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"Vainqueurs, nous serons les domestiques de Chamberlain" (Le procès des députés communistes de mars-avril 1940 : ses causes et ses suites)

Le 20 mars 1940 s'ouvre devant le 3e tribunal militaire de Paris le procès de 44 députés du groupe ouvrier et paysan français anciennement groupe communiste.

Inculpés en octobre 1939, incarcérés à la même période à l'exception des neuf députés toujours en fuite, déchus de leur mandat le 20 février 1940, ces anciens parlementaires seront jugés en vertu du décret de dissolution du PCF pour une double infraction : 1) la constitution du GOPF, 2) la diffusion d'une lettre adressée au président de la Chambre dans laquelle ils prônaient la Paix sous les auspices de l'URSS.

Pendant l'instruction, ils sont restés fidèles au Parti et à sa ligne pacifiste à l'exemple de François  Billoux, député des Bouches-du-Rhône et membre du Bureau politique, qui au cours d'une audition à dénoncer l'illégitimité de la guerre en affirmant qu'une victoire de l'ennemi nazi ou de l'allié anglais condamnerait indifféremment la France à la servitude :

"Cette guerre sera néfaste pour la France. Vaincus, nous serons les esclaves d'Hitler. Vainqueurs, nous serons les domestiques de Chamberlain."

Au cours du procès, ils feront de même avec comme fait marquant la Déclaration prononcée par François Billoux au nom de ses co-accusés, à l'exception de 5 refus :

"Nous sommes poursuivis parce que nous nous sommes dressés et que nous dressons avec la dernière énergie contre la guerre impérialiste qui sévit sur notre pays, parce que nous appelons le peuple à exiger qu'il y soit mis fin par la paix, parce que nous indiquons au peuple de France le moyen de rendre notre pays libre et heureux. [...]
Communistes français. Avec Maurice Thorez, André Marty, Jacques Duclos, et tous nos amis co-inculpés, nous travaillons à la libération de notre pays.
Nous voulons le débarrasser de la guerre.
Nous appelons le peuple à imposer la paix."

Dans son jugement rendu le 3 avril 1940, le tribunal militaire condamne 27 députés communistes à 5 ans de prison ferme (peine maximale prévue par le décret de dissolution), 9 à la même peine par contumace et 8 à 4 ans de prison avec sursis.

Incarcérés à la prison militaire de la Santé, François Billoux et ses 26 camarades seront transférés en juin 1940 dans le sud en raison de l'avancée des armées allemandes sur Paris.

Dans les 6 premiers mois de l'occupation allemande, plusieurs d'entre eux écriront aux autorités de Vichy pour demander leur libération au nom de leur engagement en faveur de la Paix avec les nazis et proposer leur témoignage contre les dirigeants de la IIIe République accusés par la Cour suprême de justice d'être les responsables de la guerre et de la défaite.

Un exemple, la lettre de François Billoux du 19 décembre 1940 adressée à... "Monsieur le Maréchal Pétain, chef de l'Etat français" :

"Si vous voulez donc en finir avec les mensonges, monsieur le Maréchal, il faut aussi libérer immédiatement tous les communistes et les seuls députés qui se sont dressés contre la guerre. [...]
Etant donné que rien n'a été publié sur les débats en huis-clos de notre procès, où nous avions dénoncé les vrais fauteurs de guerre, je demande à être entendu comme tous mes amis, en qualité de témoin par la Cour suprême de Riom".

Transférés à la prison de Maison-Carrée en Algérie en mars 1941, les députés communistes seront libérés en février 1943.
 
Deux raisons pour expliquer cette remise en liberté. Tout d'abord, l'entrée du PCF dans la Résistance à la suite de l'attaque allemande contre l'URSS le 22 juin 1941. Ensuite, le débarquement anglo-américain de novembre 1942 qui a libéré ce territoire de la tutelle de Vichy.
 
Condamnés pour leur démarche en faveur de la Paix avec Hitler, libérés pour des motifs politiques et sans aucune base juridique, les députes communistes seront amnistiés par le Général de Gaulle en juillet 1943.

Le présent texte est composé de sept parties. La Partie I portera sur la création du GOPF et son initiative en faveur de la Paix qui a pris la forme d'une lettre adressée au président de la Chambre dans les jours qui ont suivi le partage de la Pologne entre l'URSS et l'Allemagne. Dans la Partie II, on évoquera les propositions de Paix formulées par Hitler le 6 octobre 1939 et leur rejet par la France et l'Angleterre. La Partie III sera consacrée à la procédure judiciaire engagée par la justice militaire contre le GOPF (phase d'instruction). 
 
La Partie IV relatera les conditions dans lesquelles les députés communistes ont été déchus de leur mandat en février 1940. Leur  procès de mars-avril 1940 sera l'objet de la Partie V. Dans la Partie VI, on reviendra sur les lettres que les députés communistes ont envoyées depuis leurs prisons aux officiels de Vichy dans le second semestre de 1940. La Partie VII traitera de l'ordonnance du 1er juillet 1943 amnistiant toutes les infractions au décret de dissolution du PCF.


Partie I

Groupe ouvrier et paysan français

Le 1er septembre 1939, Hitler attaque la Pologne avec comme motif le refus du gouvernement polonais de satisfaire des revendications territoriales qu'il juge légitimes et limitées. Alliées des Polonais, la France et l'Angleterre réagissent le 3 septembre en déclarant la guerre à l'Allemagne nazie.
 
Le 26 septembre, soit trois semaines après le début du conflit, le Conseil des ministres adopte sur la proposition du ministre de l'Intérieur, Albert Sarraut, radical-socialiste, un décret-loi prononçant la dissolution de la Section Française de l'Internationale Communiste autrement dit le Parti communiste français (PCF).
 
Cette décision du gouvernement dirigé par Edouard Daladier, radical-socialiste, s'explique par la mobilisation du Parti communiste en faveur de l'alliance germano-soviétique et de la Paix avec les nazis qui s'est manifestée dans son approbation du Pacte de non-agression signé le 23 août entre l'URSS et l'Allemagne, dans son soutien à l'entrée des troupes soviétiques en Pologne le 17 septembre et enfin dans l'adoption le 21 septembre par son Comité central d'une résolution intitulée "Il faut faire la Paix".

Le 27 septembre, jour de la publication du décret de dissolution, les députés du groupe communiste décident de former un nouveau groupe parlementaire.

Ce nouveau groupe est formellement constitué le lendemain sous le nom de groupe ouvrier et paysan français. Sa création est annoncée au Journal officiel du 29 septembre 1939. Pour marquer son absence de tout lien avec la IIIe Internationale son programme fait référence à la plateforme de 1880 du Parti ouvrier français de Jules Guedes. 
 
Sur les 74 députés communistes issus des élections législatives de 1936 et des partielles qui les ont suivi, 53 rejoindront le GOPF. Les autres n'adhéreront pas soit parce qu'ils sont mobilisés (18) soit parce qu'ils ont rompu avec le PCF (3).


