes et les seuls députés qui se sont dressés contre la guerre. [...]
Étant donné que rien n'a été publié sur les débats en huis-clos de notre procès, où nous avions dénoncé les vrais fauteurs de guerre, je demande à être entendu comme tous mes amis, en qualité de témoin par la Cour suprême de Riom".

Dans ce texte, le député des Bouches-du-Rhône formule une demande de libération, une offre de service et une requête.

Tout d'abord, il plaide pour la libération de tous les communistes - et plus particulièrement des 27 députés communistes emprisonnés - en avançant un seul argument : ils ont été condamnés pour leur engagement en faveur de la Paix avec l'Allemagne nazie.

Ensuite, il demande expressément que les 27 députés communistes emprisonnés puissent témoigner contre les anciens dirigeants de la IIIe République (Daladier, Blum, Cot, La Chambre) qui sont accusés par la Cour suprême de justice d'être les responsables de la guerre (Hitler est donc innocent) et de la défaite.

Enfin, souhaitant comme le maréchal Pétain combattre les mensonges des bellicistes, il propose de faire connaître à tous les Français deux documents dans lesquels les parlementaires communistes dénonçaient la guerre impérialiste et défendaient la Paix avec les nazis : la lettre au président Herriot du 1er octobre 1939 et sa propre Déclaration au procès de mars-avril 1940.

Marque d'infamie par son contenu la lettre de François Billoux l'est aussi par sa date : le 19 décembre 1940. En effet, elle est postérieure à l'institution d'une Cour martiale visant à réprimer la Résistance gaulliste, à l'adoption du statut des Juifs et enfin à la rencontre Hitler-Pétain qui a initié la politique de collaboration de ce dernier. Ajoutons à la décharge du dirigeant communiste qu'elle aussi postérieure au séjour de Molotov à Berlin où le chef du gouvernement soviétique a participé à des discussions avec Ribbentrop et Hitler portant sur la conclusion d'un accord qui viendrait compléter le Pacte tripartite que venaient de signer l'Allemagne, l'Italie et le Japon.

Au vu de ce qui précède, on comprend que les historiens officiels veulent écarter du débat public des lettres qui prouvent non seulement que les députés communistes ont fait appel à la bienveillance du maréchal Pétain mais aussi qu'ils ont voulu servir le régime de Vichy et sa justice d'exception avec un zèle digne des plus fervents pétainistes.

En d'autres termes, qu'ils ont approuvé et l'homme et les méthodes...

La lettre de François Billoux a été révélée au procès du maréchal Pétain, à l'audience du 14 août 1945, par l'un de ses avocats, Me Isorni, qui l'a lu dans son intégralité au cours de sa plaidoirie.

Les lettres de ses camarades ont été rendues publiques par... le Parti socialiste. C'est en effet, le 13 mai 1951, au cours de son Congrès, qu'un intervenant, Louis Noguères, a donné lecture "d'importants documents sur l'attitude de certains parlementaires communistes pendant l'occupation" (Le Populaire du 14 mai 1951).

En complément de son compte rendu du Congrès du Parti, ce même numéro a publié un article titré... "Billoux n'était pas le seul / Ils étaient sept députés communistes à se disputer l'honneur d'être les mouchards de Pétain".

Dans ses numéros des 15 mai, 16 mai, 17 mai et 18 mai 1951, l'organe du Parti socialiste a reproduit l'intégralité des lettre de Berlioz, Barel, Midol, Costes.

Dans son numéro du 19 mai 1951, le journal de la SFIO a fait le choix de ne reproduire que quelques lignes des lettres de Cornavin et de Lévy au motif que les deux auteurs étaient décédés.

Toutes ces lettres ont été retrouvées dans les archives de la Cour suprême de justice.

Enfin, on pourra lire des extraits de la lettre de Florimond Bonte dans un livre de J.P. Besse et C. Pennetier publié en 2006 sous le titre Juin 1940 La négociation secrète avec la précision qu'elle avait été récemment découverte.

Le présent texte est composé de huit Parties. Dans les Parties I, II et III, on décrira les trois mobilisations des députés communistes en faveur de la Paix avec Hitler : la lettre au président Herriot du 1er octobre 1939, la tentative de Florimond Bonte de lire une déclaration du PCF à la séance du 30 novembre 1939 et enfin le refus des députés communistes de rendre hommage aux armées de la République à la séance du 9 janvier 1940.

Dans la Partie IV, on évoquera le procès des députés communistes de mars-avril 1940. La Partie V portera sur la création du régime de Vichy et l'institution de la Cour suprême de justice.

Les Parties VI, VII et VIII seront consacrées aux lettres des députés communistes (contexte historique, lettre de François Billoux, les autres lettres).


Partie I


Groupe ouvrier et paysan français

Le 26 septembre 1939, soit trois semaines après le début de la guerre contre l'Allemagne nazie, le Conseil des ministres adopte un décret-loi prononçant la dissolution du Parti communiste français.

Nouvelle mesure visant le PCF après la suspension de sa presse consécutive à son approbation du Pacte germano-soviétique du 23 août 1939, cette décision du gouvernement dirigé par Edouard Daladier, radical-socialiste, est une réaction à l'invasion de la Pologne par l'Armée rouge le 17 septembre.

Le Parti communiste n'a pas condamné cette agression. Mieux, un communiqué de presse (censuré) de son groupe parlementaire l'a approuvée.

Le 27 septembre, jour de la publication du décret de dissolution, les députés du groupe communiste décident de former un nouveau groupe parlementaire.

Ce nouveau groupe est formellement constitué le lendemain sous le nom de groupe ouvrier et paysan français. Pour marquer son absence de tout lien avec la IIIe Internationale son programme fait référence à la plateforme de 1880 du Parti ouvrier français de Jules Guesde.

Sur les 74 députés communistes issus des élections législatives de 1936 et des partielles qui les ont suivi, 53 rejoindront le GOPF. Les autres n'adhéreront pas soit parce qu'ils sont mobilisés (18) soit parce qu'ils ont rompu avec le PCF (3).


Lettre au président Herriot

Le 28 septembre, à Moscou, l'URSS et l'Allemagne nazie signent un Traité de frontières et d'amitié qui organise le démembrement de la Pologne et fonde sur ce partage "le développement et le progrès des relations amicales entre leurs peuples".

Preuve supplémentaire de leur alliance, les deux bourreaux du peuple polonais paraphent le même jour une Déclaration conjointe.

Dans ce texte, ils appellent la France et l'Angleterre à approuver leur action en Pologne, s'engagent à faire des "efforts communs" pour "mettre fin à l'état de guerre qui existe entre l'Allemagne d'une part, la France et l'Angleterre d'autre part" et enfin affirment qu'un échec de leurs démarches pour la paix établira le fait que "l'Angleterre et la France sont responsables de la continuation de la guerre"

Une seule formation politique va apporter son soutien à cette offensive de Paix hitléro-stalinienne : le Parti communiste français. Son objectif : démontrer que sa capacité d'action en faveur de la paix n'a pas été altérée par sa dissolution. Son mode d'action : la mobilisation de sa dernière tribune légale qu'est son groupe parlementaire.

C'est dans ce contexte que le groupe ouvrier et paysan français envoie au président de la Chambre une lettre en date du 1er octobre 1939 dans laquelle il annonce l'imminence de "propositions de paix, dues aux initiatives diplomatiques de l'U.R.S.S." et demande en conséquence l'organisation d'un vote du Parlement en faveur d'une "paix juste, loyale et durable, que du fond de leur cœur souhaitent tous nos concitoyens".

Pour justifier sa démarche, le groupe parlementaire communiste accuse la France et l'Angleterre d'être les responsables de la guerre, dénonce les conséquences d'une guerre longue, condamne la presse belliciste et enfin invoque la diplomatie soviétique.

La lettre au président Herriot est signée au nom du GOPF par Arthur Ramette et Florimond Bonte, respectivement président et secrétaire général du groupe parlementaire communiste. Député du Nord, le premier est membre du Bureau politique. Député de Paris, le second est membre du Comité central.

Le Parti communiste aura la volonté de faire connaître son initiative pacifiste - qualifiée de "coup d'éclat" par Maurice Thorez, secrétaire général du PCF - non seulement à la représentation nationale mais aussi à l'ensemble de la population française. Dans ce but, des copies de la lettre seront envoyées par courrier à tous les députés et des exemplaires supplémentaires seront remis aux correspondants de la presse présents à la Chambre.

Par son contenu, la lettre du GOPF provoquera une réaction indignée de la presse, suscitera une condamnation de tous les partis politiques et le plus important aura des conséquences sur le plan judiciaire.

En effet, considérant que la diffusion de cette lettre constitue une infraction au décret de dissolution la justice militaire engagera des poursuites contre tous les députés communistes. Elle cherchera aussi à déterminer si l'article 75 du code pénal qui définit la trahison peut s'appliquer à cette initiative qui invoque la diplomatie soviétique.

Dans cette procédure judiciaire, 10 députés du groupe ouvrier et paysan français échapperont à l'arrestation. Parmi eux : Florimond Bonte.


"Paix de trahison"

Le 6 octobre, le chancelier Hitler célèbre la victoire allemande en Pologne dans un discours prononcé devant le Reichstag.

Formulant à la fin de son intervention des propositions de Paix, le dictateur nazi avance l'idée d'une conférence internationale sur l'organisation politique et économique du continent européen ainsi que sur... son désarmement en posant une exigence identique à celle contenue dans la déclaration germano-soviétique du 28 septembre : la France et l'Angleterre doivent approuver le partage de la Pologne entre l'Allemagne nazie et la Russie soviétique.

