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Le Groupe ouvrier et paysan français (GOPF)

Le 26 septembre 1939, soit trois semaines après le début de la guerre contre l'Allemagne nazie, le Conseil des ministres adopte un décret-loi prononçant la dissolution du Parti communiste français.

Nouvelle mesure visant le PCF après la suspension de sa presse consécutive à son approbation du Pacte germano-soviétique du 23 août 1939, cette décision du gouvernement dirigé par Edouard Daladier, radical-socialiste, est une réaction à l'invasion de la Pologne par l'Armée rouge le 17 septembre.

Le Parti communiste n'a pas condamné cette agression. Mieux, un communiqué de presse (censuré) de son groupe parlementaire l'a approuvée.

Le lendemain, jour de la publication du décret de dissolution, les députés du groupe communiste décident de former un nouveau groupe parlementaire.

Ce nouveau groupe est formellement constitué le 28 septembre sous le nom de groupe ouvrier et paysan français. Sa création est annoncée au Journal officiel du 29 septembre 1939. Pour marquer son absence de tout lien avec la IIIe Internationale son programme fait référence à la plateforme de 1880 du Parti ouvrier français de Jules Guesde. 

Sur les 74 députés communistes issus des élections législatives de 1936 et des partielles qui les ont suivi, 53 rejoindront le GOPF. Les autres n'y adhéreront pas soit parce qu'ils sont mobilisés (18) soit parce qu'ils ont rompu avec le PCF (3).

Le 28 septembre, à Moscou, l'URSS et l'Allemagne nazie signent un Traité de frontières et d'amitié qui organise le démembrement de la Pologne et fonde sur ce partage "le développement et le progrès des relations amicales entre leurs peuples".

Preuve supplémentaire de leur alliance, les deux bourreaux du peuple polonais paraphent le même jour une Déclaration conjointe.

Dans ce texte, ils appellent la France et l'Angleterre à approuver leur action en Pologne, s'engagent à faire des "efforts communs" pour "mettre fin à l'état de guerre qui existe entre l'Allemagne d'une part, la France et l'Angleterre d'autre part" et enfin affirment qu'un échec de leurs démarches pour la paix établira le fait que "l'Angleterre et la France sont responsables de la continuation de la guerre".

Un seul parti va apporter son soutien à cette offensive de Paix hitléro-stalinienne : le Parti communiste français. Son objectif : démontrer que sa capacité d'action en faveur de la paix n'a pas été altérée par sa dissolution. Son mode d'action : la mobilisation de sa dernière tribune légale qu'est son groupe parlementaire.

C'est dans ce contexte que le groupe ouvrier et paysan français envoie au président de la Chambre une lettre en date du 1er octobre 1939 dans laquelle il annonce l'imminence de "propositions de paix, dues aux initiatives diplomatiques de l'U.R.S.S." et demande en conséquence l'organisation d'un vote du Parlement en faveur d'une "paix juste, loyale et durable, que du fond de leur cœur souhaitent tous nos concitoyens".

Pour justifier sa démarche, le groupe parlementaire communiste accuse la France et l'Angleterre d'être les responsables de la guerre, dénonce les conséquences d'une guerre longue, condamne la presse belliciste et enfin invoque la diplomatie soviétique.

La lettre au président Herriot est signée au nom du GOPF par Arthur Ramette et Florimond Bonte, respectivement président et secrétaire général du groupe parlementaire communiste. Député du Nord, le premier est membre du Bureau politique. Député de Paris, le second est membre du Comité central. 

Le Parti communiste aura la volonté de faire connaître son initiative pacifiste - qualifiée de "coup d'éclat" par Maurice Thorez, secrétaire général du PCF - non seulement à la représentation nationale mais aussi à l'ensemble de la population française. Dans ce but, des copies de la lettre seront envoyées par courrier à tous les députés et des exemplaires supplémentaires seront remis aux correspondants de la presse présents à la Chambre.

Par son contenu, la lettre du GOPF provoquera une réaction indignée de la presse, suscitera une condamnation de tous les partis politiques et le plus important aura des conséquences sur le plan judiciaire

En effet, considérant que la diffusion de cette lettre constitue une infraction au décret de dissolution la justice militaire engagera des poursuites contre tous les députés communistes. Elle cherchera aussi à déterminer si l'article 75 du code pénal qui définit la trahison peut s'appliquer à cette initiative qui invoque la diplomatie soviétique.

Dans le premier cas - un délit - la peine d'emprisonnement peut aller jusqu'à 5 ans. Dans le second cas - un crime - la peine de mort peut-être requise.

Jugés au cours d'un procès qui se tient devant le 3e tribunal militaire de Paris du 20 mars au 3 avril 1940, 44 députés communistes, qui ont été déchus de leur mandat en février, sont condamnés à 4 et 5 ans de prison. L'instruction pour trahison, qui au final n'a été retenue que pour les 9 députés en fuite, n'ira pas son terme en raison de la défaite de juin 1940.

Annoncée au Journal officiel du 23 février 1940, la fin du groupe ouvrier et paysan français est la conséquence logique d'une Résolution de la Chambre du 20 février 1940 prononçant la déchéance de 60 députés communistes et notamment celle de tous les membres du GOPF.

Cette résolution a été adoptée en application de la loi du 20 janvier 1940 prononçant la déchéance de tous les élus communistes qui n'ont pas rompu avec le PCF, et définissant par ailleurs la procédure à suivre pour la rendre effective

Le vote de cette loi a été la conséquence directe des incidents qui se sont produits à la Chambre le 9 janvier 1940. Cette première séance de la nouvelle année parlementaire a débuté par une allocution du président d'âge dans laquelle son hommage "aux armées de la République" a suscité les applaudissements enthousiastes de la représentation nationale debout à l'exception de quatre députés communistes permissionnaires qui entendaient ainsi manifester publiquement et avec éclat l'opposition du Parti communiste à la guerre contre l'Allemagne d'Hitler.

Le présent texte est composé de six parties. La Partie I sera consacrée aux premières démissions au sein du groupe parlementaire communiste consécutive à l'approbation du Pacte germano-soviétique par le PCF. La Partie II portera sur la création du GOPF et son "coup d'éclat" : la lettre au président Herriot. Dans la Partie III, on évoquera les propositions de Paix formulées par Hitler le 6 octobre 1939 et leur rejet par la France et l'Angleterre.

Dans la Partie IV, on suivra l'action de la justice militaire contre le GOPF (phase d'instruction). La Partie V traitera de la déchéance des députés communistes et de sa conséquence directe : la fin du GOPF. Dans la Partie VI, on abordera brièvement le procès des députés communistes de mars-avril 1940.

