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Lettre d'Alfred Costes du 8 décembre 1940 adressée au maréchal Pétain

En complément de l'article "Quand les députés communistes écrivaient au maréchal Pétain pour demander leur libération et...", on reproduira ci-dessous la lettre d'Alfred Costes du 8 décembre 1940 :

Le Puy, le 8 décembre 1940

M. Alfred Costes, ex-député de la Seine,
ex-vice-président de la commission
de l'Aéronautique de la Chambre.
A Monsieur Philippe Pétain,
Maréchal de France, chef de l'Etat français


Monsieur le Maréchal,

Au cours d’une visite que m'a faite dernièrement un de mes proches, j’ai appris qu’il était constitué une Cour suprême de justice pour juger les responsables de la catastrophe dans laquelle est plongé notre pays. J’ai appris que parmi les accusés figuraient notamment MM. Léon Blum, Daladier, Paul Reynaud, etc., et que leur procès allait s'ouvrir incessamment.
Dans ces conditions, Monsieur le Maréchal, j'ai l'honneur de vous demander d'être cité à comparaître devant la Cour suprême en qualité de témoin à charge.
Les raisons qui font que je sollicite cet honneur sont de deux ordres. Premièrement, en qualité de secrétaire général puis président du syndicat des ouvriers métallurgistes et de l’aviation, ensuite comme vice-président et membre de la Commission de l'aéronautique de la Chambre des députés, je puis apporter à la justice des éléments d’appréciation que je puis seul apporter.
Au cours des quatre dernières années j'ai, parlant au nom des ouvriers, ou à la tête des délégations ouvrières, fait aux ministres responsables, des propositions tendant à l'amélioration de la production, à faire baisser les prix de revient; j’ai dénoncé les sabotages et les saboteurs de la construction aéronautique française. Toutes ces propositions et ces avertissements ont été faits par écrit. Les ministres responsables en reconnaissaient le bien-fondé, mais aucune suite n’a été donnée pour pallier à ces défauts, à ces sabotages. Pourquoi ? Parce que l'on protégeait les trusts, dont vous avez vous-mêmes, Monsieur le Maréchal, dénoncé la malfaisance. Par le même visiteur, j'ai appris que des hommes qui avaient fait passer leurs intérêts, leurs profits avant l'intérêt supérieur du pays, la puissance de notre aviation et la sécurité du personnel naviguant, sont arrêtés ou décrétés d’arrestation.
La haine dont j’ai été personnellement l’objet de la part des Weiler, des Bloch, des Borel, et autres est tout à mon honneur à la fois d'élu du peuple et de Français, car j'ai dénoncé ces hommes alors tout-puissants quand tout le monde se taisait.
Les ministres sur lesquels pèsent aujourd'hui des responsabilités écrasantes ont été tenus au courant par moi des agissements scandaleux des dirigeants de trusts et de l’industrie aéronautique.
Rien n'a été fait. La bureaucratie et les ministres responsables ont sauvé les Weiler et les autres.
Comme vice-président de la commission de l'Aéronautique de la Chambre, j'ai porté ces faits à la connaissance de mes collègues, rien n’a été fait pour changer à cet état de choses.
Comme secrétaire de la sous-commission permanente de vérification de la construction du matériel aéronautique, je fus, par la commission de l'Air, chargé de missions en France et à l’étranger. Chaque fois j'ai attiré l'attention de la commission sur la déficience de nos fabrications. Plus, j'ai personnellement attiré l'attention de M. Daladier et du secrétaire général, M. Jacomet, sur les conclusions déposées par moi et sur les moyens tendant à remédier à ces insuffisances.
Que devinrent les rapports que j'ai déposés ou qui furent inspirés par moi ? Ils furent sabotés. Bien plus, Monsieur le Maréchal, j'ai eu la douleur de voir des réponses à mes rapports portant la signature du chef de cabinet militaire du ministère de l'Air, qui, loin d'adopter les conclusions que j'avais déposées, les tournait en ridicule, au moyen de contre-vérités évidentes.
Le malheur, c'est que la guerre a démontré que c'est moi qui avais raison. D’ailleurs, lors du procès inique qui me fut intenté, à mes collègues et à moi, j'ai pu esquisser quelques révélations que me permettait le huis clos, mais ce n’est rien à côté de ce que je sais.
Car le scandale des matières premières et des produits semi-finis (duralumin et magnésium), le scandale des marchés et des avenants, le sabotage de la production par la désorganisation des services, la raréfaction des matières, le scandale des moteurs, de leur vérification, etc., tout cela a été dit et redit à la fois à la commission de l'Air et aux ministres responsables, président du Conseil et ministres de la Défense nationale.
Au lieu de sévir, les ministres ont protégé les responsables. Ils avaient, vous l'avez dit vous-même, érigé le mensonge en dictature.
Pour me fermer la bouche et celle de mes amis, ces ministres responsables ont violé la Constitution, fait une pression scandaleuse sur la justice pour obtenir notre condamnation, cela devant le vide de notre dossier, dont le ridicule le disputait à l’odieux.
Vous avez, Monsieur le Maréchal, fait des promesses solennelles au pays, déclarant que les responsables de cette catastrophe seraient punis, et que ceux qui auraient eu l'audace de se dresser contre cette politique criminelle et qui auraient souffert de ce fait seraient réhabilités.
Alors, j'ai confiance, Monsieur le Maréchal, ma comparution au procès des responsables, devant la Cour suprême, sera un commencement de justice et le début de la révision du procès inique qui nous fut intenté à mes amis et à moi.
J’ajoute que les ouvriers et les techniciens de l'aéronautique qui me témoignent toujours leur estime seraient heureux de savoir que je suis convoqué au procès des responsables, car ces ministres ont menti à l'opinion et au pays en accusant les ouvriers de fautes qui étaient les crimes de ceux qui ont dirigé le pays.
Veuillez agréer, Monsieur le Maréchal, l'expression de ma haute considération.


Alfred Costes,
ex-député de la Seine,
ex-vice-président de la commission de l’aéronautique
Maison d’arrêt du Puy (Haute-Loire)