Dans son allocution radiodiffusée le 10 octobre, le président du Conseil, Edouard Daladier, rejettera les propositions de paix allemandes et condamnera les communistes pour leur soutien à une "paix allemande" qui n'est qu'une "paix de trahison" :

"Il y a quelques semaines à peine que les chefs communistes se présentaient à vous comme de farouches patriotes. C'étaient, à les entendre, de nouveaux Jacobins. Ils n'avaient pas de mots assez durs et même pas assez d'injures pour flétrir les efforts pacifiques du gouvernement.
Ils annonçaient dans les meetings qu'ils seraient à la pointe du combat contre Hitler et contre ses armées, pour la liberté, pour la patrie, et il a suffi que les bolchevistes trouvent leur intérêt à s'entendre avec les nazis et à partager avec eux la Pologne pour que ces mêmes grands patriotes fassent l'apologie d'une paix de trahison [Lettre du GOPF]. [...]
Ni la France ni la Grande-Bretagne, en effet, ne sont entrées en guerre pour soutenir une sorte de croisade idéologique. Ni la France ni la Grande-Bretagne ne sont davantage entrées en guerre par esprit de conquête. Elles ont été obligées de combattre parce que l'Allemagne veut leur imposer sa domination sur l'Europe. [...]
Je sais bien qu'on vous parle aujourd'hui de paix, de la paix allemande, d'une paix qui ne ferait que consacrer les conquêtes de la ruse ou de la violence et n'empêcherait nullement d'en préparer de nouvelles.
A quoi se résume en effet le dernier discours du Reichstag ? A ceci : J'ai anéanti la Pologne, je suis satisfait, arrêtons le combat, tenons une conférence pour consacrer mes conquêtes et organiser la paix. [...]
Certes, nous avons toujours désiré et nous désirons toujours qu'une collaboration sincère et une entente loyale puissent être établies entre les peuples, mais nous sommes résolus à ne pas nous soumettre aux « diktats » de la violence. Nous avons pris les armes contre l'agression; nous ne les reposerons que lorsque nous aurons des garanties certaines de sécurité, d'une sécurité qui ne soit pas mise en question tous les six mois. [...]
La France, à qui la guerre a été imposée, tient au combat le même langage qu'elle a toujours tenu. J'affirme donc, en votre nom, que nous combattons et que nous continuerons à combattre pour obtenir une garantie définitive de sécurité."
.

De même, dans son discours prononcé à la Chambre des Communes le 12 octobre, le premier ministre anglais, Neville Chamberlain, repoussera les proposition de paix du chancelier Hitler.

Le refus de la France et de l'Angleterre de reconnaître comme un fait acquis le partage de la Pologne entre l'Allemagne et l'URSS et donc d'engager des négociations de Paix avec Berlin marque l'échec à la fois de la diplomatie soviétique et de l'initiative pacifiste des députés communistes.


Partie II


Séance du 30 novembre 1939

Le 30 novembre 1939, la Chambre des députés se réunit pour la première fois depuis le début de la guerre.

Particularité de cette séance qui marque l'ouverture d'une nouvelle session parlementaire : aucun député communiste n'y participera à l'exception de Gaston Cornavin. Les raisons : la mobilisation et l'affaire du groupe ouvrier et paysan français.

Remis en liberté provisoire pour raison de santé, le député du Cher occupe seul les bancs communistes.

Ouverte à 9 h 30, la séance débute avec une allocution du président de la Chambre, Edouard Herriot, radical-socialiste. Elle se poursuit avec par une communication du président du Conseil, Edouard Daladier, radical-socialiste, qui est sa première prise de parole devant le Parlement depuis le début du conflit.

Au cours de cette intervention, Florimond Bonte fait irruption dans l'hémicycle à la stupéfaction générale. En effet, visé par un mandat d'arrêt, le député communiste de la Seine est recherché par la police. Sur le plan judiciaire, l'ouverture d'une nouvelle session du Parlement lui permet de bénéficier de nouveau de l'immunité parlementaire.

Membre du Comité central, Florimond Bonte est sorti de la clandestinité pour remplir une mission précise : lire une déclaration du Parti communiste.

Après quelques phrases prononcées, le député de Paris est saisi par les huissiers et expulsé de la salle des séance. A la sortie du Palais Bourbon, il est arrêté par la police. Dans la soirée, il rejoint ses camarades à la prison militaire de la Santé. Point particulier : la levée de son immunité parlementaire a été validée par un vote de la Chambre en début d'après-midi autrement dit après son arrestation.

Quant à Gustave Cornavin, il a profité de la confusion née de l'incident provoqué par son camarade pour quitter l'hémicycle. Privé lui aussi de son immunité parlementaire, il sera arrêté le lendemain et renvoyé en prison.

Reprenant sa communication, Edouard Daladier ajoute à son texte une référence aux deux députés communistes pour déclarer avec force que "le Parlement français ne peut délibérer en présence de traîtres" :

"Cette guerre est pour nous la guerre de notre sécurité, la guerre de notre liberté et c'est pour cela que le Parlement français ne peut délibérer en présence de traîtres. (Vifs applaudissements sur tous les bancs)". (1)

Improvisée, cette accusation de trahison était par ailleurs prévue dans un passage de son allocution dénonçant "l'abominable trahison" "des chef communistes" qui "se sont mis à la disposition de l'Allemagne".

Accompagnée d'un hommage du Parti communiste saluant son "courage", la déclaration de Florimond Bonte sera intégralement publiée dans un numéro spécial de l'Humanité de décembre 1939.

Ce texte accuse le gouvernement Daladier de mener sur le plan intérieur une guerre de réaction et sur le plan extérieur une guerre impérialiste. Au terme de ce réquisitoire, le Parti communiste appelle, les travailleurs à s'unir dans un "Front unique d'action" pour chasser le Gouvernement Daladier, faire la Paix avec l'Allemagne et détruire le régime capitaliste, cause de toutes les guerre impérialistes.

Développant dans la longueur les positions du PCF, ce texte est de la même importance que l'Appel au Peuple de France publié au mois d'octobre 1939 et celui qui sera diffusé au mois de février 1940.

Illustration du contenu pacifiste, anglophobe et antipatriotique de la déclaration que Florimond Bonte devait lire au sein même du Parlement français, l'extrait suivant :

"On accuse aujourd'hui les communistes d'être des agents de l'étranger; c'est là l'accusation classique dirigée de tout temps contre les révolutionnaires; mais ce que les travailleurs peuvent constater c'est que le gouvernement français subordonne les intérêts français aux intérêts des banquiers de Londres et acceptent que notre pays deviennent une sorte de Dominion.
Tout cela ne peut pas durer, ne doit pas durer pense le peuple de France convaincu de la nécessité, pour mettre fin à la guerre, de chasser le gouvernement de honte, de misère, de guerre que préside M. Daladier. Contre ce gouvernement et contre tous ses soutiens, nous appelons les travailleurs à s'unir, à réaliser dans les usines, dans les villes et dans les villages le Front unique d'action.
Tous unis, démasquons les traîtres au service du capital, les Blum, les Jouaux et autres. [...]
Tous unis, luttons pour briser le joug de la dictature imposée au peuple de France par le gouvernement Daladier. [...]
A bas la guerre impérialiste source de profits pour les uns, de ruines et de souffrance pour les autre !
A la porte, le gouvernement de misère, de dictature, de guerre et d’assujettissement de la France aux banquiers de la Cité de Londres, à la finance internationale !
Vive l'union des masses laborieuses contre la guerre impérialiste et pour la paix !"

(1) Journal officiel du 1er décembre 1939.


Partie III


Séance du 9 janvier 1940

Le 9 janvier 1940, la Chambre des députés se réunit pour la première fois de l'année. Bénéficiant d'une permission exceptionnelle de 8 jours, de nombreux parlementaires mobilisés sont présents.

Cette séance de rentrée doit commencer par le discours d'usage prononcé par président d'âge puis se consacrer uniquement à l'élection du Bureau pour l'année 1940 qui comprend 1 président, 6 vice-présidents, 12 secrétaires et 3 questeurs.

Doyen de la Chambre assumant la présidence de la séance, le président d'âge débute son allocution "en envoyant aux armées de la République qui, avec tant de calme et fière résolution, se sont levées en masse à l'appel de la Patrie en danger, le salut plein d'émotion et d'affection de cette Assemblée".

Cet hommage suscite les applaudissements enthousiastes de la représentation nationale debout à l'exception de quatre députés communistes permissionnaires (Fernand Grenier, Raymond Guyot, André Mercier et Charles Michels) qui entendent ainsi manifester publiquement et avec éclat l'opposition du Parti communiste à la guerre contre l'Allemagne d'Hitler.

La Chambre condamne immédiatement cette attitude en votant à main levée une peine de censure avec exclusion temporaire.

A l'opposé de cette réaction, le Parti communiste célébrera le comportement de ses parlementaires en leur adressant dans l'Humanité n° 19 du 14 janvier 1940 ses "plus chaleureuses félicitations" pour avoir "refusé de s'associer aux manifestations chauvines et d'Union Sacrée des fauteurs de guerre" et ainsi "exprimé le sentiment des ouvriers, des paysans et des soldats qui condamnent la guerre des capitalistes et réclament la paix".

Dans ce même numéro, l'Humanité les félicitera d'avoir "refusé de se prêter à l'indigne comédie d'union sacrée".

Après la lettre au président Herriot du 1er octobre 1939 et la tentative de Florimond Bonte de lire une Déclaration du PCF à la séance du 30 novembre 1939, la manifestation anti-républicaine et antipatriotique du 9 janvier 1940 est la troisième mobilisation des députés communistes en faveur de la Paix avec Hitler.

Cette troisième mobilisation au sein même du Parlement français aura une conséquence majeure : la promulgation le 20 janvier 1940 d'une loi prononçant la déchéance de tous les élus communistes qui n'ont pas rompu avec le PCF, et définissant par ailleurs la procédure à suivre pour la rendre effective.

Pour les députés, cette déchéance sera validée par le vote d'une résolution de la Chambre en date du 20 février 1940.


Partie IV


Procès des députés communistes

Le 20 mars 1940, s'ouvre devant le 3e tribunal militaire de Paris le procès de 44 ex-députés communistes du groupe ouvrier et paysan français.

Ce procès marque la dernière étape de la procédure engagée par la justice militaire contre le groupe parlementaire communiste pour la lettre du 1er octobre 1939 qu'il avait adressée au président de la Chambre et dans laquelle il demandait l'organisation d'un vote approuvant d'imminentes "propositions de paix, dues aux initiatives diplomatiques de l'U.R.S.S.".

Incarcérés dès le début de l'instruction à l'exception des neuf députés toujours en fuite, les élus communistes ont été formellement déchus de leur mandat le 20 février 1940.

Renvoyés devant la juridiction de jugement par une ordonnance du 5 février 1940 signée par l'officier instructeur, le capitaine de Moissac, ils sont accusés d'avoir enfreint les articles 1 et 3 du décret de dissolution du PCF en constituant le groupe ouvrier et paysan français et en adressant une lettre au président Herriot.