 
Partie I


Elections législatives de 1936

Aux élections législatives de 1936 le Parti communiste français (PCF) se présente aux suffrages des électeurs dans une alliance avec le Parti socialiste (SFIO) et le Parti républicain, radical et radical-socialiste (PRRRS) : le Front populaire.

Le PCF remporte 9 sièges de députés dès le premier tour de scrutin le 26 avril 1936 puis 63 au second tour de scrutin le 3 mai 1936. Pour la nouvelle législature le groupe parlementaire communiste à la Chambre des députés sera composé de 72 membres.

Trois députés supplémentaires, Fernand Grenier, Eugène Jardon, Raymond Guyot, seront élus au cours de trois élections partielles provoquées respectivement par les démissions de Jacques Doriot (PPF) en 1937 et Max Dormoy (SFIO) en 1939 et le décès du député communiste Paul Vaillant-Couturier en 1937.

Au mois d'août 1939, le groupe communiste compte à la Chambre des députés 74 membres. Ajoutons qu'au Sénat, le PCF est représenté par 2 sénateurs : Marcel Cachin, dirigeant historique du Parti communiste, et Jean-Marie Clamamus, maire de Bobigny.


Pacte germano-soviétique

Le 23 août 1939 à Moscou, après quelques heures de négociations auxquelles ont participé Ribbentrop, Molotov et Staline, l'Allemagne et l'URSS signent un Pacte de non-agression.

Spectaculaire revirement d'alliance, le Pacte Hitler-Staline garantit aux nazis de ne faire la guerre que sur un seul front dans l'hypothèse d'un conflit avec la France et l'Angleterre.

C'est pour cette raison que tous les partis politiques le condamneront à l'exception du Parti communiste qui défendra la thèse que cet accord est une contribution à la paix générale au motif qu'il établit des relations pacifiques entre l'URSS et l'Allemagne et divise le camp fasciste.

L'invasion de la Pologne par les armées hitlériennes sera un parfait démenti à cette thèse.


Approbation du PCF

Le 24 août 1939, le Parti communiste approuve le Pacte germano-soviétique dans une résolution de son Bureau politique qui sera publiée le lendemain dans l'Humanité sous le titre "Déclaration du Parti Communiste Français" :

"Au moment où l'UNION SOVIETIQUE apporte une nouvelle et inappréciable contribution à la sauvegarde de la paix constamment mise en péril par les fauteurs de guerre fascistes, le Parti communiste français adresse au Pays du socialisme, à son Parti et à son grand chef Staline, un salut chaleureux. [...]
Ce succès que l'Union soviétique vient de remporter, nous le saluons avec joie car il sert la cause de la paix.
La conclusion d'un tel pacte de non-agression ne peut que réjouir tous les amis de la paix, communistes, socialistes, démocrates, républicains. `
Tous savent qu'un tel pacte aura comme unique conséquence la consolidation de la paix. Tous savent qu'il ne privera aucun peuple de sa liberté, qu'il ne livrera aucun arpent de terre d'une nation quelconque, ni une colonie. [...]
Le pacte de non-agression qui vient d'être signé à MOSCOU est un coup direct à l'agression.
Comme l'attestent les nouvelles du Japon agresseur de la Chine, et de l'Espagne franquiste, il divise, et par conséquent affaiblit, le camp des fauteurs de guerre qui s'étaient unis sous le signe du pacte antikomintern.
Le désarroi qui règne parmi les alliés du fascisme hitlérien suffit à montrer, et dans les semaines qui viennent les peuples s'en convaincront mieux encore, que l'U.R.S.S. vient de rendre un inoubliable service à la cause de la paix, à la sécurité des peuples menacés, et de la France en particulier. [...]

Soutien sans équivoque au Pacte germano-soviétique, cette Déclaration du PCF est aussi un témoignage de fidélité à l'URSS et à Staline.

Fondé sur des convictions anti-fascistes voire patriotiques, tout désaccord avec la position du Parti sera nécessairement synonyme de rupture pour tous ceux qui mettront leurs actes en accord avec leurs pensées.

Les deux premiers cas significatifs seront ceux des députés Gustave Saussot et Paul Loubradou.
 
 
Gustave Saussot et Paul Loubradou
 
Le 25 août 1939, les députés et les sénateurs communistes se réunissent à la Chambre pour définir la position du Groupe parlementaire sur le Pacte de non-agression conclu entre l'URSS et l'Allemagne.

Au terme de cette réunion il adopte un communiqué de presse dans lequel il approuve le Pacte Hitler-Staline en reproduisant l'exposé que lui a fait Maurice Thorez, député de la Seine et secrétaire général du PCF :

"M. Maurice Thorez, à la réunion du groupe parlementaire communiste qui s'est tenue cet après-midi, a fait un exposé de la situation générale. Il a notamment déclaré :
« Nous nous trouvons de nouveau, un an après Munich, en présence d'une situation où les peuples peuvent être entraînés, d'un moment à l'autre, dans la guerre.
Le fascisme hitlérien, toujours avide de nouvelles conquêtes, est une menace constante pour la sécurité des peuples.
Que peut-on faire pour empêcher toute nouvelle agression ?
L'Union soviétique, fidèle à sa politique de paix, a entrepris une politique de dislocation du bloc des agresseurs qui s'étaient unis sur la base du pacte antikomintern.
Le pacte germano-soviétique, comme le signalait encore ce matin le Petit Parisien « remplit de stupeur les Japonais, les Espagnols et les Hongrois ».
En agissant ainsi, l'U.R.S.S. a mis en échec le plan de Munich.nbsp;[...]
Les communistes, en ces graves circonstances, appellent à l'union de tous les Français grâce à laquelle les fauteurs de guerre fascistes seront contraints de reculer. »
Le groupe parlementaire a approuvé entièrement l'exposé de M. Maurice Thorez."

Ce communiqué de presse masque les désaccords qui se sont manifestés au cours de cette réunion.

Preuve de ces tensions, le lendemain les députés de Dordogne, Gustave Saussot et Paul Loubradou, décident de mettre fin à leur relation avec le PCF. Ils adressent leur lettre de démission à Jacques Duclos, secrétaire général du groupe communiste.