Lettre au président Herriot

Le 28 septembre 1939, l'URSS et l'Allemagne signent un Traité de frontières et d'amitié qui organise le partage de la Pologne entre les deux signataires et fonde sur cette double annexion territoriale "le développement et le progrès des relations amicales entre leurs peuples".

Signé à Moscou après deux jours négociations auxquelles ont participé Ribbentrop, Molotov et Staline, ce second Pacte germano-soviétique met fin au conflit germano-polonais qui avait débuté quelques jours après la signature du premier à la fin du mois d'août.
 
Preuve supplémentaire de leur alliance, les deux bourreaux du peuple polonais signent le même jour une Déclaration conjointe. Dans ce texte, jugeant qu'avec la disparition de la Pologne il n'y a plus de motif de guerre, Moscou et Berlin appellent la France et l'Angleterre à s'engager dans des négociations de Paix avec Hitler en insistant sur le point suivant : en cas d'échec de ces négociations, les Français et les Anglais porteront la responsabilité de la continuation de la guerre.

Une seule formation politique va apporter son soutien à cette offensive de Paix hitléro-stalinienne : le Parti communiste français. Son objectif : démontrer que sa capacité d'action en faveur de la Paix avec les nazis n'a pas été altérée par sa dissolution. Son mode d'action : la mobilisation de son groupe parlementaire.

Dernière tribune légale du Parti, le groupe ouvrier et paysan français remet le 2 octobre 1939 une lettre au président de la Chambre, Edouard Herriot, radical-socialiste, dans laquelle il affirme que "La France va se trouver incessamment en présence de propositions de paix" et demande en conséquence l'organisation d'un vote du Parlement en faveur d'une "paix juste, loyale et durable, que du fond de leur cœur souhaitent tous nos concitoyens."

Pour justifier sa démarche, le groupe parlementaire communiste accuse la France et l'Angleterre d'être les responsables de la guerre, dénonce les conséquences d'une guerre longue, condamne la presse belliciste et enfin invoque la diplomatie soviétique.

Datée du 1er octobre 1939, la lettre est signée au nom du groupe ouvrier et paysan français par Arthur Ramette et Florimond Bonte, respectivement président et secrétaire général du groupe parlementaire communiste.
 
Répondant à l'objectif du Parti communiste de faire connaître son initiative en faveur de la Paix (initiative qualifiée de "coup d'éclat" par Maurice Thorez, secrétaire général du PCF) à l'ensemble de la population française et à la représentation nationale, des copies de cette lettre seront remises aux correspondants de la presse présents à la Chambre et envoyées par courrier à tous les députés.

Au final, la démarche du GOPF provoquera une réaction indignée de presse, une condamnation de tous les partis politiques et le plus important l'ouverture d'une procédure judiciaire pour infraction au décret de dissolution du PCF.


Partie II

"Paix de trahison"

Le 6 octobre 1939, le chancelier Hitler célèbre la victoire allemande en Pologne dans un discours prononcé devant le Reichstag 

Formulant à la fin de son intervention des propositions de Paix, le dictateur nazi avance l'idée d'une conférence internationale sur l'organisation politique et économique du continent européen ainsi que sur... son désarmement en posant une exigence identique à celle contenue dans la déclaration germano-soviétique du 28 septembre : la France et l'Angleterre doivent approuver le partage de la Pologne entre l'Allemagne nazie et la Russie soviétique.

Dans son allocution radiodiffusée le 10 octobre, le président du Conseil, Edouard Daladier, rejettera les propositions de paix allemandes et condamnera les communistes pour leur soutien à une "paix de trahison" :

"Il y a quelques semaines à peine que les chefs communistes se présentaient à vous comme de farouches patriotes. C'étaient, à les entendre, de nouveaux Jacobins. Ils n'avaient pas de mots assez durs et même pas assez d'injures pour flétrir les efforts pacifiques du gouvernement.
Ils annonçaient dans les meetings qu'ils seraient à la pointe du combat contre Hitler et contre ses armées, pour la liberté, pour la patrie, et il a suffi que les bolchevistes trouvent leur intérêt à s'entendre avec les nazis et à partager avec eux la Pologne pour que ces mêmes grands patriotes fassent l'apologie d'une paix de trahison [Lettre du GOPF]. [...]
Ni la France ni la Grande-Bretagne, en effet, ne sont entrées en guerre pour soutenir une sorte de croisade idéologique. Ni la France ni la Grande-Bretagne ne sont davantage entrées en guerre par esprit de conquête. Elles ont été obligées de combattre parce que l'Allemagne veut leur imposer sa domination sur l'Europe. [...]
Je sais bien qu'on vous parle aujourd'hui de paix, de la paix allemande, d'une paix qui ne ferait que consacrer les conquêtes de la ruse ou de la violence et n'empêcherait nullement d'en préparer de nouvelles.
A quoi se résume en effet le dernier discours du Reichstag ? A ceci : J'ai anéanti la Pologne, je suis satisfait, arrêtons le combat, tenons une conférence pour consacrer mes conquêtes et organiser la paix. [...]
Certes, nous avons toujours désiré et nous désirons toujours qu'une collaboration sincère et une entente loyale puissent être établies entre les peuples, mais nous sommes résolus à ne pas nous soumettre aux « diktats » de la violence. Nous avons pris les armes contre l'agression; nous ne les reposerons que lorsque nous aurons des garanties certaines de sécurité, d'une sécurité qui ne soit pas mise en question tous les six mois. [...]
La France, à qui la guerre a été imposée, tient au combat le même langage qu'elle a toujours tenu. J'affirme donc, en votre nom, que nous combattons et que nous continuerons à combattre pour obtenir une garantie définitive de sécurité."

De même, dans son discours prononcé à la Chambre des Communes le 12 octobre, le premier ministre anglais, Neville Chamberlain, repoussera les proposition de Paix du chancelier Hitler :

"Il faut en conclure que les propositions que présente le chancelier du Reich pour ce qu'il appelle « la certitude de la sécurité européenne » doivent être fondées sur la reconnaissance de ces conquêtes et le droit de faire de ceux qu'il a vaincus ce que bon lui semblera. Il serait impossible à la Grande-Bretagne d'accepter aucune base de ce genre sans forfaire à l'honneur et abandonner sa thèse que les différends internationaux doivent être réglés par la discussion et non pas par la force. [...]
Ce ne fut donc pas dans un dessein de vengeance que nous sommes entrés dans cette guerre, mais tout simplement pour la défense de la liberté. Ce n'est pas seulement la liberté des petites nations qui est en jeu. Ce qui est également menacé, c'est l'existence, dans la paix, de la Grande-Bretagne, des Dominions, de l'Inde, de tout l'Empire britannique, de la France et, en fait, de tous les pays épris de liberté. Quel que soit le résultat de cette lutte et quelle que soit la façon dont on y mettra fin, le monde ne sera plus celui que nous aurons connu auparavant. [...]
Les propositions contenues dans le discours du Chancelier sont vagues, indéfinies et ne comportent aucune suggestion tendant à la réparation des torts infligés à la Tchéco-Slovaquie et à la Pologne. 
Même si les propositions de M. Hitler étaient définies et contenaient des suggestions en vue du redressement de ces torts, il faudrait encore se demander par quels moyens pratiques le gouvernement allemand se propose de convaincre le monde que désormais l'agression cessera et que les engagements pris seront tenus. L'expérience passée nous a démontré qu'il est impossible d'avoir confiance dans les promesses du gouvernement allemand actuel. Et c'est pourquoi, il faut maintenant plus que des paroles, il faut des actes pour que nous, les peuples britanniques et la France, notre vaillante et fidèle alliée, soyons fondés à mettre fin à des opérations de guerre que nous entendons poursuivre avec le maximum de nos forces."