L'article 1 proscrit toute activité ayant pour objet de propager les mots d'ordre de la IIIe Internationale. L'article 3 interdit la diffusion de tout matériel propageant ces mots d'ordre.

Prendront place dans le box des accusés les trente députés détenus à la prison militaire de la Santé. Cinq inculpés comparaîtront libres en raison de leur mobilisation (2) ou de leur état de santé (3). Un banc placé devant celui des avocats leur sera réservé. Quant aux neuf accusés absents, ils seront jugés par contumace. Parmi eux, le secrétaire général du PCF : Maurice Thorez.

Toute infraction au décret de dissolution est un délit puni de 5 ans de prison et de 5000 francs d'amendes. Peine accessoire : la privation des droits civiques, civils et de famille.

Outre le huis-clos ordonné dès le premier jour, le fait marquant de ce procès sera la déclaration de François Billoux prononcé au nom de ses co-accusés le dernier jour.

Député des Bouches-du-Rhône, ce dernier est aussi... membre du Bureau politique. Au cours de l'instruction, il a défendu avec fermeté la ligne du Parti et sa condamnation de la guerre impérialiste. Un exemple, au cours d'une audition il a dénoncé l'illégitimité de la guerre en affirmant qu'une victoire de l'ennemi nazi ou de l'allié anglais condamnerait indifféremment la France à la servitude :

"Cette guerre sera néfaste pour la France. Vaincus, nous serons les esclaves d'Hitler. Vainqueurs, nous serons les domestiques de Chamberlain." (1)

Le 3 avril, dernier jour du procès, François Billoux prend la parole au nom de ses co-accusés, à l'exception de cinq refus, pour lire une Déclaration qui présente la particularité d'avoir été préparée par la direction du Parti communiste clandestin.

On pourra illustrer son contenu - dénonciation de la guerre impérialiste, plaidoyer pour la Paix, témoignage de fidélité à l'IC, à l'URSS et à Staline - avec l'extrait suivant :

"Nous sommes poursuivis parce que nous nous sommes dressés et que nous dressons avec la dernière énergie contre la guerre impérialiste qui sévit sur notre pays, parce que nous appelons le peuple à exiger qu'il y soit mis fin par la paix, parce que nous indiquons au peuple de France le moyen de rendre notre pays libre et heureux. [...]
Communistes français. Avec Maurice Thorez, André Marty, Jacques Duclos, et tous nos amis co-inculpés, nous travaillons à la libération de notre pays.
Nous voulons le débarrasser de la guerre.
Nous appelons le peuple à imposer la paix.
Nous avons confiance en notre pays, en la France de 1793, de 1830, de 1849, de la Commune de Paris, de février 1934 et de mai 1936.
Nous avons confiance dans le peuple de France et nous sommes convaincus que, très rapidement, il portera au tombeau le régime capitaliste responsable de la misère et de la guerre.
Nous saluons les innombrables masses du peuple travailleur qui sont en train de mener un courageux combat pour le communisme. Sous le drapeau de Marx, Engels, Lénine et Staline, suivant les exemples de Karl Liebknecht et Dimitrov, sous la direction des chefs aimés du peuple français, Thorez, Cachin, Marty et Duclos, en avant vers le communisme !"

Le Parti communiste diffusera l'intégralité de cette Déclaration sous forme de tract pour inciter les Français à se mobiliser contre la guerre. Elle sera même publiée à l'étranger pour dénoncer la répression des capitalistes français.

Dans son jugement rendu le 3 avril 1940 dans la soirée, le tribunal militaire condamne 36 députés communistes à 5 ans de prison ferme et 8 à 4 ans de prison avec sursis. Des peines d'amendes et de privation de droit sont aussi prononcées.

Présents à l'audience, François Billoux et ses 26 camarades purgeront leur peine à la prison militaire de la Santé à Paris.

Bénéficient du sursis les 3 députés (Dadot, Brun, Duclos Jean), mutilés de guerre, en liberté provisoire pour raisons de santé et les 5 députés (Béchard, Jean, Philippot, Puech, Vazeilles) qui n'ont pas signé la Déclaration de Billoux. Ces sursitaires ne seront pas libérés mais internés administrativement dans un Centre de séjour surveillé.

(1) Lettre de François Billoux du 19 décembre 1940 .


Partie V


Régime de Vichy

Dans la soirée du 16 juin 1940, le maréchal Pétain est nommé à la présidence du Conseil. Le lendemain, le nouveau président du Conseil entre en contact avec le gouvernement allemand pour mettre fin aux hostilités.

Signé le 22 juin, l'armistice franco-allemand marque la défaite de la France. Dans l'attente des négociations portant sur un traité de Paix, cet armistice impose au pays vaincu l'occupation de la moitié de son territoire, le maintien en captivité de 1,5 millions prisonniers de guerre, la démobilisation et le désarmement de ses forces armées, et enfin le paiement d'une indemnité journalière dont le montant sera fixé à 400 millions de francs.

Le 10 juillet 1940, à Vichy, la Chambre des députés et le Sénat, réunis en Assemblée nationale, vote une résolution attribuant les pouvoirs constituants au maréchal Pétain :

"L'Assemblée nationale donne tout pouvoir au gouvernement de la République, sous l'autorité et la signature du maréchal Pétain, à l'effet de promulguer par un ou plusieurs actes une nouvelle constitution de l'État français. Cette constitution devra garantir les droits du travail, de la famille et de la patrie."

Dès le lendemain, investi de ces pouvoirs, ce dernier institue par trois Actes constitutionnels le régime de l'Etat français plus communément désigné comme le régime de Vichy. Désigné "chef de l'Etat français", il cumule sur sa personne les pouvoirs exécutif et législatif.

Le vote du 10 juillet 1940 a non seulement mis fin à la IIIe République mais il a aussi permis l'instauration d'un pouvoir autocratique qui s'est engagé dans la voie la collaboration avec l'occupant nazi dès le mois d'octobre à la suite de la rencontre entre le chef de l'Etat français et Hitler.


Cour suprême de justice

Le 30 juillet 1940, le maréchal Pétain institue une Cour suprême de justice par l'Acte constitutionnel n° 5 avec un objectif précis : juger les responsables de la guerre (Hitler est donc innocent) et de la défaite.

Les compétences ainsi que l'organisation de cette Cour sont définies par une loi adoptée le même jour.

L'article premier de la loi du 30 juillet 1940 stipule que la Cour suprême de justice a pour mission de juger :

"1° Les ministres, les anciens ministres ou leurs subordonnés immédiats, civils et militaires, accusés d'avoir commis des crimes ou délits dans l'exercice ou à l'occasion de leurs fonctions, ou d'avoir trahi les devoirs de leur charge;
2° Toute personne accusée d'attentat contre la sûreté de L’État et de crimes et délits connexes;
3° Tout coauteur ou complice des personnes visées aux paragraphes précédents."

Violant le principe de non-rétroactivité de la loi pénale, l'article 5 lui permet de statuer sur des faits antérieurs à sa création :

"L'action publique devant la Cour suprême de justice se prescrit par dix ans, à dater de la perpétration des faits, même si ceux-ci sont antérieurs à la promulgation de la présente loi."

La Cour suprême de Justice est convoquée pour une première session par un décret du 1er août 1940 stipulant qu'elle "se réunira à Riom à partir du 8 août 1940".

A l'audience du 13 août, le Procureur général près la Cour de Riom requiert l'ouverture d'une instruction contre X en indiquant qu'au vu des "pièces et documents, ci-annexés", il résulterait que :

"1° Des crimes et délits ont ont été commis par des ministres, anciens ministres ou leurs subordonnés immédiats, civils ou militaires, dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de leurs fonctions, et que ceux-ci ont trahi les devoirs de leur charge dans les actes qui ont concouru au passage de l'état de paix à l'état de guerre avant le 4 septembre et dans ceux qui ont ultérieurement aggravé les conséquences de la situation ainsi créée.
2° Des attentats contre la sûreté de l'Etat et des crimes et délits connexes ont été commis par des personnes qu'une enquête aura à déterminer à l'occasion des actes visés au paragraphe précédent."

La principale instruction de cette juridiction d'exception portera sur les responsabilités des dirigeants de la IIIe République et des officiers généraux dans le déclenchement de guerre en 1939 et dans la défaite de la France en 1940.

La Cour de Riom inculpera en septembre 1940 Edouard Daladier, président du Conseil d'avril 1938 à mars 1940, le général Maurice Gamelin, chef d'Etat-major de la Défense nationale, et deux anciens ministres de l'Air, Pierre Cot et Guy La Chambre; en octobre 1940 l'ancien président du Conseil Léon Blum et enfin en avril 1941 Robert Jacomet, ancien secrétaire général du ministère de la Guerre. Tous ces inculpés seront incarcérés pendant la durée de l'instruction à l'exception de Pierre Cot réfugié aux Etats-Unis.

Le 28 octobre 1941, la Cour rend une ordonnance de mise en jugement marquant la fin de l'instruction dans laquelle elle indique que les six accusés seront jugés pour avoir trahi les devoirs de leurs charges avec comme justification leur impéritie dans la préparation de la guerre. Il n'est pas fait mention de leur responsabilité dans le déclenchement de la guerre.

Pour justifier son accusation contre Edouard Daladier et Léon Blum, elle précise ce qui leur est reproché :

"En ce qui concerne Edouard Daladier,
D'avoir fait preuve d'impéritie dans la préparation de la mobilisation nationale et plus spécialement de la mobilisation industrielle, dans l'organisation et l'instruction de l'armée, dans la fabrication des armements de toute sortie, dans la préparation de la défense contre avions et de la défense aérienne du territoire, dans l'application de la législation sur le travail, spécialement en interdisant, par une circulaire en date du 29 juillet 1936, de recourir dans les établissements de la guerre aux heures supplémentaires cependant autorisées par la loi; de n'avoir pas assuré la fabrication du matériel d'artillerie de grosse destruction; d'avoir manqué de fermeté en présence d'une propagande qui compromettait le rendement des usines travaillant pour la défense nationale; d'avoir fait aux Chambres et aux commissions parlementaires des déclarations inexactes au sujet de notre préparation militaire.

En ce qui concerne Léon Blum,
D'avoir compromis la défense nationale par l'application qu'il a faite de la législation sur le travail, spécialement en rendant pratiquement impossible le recours aux heures supplémentaires, d'avoir laissé appliquer la loi sur la nationalisation des fabrications d'armements d'une manière nuisible aux intérêts de la défense nationale; d'avoir, par sa faiblesse devant l'agitation révolutionnaire, spécialement en tolérant les occupations et les neutralisations d'usines, amené une diminution considérable de la production."