La lettre de Gustave Saussot sera publiée dans Le Populaire du 29 août 1939 :

"Hier, à la réunion du groupe parlementaire communiste, j'ai demandé qu'une délégation intervienne auprès de l'ambassade soviétique afin que celle-ci demande au gouvernement de Moscou de faire une déclaration officielle indiquant qu'en cas de coup de force du fascisme sur Dantzig, coup de force entraînant les démocraties occidentales dans un conflit armé, l'Union Soviétique, fidèle à la politique de résistance à l'agresseur, se rangerait automatiquement aux côtés des pays luttant pour leur indépendance.
Le groupe n'a pas jugé utile de faire cette démarche et je me suis incliné avec le secret espoir qu'au moment où le président Roosevelt adresse un vibrant appel à la raison et tente une ultime démarche pour sauver la paix, la grande voix de l'Union Soviétique se ferait entendre à son tour. Hélas ! 
Les dépêches de cette nuit dissipent mes illusions. L'Union Soviétique qui a si magnifiquement défendu l'Espagne républicaine, qui a tenu ses engagement vis-à-vis de la malheureuse Tchécoslovaquie qui défend seule la Chine, reste passive devant la menace hitlérienne sur Dantzig.
Je suis convaincu que si le gouvernement de Moscou avait pris nettement position le fou névrosé de Berchtesgaden eût capitulé.
Pour ces raisons, je me trouve en désaccord profond avec cette politique et regrette en conséquence de ne pouvoir continuer ma collaboration avec le Parti communiste français pour le temps où celui-ci marquera son accord avec le gouvernement soviétique et jusqu'au jour où ce dernier reprendra la tête des nations antifascistes pour barrer la route à l'agresseur.
Je te prie de bien vouloir communiquer ma démission au Parti."

Paul Loubradou donnera à ses électeurs les raisons de sa décision dans une lettre publiée le 30 août 1939 dans La France de Bordeaux et du Sud-Ouest (édition de Dordogne) :

"En plein tumulte européen, au moment même où il suffit d'une étincelle pour faire sauter la mine, un événement inouï se produit : la Russie de Staline signe un pacte avec l'Allemagne d'Hitler. Durant cinq jours et cinq nuits, oubliant nourriture et sommeil, parfaitement calme et objectif, je me suis posé la question : ce pacte sert-il la paix, la liberté le socialisme, l'indépendance des peuples ? J'ai lu écouté, observé, en tous lieux, à chaque heure. Et je suis arrivé à cette conclusion : le gouvernement soviétique pouvait et devait signer le pacte anglo-franco-soviétique. Ce faisant, il garantissait la paix, ou, en cas de guerre, la victoire et l'écrasement du racisme. Son prestige y gagnait en grandeur et en qualité, et les peuples pouvaient se réjouir d'espérance illimitées.
Au lieu de cela, c'est le contraire qui se produit, et dans quelles conditions. Staline se réfugie dans le dédale souterrain des finasseries diplomatiques, provoquant ainsi, parmi les masses, le plus inimaginable et le plus dangereux désarroi que le monde ait connu. Je prie quelques camarades dont la bonne foi n'est pas douteuse de na pas se battre les flancs pour tenter de justifier l'injustifiable à l'aide de subtiles considérations sur la stratégie diplomatique et sur les nécessités révolutionnaires, car ce n'est de l'an 2000 qu'il s'agit, mais de l'immédiat. Or, pour l'immédiat, deux constations s'imposent :
1. le pacte germano-soviétique constitue un terriblement encouragement à l'agression;
2. il a fallu à Hitler cinq années d'efforts et de sauvagerie pour écraser le communisme - et la liberté - en Allemagne, en Autriche... en Tchécoslovaquie; il n'aura fallu que cinq jours à Staline pour l'écraser en France [...]
J'ai bataillé, bien modestement je le sais, durant plus de trente ans pour un idéal dont j'emporterai le culte dans la tombe; je frémis aujourd'hui devant le coup terrible que lui porte la volte-face stalinienne. J'ai pris la grave détermination de démissionner du parti communiste français parce que les dirigeants de ce parti ont spontanément approuvé, avec une incroyable légèreté de lien et de fond, un acte que je réprouve de toute mes forces ! J'ai pensé aux millions d'êtres humains qui ont roulé dans le malheur, la servitude ou la mort, souvent héroïquement, pour avoir voulu résister à la barbarie fasciste ! Je n'ai obéi, par ailleurs, à aucune influence extérieure, à aucun sentiment dégradant ! J'ai tout pesé et je n'ai, en définitive, de compte à rendre qu'a ma conscience ! Puis-je dire que ces comptes sont parfaitement à jour ?
Maurice Thorez a dit souvent : "Nous, communistes, nous ne prenons nos mots d'ordre ni à Moscou, ni à Londres, ni à Rome, ni à Berlin, mais à Paris." Ou c'était inexact, et il aurait dû se taire. Ou c'était exact et, alors, j'ai le droit de dire aujourd'hui que si Staline est russe et agit en Russe, j'ai le droit, moi, d'être français et d'agir en Français !
En ces heures tragiques où se joue le sort de l'humanité, je demande, en conclusion, aux uns et aux autres de réserver leurs appréciations et leurs controverses; je supplie notre peuple de rester uni et courageux pour la salut de la paix, de la liberté, pour le salut de la nation."

Ces deux premières démissions susciteront une vive réaction du Parti communiste qui se manifestera dans le communiqué de presse de son groupe parlementaire du 29 août 1939 :

"Le Groupe a flétri unanimement l’attitude de Saussot et de Loubradou, députés de la Dordogne qui trahissent le Parti communiste à un moment où la réaction fasciste s’acharne contre lui." (1)

 
Jules Fourrier
 
Député de la Seine, Jules Fourrier rompt avec le PCF à la suite de l'invasion de la Pologne par les armées soviétiques le 17 septembre 1939. L'Œuvre du 21 septembre 1939 donne le contenu de sa lettre de démission :

"Dans une lettre adressée à Jacques Duclos, secrétaire général du parti [groupe] communiste, Jules Fourrier, député de la Seine, déclare qu'après avoir mûrement réfléchi et avoir milité pendant plus de dix ans au sein du parti communiste, il donne aujourd'hui sa démission du parti parce que, dit-il, « la politique que poursuit présentement l'URSS, favorise l'hitlérisme qui a toujours été un facteur de guerre. »
Il ajoute qu'en se rangeant aux côtés de l'Allemagne hitlérienne, on prend les mêmes responsabilités qu'elle et que l'agression contre la Pologne, pays de 35 millions d'habitants attaqué par deux pays comptant plus de 250 millions d'habitants, constitue « un véritable assassinat prémédité avec les pires ennemis des démocraties à travers le pacte germano-soviétique.
« Ne voulant participer, ni de près ni de loin, conclut-il, à une telle politique, ma place n'est plus dans les rangs de l'Internationale communiste ni dans sa section française.
« Je resterai le militant, ouvrier sincère, modeste, en défendant de toutes mes forces avec le peuple de France nos libertés démocratiques ainsi que notre cher pays menacé par la clique de Berlin. »".

