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Lettre de Lucien Midol du 8 décembre 1940 adressée au Président de la Cour suprême de justice

En complément de l'article "Quand les députés communistes écrivaient au maréchal Pétain pour demander leur libération et...", on reproduira ci-dessous la lettre de Lucien Midol du 8 décembre 1940 :

Valence, le 8 décembre 1940.

A Monsieur le Président de la Cour de Riom.

J’ai l'honneur de vous demander à être entendu comme témoin dans le procès intenté contre MM. Daladier, P. Reynaud, Gamelin, et en général, contre ceux qui sont considérés par le gouvernement actuel comme les responsables de la déclaration de guerre en 1939, et la défaite de notre pays en 1940.
Ancien député communiste, je suis actuellement détenu au régime de droit commun, bien que l’acte qui a servi de base à ma condamnation soit parfaitement constitutionnel et d’un caractère nettement politique. Je ne puis donc connaître, comme si j’étais libre ou seulement mis au politique, les véritables motifs de l'inculpation lancée Cour de Riom.
Je crois cependant savoir qu’elle vise les actes immédiats ou plus lointains des anciens gouvernements. On leur reprocherait d'avoir suivi une politique étrangère fausse inspirée par un « nationalisme ombrageux ou un pacifisme déréglé ». On ajouterait que le gouvernement Daladier a déclaré la guerre sans l'avoir préparée et sans avoir consulté les Chambres.
Enfin on ajouterait que l'union des Français, que n'ont pas pu ou pas voulu réaliser les équipes gouvernementales, est une des conditions essentielles de l'indépendance, de la sécurité et du relèvement de notre pays.
Mes amis communistes et moi-même avons toujours lutté en faveur de la paix juste et durable entre les peuples. Nous avons été contre le traité de Versailles, contre l’occupation de la Ruhr, pour l'entente avec la République allemande de Weimar. Nous avons été contre une politique de compromis et de capitulation qui ne diminuait pas les dangers de guerre, mais qui augmentait, à notre désavantage, la puissance de l’agresseur possible. Nous avons été pour une politique étrangère française, indépendante de celle des nations voisines, appuyée par des pactes de sécurité collective, comme le pacte d’assistance mutuelle franco-soviétique que M. Laval a signé à Moscou en 1935.
Nous avons approuvé la déclaration de Staline au même M. Laval : « La France a raison de mettre sa défense au niveau de sa sécurité. »
Mes amis et moi avons lutté en faveur de l’union de la nation française, qui permettait à notre pays d'être fort, libre et puissant aussi bien à l'extérieur qu'à l’intérieur, pour annihiler les efforts des oligarchies qui mettent leurs intérêts au-dessus des intérêts de la nation, ceux-ci se confondant eux-mêmes avec ceux des dizaines de millions de travailleurs qui la composent, en presque totalité avec leurs familles.
C’est parce que les communistes ont dénoncé, avant la guerre, les méfaits de cette politique qu'ils ont été poursuivis, et c'est sans doute aussi la véritable raison des poursuites et sanctions prises contre ceux qui appartenaient au parti communiste avant sa dissolution ou réputés comme tels.
Je pense cependant, qu'en apportant à la barre de votre juridiction les faits précis que j’ai pu découvrir dans la bataille que mes amis et moi avons menée, aux risques de notre liberté, contre la politique dénoncée actuellement, j'aiderai à la découverte des coupables. Ils ne comprennent certainement pas uniquement les chefs responsables des gouvernements, mais leurs collaborateurs dans les conseils gouvernementaux, dans les hautes directions ministérielles, dans les comités consultatifs ou conseils supérieurs dépendant de ces ministères, ainsi que ceux qui les ont soutenus et approuvés par leurs votes jusqu’au moment de la débâcle, même si actuellement ils ont fait amende honorable.
Mon témoignage, enfin, aurait pour résultat complémentaire de montrer à la Cour suprême que les travail leurs et leurs organisations syndicales ne sont nullement responsables du sabotage de la défense du pays. Les responsables sont au contraire ceux qui, par intérêt patronal, haine de classe et haine politique, ont travaillé contre l'intérêt du pays; certains grands industriels et politiciens qui les servaient.
Les travailleurs ont dénoncé au contraire le sabotage patronal à la production, surtout dans les usines travaillant pour la défense nationale dès 1937; ils ont accepté de sacrifier des droits chèrement acquis, pour accroître le potentiel de sécurité du pays, pendant que le patronat continuait de freiner la production.
Ce sont les travailleurs de la métallurgie, par le canal de leur union syndicale, qui ont dénoncé à tous les parlementaires le scandale des fournitures de l’aviation; ce sont MM. les membres du gouvernement qui ont couvert tous ces agissements et ont étouffé la voix des protestataires.
Mieux encore, pendant plusieurs mois, aux applaudissements de l’énorme majorité parlementaire, on s’est contenté de la guerre intérieure contre ces mêmes travailleurs sans se soucier de préparer la guerre extérieure ou la riposte à l’attaque de l’ennemi extérieur.
J’espère, Monsieur le Président, qu'après avoir pris connaissance de cet exposé sommaire, vous accueillerez favorablement ma demande et vous prie d’agréer, Monsieur le Président, l'assurance de ma parfaite considération.


Signé : L. Midol,
ex-député communiste de Seine-et-Oise.
Maison d’arrêt de Valence (Drôme).