Le procès des six accusés s'ouvre le 19 février 1942 à Riom. Il sera suspendu le 14 avril 1942 en application de la loi du 11 avril 1942 prescrivant à la Cour de Suprême de justice de procéder à un supplément d'information. Suspendu, ce procès ne reprendra pas.

Outre cette procédure principale, la Cour de Riom a ouvert en octobre 1940 deux instructions séparées contre Paul Reynaud (détournement de fonds) et Georges Mandel (atteinte à la sureté de l'Etat).


Partie VI


Lettres des députés communistes

Au début de juin 1940, en raison de l'avancée des armées allemandes sur Paris, les 27 députés communistes emprisonnés sont évacués dans plusieurs centres de détention éloignés de la région parisienne. Ils sont de nouveau réunis à la prison du Puy en Haute Loire le 29 juin 1940. En octobre 1940, 11 députés sont envoyés à la prison de Valence.

Ces 27 parlementaires sont : Virgile Barel, Jean Bartolini (Comité central), Charles Benoist, Joanny Berlioz (Comité central), François Billoux (Bureau politique), Florimond Bonte (Comité central), Gustave Cornavin (Comité central), Emile Cossonneau, Alfred Costes (Comité central), Jean Cristofol, Ambroise Croizat, Antoine Demusois, Etienne Fajon (Comité central), Charles Gaou, Jacques Grésa, Pierre Lareppe, Georges Lévy, Henri Lozeray, Henri Martel (Comité central), Lucien Midol (Comité central), Prosper Môquet, Arthur Musmeaux, Albert Petit, Alexandre Prachay, Louis Prot, Waldeck Rochet (Comité central), Auguste Touchard.

Dans les six premiers mois de l'occupation allemande, au moins 8 d'entre eux écriront au président de la Cour suprême de justice, au ministre de la Justice, Raphaël Alibert ou directement au maréchal Pétain.

On dénombre au moins neuf lettres dont on donnera la liste en précisant la circonscription du député :

- lettres de Joanny Berlioz (Seine) du 4 août 1940 et du 8 décembre 1940.
- lettre de Florimond Bonte (Seine) du 1er octobre 1940.
- lettre de Georges Lévy (Rhône) du 30 octobre 1940.
- lettre de Gaston Cornavin (Cher) du 8 novembre 1940.
- lettre de Virgil Barel (Alpes-Maritimes) du 11 novembre 1940.
- lettre de Lucien Midol (Seine-et-Oise) du 8 décembre 1940.
- lettre de Alfred Costes (Seine) du 8 décembre 1940.
- lettre de François Billoux (Bouches-du-Rhône) du 19 décembre 1940.

Deux faits significatifs concernant ces députés communistes. Tout d'abord, Berlioz, Costes et Billoux font partie des 16 députés détenus au Puy. Les deux premiers sont membres du Comité central du PCF. Le troisième appartient au Bureau politique du Parti. Dans sa lettre, ce dernier se fait le porte-parole de tous ses camarades emprisonnés.

Ensuite, membres du Comité central, Bonte, Cornavin, et Midol sont, comme Barel et Lévy, incarcérés à Valence où l'on a regroupé 11 parlementaires communistes.


Partie VII


Lettre de François Billoux

Le 19 décembre 1940, au nom des 27 députés communistes emprisonnés, François Billoux, "député déchu", envoie une lettre à "Monsieur le Maréchal Pétain, chef de l'Etat Français" dans laquelle il formule une demande de libération, fait une offre de service et expose une requête.

19 décembre 1940

Marque d'infamie par son contenu la lettre de François Billoux l'est aussi par sa date : le 19 décembre 1940.

En effet, elle est postérieure à l'institution d'une Cour martiale visant à réprimer la Résistance gaulliste, à l'adoption du statut des Juifs et à la rencontre Hitler-Pétain qui a initié la politique de collaboration de ce dernier.

Ajoutons à la décharge du dirigeant communiste qu'elle aussi postérieure au séjour de Molotov à Berlin où le chef du gouvernement soviétique a participé à des discussions avec Ribbentrop et Hitler portant sur la conclusion d'un accord qui viendrait compléter le Pacte tripartite que venaient de signer l'Allemagne, l'Italie et le Japon.

"Député déchu"

En signant "député déchu", François Billoux reprend la position que lui et ses camarades ont adopté au cours du procès de mars-avril 1940 au moment de l'interrogatoire d'identité.

Rappelons comment s'est déroulée cette formalité. Suivant l'ordre alphabétique, le président du tribunal a commencé par Virgile Barel comme le rapporte Le Petit Parisien du 21 mars 1940 :

"Dès le premier nom prononcé, celui de M. Barrel [Barel], un incident s'élève :
— Votre profession ?
— Député déchu.
— Ce n'est pas une profession.
— C'est un état...
M. Billoux s'insurge lui aussi :
— Votre profession ?
— Je suis député. Je représente au Parlement des travailleurs qui ne m'ont pas déchu. Et vous n'y changerez rien !
M. Florimond Bonte se déclare député déchu du glorieux faubourg Saint-Antoine." (1)

La séquence est résumée dans Le Figaro du même jour :

"Cet interrogatoire d'identité permet aux communistes de se livrer à leurs premières facéties. Comme profession, les uns déclarent « député déchu », tandis que d'autres protestent contre cette déchéance. « Mes électeurs ne m'ont pas retiré mon mandat », dit l'un. « On a violé la Constitution dans ma personne », dit l'autre, le corps électoral ne m'a pas déchu ». A la fin l'indignation est monotone. Ils acceptent le qualificatif déchus tandis que le président, un peu las, les laisse se dire encore « députés ».

"Monsieur le Maréchal Pétain, chef de l'Etat Français".

Indépendamment de son contenu, on peut relever dans la lettre de François Billoux deux marques de déférence à l'égard du maréchal Pétain.

Tout d'abord, sa lettre est adressée à "Monsieur le Maréchal Pétain, chef de l'Etat Français". En utilisant cette formule, le dirigeant communiste reconnait le signataire de l'armistice franco-allemand et le fondateur du Régime de Vichy comme une autorité légitime.

Ensuite, elle se se termine sur une déclaration dans laquelle François Billoux exprime ses sentiments respectueux :

"Veuillez agréer, monsieur le Maréchal, l'assurance de ma haute considération.

Au nom des 27 députés communistes emprisonnés.

Membre du Bureau politique, François Billoux présente sa lettre comme une démarche collective faite au nom des 27 députés communistes détenus dans les prisons du Puy (16) et de Valence (11) :

"je demande à être entendu comme tous mes amis, en qualité de témoin par la Cour suprême de Riom".

Deux preuves supplémentaires . Tout d'abord, élu à l'Assemblée nationale aux élections de novembre 1946, François Billoux déclarera à la séance du 8 mars 1950 :

"Nous étions 27 députés communistes emprisonnés au Puy et, au nom de mes camarades, j'ai écrit à Pétain."  (1)

Ensuite, réélu en janvier 1951, il déclarera à la séance du 17 janvier 1952 :

"Quoiqu'il en soit, je n'ai jamais renié cette lettre — dont je prends toute la responsabilité — encore qu'elle ait été adressée, non pas en mon nom personnel, mais au nom de mes vingt-sept camarades de la prison du Puy, à la fin de l'année 1940." (2)

On précisera que sous la IVe République l'Assemblée nationale désigne la Chambre des députés.

(1) Journal officiel du 9 mars 1950, p. 1930.
(2) Journal officiel du 18 janvier 1952, p. 269.


Demande de Libération

Dans sa lettre au maréchal Pétain, François Billoux demande sa libération et celle de ses camarades :

"Si vous voulez donc en finir avec les mensonges, monsieur le Maréchal, il faut aussi libérer immédiatement tous les communistes et les seuls députés qui se sont dressés contre la guerre."

Pour convaincre le fondateur du régime de Vichy, le dirigeant communiste rappelle l'initiative pacifiste du 1er octobre 1939, le contenu de sa Déclaration du 3 avril 1940 et enfin le véritable motif pour lequel ils ont été jugés :

"Le Gouvernement choisissait ce mauvais prétexte (infraction au décret-loi du 26 septembre 1939) parce qu'il n'osait pas donner la véritable raison à nos poursuites : nous étions les seuls à nous dresser contre la guerre, nous étions les seuls pour la paix."

Fier d'être un pacifiste de la première heure, le dirigeant communiste dénonce tous ceux qui se sont tardivement ralliés à l'idée de faire la Paix avec l'Allemagne nazie :

"Certains osent maintenant se présenter comme des hommes de paix. Parmi eux, il y a ceux qui se sont tus en septembre et octobre 1939 qui se sont tus jusqu'à la débâcle aussi bien à la Chambre des députés, au Sénat qu'au Conseil supérieur de la guerre et ailleurs".

Le pacifisme du Parti communiste pendant la guerre franco-allemande de 1939-1940 est donc l'argument principal devant permettre d'obtenir une réponse favorable du chef de l'Etat français.

Il est couplé à l'anglophobie et à l'antirépublicanisme du PCF, deux points communs supplémentaires avec le maréchal Pétain. En effet, François Billoux dénonce la responsabilité de la France dans le déclenchement de la guerre et "la soumission de nos gouvernants à l'impérialisme britannique".


Au service de Vichy

Dans sa lettre au maréchal Pétain, François Billoux exprime le souhait que les 27 députés communistes emprisonnés puissent témoigner contre les anciens dirigeants de la IIIe République accusés par Cour suprême de justice d'être les responsables de la guerre et de la défaite :

"Étant donné que rien n'a été publié sur les débats en huis-clos de notre procès, où nous avions dénoncé les vrais fauteurs de guerre, je demande à être entendu comme tous mes amis, en qualité de témoin par la Cour suprême de Riom".