Le député de Paris donnera aussi des explications à ses collègues dans une lettre qui leur adressera au mois décembre. Dénonçant une nouvel fois le sort de la Pologne, attaquée par Hitler puis Staline, il évoquera aussi le cas de la Finlande en dénonçant les massacres commis par l'Armée rouge. Le Populaire du 30 décembre 1939 reproduira des passages de cette lettre :

"« ...Oui je suis de ceux qui considéraient la Russie des Soviets comme un puissant facteur de Paix et je ne rougis pas de ce passé d'action et de lutte que je menais avec mes camarades sous les drapeaux du Communisme.
En septembre 1939, tout change; la position de la Russie est complètement changée; ce n'est pas le pacte anglo-franco-soviétique qui est signé, mais le pacte germano-soviétique organisant et facilitant de ce fait l'agression de Hitler contre la Pologne et qui permettrait, par la suite, à Staline, d'envahir le reste de cette nation et de continuer sa politique impérialiste dans les pays du Nord.
Oui, Staline a trahi; oui, Moscou a trahi la classe ouvrière française. On ne soviétise pas à la pointe des baïonnettes.
Aujourd'hui, à coups de bombes, à coups de canons et à coups de mitrailleuses, la soi-disant glorieuse armée rouge apporte la soviétisation en massacrant les femmes et les enfants d'Helsinki. 180 millions d'habitants contre 3 millions et demi. »"

Après cette troisième démission, le groupe communiste à la Chambre des députés compte 71 membres.

(1) Cahiers d'histoire de l'IRM n° 39, 1989, p. 76.


Partie II


Groupe ouvrier et paysan français

Le 1er septembre 1939, Hitler attaque la Pologne avec comme motif le refus du gouvernement polonais de satisfaire des revendications territoriales qu'il juge légitimes et limitées. Alliées des Polonais, la France et l'Angleterre réagissent le 3 septembre en déclarant la guerre à l'Allemagne nazie.
 
Le 26 septembre, soit trois semaines après le début du conflit, le Conseil des ministres adopte sur la proposition du ministre de l'Intérieur, Albert Sarraut, radical-socialiste, un décret-loi prononçant la dissolution de la Section Française de l'Internationale Communiste autrement dit le Parti communiste français.

Nouvelle mesure visant le Parti communiste après la suspension de sa presse consécutive à son approbation du Pacte germano-soviétique du 23 août 1939, cette décision du gouvernement dirigé par Edouard Daladier, radical-socialiste, est une réaction à l'invasion de la Pologne par l'Armée rouge le 17 septembre. Le Parti communiste n'a pas condamné cette agression. Mieux, un communiqué de presse (censuré) de son groupe parlementaire l'a approuvée.

Elément supplémentaire sur le contexte. Le 21 septembre, au terme d'une réunion à laquelle ont participé les dirigeants non mobilisés, le Comité central du PCF a adopté une résolution intitulée "Il faut faire la Paix". Premier plaidoyer du Parti communiste en faveur de la Paix, cette résolution témoignait du revirement de sa ligne politique qui était consécutif aux Instructions de l'IC du 9 septembre. Reçues à la mi-septembre, ces Instructions demandaient au PCF d'abandonner sa ligne favorable à la défense nationale et de s'engager dans la lutte contre la guerre impérialiste. Compte tenu de sa diffusion limitée, le manifeste "Il faut faire la Paix" n'a pas connu une grande publicité. Pour la presse, le premier texte pacifiste du PCF sera la lettre du 1er octobre 1939.

Le 27 septembre, jour de la publication du décret de dissolution, les députés communistes présents à Paris décident de former un nouveau groupe parlementaire.

Concrètement, chaque député devra remplir un bulletin d'adhésion. Formalité que ne pourront accomplir les parlementaires mobilisés, sauf en cas de permission leur permettant de revenir dans la capitale. Quant à ceux qui sont dans leur circonscription, ils devront soit revenir à Paris soit renvoyer le bulletin d'adhésion qu'ils auront reçu par voie postale.

Avec 43 adhésions, ce nouveau groupe est formellement constitué le 28 septembre sous le nom de groupe ouvrier et paysan français. Pour marquer son absence de tout lien avec la IIIe Internationale, son programme fait référence à la plateforme adopté en 1880 par le Parti ouvrier français de Jules Guedes


La présidence et le secrétariat du groupe sont confiés à Arthur Ramette, député du Nord et membre du Bureau politique, et à Florimond Bonte, député de Paris et membre du Comité central.

A peine constitué le GOPF connaît le 29 septembre sa première défection : Marcel Brout. La démission du député de la Seine est motivée par la signature la veille du Traité de frontières et d'amitié germano-soviétique comme le rapporte Le Matin du 1er octobre 1939 :

"M. Marcel Brout, député de la Seine, vient d'informer M. Ramette, président du nouveau groupe « ouvrier et paysan français », qu'il ne fait plus partie de ce groupe, étant en désaccord avec ses collègues sur le nouveau pacte germano-soviétique qui conclut à l'aide effective de l'Union soviétique à l'Allemagne hitlérienne et qui lui parait être l'aboutissement du premier pacte signé.
M. Brout a exposé dans les couloirs de la Chambre qu'avant la dissolution du parti communiste, il avait indiqué que, s'il avait la conviction que la position de l''URSS consistait à apporter son concours à l'Allemagne hitlérienne pour la poursuite de la guerre, il ne continuerait plus sa collaboration au groupe parlementaire.
C'est pour se conformer à cette déclaration qu'il se retire du groupement qui s'est substitué au groupe communiste et auquel il avait donné son adhésion avant la signature du nouvel accord de Moscou qu'il réprouve."

Dans son numéro du 4 octobre 1939, le Journal officiel annonce cette démission et quatre nouvelles adhésions au GOPF : Cristofol, Gaou, Mercier, Vazeilles.

Le Journal officiel du 6 octobre 1939 indique que le GOPF compte désormais "52 membres au lieu de 46" avec six nouvelles adhésions : Barel, Brun, Fajon, Philippot, Puech (dit Parsal), Thorez.

Les 18 députés de l'ancien groupe communiste qui ne sont ni membres du GOPF (52) ni démissionnaires du PCF (4) sont : Benenson, Cogniot, Colin, Declercq, Dewez, Gitton, Grenier, Guyot, Honel, Langumier, Le Corre, Quinet, Marty, Michels, Mouton, Nicod, Pourtalet, Raux.

Restés fidèles au Parti ces députés n'ont pu se rallier au GOPF en raison de leur mobilisation. L'explication est différente pour André Marty. Dirigeant de l'IC, le député de Paris a rejoint Moscou à la fin d'août 1939. Autre cas : Cyprien Quinet. Incarcéré le 31 août pour avoir signé un tract favorable au Pacte germano-soviétique, le député du Pas-de-Calais a été condamné à 3 mois de prison. 