Le refus de la France et de l'Angleterre de reconnaître comme un fait acquis le partage de la Pologne entre l'Allemagne et l'URSS et donc d'engager des négociations de Paix avec Berlin marque l'échec à la fois de la diplomatie soviétique et de l'initiative pacifiste des députés communistes.


Partie III

Justice militaire

Le 5 octobre 1939, sur les instructions du général Héring, gouverneur militaire de Paris, le colonel Loriot, commissaire du gouvernement auprès du 3e tribunal militaire de Paris, ouvre une information judiciaire contre Arthur Ramette et Florimond Bonte - les deux signataires de la lettre au président Herriot - et tous autres que l'information fera connaître pour infraction au décret de dissolution du Parti communiste.

Cette information judiciaire est confiée au capitaine de Moissac, juge d'instruction au 3e tribunal militaire de Paris.

Jugeant que la constitution du groupe ouvrier et paysan français est une infraction à l'article 1 du décret de dissolution qui proscrit toute activité ayant pour objet de propager les mots d'ordre de la IIIe Internationale et que la lettre au président Herriot est une infraction à l'article 3 du même décret qui interdit la publication, la circulation et la distribution des écrits tendant à propager les mots d'ordre de la IIIe Internationale, le magistrat instructeur inculpera en quelques jours tous les membres du GOPF, à l'exception de Mercier.

Le décret de dissolution prévoit que toute infraction à ses articles sera punie d'un an à cinq ans de prison et de 100 à 5 000 francs d'amende. Peine accessoire : la privation des droits civiques, civils et de famille.

Dans son enquête, le capitaine de Moissac tentera aussi de déterminer si les députés communistes ont commis des actes relevant des articles 75 et suivants du code pénal qui définissent les crimes de trahison et d'atteinte à la sûreté extérieure de l'Etat.

Sa réflexion le portera à envisager que la lettre au président Herriot contrevient :

- soit à l'article 75 alinéa 5 qui stipule que tout Français qui entretiendra des intelligences avec une puissance étrangère - l'URSS dans le cas présent - "en vue de favoriser les entreprises de cette puissance contre la France" sera puni de la peine de mort pour acte de trahison.

- soit à l'article 80 alinéa 2 qui prévoit que "tout Français qui entretiendra avec les agents d'une puissance étrangère des intelligences ayant pour objet, ou ayant eu pour effet de nuire à la situation militaire ou diplomatique de la France" sera puni en temps de guerre aux travaux forcés à temps pour atteinte à la sûreté extérieure de l'Etat.


Inculpation de 51 députés

Dans la matinée du 5 octobre 1939, le capitaine de Moissac convoque les 43 membres du groupe ouvrier et paysan français. 

Apprenant qu'Arthur Ramette Florimond Bonte ont pris la fuite, il délivre contre eux des mandats d'amener. Le gouvernement ayant pris la veille un décret clôturant la session extraordinaire dans les deux Chambres, les députés communistes ne bénéficient plus de leur immunité parlementaire.

Dans l'après-midi, l'officier instructeur auditionne cinq députés communistes : Berlioz, Capron, Cornavin, Costes, Jean (Renaud). 

Le 6 octobre, neuf parlementaires répondent à sa convocation : Benoist, Croizat, Gresa, Lozeray, Môquet, Petit, Piginnier, Pillot, Rigal. Le lendemain, huit : Cossonneau, Dadot, Demusois, Fouchard, Martel, Midol, Prachay, Touchard.

Compte tenu des réponses données au cours de ces interrogatoires (1), du refus de plusieurs députés de répondre à ses convocations et enfin de la fuite de Ramette et de Bonte, le magistrat instructeur décide d'inculper tous les membres du GOPF. Pour cela, il lance de nouveaux mandats d'amener. 

Avec une démission et dix nouvelles adhésions officialisées les 4 et 6 octobre, le groupe parlementaire communiste compte désormais 52 membres. Un cas particulier : André Mercier. Mobilisé, il ne fera pas l'objet de poursuites au motif qu'il a été porté adhérent du GOPF sans être consulté.

Le 7 octobre, 13 députés communistes sont arrêtés dans la Seine par la préfecture de police de Paris : Berlioz, Bartoloni, Capron, Cornavin, Coste, Croizat, Gaou, Gésa, Lozeray, Martel, Petit, Pillot, Touchard. Ils passeront la nuit au Quai des Orfèvres. Le lendemain, trois députés de Seine-et-Oise  - Cossonneau, Dadot, Midol - sont interpellés dans leur département. 

Dans la journée du 8, les 16 parlementaires sont conduits dans le cabinet du capitaine de Moissac. Après l'interrogatoire d'identité, ils sont inculpés d'infraction au décret-loi du 26 septembre 1939 portant dissolution du Parti communiste. Placés sous mandats de dépôt, ils sont écroués à la prison militaire de la Santé. 

Le 9 octobre, le magistrat instructeur prend les mêmes mesures contre les 22 députés communistes arrêtés la veille en province par la Sûreté nationale et transférés dans la nuit vers Paris. Une exception : Robert Philippot. Inculpé, le député du Lot-et-Garonne est laissé en liberté pour raison de santé.

Le 11 octobre, Prosper Môquet, député de la Seine arrêté la veille dans la Manche, est à son tour inculpé et écroué.

Bilan de cette première phase : 51 des 52 membres du GOPF on été inculpés, 38 sont en prison, 10 sont en fuite (Bonte, Catelas, Duclos, Dutilleul, Monmousseau, Péri, Ramette, Rigal, Thorez, Tillon), 2 n'ont pas été arrêtés en raison de leur mobilisation (Fajon, Puech), 1 a été laissé en liberté à cause de son état de santé (Philippot).

A l'exception d'Albert Rigal, le groupe des députés en fuite présente la particularité d'être composé de dirigeants importants du PCF. Maurice Thorez et Jacques Duclos sont les n° 1 et 2 du Parti. Le premier est secrétaire général et le second secrétaire. Arthur Ramette et Gaston Monmousseau sont membres du Bureau politique. Enfin, Florimond Bonte, Jean Catelas, Gabriel Péri, Charles Tillon et Emile Dutilleul sont membres du Comité central.