Les "vrais fauteurs de guerre" sont donc les dirigeants français. Le député des Bouches-du-Rhône souligne ce point - la France est responsable de la guerre - en citant la Déclaration qu'il a prononcée au cours du procès des députés communistes de mars-avril 1940 :

"« Les Gouvernants français et capitalistes au nom de qui ils agissent tentent de faire croire que les responsabilités de la guerre impérialiste sont unilatérales, qu'eux-mêmes n'y sont pour rien, que le peuple de France se bat pour la justice, la liberté et l'indépendance des peuples. Mensonges...
Les responsables de la guerre ? Nous nous refusons à nous faire les complices de cette énorme duperie qui consiste dans chaque pays à les rejeter sur les gouvernements ennemis. Il y en a chez nous. En premier lieu l'ex-Gouvernement et son Chef M. Daladier, qui a dirigé l'État contre le peuple et dans l'intérêt d'une minorité de gros possédants.  »"

Dans ce texte, François Billoux affirme que l'attribution de la responsabilité de la guerre à Hitler ("gouvernements ennemis") est l'un des "mensonges" propagés par les bellicistes français.


Requête

Dernier élément, dans sa lettre François Billoux demande au Maréchal Pétain de faire "connaitre à l'ensemble de la population de France" deux textes du groupe parlementaire communiste illustrant son opposition à la guerre : la lettre du 1er octobre 1939 et sa propre déclaration du 3 avril 1940.

Le dirigeant communiste justifie sa démarche en faisant référence au discours que le président du Conseil a prononcé à la radio le 25 juin 1940 et dans lequel il justifiait les armistice franco-allemand et franco-italien en mettant en avant les mensonges de la IIIe République belliciste :

"Le 26 juin 1940 (sic), dans un manifeste, vous disiez, monsieur le Maréchal : « Je hais les mensonges qui vous ont fait tant de mal »".

Il indique que la publication de ces deux textes permettra de "dissiper un certain nombre de mensonges" propagés par les bellicistes au cours du conflit : Hitler est responsable de la guerre, les Français se battent pour la liberté ou encore les communistes sont des traîtres parce qu'ils défendent la Paix .

Encore un point commun entre les communistes et le maréchal Pétain....


Me Isorni

La lettre de François Billoux a été révélée au procès du maréchal Pétain, à l'audience du 14 août 1945, par l'un de ses avocats, Me Isorni, qui l'a lu dans son intégralité au cours de sa plaidoirie.

Il a justifié la lecture du document en ces termes :

"Messieurs, on a insinué qu’on avait voulu offrir à Hitler la culpabilité de la France, qu’on avait voulu faire le procès des responsabilités de la France.
Ce n'est pas vrai. Je vous le démontre.
D'autres hommes l'ont voulu et le Maréchal s'y est opposé.
Il faut que je vous lise un document auquel je n'apporterai aucun commentaire. Il appartient à notre Histoire, et je le lis sans aucune arrière-pensée que de renseigner complètement la Haute Cour. C'est une lettre qu’adressait au maréchal Pétain, le 19 décembre 1940, — bien après Montoire, — M. François Billoux, alors député « déchu » des Bouches-du-Rhône. La lettre était ainsi conçue : [...]

Messieurs, j’affirme que si le maréchal Pétain avait cherché à faire avec la Cour de Riom une opération politique contre le front populaire, et une opération humiliante pour la France, il lui eût été vraiment facile de faire venir à la barre de la Cour de Riom des hommes qui avaient sollicité d'y comparaître et qui étaient précisément les chefs d’un des partis qui constituaient le Front Populaire. Ah! la belle opération politique qu'aurait réalisée là le Maréchal.
Mais pourquoi ne l’a-t-il pas voulu ? Il ne l’a pas voulu parce qu'au delà de ce qui aurait été peut-être une satisfaction pour une certaine partie de l'opinion, il y avait ce danger suprême que ces hommes, venus à la barre de la Cour de Riom, auraient essayé de faire le procès non pas de l'impréparation de la guerre, mais de la prétendue responsabilité de la France. Alors, vraiment, est-ce que l'homme qui par son autorité s'y est refusé, a cherché à humilier la France ou au contraire n'a-t-il pas cherché qu'une chose  : frapper les responsables de la défaite." (1)

Pour Me Isorni, le refus du Maréchal Pétain de donner suite à la demande de François Billoux de comparaître devant la Cour suprême de justice pour faire le procès des responsabilités de la France dans la guerre, prouve que la création de la Cour de Riom n'a pas été institué à la demande des Allemands et encore mois pour servir leurs intérêts.

(1) Le procès du maréchal Pétain : compte rendu sténographique (vol. 2) p. 1048.


Séance du 29 novembre 1947

A la séance de l'Assemblée nationale du 29 novembre 1947, la lettre du 19 décembre 1940 est au centre d'une vive polémique opposant deux députés : Edouard Daladier, ancien président du Conseil poursuivi par la Cour de Riom, et... François Billoux.

L'intervention du député communiste reposera sur le mensonge et la falsification des documents cités : Déclaration du 3 avril 1940, Propositions du 6 juin 1940, Appel du 10 juillet 1940, Lettre du 19 décembre 1940.

Quant à celle du député du Vaucluse, régulièrement interrompue par les insultes et les calomnies venant des bancs députés communistes, elle ne sera motivée que par le souci de la vérité historique : "Il faudra bien que la vérité éclate et qu'elle vous condamne".

Ces deux interventions seront publiées au Journal officiel du 4 décembre 1947 (p. 5316 ss.) :

INCIDENTS

Mme la Présidente. La parole est à M. Billoux pour un fait personnel. (Applaudissements à l'extrême gauche.)

M. François Billoux. Mesdames, messieurs, depuis un certain nombre de jours, des députés mettent en cause mes lettres au maréchal Pétain.
Ces lettres, ou plutôt des extraits de ces lettres ont été publiés pour la première fois au procès du maréchal Pétain. Naturellement, l'avocat de Pétain n'avait pas manqué d'utiliser seulement quelques extraits.
Ce sont ces quelques extraits que vous reprenez maintenant.
Nous sommes d'accord, comme nous l'avons indiqué hier par la voix de notre camarade Florimond Bonte, pour engager, quand on le voudra, le débat, non seulement sur notre attitude, mais sur l'attitude de tous en 1939 et aussi en 1938. (Applaudissements à l'extrême gauche.)
Car, en 1938, comme aujourd'hui dans cette Assemblée, il n'y avait que le groupe communiste pour protester contre Munich (Applaudissements sur les mêmes bancs).

M. Fernand Bouxom. Il y avait aussi M. Champetier de Ribes.

M. François Billoux. ...contre ce Munich qui devait marquer malheureusement d'une façon historique le passage de la France du rôle de grande puissance à celui de petite puissance. (Applaudissements sur les mêmes bancs.)
Ces lettres au maréchal Pétain comportent deux points.
Elles comportent tout d'abord, c'est vrai, la demande d'être appelé comme témoin au procès de Riom.
Pourquoi cette demande ? Parce que Daladier et Paul Reynaud n'avaient pas permis que nous répétions publiquement ce que nous avions dit à notre procès à huis clos en avril 1940 : « Vous allez nous condamner, mais au même moment vous vous préparez à laisser pénétrer les hordes hitlériennes en France. » (Applaudissements à l'extrême gauche)
Je me souviens avoir déclaré au président du tribunal — c'était le 3 avril 1940 : « Dans quelques semaines, lorsque, par la trahison du Gouvernement français, les Allemands pénétreront à Paris, à ce moment-là le peuple de France tout entier se rendra compte que vous jugez au nom d'un gouvernement de traîtres. » (Applaudissements à l'extrême gauche.) [ 1 ]
Si j'avais demandé, au nom de tous mes camarades, d'aller au procès de Riom, ce n'était naturellement pas pour faire plaisir à Pétain, Laval et à toute cette bande (Applaudissements sur les mêmes bancs), mais pour démontrer que si le traître Pétain avait pu perpétrer son mauvais coup, c'est parce qu'il y avait des hommes comme Daladier, Reynaud et Bonnet qui portent la responsabilité d'avoir trahi la France en 1939.  (Applaudissements sur les mêmes bancs.)
Dans ce procès de Riom, nous aurions montré que le peuple de France ne pouvait avoir confiance qu'en lui-même - ce que le parti communiste français avait déclaré en juin 1940  [ 2 ] — pour la défense de Paris, alors que le générai Weygand, au contraire, préparait sous la direction du Gouvernement la livraison de Paris aux Allemands. (Applaudissements à l'extrême gauche.)
C'est le parti communiste français qui s'est levé en juillet 1940 en déclarant : Jamais le peuple de France ne sera un peuple d'esclaves ! [ 3 ]
En ce qui concerne les problèmes politiques que pose cette première partie, on les abordera, je le répète, quand on voudra.
On prétend, en deuxième lieu, que j'aurais été soumis à Pétain.
Voici ce que j'ai écrit à Pétain : « Cette demande de libération n'a pas été formulée sur la base d'un reniement quelconque. Mes amis et moi, nous sommes plus fiers de notre état de prisonniers que ne peuvent l'être du leur ces généraux battus par incapacité ou par trahison (Applaudissements à l'extrême gauche), ou encore ces hommes à l'échiné courbée qui, suivant leurs sordides intérêts personnels, ont revêtu la livrée de laquais de l'impérialisme allemand. (Applaudissements sur les mêmes bancs.)
« Notre conscience ne nous reproche rien. Nous sommes restés nous-mêmes des communistes et des Français. Communistes français, nous sommes et nous resterons non pas des accusés et des condamnés, mais des accusateurs de tous ceux qui ont conduit notre pays à la guerre, à la catastrophe et à la misère. » (Applaudissements sur les mêmes bancs.)
Et nous ajoutions encore : « C'est en pure perte que l'on veut imposer au peuple de France une nouvelle idole : Pétain. Le peuple de France sait très bien que le ramassis de politiciens tarés, de généraux battus, plus à l'aise dans des conseils d'administration, comme Weygand par exemple, que sur le front de bataille (Applaudissements à l'extrême gauche), de « ratés » de toutes sortes, de spéculateurs de tout acabit, d'aventuriers sans scrupules, de renégats de la classe ouvrière (Applaudissements sur les mêmes bancs), qui ont la prétention de gouverner on agissant sous votre autorité, enfonçant davantage le pays dans le gouffre. » (Protestations au centre.)

M. Fernand Bouxom. Ce n'est pas la même lettre !

M. Robert Bicher. C'est une édition revue et corrigée. (Exclamations à l'extrême gauche.Mouvements divers.)

M. François Billoux. Voilà ce que nous disions à Pétain. Voilà ce que je suis fier de lui avoir dit en 1940. (Vifs applaudissements à l'extrême gaucheLes députés siégeant sur ces bancs se lèvent.)