"Coup d'éclat"

Le 28 septembre, à Moscou, l'URSS et l'Allemagne signent un Traité de frontières et d'amitié qui organise le démembrement de la Pologne et fonde sur ce partage "le développement et le progrès des relations amicales entre leurs peuples".

Comme le Pacte germano-soviétique du 23 août 1939, ce traité porte les signatures de Ribbentrop et de Molotov, ministres des Affaires étrangères du Reich et de l'Union soviétique.

Preuve supplémentaire de leur alliance, les deux bourreaux du peuple polonais paraphent le même jour une Déclaration conjointe.
 
Dans ce texte, les gouvernements allemand et soviétique appellent la France et l'Angleterre à approuver leur action en Pologne, s'engagent à faire des "efforts communs" pour "mettre fin à l'état de guerre qui existe entre l'Allemagne d'une part, la France et l'Angleterre d'autre part" et enfin affirment qu'un échec de leurs démarches pour la paix établira le fait que "l'Angleterre et la France sont responsables de la continuation de la guerre".

Un seule formation politique va apporter son soutien à cette offensive de Paix hitléro-stalinienne : le Parti Communiste Français. Son objectif : démontrer que sa capacité d'action en faveur de la Paix n'a pas été altérée par sa dissolution. Son mode d'action : la mobilisation de sa dernière tribune légale qu'est son groupe parlementaire.

C'est dans ce contexte que le 30 septembre, le groupe ouvrier et paysan français se réunit pour débattre d'une initiative en faveur de la Paix. Au terme de cette réunion, à laquelle n'ont pas participé les élus mobilisés ou retenus dans leur circonscription, les députés communistes approuvent le principe d'envoyer une lettre au président de la Chambre. A la réunion du lendemain, le texte préparé par Florimond Bonte n'est pas retenu et c'est finalement Jacques Duclos, député de la Seine et secrétaire du PCF, qui rédige le texte définitif de cette lettre.

Datée du 1er octobre 1939, la lettre au président Herriot est signée au nom du groupe ouvrier et paysan français par Arthur Ramette et Florimond Bonte, respectivement président et secrétaire général du groupe parlementaire communiste.

Cette démarche des parlementaires communistes est une décision de la direction du PCF. Deux éléments permettent de l'attester.

Tout d'abord, le rôle prééminent de Jacques Duclos. Le n° 2 du Parti communiste a non seulement soumis l'idée de la lettre à ses camarades mais il a aussi été le rédacteur du texte.

Ensuite, l'accord de Maurice Thorez, alors mobilisé. Dans ses notes rédigées en novembre 1939 à Moscou, le secrétaire général du PCF qui a déserté au mois d'octobre indique qu'il a approuvé l'initiative de Jacques Duclos d'adresser une lettre au président Herriot et qualifie cette lettre de "coup d'éclat" en faveur de la Paix :

     "Puis est venue interdiction du Parti
Alors Jacques a réalisé et recherché l'occasion coup d'éclat
    Ce fut lettre Herriot
     manifestation que j'ai approuvé
     - le Parti contre la guerre
     - le Parti fidèle U.S [Union Soviétique]
     - le Parti pour respects droits et liberté". (1)

La lettre du GOPF est remise au président de la Chambre le 2 octobre. Pour en assurer la publicité elle aussi communiquée à la presse et envoyée à tous les députés.

Par son contenu, elle provoquera une réaction indignée de la presse, une condamnation de tous les partis politiques et le plus important l'ouverture d'une procédure judiciaire pour infraction au décret de dissolution du PCF.

(1) Cahiers d'histoire de l'institut de recherches marxistes, Le PCF 1938-1941 n° 14, 1983 p. 127.


Lettre au président Herriot

Le lundi 2 octobre 1939, le groupe ouvrier et paysan français remet au président de la Chambre des députés la lettre suivante :

Paris, le 1er octobre 1939

Monsieur le Président,

La France va se trouver incessamment en présence de propositions de paix. 
A la seule pensée que la paix prochaine pourrait être possible, une immense espérance soulève le peuple de notre pays qu'angoisse la perspective d'une guerre longue qui ensevelirait les trésors de la culture humaine sous des monceaux de ruines et coûterait la vie à des millions d'hommes, de femmes et d'enfants confondus dans le massacre. 
A peine a-t-on parlé de ces propositions de paix, dues aux initiatives diplomatiques de l'U.R.S.S., qu'une presse dirigée a répondu avec ensemble : non !
Est-il possible que des journalistes ne détenant aucun mandat de la nation puissent froidement trancher en faveur de la continuation de la guerre jusqu'au bout ?
Est-il possible que des propositions de paix puissent être rejetées avant même d'être connues et sans que la représentation nationale et souveraine ait été consultée ?
Nous ne le pensons pas quant a nous, et nous vous demandons, en tant que Président de la Chambre, d'intervenir auprès des Pouvoirs Publics pour demander :
1° que le Parlement soit appelé à délibérer en séance publique sur le problème de la paix; 
2° que les parlementaires aux Armées puissent prendre part aux délibérations sur cette question capitale, d'où dépend la vie ou la mort de millions de Français.
Chaque Français veut la paix, car il sent qu'une guerre de longue durée serait terrible pour notre pays et compromettrait à la fois son avenir et ses libertés démocratiques.
II faut absolument empêcher qu'on puisse rejeter a priori des propositions de paix, et nous conduire, par cela même, à l'aventure et aux pires catastrophes.
Nous voulons de toutes nos forces une paix juste et durable et nous pensons qu'on peut l'obtenir rapidement, car en face des fauteurs de guerre impérialistes et de l'Allemagne hitlérienne en proie à des contradictions internes, il y a la puissance de l'Union soviétique qui peut permettre la réalisation d'une politique de sécurité collective susceptible d'assurer la paix et la sauvegarde de l'indépendance de la France.
Voila pourquoi nous avons conscience de servir les intérêts de notre pays en demandant que les propositions de paix qui vont être faites à la France soient examinées avec la volonté d'établir au plus vite une paix juste, loyale et durable, que du fond de leur cœur souhaitent tous nos concitoyens.
  
Pour le Groupe ouvrier et paysan français,

Le secrétaire général :                                                 Le président :
                 F. BONTE, Député.                                            A. RAMETTE, Député.


"Une paix juste, loyale et durable"

Dans sa lettre au président Herriot, le groupe ouvrier et paysan français annonce l'imminence de "propositions de paix, dues aux initiatives diplomatiques de l'U.R.S.S." et demande en conséquence l'organisation d'un vote du Parlement en faveur d'une "paix juste, loyale et durable, que du fond de leur cœur souhaitent tous nos concitoyens".