(1) Joints à un rapport de Marty de décembre 1939 sur l'attitude des députés communistes arrêtés en octobre et en novembre (seul Bonte a été arrêté en novembre), les 22 interrogatoires réalisés les 5, 6 et 7 octobre sont consultables sur le site Pandor qui publie des documents conservés dans les archives de l'IC.


Réaction du Parti communiste

Au début du mois d'octobre 1939, une direction communiste s'installe à Bruxelles avec à sa tête Jacques Duclos.

Cette direction pourra compter sur le soutien du Parti communiste belge. Autre avantage de la capitale belge : la présence d'une antenne de l'IC assurant un lien direct avec Moscou. Cette antenne est dirigée par Eugen Fried. Sa mission : contrôler les partis communistes d'Europe occidentale.

Refuge pour les communistes français, Bruxelles sera surtout un centre d'imprimerie pour la propagande communiste qui sera diffusée sur le territoire français.
 
Initiative de sa direction belge, le Parti communiste publie dans Le Monde n° 5 du 14 octobre 1939 - hebdomadaire de l'IC édité en Belgique - un texte intitulé : "Le Parti Communiste Français / Au peuple de France".
 
Ce premier appel lancé par le PCF depuis sa dissolution sera repris dans un numéo spécial de l'Humanité de novembre 1939 imprimé... à Bruxelles.

Intérêt du texte : il s'ouvre sur un salut aux députés communistes qui permet de surcroît d'en caractériser le contenu :

"Le Parti Communiste Français adresse un fraternel salut aux élus du peuple, fidèles à la cause du peuple, qui pour avoir combattu la guerre impérialiste et lutté pour la paix ont été jetés en prison par le gouvernement de réaction qui impose à la France la volonté des banquiers de Londres."

Illustration de la ligne pacifiste, antipatriotique et anglophobe du PCF, ce salut affirme que les députés communistes ont été emprisonnés pour "avoir combattu la guerre impérialiste et lutté pour la paix" et que leur incarcération illustre la soumission du gouvernement français à "la volonté des banquiers de Londres".
 
 
Florimond Bonte
 
Le 30 novembre 1939, la Chambre des députés se réunit pour la première fois depuis le début de la guerre.

Cette séance est la première de la deuxième session extraordinaire de 1939. Elle présente deux particularités. Tout d'abord, elle se tient le jour de l'invasion de la Finlande par les armées soviétiques. Ensuite, aucun député communiste n'y participera. Les raisons : la mobilisation et l'affaire du groupe ouvrier et paysan français.

La séance du 30 novembre 1939 débute à 9 h 30 avec une allocution du président de la Chambre, Edouard Herriot, radical-socialiste. Elle se poursuit avec un discours du président du Conseil, Edouard Daladier, radical-socialiste.

Au cours de cette intervention, deux députés communistes inculpés pour la lettre au président Herriot font irruption dans l'hémicycle : Gaston Cornavin (Cher) et Florimond Bonte (Seine)

Incarcéré, le premier a été remis en liberté pour raison de santé. Visé par un mandat d'arrêt, le second est de nouveau protégé par son immunité parlementaire en raison de l'ouverture d'une nouvelle session de la Chambre.

Réaction du président de la Chambre à la vue de ce dernier : "Votre présence ici, en un pareil moment est un scandale". (1)

Membre du Comité central, Florimond Bonte a pour mission de lire une déclaration du Parti communiste.

A peine a-t-il commencé la lecture d'un papier qu'il a sorti de sa poche que le député de la Seine est expulsé de la salle des séances par les huissiers. A sa sortie du Palais Bourbon, il est arrêté par la police. Dans la soirée, Florimond Bonte rejoint ses camarades à la prison militaire de la Santé. Point particulier : la levée de son immunité parlementaire a été validée par un vote de la Chambre en début d'après-midi autrement dit après son arrestation.

Quant à Gustave Cornavin, il a profité de la confusion née de l'incident provoqué par son camarade pour quitter l'hémicycle. Privé lui aussi de son immunité parlementaire, il sera arrêté le lendemain et renvoyé en prison.

Interrompu par deux élus du Parti communiste, Edouard Daladier reprend son discours en déclarant :

"Cette guerre est pour nous la guerre de notre sécurité, la guerre de notre liberté et c'est pour cela que le Parlement français ne peut délibérer en présence de traîtres. (Vifs applaudissements sur tous les bancs)". (2)

Accompagnée d'un hommage du Parti communiste saluant son "courage", la déclaration de Florimond Bonte sera publiée dans un numéro spécial de l'Humanité de décembre 1939.

Illustration du contenu pacifiste, anglophobe et antipatriotique de ce texte, l'extrait suivant :

"Tous unis, démasquons les traîtres au service du capital, les Blum, les Jouaux et autres. [...]
Tous unis, luttons pour briser le joug de la dictature imposée au peuple de France par le gouvernement Daladier. [...]
A bas la guerre impérialiste source de profits pour les uns, de ruines et de souffrance pour les autre !
A la porte, le gouvernement de misère, de dictature, de guerre et d’assujettissement de la France aux banquiers de la Cité de Londres, à la finance internationale !
Vive l'union des masses laborieuses contre la guerre impérialiste et pour la paix !"

(1) Journal officiel du 1er décembre 1939.
(2) Ibid


Renvoi de 44 inculpés

Le 5 février 1940, au terme de quatre mois d'instruction, le capitaine de Moissac décide de renvoyer 44 députés communistes devant le 3e tribunal militaire de Paris et de prononcer un non-lieu pour 7 inculpés.

La première mesure concerne les 9 députés qui sont toujours recherchés par la police (Catelas, Duclos Jacques, Dutilleul, Monmousseau, Péri, Ramette, Rigal, Thorez, Tillon - Bonte a été arrêté en novembre) et les 35 parlementaires qui au cours de leurs auditions (1) ont approuvé le contenu de la lettre adressée au président Herriot.

La situation de ces 35 élus est la suivante : 30 sont en détention, 5 sont en liberté soit pour raison de santé (mutilés de guerre, Brun, Dadot et Duclos Jean ont été libérés en janvier 1940 - Philippot a été incarcéré en janvier 1940 ), soit parce qu'ils sont mobilisés (Fajon, Puech).

Cas particuliers : Robert Philippot et André Puech (dit Parsal) ont rompu avec le PCF en janvier 1940. 

Bénéficient d'un non-lieu, les 7 inculpés qui se sont désolidarisés (2) de la ligne du Parti communiste et ont démissionné du groupe ouvrier et paysan français.

En adoptant cette position, Capron, Fouchard et Jardon ont été libérés en octobre, Daul en novembre, Valat en décembre, Piginnier en janvier, ce dernier ayant démissionné à la fois du GOPF et de son mandat de député en novembre, et enfin Pillot en février.