M. Max Brusset. C'est un discours. Vous n'avez pas lu la lettre entièrement.

Sur divers bancs au centre et à gauche, Ce n'est pas la lettre !

Sur de nombreux bancs à l'extrême gauche. Si !  [...]

Mme la présidente. M. Daladier a seul la parole. Veuillez l'écouter. Il n'interrompt jamais les orateurs.

M. Pierre Hervé. C'est peut-être lui la victime, alors qu'il est le bourreau !

M. Edouard Daladier. Vous pouvez retourner à la rue d'Ulm; vous y avez été mal instruit.
M. Billoux a prononcé un discours, d'ailleurs éloquent, mais il s'est bien gardé de lire la lettre qu'il a envoyée au maréchal Pétain.
J'ai un grand regret, celui de ne pas avoir vu M. Billoux témoigner contre moi à Riom (Interruptions à l'extrême gauche); il aurait complété la collection. (Vives interruptions à l'extrême gauche.)

M. Florimond Bonte.  Contre Pétain et l'ensemble de ceux qui sont responsables des malheurs de la patrie.

M. Edouard Daladier. Il s'agit de choses bien différentes de celles que vous avez lues, car je ne retrouve pas dans votre lettre quelques-uns des prétendus extraits que vous avez cités. (Vives interruptions à l'extrême gauche.)
Votre lettre a été publiée intégralement au procès de M. Pétain par les les soins de son avocat. (Interruptions à l'extrême gauche.) Puisque vous voulez des extraits, voilà ce que vous disiez. (Nouvelles interruptions sur les mêmes bancs.)

A l'extrême gauche. Ce sont des extraits.

M. Edouard Daladier. C'est vous-même qui avez parlé d'extraits.
Si je devais lire la lettre, je tomberais dans le piège un peu grossier que vous tendez toujours à vos adversaires pour prolonger un débat qui vous gêne. (Rires à l'extrême gauche.)

Sur divers bancs au centre et à droite. Lisez la lettre !

M. Edouard Daladier. C'est entendu. Monsieur Billoux, je vais vous remplacer, puisque vous avez été défaillant. (Applaudissements sur certains bancs à gauche, au centre et à droite.)
Vous avez raison de dire que la situation est aujourd'hui la même qu'au mois d'octobre 1939.

A l'extrême gauche. C'est l'aveu !

M. Edouard Daladier, Au mois d'octobre 1939, après être partis pour les armées en chantant la Marseillaise et avoir célébré le départ de vos chefs communistes vous vous êtes inclinés devant le diktat d'un gouvernement étranger, allié d'Hitler, qui avait négligé de vous dire ses véritables intentions et qui vous laissait vous livrer à des manifestations patriotiques, d'ailleurs sincères, je le crois, à ce moment, et qui exigeait de vous le reniement de votre attitude et l'apologie de l'alliance de la Russie avec Hitler. (Vifs applaudissements à gauche. — Bruit prolongé.)

A l'extrême gauche. Misérable ! Munichois !

M. Edouard Daladier. Je suis habitué à vos injures et je sais être patient. [...]

M. Edouard Daladier. Je reviens à la lettre adressée par M. Billoux « à M. le maréchal Pétain, chef de l'Etat français », et que vous n'effacerez pas davantage de l'histoire, (vives interruptions à l'extrême gauche. — Tumulte.)

M. André Tourné. Parlez-nous de votre rencontre avant guerre, avec von Ribbentrop, monsieur Daladier, dans la villa de de Brinon. C'est de Brinon lui-même qui l'a reconnu à la Haute Cour.
Voilà l'homme qui ose nous insulter ! C'est une honte !
Ce fait montre de quel côté se trouvent ceux qui trahissent notre pays. (Applaudissements à l'extrême gauche. — Mouvements divers.)

Mme la présidents. Veuillez laisser l'orateur poursuivre son exposé.

M. Edouard Daladier. Voici exactement la lettre de M. Billoux : ... (Interruptions prolongées à l'extrême gauche.)
« Monsieur le maréchal, le 25 juin 1940, dans un manifeste... » (Interruptions à l'extrême gauche.)

M. Robert Bichet. Ecoutez la lettre de M. Billoux !

M. Marc Dupuy. Vous applaudissez, monsieur Bichet !

M. Edouard Daladier. « ...vous disiez : « Je hais les mensonges qui nous ont fait tant de mal ». (Nouvelles interruptions prolongées à l'extrême gauche.) .

Mme Rose Guérin. Il s'est servi de vos lois pour arrêter les patriotes, monsieur Daladier !

Mme Germaine François. Des Français sont morts à cause de votre politique !

M. Fernand Bouxom. Ecoutez donc, si cette lecture n'est pas gênante !

M. Edouard Daladier. Les interruptions ne me gênent pas. Au contraire, cela me rajeunit beaucoup et me rappelle la campagne électorale. (Vives exclamations à l'extrême gauche. — Bruit prolongé.)
Je poursuis la citation :
« Il faudrait alors, pour dissiper un certain nombre de mensonges, que vous fassiez connaître à l'ensemble de la population de France :
« 1° la La lettre du groupe ouvrier et paysan français adressée le 1er octobre 1939 au président de la Chambre;
« 2° Les comptes rendus des débats de notre procès et la déclaration que j'ai lue au nom de tous mes amis, au terme de ces débats. »
Je ne trouve dans votre lettre, monsieur Billoux, aucune des prédictions que vous avez faites tout à l'heure. Vous attendiez sans doute que les événements eussent passé. (Vives interruptions à l'extrême gauche. — Applaudissements sur certains bancs à gauche, au centre et à droite.)
Vous disiez encore dans cette lettre au maréchal de France :
« Dans cette déclaration, nous disions par exemple : « Nous sommes poursuivis parce que nous nous sommes dressés et que nous nous dresserons avec la dernière énergie contre la guerre impérialiste... »

M. Arthur Ramette. Très bien !

M. Edouard Daladier. « ...qui sévit sur notre pays...

M. Arthur Ramette. Vous avez été cinq ans ministre de la guerre et la France n'avait pas d'armes pour se défendre en 1939. (Applaudissements à l'extrême gauche.)

M. Edouard Daladier. « ...parce que nous appelons le peuple à exiger qu'il y soit mis fin par la paix, parce que nous indiquons au peuple de France le moyen de rendre notre pays libre et heureux. » (Vives interruptions à l'extrême gauche.)  [...]

M. Edouard Daladier. Et M. Billoux poursuivait dans cette lettre au maréchal Pétain :
« Le Gouvernement français et les capitalistes, au nom de qui ils agissent, tentent de faire croire que les responsabilités de la guerre sont unilatérales, qu'eux-mêmes n'y sont pour rien, que le peuple de France se bat pour la justice, la liberté et l'indépendance des peuples. Mensonges !... Les responsables de la guerre ?
Nous nous refusons à nous faire les complices de cette énorme duperie qui consiste dans chaque pays à les rejeter sur les gouvernements ennemis. » (Interruptions à l'extrême gauche. — Applaudissements sur certains bancs à gauche, au centre et à droite.)
M. Billoux affirmait donc à Pétain, à ce moment, que le responsable de la guerre, ce n'était pas Hitler, mais la France ! (Applaudissements sur certains bancs à gauche, au centre et à droite.)

A l'extrême gauche. Munich ! Munich !

M. Edouard Daladier. Et pourquoi ? Parce que tel était l'ordre de Moscou. De même, aujourd'hui, après avoir donné d'abord leur adhésion au plan Marshall, ils le combattent parce que l'ordre leur en a été donné par la même Russie. (Applaudissements sur divers bancs à gauche, au centre et à droite. — Vives interruptions à l'extrême gauche. — Bruit prolongé.)

M. Marcel Hamon. Accusé Daladier, répondez à ma question ! Vous nous avez envoyés sur le front sans armes, sans fusils. Vous êtes un misérable !

M, Edouard Daladier. Voilà les hommes de la démocratie, voilà les soldats de la liberté ! (Applaudissements à gauche, au centre et a droite. — Vives interruptions à l'extrême gauche. — Bruit prolongé.)

Voix nombreuses au centre et à droite : Touchés !

M. Florimond Bonte. Vous avez encaissé de l'argent.

Mme la présidente. Monsieur, Bonte, je vous rappelle à l'ordre. (Vives protestations à l'extrême gauche.)

M. Edouard Daladier. Vous proférez des insultes et lorsqu'on veut vous répondre, vous organisez le tumulte. Ce sont vos habitudes ; elles ne me surprennent pas et, aussi bien, je les méprise ! (Vives exclamations à l'extrême gauche. — Bruit)

A l'extrême gauche. Assassin ! (Bruit prolongé.) [...]

M. Raymond Guyot. Daladier nous a fait expulser de nos bancs en 1940. [ 4 ]

Mme François. Le voilà, l'assassin de Gabriel Péri.

M. Raymond Guyot. L'assassin de Michels, Catelas, Poulmareh et de Semard.

M. Edouard Daladier. Je vais donc vous lire mes chers collègues, cette page d'anthologie.
Voici la lettre.

M. Florimond Bonte. Daladier, vous étiez comme en ce moment adossé à la tribune, le 30 novembre 1939, lorsque vous m'avez empêché de prendre la parole et que j'étais l'objet d'un mandat d'arrêt. J'avais cependant le courage de venir défendre mon opinion dans cette enceinte, malgré votre police. [ 5 ] (Applaudissements à l'extrême gauche» — Bruit.)

M. Raymond Guyot. Vous étiez, comme en ce moment, adossé cette tribune, lorsque Mercier, Grenier et moi-même, soldats, avons été arrachés de ces bancs.
Vous êtes un assassin !

M. Edouard Daladier. Je poursuis ma lecture :
« Certains osent maintenant se présenter comme des hommes de paix, parmi eux, il y a ceux qui se sont tus en septembre et octobre 1939, qui se sont tus jusqu'à la débâcle, aussi bien à la Chambre des députés, au Sénat, qu'au conseil supérieur de la guerre et ailleurs. » (Interruptions à l'extrême gauche.)

Mme Duvernois. Vous déshonorez la tribune, monsieur Daladier !

M. Arthur Ramette. La Haute Cour pour celui qui a conduit la France à la défaite !

A l'extrême gauche. Daladier en Haute Cour !

Mme la présidente. Monsieur Ramette, je vous rappelle à l'ordre avec inscription au procès-verbal (Protestations à l'extrême gauche.)