Accessoirement, il souhaite que "les parlementaires aux Armées" puissent participer aux délibérations de la Chambre. Ainsi, dans l'hypothèse d'un vote sur des propositions de Paix, le Parti communiste pourra compter sur les voix de ses 22 députés mobilisés parmi lesquels figure son secrétaire général : Maurice Thorez.

Pour justifier sa démarche en faveur de la Paix, le groupe parlementaire communiste accuse la France et l'Angleterre d'être les responsables de la guerre, dénonce les conséquences d'une guerre longue, condamne la presse belliciste et enfin invoque la diplomatie soviétique.

Responsabilité franco-anglaise dans le déclenchement du conflit

La lettre des députés communistes accuse la France et l'Angleterre d'être des "fauteurs de guerre impérialistes". En revanche elle ne formule aucune accusation contre l'Allemagne d'Hitler qui est simplement décrite comme un pays "en proie à des contradictions internes". Conclusion, les responsables de la guerre sont la France et l'Angleterre !!!

Les élus du PCF ne font aucune référence aux motifs pour lesquels la France est entrée en guerre : la défense de la Pologne, la lutte contre le nazisme, la sécurité de son territoire.

Conséquences d'une guerre longue

Pour susciter l'adhésion de la population française et de la représentation nationale à leur démarche en faveur d'une Paix immédiate avec l'Allemagne, les députés communistes affirment "qu'une guerre de longue durée serait terrible pour notre pays et compromettrait à la fois son avenir et ses libertés démocratiques".

Ils insistent sur ce point en dénonçant "la perspective d'une guerre longue qui ensevelirait les trésors de la culture humaine sous des monceaux de ruines et coûterait la vie à des millions d'hommes, de femmes et d'enfants confondus dans le massacre".

Presse belliciste

Les députés communistes condamnent la presse pour son opposition à toute négociation de paix franco-allemande en soulignant que son bellicisme s'explique par sa soumission au gouvernement :

"une presse dirigée a répondu avec ensemble : non ! Est-il possible que des journalistes ne détenant aucun mandat de la nation puissent froidement trancher en faveur de la continuation de la guerre jusqu'au bout ?"

La lettre envoyée au président Herriot sera fustigée dans tous les journaux de la presse parisienne, preuve supplémentaire pour les communistes qu'elle est aux ordres des fauteurs de guerre qui abreuvent la population de bobards.

Au début de juillet 1940, le Parti communiste diffusera le tract "Les bourreurs de crâne au pilori" dans lequel il plaidera en faveur de la reparution légale de l'Humanité, c'est-à-dire sous censure allemande, en dénonçant les mensonges de la presse belliciste pendant la guerre de 1939-1940 :

"Pour conduire la France au désastre une bande de malfaiteurs publics a trompé le peuple de notre pays. On l'a trompé sur la force de notre armée, on l'a trompé sur la politique des communistes présentés comme des traîtres, alors qu'ils étaient les seuls à lutter pour la Paix, en Français clairvoyants et en militants courageux. On l'a trompé ce pauvre peuple de France, de la façon la plus ignoble."

Diplomatie soviétique

La lettre au président Herriot célèbre l'URSS pour son action en faveur de la Paix. Tout d'abord, elle indique que les propositions de paix que le France va recevoir sont "dues aux initiatives diplomatiques de l'URSS".

Ensuite, elle souligne que "la puissance de l'Union soviétique" non seulement permettra au gouvernement français de conclure "rapidement" un traité de Paix avec Hitler mais en plus garantira la pérennité de cette Paix dans le cadre "d'une politique de sécurité collective".


Renaud Jean et Marcel Capron

Député du Lot-et-Garonne, Renaud Jean participe à la réunion du groupe communiste du 27 septembre. Informé qu'un nouveau groupe va être constitué sous le nom de groupe ouvrier français, il donne son adhésion et suggère l'ajout du mot paysan à la nouvelle dénomination.

Rentré dans sa circonscription, il est revient à Paris dans la soirée du 2 octobre. Le lendemain, il prend connaissance dans la presse que ses camarades ont envoyé une lettre au président Herriot. A la réunion du groupe, il manifeste son désaccord avec le contenu de la lettre en contestant la référence à l'URSS et l'approbation sans condition de toute proposition de paix. Il veut que le groupe clarifie sa position en envoyant une seconde lettre dans laquelle il sera affirmé qu'il appartient au Parlement de débattre de toute offre de paix formulée par l'ennemi et que les communistes n'ont qu'un seul but : la lutte contre l'hitlérisme.

Ce projet d'une seconde lettre est de nouveau discuté à la réunion du 4 octobre. Il n'aura aucune suite malgré le soutien de plusieurs députés et les menaces de démission formulées par Renaud Jean et Marcel Capron, député-maire d'Alfortville dont la dernière apparition à la Chambre remonte au 27 septembre.
.
Cette réunion sera la dernière du groupe parlementaire communiste. Le lendemain, la justice militaire engagera des poursuites contre le GOPF.

Par fidélité à ses camarades, Renaud Jean restera solidaire de la lettre envoyée au président Herriot. Gardant dans le privé tous ses désaccords, il ne répondra pas aux questions du magistrat instructeur sur les réunions des 3 et 4 octobre. En revanche, au cours du procès qui se tiendra en mars-avril 1940, il refusera de signer avec quatre de ses camarades la déclaration qui sera lue par François Billoux au nom de tous les accusés et dans laquelle sera réaffirmée l'opposition du PCF à la guerre ainsi que sa fidélité à l'IC, à l'URSS et à Staline.

Quant à Marcel Capron, fidèle à sa parole, il enverra sa lettre de démission à la questure de la Chambre le 8 octobre. Jugée irrégulière, elle sera rejetée. Le 11, il enverra une nouvelle démission qui sera acceptée. Son retrait du groupe ouvrier et paysan français sera mentionnée au Journal officiel du 15 octobre 1939.


Trois nouvelles démissions
de députés communistes

En désaccord avec le contenu de la lettre adressée au président Herriot, les députés Gilbert Declercq, René Nicod et Lucien Raux rompent avec le Parti communiste sous la forme de déclarations formelles et non d'une lettre de démission puisque ces trois députés ne sont pas membres du GOPF et que le PCF a été dissous.

Gilbert Declercq, député du Nord, se désolidarise du Parti communiste dans une lettre adressée aux questeurs de la Chambre qui sera publiée dans Le Populaire du 5 octobre 1939 :

"Je soussigné Gilbert Declercq, député du Nord, maire d'Halluin, ex-membre de l'ancien groupe parlementaire communiste, déclare n'avoir rien de commun avec le nouveau groupe ouvrier et paysan français, encore moins avec la lettre adressée par celui-ci à M. Herriot, président de la Chambre des députés.
Pour qu'il n'y ait aucune équivoque, je demande à être inscrit sans affectation de groupe.
Veuillez agréer, etc...