Autre décision importante du capitaine de Moissac : la poursuite de son instruction relative à des infractions aux articles 75 et suivants du code pénal dans une procédure séparée.

Ne visant plus que les neufs députés en fuite, cette procédure n'ira pas à son terme à cause de la défaite de juin 1940.

(1) Le site Pandor publie des documents conservés dans les archives de l'IC. Un rapport de Marty de décembre 1939 sur l'attitude des députés communistes arrêtés en octobre et en novembre (seul Bonte a été arrêté en novembre) compile leurs interrogatoires d'octobre sous le statut de témoin (5, 6 et 7 oct) puis d'inculpé.
(2) Interrogatoires d'octobre sous le statut de témoin (5, 6 et 7 oct) puis d'inculpé (site Pandor) : Capron (5 / 13 / 20 [p. 1 - p. 2]), Daul (9 / 20), Fouchard (7 / 14 / 21), Jardon (9 / 16 / 21), Piginnier (6 / 9 / 18), Pillot (6 / 14), Valat (9 / 17 / 21).


Partie IV

Déchéance des députés communistes

A la séance du 9 janvier 1940, la première de l'année, le président de la Chambre prononce une allocution dans laquelle il rend hommage "aux armées de la République qui, avec tant de calme et fière résolution, se sont levées en masse à l'appel de la Patrie en danger".

Cet hommage suscite les applaudissements enthousiastes de la représentation nationale à l'exception de quatre députés communistes permissionnaires - Fernand Grenier, Raymond Guyot, André Mercier et Charles Michels - qui entendent ainsi manifester publiquement et avec éclat l'opposition du Parti communiste à la guerre contre l'Allemagne d'Hitler.

La Chambre condamne immédiatement cette attitude en votant à main levée une peine de censure avec exclusion temporaire.

A l'opposé de cette réaction, le Parti communiste célébrera le comportement de ses parlementaires en leur adressant dans l'Humanité n° 19 du 14 janvier 1940 ses "plus chaleureuses félicitations" pour avoir "refusé de s'associer aux manifestations chauvines et d'Union Sacrée des fauteurs de guerre." et ainsi "exprimé le sentiment des ouvriers, des paysans et des soldats qui condamnent la guerre des capitalistes et réclament la paix".

Dans ce même numéro, l'Humanité les félicitera d'avoir "refusé de se prêter à l'indigne comédie d'union sacrée".

Après les incidents provoqués par Florimond Bonte à la séance du 30 novembre 1939, cette nouvelle manifestation communiste en faveur de la Paix avec les nazis au sein même du Parlement aura une conséquence majeure : la promulgation le 20 janvier 1940 d'une loi prononçant la déchéance de tous les élus communistes qui n'ont pas rompu avec le PCF, et définissant par ailleurs la procédure à suivre pour la rendre effective.

Pour les députés, cette déchéance sera validée par le vote d'une résolution de la Chambre en date du 20 février 1940.


Partie V

Procès

Le 20 mars 1940, jour de la démission du Gouvernement Daladier, s'ouvre devant le 3e tribunal militaire de Paris le procès de 44 députés du groupe ouvrier et paysan français anciennement groupe communiste.

Inculpés en octobre 1939, incarcérés à la même période à l'exception des neuf députés toujours en fuite, formellement déchus de leur mandat le 20 février 1940, ces anciens parlementaires seront jugés pour une double infraction au décret de dissolution du PCF.
 
Dans l'acte d'accusation, il leur reproché :

1) "d'avoir à Paris, sur le territoire français, entre le 27 septembre et le 5 octobre 1939, participé à la formation et au fonctionnement du groupement « Ouvrier et Paysan » ayant pour but de propager, directement ou indirectement, les mot d'ordre de la IIIe internationale",
2) "d'avoir participé à la publication, à la circulation et à la diffusion d'une lettre adressée au président de la Chambre des députés, ayant pour but de prôner la paix sous les auspices de l'Union soviétique". (1)

Prendront place dans le box des accusés les trente prévenus détenus à la prison de la Santé. Cinq prévenus comparaîtront libres en raison de leur mobilisation ou de leur état de santé. Un banc placé devant celui des avocats leur sera réservé. Quant aux neuf inculpés en fuite, ils seront jugés par contumace.

Les peines prévues par le décret de dissolution sont de 5 ans de prison et de 5000 francs d'amendes. Peine accessoire : la privation des droits civiques, civils et de famille.

En raison du nombre important de prévenus, le tribunal sera exceptionnellement installé dans la grande salle de la Cours d'assises de la Seine. Habituellement, il siège dans les locaux de la 13e Chambre du Palais de justice. Composée de 7 magistrats, cette juridiction correctionnelle est présidée par le colonel Gaffajoli.

La parole du ministère public sera portée par le colonel Loriot, commissaire du gouvernement, et son adjoint, le commandant Bruzin.

Quant à la défense, elle sera assurée par Mes Alexandre Zévaès, Marcel Willard, Albert Willm, Maurice Boitel, Robert Foissin, Léon Thoyot, Gaston Robin, Sarraute, Daude, Denise Delmont. Noireaut, et Juliette Goublet.

Signalons que Me Willard sera le relais du Parti communiste et qu'il l'informera non seulement sur l'évolution du procès mais aussi sur l'attitude des accusés.
 
Prévu initialement pour durer 8 jours avec deux audiences par jour, le procès des députés communistes s'étalera sur 27 audiences pour finir le 3 avril 1940 avec leur condamnation à 5 ans de prison ferme (36) et 4 ans de prison avec sursis (8).

Faits marquants des trois premières journées qui seront essentiellement occupées par les manœuvres dilatoires de la défense : le huis clos prononcé par le tribunal (20 mars), la lecture de l'acte d'accusation (21 mars) et le début de l'interrogatoire des accusés (22 mars). Ces interrogatoires se poursuivront du 23 au 28 mars (audience du matin) avec pour la journée du 24 mars (dimanche de Pâques) une seule audience le matin. Le tribunal auditionnera les témoins de l'accusation dans l'après-midi du 28 mars et ceux de la défense le lendemain. Le 30 mars, jour de repos avant la phase finale du procès. Le 31 mars, audition le matin d'un témoin non régulièrement cité par la défense mais autorisé par le président. Cet imprévu repousse à l'après-midi les réquisitions du ministère public. Elles seront suivies des plaidoiries des avocats de la défense. Deux journées supplémentaires seront consacrées à ces plaidoiries. Me Willard sera le dernier à prendre la parole. Le 3 avril, dans la matinée, François Billoux prononcera, au nom de ses camarades à l'exception de cinq refus, une déclaration qui aura été préparée par le Parti communiste. Décision du tribunal dans la soirée.

(1) L'Œuvre du 4 avril 1940.


