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Lettre de Virgile Barel du 11 novembre 1940 adressée au maréchal Pétain

En complément de l'article "Quand les députés communistes écrivaient au maréchal Pétain pour demander leur libération et...", on reproduira ci-dessous la lettre de Virgile Barel du 11 novembre 1940 :

Valence, le 11 novembre 1940

A Monsieur le maréchal Pétain, chef de l’Etat français à Vichy.


Monsieur le Maréchal,

En ce jour anniversaire de l'armistice qui a terminé la guerre de 1914-18, j’ai l’honneur de vous présenter les réflexions suivantes dans le dessein d'obtenir d’être appelé comme témoin lors du procès de Riom.
J’ai le souvenir de l'immense soulagement que nous avons ressenti, nous, les combattants, le 11 novembre 1918 parce que prenaient fin nos souffrances de guerre. J’ai aussi le souvenir du leitmotiv des discours et des écrits des dirigeants de la France d'alors : écrasons le militarisme allemand et nous n'aurons plus de guerre. J'ai enfin le souvenir du serment que j'ai fait et qu'ont fait mes camarades des tranchées : Nous jurons de faire tout notre possible pour empêcher qu'une pareille tuerie frappe nos enfants.
Militant, puis député du parti communiste, j’ai, avec des millions de Français, respecté cet engagement et lutté contre toutes les menaces de guerre. Nous avons dénoncé le caractère impérialiste des guerres du Rif et de Syrie. Nous avons sans cesse agi pour que la France ait une politique de paix. Nous avons, avec force, dénoncé la trahison des intérêts de la France, de son peuple, par des gouvernants lors des accords de Munich. Nous avons, en octobre 1939, une fois de plus, tenu notre serment de lutte contre la guerre impérialiste en demandant que soient étudiées les éventuelles propositions de paix. C'était là le but de la lettre que le Groupe ouvrier et paysan français de la Chambre des députés, dont je faisais partie, écrivait au président de cette Assemblée.
C'est une imposture et une vile calomnie d'affirmer que cette lettre avait une autre intention. C'est un infâme déni de justice que de nous avoir fait condamner à 5 ans de prison, à 4.000 francs d'amende et à la privation des droits civils et politiques pour ne pas avoir désavoué cette lettre et ne pas avoir trahi notre serment d‘éviter à la France une nouvelle guerre, comme nous en avions reçu mandat de 1.500.000 électeurs français.
Cette iniquité, ce sont les ex présidents du Conseil Daladier et Paul Reynaud qui l’ont commise. Maintenant ces hommes politiques sont accusés d’avoir voulu et déclaré illégalement la guerre dont notre pays subit et subira les terribles conséquences. Ils sont traduits devant le Tribunal suprême de Riom. Je demande à être entendu à sa barre comme témoin à charge. Je le demande comme homme politique. Je le demande comme lieutenant de l'armée française ancien combattant, blessé trois fois et décoré de la croix de guerre et de la croix de la Légion d’honneur. Je le demande comme père de deux garçons, que j'ai eu la douleur de voir faire la guerre en cours. Je le demande comme citoyen français qui a consacré sa vie à défendre réellement les intérêts du peuple de France.
Veuillez agréer, Monsieur le Maréchal, mes salutations les plus distinguées.


Signé : Virgile BAREL.
ex-député des Alpes-Maritimes,
détenu à la prison de Valence (Drôme).