René Nicod rompt avec le Parti communiste en condamnant la ligne politique défendue par le GOPF dans un courrier envoyé le 7 octobre au secrétaire général de la questure de la Chambre :

"Monsieur,
Je vous prie de bien vouloir noter officiellement que je ne suis pas adhérent au groupe parlementaire ouvrier et paysan et que, présentement, je ne suis inscrit à aucun groupe parlementaire.
C'est parce que je n'approuve pas la position politique prise par le groupe parlementaire ouvrier et paysan que je n'adhère pas à ce groupe." (1)

Le député de l'Ain confirme cette rupture en adressant aux maires de sa circonscription une lettre dans laquelle il justifie sa décision. On peut lire des extraits de cette lettre dans Le Populaire du 18 octobre 1939 :

"Dans une lettre adressée à tous les maires de la circonscription de Nantua-Gex, René Nicod, député de l'Ain, conseiller général d'Oyonnax, écrit notamment :
« ...Dès le premier jour de la signature du pacte germano-russe de non-agression, j'ai désapprouvé un tel acte diplomatique.
« ...Je désapprouve avec une même énergie l'invasion d'une partie de la Pologne par la Russie des Soviets, de même que je désapprouve toute tentative qui conduirait à un nouveau Munich.
« ...C'est pour ces raisons que je n'ai pas adhéré au Groupe parlementaire dit "Ouvrier et Paysan" dont la position politique me semblait aller à l'encontre du sentiment national. »"

Enfin, Lucien Raux, député du Nord, met fin à ses activités au sein du PCF en envoyant une lettre au président Herriot dans laquelle il déclare qu'il n'a jamais adhéré au GOPF et qu'il n'appartient a aucun groupe. (2)

(1) Journal officiel du 21 février 1940.. (2) Le Populaire du 19 octobre 1939.


Manifeste "Au peuple français"

Le 5 octobre 1939, en réaction à la lettre du GOPF, cinq anciens députés du PCF - Brout, Declercq, Fourrier, Loubradou et Saussot - diffusent dans les couloirs de la Chambre un manifeste intitulé "Au peuple français".

Ce manifeste condamne "la trahison de Staline et de la IIIe Internationale", "le pacte germano-soviétique qui a permis l'agression nazie contre la Pologne" et enfin le refus du PCF de "se désolidariser de l'orientation nouvelle de la politique stalinienne".

Son contenu est partiellement reproduit dans Le Populaire du 6 octobre 1939 :

"Dans un appel « au peuple français » Declercq, Fourrier, Marcel Brout, Saussot et Loubradou, députés démissionnaires du Parti communiste, déclarent qu'en quittant ce parti ils ont la conviction d'exprimer la révolte des travailleurs français devant la trahison de Staline et de la III· Internationale.
Ils restent, disent-ils, fidèles à la politique de résistance à l'agresseur et au soutien des démocraties dans la mesure où celles-ci s'opposent aux régimes d'oppression.
S'étant toujours élevés contre toute abdication devant l'hitlérisme et son régime, ils condamnent le pacte germano-soviétique qui a permis l'agression nazie contre la Pologne, entraînant les démocratie française et anglaise dans un conflit sanglant.
Ils condamnent ceux qui, au mépris des intérêts français, n'ont pas voulu ou n'ont pas su se désolidariser de l'orientation nouvelle de la politique stalinienne." 

Quelques jours plus tard, Gilbert Declercq publie un démenti. Il indique qu'il n'a signé aucun manifeste, ni aucun appel. Il ajoute qu'il a demandé à être inscrit, en sa qualité de parlementaire, sans affectation de groupe. Il conclut en précisant qu'il ne permet à personne de faire usage de sa signature ou de son nom à des fins politiques. (1)

(1) Le Petit Parisien du 10 octobre 1939.


Partie III


"Paix de trahison"

Le 6 octobre 1939, le chancelier Hitler célèbre la victoire allemande en Pologne dans un discours prononcé devant le Reichstag.

Formulant à la fin de son intervention des propositions de Paix, le dictateur nazi avance l'idée d'une conférence internationale sur l'organisation politique et économique du continent européen ainsi que sur... son désarmement en posant une exigence identique à celle contenue dans la déclaration germano-soviétique du 28 septembre : la France et l'Angleterre doivent approuver le partage de la Pologne entre l'Allemagne nazie et la Russie soviétique.

Dans son allocution radiodiffusée le 10 octobre, le président du Conseil, Edouard Daladier, rejettera les propositions de paix allemandes et condamnera les communistes pour leur soutien à une "paix allemande" qui n'est qu'une "paix de trahison" :

"Il y a quelques semaines à peine que les chefs communistes se présentaient à vous comme de farouches patriotes. C'étaient, à les entendre, de nouveaux Jacobins. Ils n'avaient pas de mots assez durs et même pas assez d'injures pour flétrir les efforts pacifiques du gouvernement.
Ils annonçaient dans les meetings qu'ils seraient à la pointe du combat contre Hitler et contre ses armées, pour la liberté, pour la patrie, et il a suffi que les bolchevistes trouvent leur intérêt à s'entendre avec les nazis et à partager avec eux la Pologne pour que ces mêmes grands patriotes fassent l'apologie d'une paix de trahison [Lettre du GOPF]. [...]
Ni la France ni la Grande-Bretagne, en effet, ne sont entrées en guerre pour soutenir une sorte de croisade idéologique. Ni la France ni la Grande-Bretagne ne sont davantage entrées en guerre par esprit de conquête. Elles ont été obligées de combattre parce que l'Allemagne veut leur imposer sa domination sur l'Europe. [...]
Je sais bien qu'on vous parle aujourd'hui de paix, de la paix allemande, d'une paix qui ne ferait que consacrer les conquêtes de la ruse ou de la violence et n'empêcherait nullement d'en préparer de nouvelles.
A quoi se résume en effet le dernier discours du Reichstag ? A ceci : J'ai anéanti la Pologne, je suis satisfait, arrêtons le combat, tenons une conférence pour consacrer mes conquêtes et organiser la paix. [...]
Certes, nous avons toujours désiré et nous désirons toujours qu'une collaboration sincère et une entente loyale puissent être établies entre les peuples, mais nous sommes résolus à ne pas nous soumettre aux « diktats » de la violence. Nous avons pris les armes contre l'agression; nous ne les reposerons que lorsque nous aurons des garanties certaines de sécurité, d'une sécurité qui ne soit pas mise en question tous les six mois. [...]
La France, à qui la guerre a été imposée, tient au combat le même langage qu'elle a toujours tenu. J'affirme donc, en votre nom, que nous combattons et que nous continuerons à combattre pour obtenir une garantie définitive de sécurité."