Tribune politique

Le Parti communiste entendait faire du procès de ses députés, qui étaient formellement poursuivis pour avoir enfreint le décret de dissolution lequel interdisait toute activité ayant pour objet de propager les mots d'ordre de la IIIe Internationale, une tribune politique lui permettant de dénoncer le véritable motif de la répression qui frappait ses militants, ses responsables et ses élus : son opposition à la guerre contre l'Allemagne d'Hitler.

Ce projet a été contrarié par le huis clos prononcé par le tribunal à la première journée.

Malgré l'absence de tout débat public, le Parti communiste n'a pas renoncé à son principal objectif : faire lire une Déclaration par l'un des accusés le dernier jour du procès.

Il a confié cette mission à François Billoux en raison de ses fonctions : le député des Bouches-du-Rhône était membre du Bureau politique, et de la fermeté de ses convictions : devant le magistrat instructeur, il avait dénoncé l'illégitimité de la guerre en affirmant qu'une victoire de l'ennemi nazi ou de l'allié anglais condamnerait indifféremment la France à la servitude :

"Cette guerre sera néfaste pour la France. Vaincus, nous serons les esclaves d'Hitler. Vainqueurs, nous serons les domestiques de Chamberlain." (1)

Préparée à l'avance, cette Déclaration était un virulent réquisitoire contre la guerre impérialiste et sa cause : le capitalisme. Elle était aussi un fervent témoignage de fidélité à l'IC, à l'URSS et à Staline. Par la suite, elle a été diffusée clandestinement sous différente forme pour permettre au plus grand nombre d'en connaître le contenu. Elle a été un élément prépondérant de la propagande pacifiste du PCF. Preuve supplémentaire de l'importance de ce texte, les organes de l'IC l'ont même publié.

Ayant pris connaissance du texte préparé par le Parti, cinq députés ont refusé de le signer : Béchard, Jean, Vazeilles, Puech, Philippot.

Cette dernière révolte a porté à 25 le nombre de députés ayant rompu avec le Parti communiste : Béchard, Benenson, Brout, Capron, Daul, Declerq, Dewez, Fouchard, Fourrier, Gitton, Honel Jardon, Jean, Langumier, Le Corre, Loubradou, Nicod, Philippot, Piginnier, Pillot, Puech (dit Parsal), Raux, Saussot, Valat, Vazeilles.



Déclaration de François Billoux

Le 3 avril 1940, dernier jour du procès, François Billoux prend la parole en début de matinée pour faire une Déclaration au nom de 29 de ses camarades : 

[...] On a lancé contre nous les pires campagnes de calomnies en nous privant de tous les moyens de nous défendre, en nous jugeant à huis clos et en faisant dire par certains journaux que nous étions poursuivis pour intelligence avec l’ennemi. N’est-ce pas là la preuve que les gouvernants de notre pays redoutent au plus haut point de faire connaître la vérité sur notre procès ?
Et bien cette vérité, nous l'avons dite au cours des interrogatoires et nous la dirons maintenant. Nos avocats ont riposté à l'acte d'accusation et au réquisitoire. Notre tâche à nous consiste à faire le procès de nos accusateurs, les représentants des oligarchies financières et industrielles. [...]

[Condamnation de la guerre impérialiste]

Nous sommes poursuivis parce que nous nous sommes dressés et que nous dressons avec la dernière énergie contre la guerre impérialiste qui sévit sur notre pays, parce que nous appelons le peuple à exiger qu'il y soit mis fin par la paix, parce que nous indiquons au peuple de France le moyen de rendre notre pays libre et heureux. [...]
Les capitalistes français tentent de faire croire que les responsabilités de la guerre unilatérales, qu'eux-mêmes n'y sont pour rien, que le peuple de France se bat pour la justice, la liberté et l'indépendance des peuples.
Mensonges. Mensonges que les fauteurs de guerre utilisent chaque fois qu'ils mènent les peuples au massacre. [...]
C'est cette guerre-là qui ravage aujourd'hui la malheureuse Europe.
Le responsable, c'est le régime capitaliste dont Jaurès disait « qu'il porte en lui la guerre comme la nuée porte l'orage ».
Les fauteurs de guerre veulent parer celle-ci de toutes les vertus ! Ils masquent leurs véritables objectifs de guerre, car ils savent bien que le peuple ne se battrait pas pour les intérêts sordides d'une minorité d'exploiteurs.
Il s'agit bien, comme lors de la guerre de la guerre de 1914-1918, d'une guerre de capitalistes.
C'est le résultat du conflit entre groupes capitalistes pour les marchés, les matières premières, pour la possibilité d'exploiter les peuples coloniaux.
C'est pour la domination d'un groupe de puissances capitalistes que des millions de travailleurs se battent aujourd'hui.
Nous avons dit et nous répétons que la classe ouvrière, que l'ensemble des travailleurs n'ont rien à gagner dans cette guerre. Ils n'y trouveront que la mort de millions des leurs, des misères et des ruines effroyables, la destruction de leurs libertés, pendant que les oligarchies financières et industrielles y amasseront et y amassent déjà d'énormes profits.

[Condamnation du Gouvernement Daladier]

Les responsabilités de la guerre ? Nous nous refusons à nous faire les complices de cette énorme duperie qui consiste, dans chaque pays, à les rejeter uniquement sur les gouvernements ennemis.
Il y en a chez nous ! En premier lieu, le gouvernement et à sa tête, Daladier, qui dirige l'Etat contre le peuple et dans l'intérêt d'une minorité de gros possédants. [...]
On nous a traînés devant les tribunaux parce que, nous seuls avons eu le courage d'appeler le peuple à chasser le gouvernement Daladier : ce gouvernement dont les responsabilités ont été écrasantes dans la guerre, et qui a introduit dans notre pays la réaction... et les méthodes hitlériennes. [...]

 [Appel à la formation d'un Gouvernement de Paix communiste]

Nous considérons que le salut de la France exige la formation d'un gouvernement populaire, émanation directe de la nation.

[Condamnation des socialistes]

Les capitalistes pensent pouvoir tromper longtemps le peuple, parce qu'ils sont soutenus par le Parti socialiste, par ses chefs, les Blum, les Paul Faure, Zyromski, par les chefs traitres de la CGT... Tous ces gens se sont mis à l'avant-garde du chauvinisme et de la répression anti-ouvrière.
Les Blum, les Paul Faure, Zyromski et autres Jouhaux, qui ont empêché l'application du programme du Front populaire, plongés maintenant jusqu'au cou dans l'union sacrée... pour la guerre impérialiste, travaillent à briser les organisations prolétariennes. Ils sont les responsables au premier chef des conditions de misère imposées aux travailleurs français. Ils montrent bien leur véritable figure d'ennemis du peuple. [...]

