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"Maintien de l'armistice et répression énergique de toute action tendant à entraîner à nouveau le peuple français dans la guerre." (Jacques Duclos, chef du Parti communiste clandestin, le 30 juin 1940)

Le 30 juin 1940, huit jours après la signature de l'armistice franco-allemand, Jacques Duclos rédige à l'attention de l'Internationale communiste un long et détaillé rapport sur son action à la tête du Parti communiste clandestin depuis sa prise de fonction à son arrivée à Paris le 15 juin 1940.

Dans ce rapport il expose sous la forme d'un programme revendicatif la position que défend le PCF dans une France défaite et occupée par les nazis :

"Pour ce qui est de notre programme revendicatif voici où nous en sommes.

Politique intérieure
Libération de tous les défenseurs de la paix, communistes et autres, jetés en prison ou internés dans les camps de concentration pour avoir combattu la guerre. [...]

Politique extérieure
Maintien de l'armistice et répression énergique de toute action tendant à entraîner à nouveau le peuple français dans la guerre.
Soutien des peuples coloniaux dans la lutte pour leurs revendications et leur indépendance
Conclusion d'un pacte d'amitié avec l'URSS qui compléterait le pacte germano-soviétique et constituerait un important facteur de pacification européenne". (1)

Revendications communistes
 
On citera cinq documents qui reflètent la ligne fixée par le chef du Parti communiste clandestin.
 
Tout d'abord, l'appel au "Peuple de Paris" du 25 juin 1940 :

"L'armistice est signé. Nos soldats ne se battent plus et, tandis qu'a cessé le bruit du canon, nos pensées vont à tous ceux qui sont restés sur les champs de bataille, aux mères, aux veuves, aux orphelins, aux mutilés, à toutes les pitoyables victimes de la guerre.
C'est en vain que les agents de l'impérialisme britannique essayent maintenant de persuader le peuple de France qu'il doit poursuivre maintenant la guerre pour le compte des financiers de la Cité et, tandis que ces messieurs tentent d'étendre le feu de la guerre aux colonies, les communistes disent aux peuples coloniaux : "Mettez à profit les difficultés de vos oppresseurs pour briser vos chaînes, pour vous libérer, pour conquérir votre indépendance." [...]
Voilà pourquoi le peuple de Paris, interprète des sentiments du peuple de France tout entier, décidé à préparé un avenir meilleur sous le signe du travail, de la justice, de la paix et de la fraternité des peuples demande :
1° La libération des élus du peuple et des militants jetés en prison pour avoir défendu la paix, et le rétablissement des représentants du peuple déchus de leurs droits et de leurs fonctions. [...]
Mais un tel programme ne sera pas réalisé par un gouvernement de syndics de faillite, par un gouvernement de militaires vaincus et de vieux politiciens de retour au passé chargé, à la Laval, Frossard et compagnie.
Le gouvernement que le pays attend et que les événements imposent, c'est un gouvernement populaire démocratique, s'appuyant sur le peuple, lui inspirant la confiance, lui donnant des raisons de travailler et d'espérer, un gouvernement de lutte contre la ploutocratie, composé d'hommes courageux, honnêtes, ayant donné des preuves de leur dévouement à la cause du peuple, un gouvernement décidé à maintenir la paix, un gouvernement décidé à poursuivre avec l'URSS, pays du socialisme, une politique d'amitié qui compléterait heureusement le Pacte germano-soviétique et contribuerait à créer les conditions d'une paix juste et durable."

Aussi compromettant par son contenu que par son destinataire, le deuxième texte est une lettre du 26 juin 1940 demandant aux autorités allemandes l'autorisation de publier l'Humanité :

"Nous demandons donc l'autorisation de publier l'Humanité sous la forme dans laquelle elle se présentait à ses lecteurs avant son interdiction par Daladier au lendemain de la signature du pacte germano-soviétique. [...]
L'Humanité, publiée par nous, se fixerait pour tâche de dénoncer les agissements des agents de l'impérialisme britannique qui veulent entraîner les colonies françaises dans la guerre, et d'appeler les peuples coloniaux à lutter pour leur indépendance contre les oppresseurs impérialistes. [...]
L'Humanité, publiée par nous, se fixerait pour tâche de poursuivre une politique de pacification européenne et de défendre la conclusion d'un pacte d'amitié franco-soviétique qui serait le complément du pacte germano-soviétique et ainsi créerait les conditions d'une paix durable."

Citons aussi un article publié dans l'Humanité n° 58 du 1 juillet 1940 sous le titre "Les revendications du Peuple de France" :

"Le Peuple de France soucieux d'assurer le redressement économique et moral du pays demande :
1°) La libération de tous les défenseurs de la Paix et le rétablissement dans leurs fonctions des élus du peuple déchus pour avoir défendu la Paix. [...]
7°) Le maintien de la Paix et la conclusion d'un pacte d'amitié franco-soviétique qui compléterait le pacte germano-soviétique et qui permettrait la conclusion d'un accord commercial avec l'Union soviétique pour éviter la famine."
 