M. Edouard Daladier. Pourquoi tant d'accusations ici ?
Lorsque l'Assemblée a institué une commission d'enquête, vous avez pris la fuite au lieu d'y rester pour poser des questions.
Mais vous n'entraverez pas son œuvre. (Bruit.) Je n'ai pas plus peur de vous que je n'ai eu peur de Pétain et des autres.
Il faudra bien que la vérité éclate et qu'elle vous condamne. (Applaudissements sur certains bancs à gauche au centre et à droite.) [...]

M. Femand Bouxom. Lisez donc la lettre en entier, monsieur Daladier.

M. Edouard Daladier. M. Billoux concluait en des termes qu'il s'est bien gardé de yous lire.
« Lors de mon interrogatoire, écrit M. Billoux, je disais: « Cette guerre sera néfaste pour la France : vaincus, nous serons les esclaves d'Hitler; vainqueurs, nous serons les domestiques de Chamberlain. »
Voilà quel était le patriotisme qui animait M. Billoux qui avait demandé à témoigner au procès de Riom. (Interruptions prolongées à l'extrême gauche. — Bruit.)
Bien entendu, le maréchal Pétain demanda la libération des députés communistes emprisonnés. (Bruit prolongé) [...]

M. Edouard Daladier. Mesdames, messieurs, je vous ai apporté des documents. Vous les retrouverez au Journal officiel. Vous pourrez dénoncer dans le pays l'hypocrisie de ces hommes qui, après avoir trahi leur patrie, se prétendent des patriotes. (Applaudissements sur certains bancs à gauche et au centre et à droite. —.Bruit prolongé.)

Mme la présidente. L'incident est clos.

[ 1 ] François Billoux cite un extrait de sa Déclaration du 3 avril 1940 qui s'avère être faux. 
[ 2 ] François Billoux fait référence aux Propositions imaginaires du 6 juin 1940 aux termes desquelles le PCF aurait proposé au gouvernement de défendre Paris en appelant à une levée en masse. La mention de ces propositions est apparue dans la propagande communiste à la fin de... 1943.
[ 3 ] François Billoux cite un extrait falsifié de l'Appel au "Peuple de France" de juillet 1940 .
[ 4 ] Référence à la séance du 9 janvier 1940.
[ 5 ] Référence à la séance de la Chambre du 30 novembre 1939.


Partie VIII


Parti socialiste

Les lettres de 6 députés communistes ont été rendues publiques par... le Parti socialiste. C'est en effet, le 13 mai 1951, au cours de son Congrès, qu'un intervenant, Louis Noguères, a donné lecture "d'importants documents sur l'attitude de certains parlementaires communistes pendant l'occupation" (Le Populaire du 14 mai 1951).

En complément de son compte rendu du Congrès du Parti, ce même numéro a publié un article titré... " Billoux n'était pas le seul / Ils étaient sept députés communistes à se disputer l'honneur d'être les mouchards de Pétain" :

"Louis Noguères a donné, hier au congrès, lecture d’une lettre du député communiste Johanny Berlioz qui offrait au président de la cour de Riom, en 1940, de venir devant lui moucharder les républicains emprisonnés par Vichy, comme le fit Billoux.
Un autre député communiste, Georges Lévy, offrait lui aussi son témoignage à Pétain, en rappelant le pacte Hitler-Staline.
Un autre, encore, Cornavin, écrivait une lettre identique.
Le 11 novembre 1940, un autre député stalinien, Virgile Barel, écrit à « M. le maréchal Pétain, chef de l’Etat français » pour être appelé à témoigner à Riom contre la République. Barel assurait que « en octobre 1939, les communistes avaient tenu leur serment de lutte contre la guerre en demandant que soient étudiées les éventuelles propositions de Hitler ».
...Et la lettre se terminait par « l'assurance des sentiments distingués » du sieur Barel au traître Pétain. Barel reçut un accusé de réception de Pétain.
Le 8 novembre 1940, le député communiste Midol écrivait au Président de la cour de Riom...
Toujours pour moucharder la République, de mèche avec les collabos. Midol rappelait alors que ses amis n'avaient cessé d'approuvé la politique extérieure de « Monsieur Laval » (sic).
Le 8 décembre 1940, Berlioz, l'auteur de la première lettre revenait à la charge, et écrivait au procureur de la cour de Riom. Berlioz explique alors que les communistes sont comme Pétain, détenteurs de la vérité.
C’est enfin, un peu plus tard, la fameuse lettre de Billoux.
Ces documents indiquent qu'il n'y a pas eu 1, mais 7 communistes qui, se trouvant en des points différents, ont demandé à témoigner contre Léon Blum.
Et jamais, lorsque Billoux publiquement accusé par sa lettre, essayait de se défendre, ses acolytes, persuadés que leurs lettres ne seraient jamais connues, n'ont osé dire qu'eux aussi avaient écrit des lettres identiques.
Les communistes, en écrivant leurs lettres, obéissaient à leurs instructions, qui étaient de faire le jeu de Hitler : celui-ci voulait faire dire par un tribunal français que la France était responsable de la guerre."

Dans ses numéros des 15 mai, 16 mai, 17 mai et 18 mai 1951, l'organe du Parti socialiste a reproduit l'intégralité des lettre de Berlioz, Barel, Midol, Costes.

Dans son numéro du 19 mai 1951 , le journal de la SFIO a fait le choix de ne reproduire que quelques lignes des lettres de Cornavin et de Lévy au motif que les deux auteurs étaient décédés.


Joanny Berlioz

Député de la Seine, membre du Comité central, Joanny Berlioz se distingue de ses camarades sur deux points particuliers : non seulement il est le premier à avoir écrit aux autorités de Vichy mais en plus il est l'auteur de deux lettres.

Dans sa lettre du 4 août 1940 écrite à la prison du Puy à l'attention de Raphaël Alibert, ministre de la justice, le dirigeant communiste demande à être entendu comme témoin à charge par la Cour de Riom et souhaite que ce témoignage soit le point de départ de sa réhabilitation :

"J'ai appris par des visiteurs que le gouvernement avait créé un tribunal suprême, qui doit prochainement juger un certain nombre de responsables des malheurs dont souffre notre pays. Je vous prie en conséquence de bien vouloir me faire citer à titre de témoin à charge devant cette haute juridiction. Je suis sûr que ce désir est aussi celui de mes collègues emprisonnés comme moi arbitrairement depuis dix mois.
De par les fonctions que nous avons occupées au Parlement et de par les relations que nous avons eues avec de nombreuses personnalités politiques et de la haute administration, nous sommes en effet en mesure d’apporter à la Cour des informations d’un intérêt capital sur les agissements scandaleux de ceux qui ont conduit la France à sa perte.
Nous avons été précisément poursuivis, persécutés et condamnés sur l’ordre d’individu, hier maîtres des destinées du pays, qui vont sans doute être traduits devant le Tribunal suprême comme coupables de faiblesse, d'incapacité ou de honteuses trahisons. Ils se sont acharnés contre nous dans le but de dissimuler ou de faire oublier leur politique néfaste aux intérêts nationaux. Aussi nos déclarations contribueraient-elles largement à mettre à nu les turpitudes de ces anciens dirigeants en même temps qu’elles seraient sans aucun doute le point de départ vers l'indispensable révision de notre procès, monstrueuse parodie de justice et notre éclatante réhabilitation.
Le peuple de France réclame le châtiment de tous les vrais responsables des désastres qui l'accablent. Dans l'espoir d'aider la lumière à se faire sur un premier point, je sollicite donc d'être appelé à titre de témoin à charge devant la Cour suprême." (1)

N'ayant pas reçu de réponse, le député de la Seine renouvelle sa proposition dans une lettre du 8 décembre 1940 envoyée cette fois au président de la Cour de Riom :

"Ayant appris, lors d'une récente visite de mes parents à la prison, que le procès des accusés Daladier, Paul Reynaud, Gamelin et consorts, devait s'ouvrir bientôt, je me permets, Monsieur Président, de vous renouveler directement ma demande.
De par les fonctions que j'ai occupées au Parlement (secrétaire de la commission des Finances) de par les relations que dans l’exercice de mon mandat, avec plusieurs des personnalités inculpées, je crois être en mesure d'apporter à la Cour suprême des informations susceptibles de l'éclairer sur les agissements criminels dont le peuple de ce pays a été la victime. Je pourrais notamment fournir des renseignements utiles sur la soumission aveugle de nos gouvernants aux volontés de l'impérialisme britannique qui fut sans conteste une des causes de la guerre.
[...] Notre procès fut une illustration du régime de la dictature du mensonge, si justement flétri par M. le Maréchal Pétain, chef de l'Etat français. [...]
Mes déclarations devant la Cour suprême, en même temps qu'elles ne pourraient manqué de contribuer à mettre en relief les responsabilités écrasantes des dirigeants incapables ou traitres à la nation qui nous ont poursuivis et persécutés, seraient donc aussi un point de départ vers l'indispensable révision de notre inique procès, monstrueuse parodie de justice, destinée à couvrir leurs agissements. [...]
Dans l'espoir qu'il me sera possible d'aider à faire la lumière sur tous ces points, je sollicite donc, Monsieur le Président, d'être appelé comme témoin à charge devant le tribunal suprême que vous avez l'honneur de présider.

Dans ce texte de décembre 1940, le député communiste non seulement dénonce "l'impérialisme britannique" mais en plus explique l'entrée en guerre de la France par sa "soumission aveugle" à l'Angleterre impérialiste.

Autre élément, il exprime son adhésion à la condamnation pétainiste de la IIIe République comme "le régime de la dictature du mensonge".


Florimond Bonte

Dans une lettre datée du 1er octobre 1940, soit 1 an après la lettre au président Herriot dont il était l'un des deux signataires, Florimond Bonte, député de la Seine et membre du Comité central, sollicite le maréchal Pétain pour obtenir la libération des 27 députés communistes emprisonnés :

Nous avions raison de réclamer la paix. [...] Nous avons droit à l'annulation de notre procès. Nous avons droit immédiatement à la liberté ". (1)

On pourra lire un extrait de la lettre de Florimond Bonte dans un livre de J.P. Besse et C. Pennetier publié en 2006 sous le titre Juin 1940 La négociation secrète avec la précision qu'elle avait été récemment découverte.

(1) J.P. Besse, C. Pennetier, Juin 1940 La négociation secrète, 2006, p. 75.