[Hommage à Staline]

Messieurs les chefs socialistes, qui ne sont que les plats valets des capitalistes, croient nous injurier en nous traitant de « staliniens ».
Qu'est-ce à dire ? Nous avons toujours affirmé et nous répétons que ce n'est dans aucune capitale étrangère que les travailleurs français trouvent la solution des maux dont ils souffrent. Leur émancipation sera leur œuvre propre. Mais il est vrai que pour nous et des millions d'hommes et de femmes des cinq parties du monde, Staline, robuste bâtisseur de la société socialiste, est le génial continuateur de Marx, Engels et Lénine, dont l’œuvre immortelle a eu pour précurseurs de grands français comme notamment : Babeuf, Fourier, Blanqui. [...]

[Projet du Parti communiste]

Communistes français. Avec Maurice Thorez, André Marty, Jacques Duclos, et tous nos amis co-inculpés, nous travaillons à la libération de notre pays.
Nous voulons le débarrasser de la guerre.
Nous appelons le peuple à imposer la paix.
Nous avons confiance en notre pays, en la France de 1793, de 1830, de 1849, de la Commune de Paris, de février 1934 et de mai 1936.
Nous avons confiance dans le peuple de France et nous sommes convaincus que, très rapidement, il portera au tombeau le régime capitaliste responsable de la misère et de la guerre.
Nous saluons les innombrables masses du peuple travailleur qui sont en train de mener un courageux combat pour le communisme. Sous le drapeau de Marx, Engels, Lénine et Staline, suivant les exemples de Karl Liebknecht et Dimitrov, sous la direction des chefs aimés du peuple français, Thorez, Cachin, Marty et Duclos, en avant vers le communisme ! (1)

Parfaite illustration de la position du PCF, la Déclaration de François Billoux contient les éléments suivants :

1) Condamnation de la guerre contre l'Allemagne nazie au motif qu'elle est impérialiste et donc illégitime.
2) Condamnation du capitalisme cause de la guerre impérialiste.
3) Plaidoyer pour la Paix avec l'Allemagne nazie puisque la guerre est illégitime.
4) Condamnation du Gouvernement Daladier belliciste et appel à la formation d'un gouvernement de Paix communiste. Précisons que cette Déclaration a été préparée avant la démission du Gouvernement Daladier le 20 mars 1940 et que la mention du Gouvernement Reynaud est un ajout de François Billoux.
5) Dénonciation du Parti socialiste et de la CGT parce qu'ils soutiennent l'Union sacrée.
6) Affirmation de la fidélité des accusés au PCF, à l'IC, à l'URSS et à Staline. 

(1) Stéphane Courtois, Le PCF dans la guerre, 1980, p. 512-522.


Jugement

Le tribunal militaire rend son jugement le 3 avril en fin d'après-midi après quatre heures de délibération.

Concernant la première accusation, tous les députés sont reconnus coupables d'avoir enfreint l'article 1 du décret de dissolution qui proscrit toute activité ayant pour objet de propager les mots d'ordre de la IIIe Internationale.

Quant à la seconde accusation, seuls les deux signataires de la lettre - Florimond Bonte (présent) et Arthur Ramette (en fuite) - sont reconnus coupables d'avoir enfreint l'article 3 du décret de dissolution qui interdit la publication, la circulation et la distribution des écrits tendant à propager les mots d'ordre de la IIIe Internationale.

Au vu de ces éléments et de la situation de chaque accusé, le tribunal condamne :

- 10 députés communistes à 5 ans de prison, 5 000 francs d'amende et 5 ans de privation de leurs droits civiques, civils et de famille : Bonte, Catelas, Duclos (Jacques), Dutilleul, Monmousseau, Péri, Ramette, Rigal, Thorez, Tillon.

- 26 députés communistes à 5 ans de prison, 4 000 francs d'amende et 5 ans de privation de leurs droits civiques, civils et de famille : Barel, Bartolini, Benoist, Berlioz, Billoux, Cornavin, Cossonneau, Costes, Cristofol, Croizat, Demusois, Fajon, Gaou, Grésa, Lareppe, Lévy, Lozeray, Martel, Midol, Moquet, Musmeaux, Petit, Prachay, Prot, Rochet, Touchard.

 - 8 députés communistes à 4 ans de prison avec sursis, 4 000 francs d'amende et 5 ans de privation de leurs droits civiques, civils et de famille : Béchard, Brun, Dadot, Duclos (Jean), Jean (Renaud), Philippot, Puech (dit Parsal), Vazeilles. (1)

La peine maximale frappe les 9 inculpés en fuite et Bonte, signataire de la lettre au président Herriot.

Dans le second groupe, seul Fajon n'a pas été incarcéré pendant l'instruction en raison de sa mobilisation. 

Les 27 condamnés présents à l'audience purgeront leur peine à la prison militaire de la Santé à Paris.

Enfin, bénéficient du sursis les 3 députés (Dadot, Brun, Duclos Jean), anciens combattants de 14-18, qui sont mutilés de guerre et les 5 députés (Béchard, Jean, Philippot, Puech, Vazeilles) qui n'ont pas signé la Déclaration de François Billoux. Ces sursitaires ne recouvreront pas la liberté puisqu'ils feront l'objet d'une mesure d'internement administratif.

(1) Le Figaro du 4 avril 1940 


Presse soviétique

Le Bulletin périodique de la presse russe du 20 mai 1940 décrit le traitement du procès des députés communistes français dans la Pravda [La Vérité], organe officiel du Parti communiste russe :

"La politique intérieure de la France, plus particulièrement les poursuites engagées contre les ex-députés communistes et organisations communistes ont fait l'objet de nombreux communiqués et commentaires. La Pravda (du 23-3 au 6-4), organe officiel du parti communiste-bolchevik russe, s'élève avec véhémence contre les mesures d'ordre intérieur, prises par les autorités françaises. Au lendemain de l'ouverture du procès des ex-députés communistes, la Pravda (23-3) commençait la publication d'une série d'articles qui sont autant de réquisitoires, d'une rare violence, contre certains hommes politiques français, contre la procédure militaire et les juges.

Les exécuteurs mécaniques des « 200 familles » françaises, écrit V. Kroujkov, commis et valets de la réaction, siègent dans la tribune des juges. Il leur est ordonné de juger 35 personnes... et ils s'acquittent de ce devoir en valets soumis à leurs maîtres.
...Au cours de ce procès, la « démocratie » bourgeoise française jette bas son manteau, tissé de phrases ronflantes sur la liberté, les sentiments humanitaires, la civilisation. Le mensonge, le cynisme, l'hypocrisie, la trahison des soi-disant champions de la démocratie, apparaissent dans leur répugnante nudité... Dans la démocratique France, la réaction aujourd'hui se déchaîne en une méchanceté idiote...