Un autre texte, un tract diffusé au début de juillet 1940 sous le titre "La bande à Doriot" :

"Dans l'avilissement des consciences et l'étalage de la méprisable lâcheté, un Parti s'est dressé seul dans la tempête, c'est le Parti Communiste; les hommes ont tout bravé, la prison, la mort, pour dire la vérité, dénoncer les fauteurs de guerre capitalistes, défendre le pacte germano-soviétique et demander la Paix; ces hommes ce sont les communistes avec à leur tête Thorez, Duclos, Marty Frachon, Bonte, etc...
C'est vers ces hommes qui n'ont pas courbé la tête, que monte la confiance du peuple de notre pays qui veut en finir avec le capitalisme pour se sauver, qui sait qu'un pacte d'amitié franco-soviétique, complétant le pacte germano-soviétique ouvrirait une ère de Paix, et qui sait aussi que si on a conduit la France à la catastrophe sous le signe de l'anti-soviétisme on ne pourra la relever que sous le signe de la fraternité des peuples et de l'amitié de l'URSS."
 
Un dernier exemple, un article publié dans l'Humanité n° 59 du 4 juillet 1940 sous le titre "Le peuple de France veut la paix" :

"Il [Le peuple de France] demande d'énergiques mesures contre tous ceux, qui par ordre de l'Angleterre impérialiste, voudraient entraîner à nouveau les Français dans la guerre.
Il demande la conclusion d'un pacte d'amitié franco-soviétique qui compléterait le pacte germano-soviétique et serait la garantie de la paix en Europe."

Au vu de tous ces éléments, la ligne politique du Parti communiste est claire et sans aucune ambiguïté :

- Il approuve l'armistice franco-allemand.
- Il condamne le Général de Gaulle et son appel à poursuivre le combat contre les envahisseurs allemands.
- Il appelle à l'indépendance des peuples coloniaux pour empêcher l'implantation de la France Libre dans les territoires de l'Empire français.
- Il défend la constitution d'un Gouvernement de Paix communiste.
- Il plaide pour la conclusion d'un pacte d'amitié franco-soviétique en précisant : 1) qu'il serait un complément du pacte germano-soviétique et donc conforme aux intérêts de l'Allemagne nazie, 2) qu'il serait la garantie de la paix en Europe autrement dit qu'il assurerait le succès d'une négociation de paix entre un Gouvernement communiste et Hitler, et inciterait en outre l'Angleterre à mettre fin au conflit anglo-allemand.

Ces prises de positions sont-elles caractéristiques de la Collaboration ou de la Résistance ?
 
Instructions de l'IC
 
Centrées sur la Paix avec l'Allemagne, les mesures formant la politique extérieure du PCF seront corrigées par l'IC dans un télégramme du 20 juillet 1940 signé par Georges Dimitrov, secrétaire général de l'IC, et Maurice Thorez, secrétaire général du PCF :

"Nécessaire corriger formule sur maintien armistice qui peut laisser croire que vous en approuvez les conditions. Préférable garder silence sur de Gaulle et de pas mettre l'accent contre Angleterre afin de ne pas faciliter politique Petain et ses protecteurs. Juste proposer entente avec URSS mais sans la présenter comme un complément pacte germano-soviétique et sans parler de pacification Europe." (2)

Les corrections portent sur trois points. Tout d'abord, le PCF est incité à ne pas utiliser dans ses textes pacifistes des formules ("maintien de l'armistice") suggérant qu'il approuve les termes de l'armistice négocié par le Maréchal Pétain.

Ensuite, Moscou lui demande de faire silence sur le Général de Gaulle et l'Angleterre pour ne pas légitimer l'antigaullisme et l'anglophobie de Vichy qui a rompu ses relations diplomatiques avec Londres après l'attaque de Mers el-Kébir le 3 juillet. Le PCF reprendra ses attaques contre le Général de Gaulle en septembre 1940 après la tentative de libération de l'AOF par la France Libre.

Enfin, concernant la revendication d'un pacte d'amité franco-soviétique, l'IC recommande de ne plus l'associer au pacte germano-soviétique et de ne plus en faire la garantie de la Paix en Europe. Dans sa forme initiale cette revendication marquait avec éclat l'alliance entre l'URSS et l'Allemagne.

L'intervention de l'IC permet de faire deux constats supplémentaires sur l'action du PCF à l'été 1940 :

1) Il était en relation avec l'Internationale communiste. Il n'était donc pas isolé.
2) Sa ligne pacifiste a été approuvé par l'IC. Il y avait donc un parfait accord entre Paris et Moscou sur la ligne politique du Parti. 
 
 
(2) B. Bayerlein, M. Narinski, B. Studer, S. Wolikow, Moscou, Paris, Berlin. Télégrammes chiffrés du Komintern, 1939-1941, 2003, p. 266.