Georges Lévy et Gaston Cornavin

Député du Rhône, Georges Lévy et Gaston Cornavin, député du Cher et membre du Comité central, présente plusieurs points communs.

Tout d'abord les deux parlementaires étaient détenus à la prison de Valence. Ensuite, ils ont tous les deux adressé une lettre au président de la Cour de Riom. Le premier à la date du 30 octobre 1940 (1), le second le 8 novembre 1940. Autre élément, dans sa publication des lettres des députés communistes sur plusieurs numéros de mai 1951, Le Populaire n'a publié que quelques lignes de ces deux textes au motif que les deux auteurs étaient décédés. Enfin, un livre de A. Rossi de 1954, La guerre des papillons, en a aussi reproduit quelques lignes.

On citera un premier extrait de la lettre de Lévy du 30 octobre 1940 tiré du livre de Rossi (qui l'a date du 8 novembre 1940) :

"M. Georges Lévy demande lui aussi, le 8 novembre, à être entendu : « Il n'est pas possible que vous paraissiez vouloir donner en pâture quelques coupables seulement à la colère du Peuple, il est nécessaire que tous les coupables soient poursuivis. Vous n'ignorez pas qu'ils sont nombreux; ce sont tous les représentants de la Nation, à l'exception de l'ancien groupe communiste... Ils ont proclamé l'état de guerre sans l'approbation des Chambres, ils ont violé la Constitution de 1875 alors en vigueur »; et après un exposé des fautes que la France aurait commises entre les deux guerres dans sa politique étrangère, toujours « à la remorque de l' Angleterre », il conclut : « Il vous apparaîtra, à la lumière des explications ci-dessus, l'intérêt que présente notre témoignage pour la manifestation de la Vérité. »". (2)

En complément, l'extrait publié dans Le Populaire du 19 mai 1951 :

« A l'heure où vous vous apprêtez à juger MM. Daladier, Reynaud, etc., je demande à être entendu comme témoin...
« Le procès de demain est lié à celui d'hier : la reconnaissance de la culpabilité des accusés sera par là même la reconnaissance de mon innocence... »

La lettre de Cornavin du 8 novembre 1940 est partiellement reproduite dans le livre de Rossi :

"Le haut Tribunal que vous présidez va juger incessamment les hommes d'Etat sur qui pèse la responsabilité de l'entrée de la France dans la guerre et de la tragique situation où, de ce fait, notre pays se trouve plongé. L'enquête et le procès doivent, selon les déclarations officielles, s'étendre à tous les responsables sans exception. Il m'apparait, dans ces conditions, que mon témoignage peut utilement concourir à l'affirmation de la vérité... L'entrée de la France dans la guerre fut faite illégalement, en violation de la Constitution 1875 alors en vigueur... Seuls, les députés communistes résistèrent au courant belliciste ainsi déclenché... Tous les parlementaires et les chefs de tous les partis, à l'exception des seuls communistes, approuvèrent la politique gouvernementale tant intérieure qu'extérieure, l'acclamèrent et votèrent toutes les illégalités perpétrés... Le peuple français paie aujourd'hui, de son sang, de ses souffrances, des ruines qui s'accumulent sur le sol du pays, les crimes des hommes et des partis qui l'ont plongé dans la guerre. Il a le droit total, absolu, souverain, d'exiger toute la vérité et de connaître tous les responsables, afin que le châtiment soit juste et le garantisse contre tout retour de pareils agissements. Le duper serait le trahir à nouveau... C'est pourquoi j'ai l'honneur de demander à être cité comme témoin devant la Cour dans le procès qui va s'ouvrir." (3) 

Gaston Cornavin résume d'une phrase la position des communistes pendant la guerre de 1939-1940 : "seuls, les députés communistes résistèrent au courant belliciste".

(1) Dans Le Populaire du 19 mai 1951, la lettre de Lévy est datée du 30 octobre 1940. Le journal socialiste rapporte qu'elle a été retrouvée par Henri Noguès dans les archives de la Cour de Riom. Dans son livre, Rossi indique qu'il a pu consulter "le texte" des lettres de Lévy et de Cornavin et les date toutes les deux du 8 novembre 1940. On retiendra la date du 30 octobre 1940.
(2) A. Rossi, La guerre des papillons, 1954, p. 34
(3) Ibid, p. 34.


Virgile Barel

Le 11 novembre 1940, les étudiants et lycéens parisiens se rassemblent à l'Etoile et sur les Champs-Elysées pour commémorer malgré l'interdiction de l'occupant allemand l'armistice victorieux de 1918.

Au même moment, Virgile Barel, député des Alpes-Maritimes détenu à la prison de Valence, écrit une lettre au maréchal Pétain :

"En ce jour anniversaire de l'armistice qui a terminé la guerre de 1914-18, j’ai l’honneur de vous présenter les réflexions suivantes dans le dessein d'obtenir d’être appelé comme témoin lors du procès de Riom.
J’ai le souvenir de l'immense soulagement que nous avons ressenti, nous, les combattants, le 11 novembre 1918 parce que prenaient fin nos souffrances de guerre. [...] J'ai enfin le souvenir du serment que j'ai fait et qu'ont fait mes camarades des tranchées : Nous jurons de faire tout notre possible pour empêcher qu'une pareille tuerie frappe nos enfants.
[...] Nous avons, en octobre 1939, une fois de plus, tenu notre serment de lutte contre la guerre impérialiste en demandant que soient étudiées les éventuelles propositions de paix. C'était là le but de la lettre que le Groupe ouvrier et paysan français de la Chambre des députés, dont je faisais partie, écrivait au président de cette Assemblée.
[...] C'est un infâme déni de justice que de nous avoir fait condamner à 5 ans de prison, à 4.000 francs d'amende et à la privation des droits civils et politiques pour ne pas avoir désavoué cette lettre et ne pas avoir trahi notre serment d‘éviter à la France une nouvelle guerre, comme nous en avions reçu mandat de 1.500.000 électeurs français.
Cette iniquité, ce sont les ex-présidents du Conseil Daladier et Paul Reynaud qui l’ont commise. Maintenant ces hommes politiques sont accusés d’avoir voulu et déclaré illégalement la guerre dont notre pays subit et subira les terribles conséquences. Ils sont traduits devant le Tribunal suprême de Riom. Je demande à être entendu à sa barre comme témoin à charge."


Lucien Midol

Député de Seine-et-Oise et membre du Comité central, Lucien Midol écrit le 8 décembre 1940 depuis la prison de Valence au président de la cour de Riom :

"J’ai l'honneur de vous demander à être entendu comme témoin dans le procès intenté contre MM. Daladier, P. Reynaud, Gamelin, et en général, contre ceux qui sont considérés par le gouvernement actuel comme les responsables de la déclaration de guerre en 1939, et la défaite de notre pays en 1940. [...]
Mes amis communistes et moi-même avons toujours lutté en faveur de la paix juste et durable entre les peuples. Nous avons été contre le traité de Versailles, contre l’occupation de la Ruhr, pour l'entente avec la République allemande de Weimar. Nous avons été contre une politique de compromis et de capitulation qui ne diminuait pas les dangers de guerre, mais qui augmentait, à notre désavantage, la puissance de l’agresseur possible. Nous avons été pour une politique étrangère française, indépendante de celle des nations voisines, appuyée par des pactes de sécurité collective, comme le pacte d’assistance mutuelle franco-soviétique que M. Laval a signé à Moscou en 1935. [...]
Je pense cependant, qu'en apportant à la barre de votre juridiction les faits précis que j’ai pu découvrir dans la bataille que mes amis et moi avons menée, aux risques de notre liberté, contre la politique dénoncée actuellement, j'aiderai à la découverte des coupables. Ils ne comprennent certainement pas uniquement les chefs responsables des gouvernements, mais leurs collaborateurs dans les conseils gouvernementaux, dans les hautes directions ministérielles, dans les comités consultatifs ou conseils supérieurs dépendant de ces ministères, ainsi que ceux qui les ont soutenus et approuvés par leurs votes jusqu’au moment de la débâcle, même si actuellement ils ont fait amende honorable. [...]
J’espère, Monsieur le Président, qu'après avoir pris connaissance de cet exposé sommaire, vous accueillerez favorablement ma demande et vous prie d’agréer, Monsieur le Président, l'assurance de ma parfaite considération.

Deux remarques. Tout d'abord, Midol se propose non seulement de témoigner contre ceux qui sont déjà poursuivis par la Cour de Riom, mais aussi d'offrir de nouvelles victimes à la justice d'exception du maréchal Pétain. Ensuite, il rend hommage à Pierre Laval qui à la date de la lettre est... vice-président du Conseil et le dauphin désigné du maréchal Pétain.


Alfred Costes

Datée du 8 décembre 1940, la lettre d'Alfred Costes, député de la Seine détenu à la prison du Puy, est adressée au maréchal Pétain :

"Au cours d’une visite que m'a faite dernièrement un de mes proches, j’ai appris qu’il était constitué une Cour suprême de justice pour juger les responsables de la catastrophe dans laquelle est plongé notre pays. J’ai appris que parmi les accusés figuraient notamment MM. Léon Blum, Daladier, Paul Reynaud, etc., et que leur procès allait s'ouvrir incessamment.
Dans ces conditions, Monsieur le Maréchal, j'ai l'honneur de vous demander d'être cité à comparaître devant la Cour suprême en qualité de témoin à charge.
Les raisons qui font que je sollicite cet honneur sont de deux ordres. Premièrement, en qualité de secrétaire général puis président du syndicat des ouvriers métallurgistes et de l’aviation, ensuite comme vice-président et membre de la Commission de l'aéronautique de la Chambre des députés, je puis apporter à la justice des éléments d’appréciation que je puis seul apporter. [...]
Vous avez, Monsieur le Maréchal, fait des promesses solennelles au pays, déclarant que les responsables de cette catastrophe seraient punis, et que ceux qui auraient eu l'audace de se dresser contre cette politique criminelle et qui auraient souffert de ce fait seraient réhabilités.
Alors, j'ai confiance, Monsieur le Maréchal, ma comparution au procès des responsables, devant la Cour suprême, sera un commencement de justice et le début de la révision du procès inique qui nous fut intenté à mes amis et à moi."

Comme ses camarades, Alfred Costes demande à être entendu par la Cour de Riom et espère que ce témoignage au service de Vichy sera la première étape de sa réhabilitation.