Dans un entrefilet intitulé « A huis-clos ». N. V... dans la Pravda (1-4) donne un compte rendu, à sa manière, du procès dit des « 35 ». Après avoir rappelé le nom des députés inculpés et vanté leurs mérites, le collaborateur anonyme de la Pravda critique la justice française et se demande s'il existe encore une démocratie en France ? Il écrit :


Ainsi l'affaire des députés communistes se juge à huis-clos. La bourgeoisie française ne s'est pas risquée à attaquer les députés communistes au grand jour. Les réactionnaires de la France ne se préoccupent pas de savoir si les lecteurs des journaux français se demanderont s'il existe une démocratie en France... Il y a l'arbitraire de la plus noire réaction, l'arbitraire des fauteurs de guerre dont les œuvres et les desseins sont hostiles aux intérêts réels du peuple français.

Sous le titre : « Les élus du peuple français devant le tribunal militaire », la Pravda (3-4) publie un entrefilet signé des initiales G. F., dans lequel l'auteur critique âprement la dissolution des municipalités communistes, l'interdiction des journaux et publications du parti communiste et les poursuites exercées contre les 35 communistes français.
Dans un nouvel article intitulé : « A travers le huis-clos », V. Kroujkov (Pravda 4-4) revient sur la procédure de huis-clos, accusant la justice française de « fouler aux pieds » les lois « les plus élémentaires d'une démocratie bourgeoise déjà difforme et mutilée ».
Commentant le verdict, V. K[roujkov], sous le titre : « Le crime de la réaction française » (Pravda 6-4) écrit :

Le procès des députés communistes du parlement français est clos. 44 députés — élus du peuple français — sont condamnés. La réaction française a commis un nouveau crime contre le peuple... La condamnation des 44 députés a montré, une fois de plus, le véritable visage de la « démocratie » française, de la « justice » bourgeoise... On ne réussira pas à étouffer la voix des députés communistes..."


Partie VI

Régime de Vichy

Dans la soirée du 16 juin 1940, le Maréchal Pétain est nommé à la présidence du Conseil. Le lendemain, le nouveau président du Conseil entre en contact avec le gouvernement allemand pour mettre fin aux hostilités. 

Signé le 22 juin, l'armistice franco-allemand marque la défaite de la France. Dans l'attente des négociations portant sur un traité de Paix, cet armistice impose au pays vaincu l'occupation de la moitié de son territoire, le maintien en captivité de 1,5 millions prisonniers de guerre, la démobilisation et le désarmement de ses forces armées, et enfin le paiement d'une indemnité journalière dont le montant sera fixé à 400 millions de francs.

Le 10 juillet à Vichy, l'Assemblée nationale - réunion de la Chambre des députés et du Sénat - vote les pleins pouvoirs au Maréchal Pétain :

"L'Assemblée nationale donne tout pouvoir au gouvernement de la République, sous l'autorité et la signature du maréchal Pétain, à l'effet de promulguer par un ou plusieurs actes une nouvelle constitution de l'État français. Cette constitution devra garantir les droits du travail, de la famille et de la patrie."

Investi des pouvoirs constituants, le président du Conseil signe le lendemain les Actes constitutionnels n° 1, 2 et 3 en vertu desquels il est désigné "chef de l'Etat français" cumulant sur sa personne les pouvoirs exécutif et législatif.

Plus communément désigné comme le Régime de Vichy, l'Etat français succède à la IIIe République.

Le 30 juillet, le chef de l'Etat français institue une Cour suprême de justice chargée de juger les responsables de la déclaration de guerre en 1939 et de la défaite en 1940. Elle siégera dans le Palais de justice de Riom.

Cette juridiction d'exception engagera des poursuites contre plusieurs dirigeants de la IIIe République et notamment deux anciens présidents du Conseil : Edouard Daladier, radical-socialiste, et Léon Blum, socialiste.


Au service de Vichy

Au début de juin 1940, en raison de l'avancée des armées allemandes sur Paris, les 27 députés communistes emprisonnés sont évacués dans plusieurs centres de détention éloignés de la région parisienne. Ils sont de nouveau réunis à la prison du Puy-en-Velay en Haute Loire le 29 juin 1940. En octobre 1940, 11 députés sont envoyés à la prison de Valence.

Entre août et décembre 1940, au moins 8 députés communistes emprisonnés adresseront une lettre au président de la Cour suprême de justice, au ministre de la Justice, Raphaël Alibert ou directement au Maréchal Pétain.

Dans leurs lettres, Virgile Barel, Joanny Berlioz, Gaston Cornavin, Alfred Costes, Georges Lévy et Lucien Midol, demandent expressément à pourvoir témoigner devant la Cour suprême de justice contre les fauteurs de guerre parmi lesquels sont nommément cités Edouard Daladier et Léon Blum, les deux anciens alliés du PCF dans le Front Populaire.

Gaston Cornavin résume d'une phrase leurs motivations : "seuls, les députés communistes résistèrent au courant belliciste".

Dans une lettre datée du 1 octobre 1940, soit 1 an après la lettre au président Herriot dont il était l'un des deux signataires, Florimond Bonte, député de la Seine et membre du Comité central, sollicite le Maréchal Pétain pour obtenir la libération des 27 députés communistes emprisonnés :

"Nous avions raison de réclamer la paix. [...] Nous avons droit à l'annulation de notre procès. Nous avons droit immédiatement à la liberté". (1)

Enfin, le 19 décembre 1940, François Billoux, écrit au nom de ses camarades à... "Monsieur le Maréchal Pétain, chef de l'Etat français".

Adressée au signataire de l'armistice franco-allemand et au fondateur du Régime de Vichy, sa lettre contient une demande de libération et une offre de service :

"Si vous voulez donc en finir avec les mensonges, monsieur le Maréchal, il faut aussi libérer immédiatement tous les communistes et les seuls députés qui se sont dressés contre la guerre. [...]
Étant donné que rien n'a été publié sur les débats en huis-clos de notre procès, où nous avions dénoncé les vrais fauteurs de guerre, je demande à être entendu comme tous mes amis, en qualité de témoin par la Cour suprême de Riom"

(1) J.P. Besse, C. Pennetier, Juin 1940 / La négociation secrète, 2006, p. 75.


Partie VII

Amnistie

En mars 1941, les 27 députés communiste détenus au Puy-en-Velay et à Valence sont transférés à la prison de Maison-Carrée en Algérie.

Ils sont libérés en février en 1943 par le général Giraud à la suite de deux événements majeurs : 1) l'invasion de l'URSS par les armées allemandes le 22 juin 1941 qui a fait basculer le PCF dans la Résistance; 2) le débarquement anglo-américain en Afrique du Nord de novembre 1942 qui a libéré ce territoire de la tutelle de Vichy.

Libérés pour des motifs politiques et sans aucune base juridique, les députés communistes sont finalement amnistiés par l'ordonnance du 1er juillet 1943.

Signé par le général de Gaulle et le général Giraud au nom du Comité Français de la Libération Nationale (CFLN), cette ordonnance abroge le décret-loi du 26 septembre 1939 prononçant la dissolution des organisations communistes et stipule que "Sont amnistiés : 1° - toutes les infractions prévues par le décret-loi du 26 septembre 1939".