De même, dans son discours prononcé à la Chambre des Communes le 12 octobre, le premier ministre anglais, Neville Chamberlain, repoussera les proposition de paix du chancelier Hitler :

"Il faut en conclure que les propositions que présente le chancelier du Reich pour ce qu'il appelle « la certitude de la sécurité européenne » doivent être fondées sur la reconnaissance de ces conquêtes et le droit de faire de ceux qu'il a vaincus ce que bon lui semblera. Il serait impossible à la Grande-Bretagne d'accepter aucune base de ce genre sans forfaire à l'honneur et abandonner sa thèse que les différends internationaux doivent être réglés par la discussion et non pas par la force. [...]
Ce ne fut donc pas dans un dessein de vengeance que nous sommes entrés dans cette guerre, mais tout simplement pour la défense de la liberté. Ce n'est pas seulement la liberté des petites nations qui est en jeu. Ce qui est également menacé, c'est l'existence, dans la paix, de la Grande-Bretagne, des Dominions, de l'Inde, de tout l'Empire britannique, de la France et, en fait, de tous les pays épris de liberté. Quel que soit le résultat de cette lutte et quelle que soit la façon dont on y mettra fin, le monde ne sera plus celui que nous aurons connu auparavant. [...]
Les propositions contenues dans le discours du Chancelier sont vagues, indéfinies et ne comportent aucune suggestion tendant à la réparation des torts infligés à la Tchéco-Slovaquie et à la Pologne. 
Même si les propositions de M. Hitler étaient définies et contenaient des suggestions en vue du redressement de ces torts, il faudrait encore se demander par quels moyens pratiques le gouvernement allemand se propose de convaincre le monde que désormais l'agression cessera et que les engagements pris seront tenus. L'expérience passée nous a démontré qu'il est impossible d'avoir confiance dans les promesses du gouvernement allemand actuel. Et c'est pourquoi, il faut maintenant plus que des paroles, il faut des actes pour que nous, les peuples britanniques et la France, notre vaillante et fidèle alliée, soyons fondés à mettre fin à des opérations de guerre que nous entendons poursuivre avec le maximum de nos forces."
 
Le refus de la France et de l'Angleterre de reconnaître comme un fait acquis le partage de la Pologne entre l'Allemagne et l'URSS et donc d'engager des négociations de Paix avec Berlin marque l'échec à la fois de la diplomatie soviétique et de l'initiative pacifiste des députés communistes.
 

Partie IV


Justice militaire

Le 5 octobre 1939, sur les instructions du général Héring, gouverneur militaire de Paris, le colonel Loriot, commissaire du gouvernement auprès du 3e tribunal militaire de Paris, ouvre une information judiciaire contre Arthur Ramette et Florimond Bonte - les deux signataires de la lettre au président Herriot - et tous autres que l'information fera connaître pour infraction au décret de dissolution du Parti communiste.

Cette information judiciaire est confiée au capitaine de Moissac, juge d'instruction au 3e tribunal militaire de Paris.

Jugeant que la constitution du groupe ouvrier et paysan français est une infraction à l'article 1 du décret de dissolution qui proscrit toute activité ayant pour objet de propager les mots d'ordre de la IIIe Internationale et que la lettre au président Herriot est une infraction à l'article 3 du même décret qui interdit la publication, la circulation et la distribution des écrits tendant à propager les mots d'ordre de la IIIe Internationale, le magistrat instructeur inculpera en quelques jours tous les membres du GOPF, à l'exception de Mercier.

Le décret de dissolution prévoit que toute infraction à ses articles est un délit qui sera punie d'un an à cinq ans de prison et de 100 à 5 000 francs d'amende. Peine accessoire : la privation des droits civiques, civils et de famille.

Dans son enquête, le capitaine de Moissac tentera aussi de déterminer si la lette des députés communistes relève des articles 75 et suivants du code pénal qui définissent les crimes de trahison et d'atteinte à la sûreté extérieure de l'Etat.

Sa réflexion le portera à envisager que la lettre au président Herriot contrevient :

- soit à l'article 75 alinéa 5 qui stipule que tout Français qui entretiendra des intelligences avec une puissance étrangère - l'URSS dans le cas présent - "en vue de favoriser les entreprises de cette puissance contre la France" sera puni de la peine de mort pour acte de trahison.

- soit à l'article 80 alinéa 2 qui prévoit que "tout Français qui entretiendra avec les agents d'une puissance étrangère des intelligences ayant pour objet, ou ayant eu pour effet de nuire à la situation militaire ou diplomatique de la France" sera puni en temps de guerre aux travaux forcés à temps pour atteinte à la sûreté extérieure de l'Etat.


Inculpation de 51 députés

Dans la matinée du 5 octobre 1939, le capitaine de Moissac convoque les 43 membres du groupe ouvrier et paysan français. 

Apprenant qu'Arthur Ramette et Florimond Bonte ont pris la fuite, il délivre contre eux des mandats d'amener. Le gouvernement ayant pris la veille un décret clôturant la session extraordinaire dans les deux Chambres, les députés communistes ne bénéficient plus de leur immunité parlementaire.

Dans l'après-midi, l'officier instructeur auditionne cinq députés communistes : Berlioz, Capron, Cornavin, Costes, Jean (Renaud). 

Le 6 octobre, neuf parlementaires répondent à sa convocation : Benoist, Croizat, Gresa, Lozeray, Môquet, Petit, Piginnier, Pillot, Rigal. Le lendemain, huit : Cossonneau, Dadot, Demusois, Fouchard, Martel, Midol, Prachay, Touchard.

Compte tenu des réponses données au cours de ces interrogatoires (1), du refus de plusieurs députés de répondre à ses convocations et enfin de la fuite de Ramette et de Bonte, le magistrat instructeur décide d'inculper tous les membres du GOPF. Pour cela, il lance de nouveaux mandats d'amener.

Avec une démission et dix nouvelles adhésions officialisées les 4 et 6 octobre, le groupe parlementaire communiste compte désormais 52 membres. Un cas particulier : André Mercier. Mobilisé, il ne fera pas l'objet de poursuites au motif qu'il a été porté adhérent du GOPF sans être consulté.

Le 7 octobre, 13 députés communistes sont arrêtés dans la Seine par la préfecture de police de Paris : Berlioz, Bartoloni, Capron, Cornavin, Coste, Croizat, Gaou, Gésa, Lozeray, Martel, Petit, Pillot, Touchard. Ils passeront la nuit au Quai des Orfèvres. Le lendemain, trois députés de Seine-et-Oise - Cossonneau, Dadot, Midol - sont interpellés dans leur département.

Dans la journée du 8, les 16 parlementaires sont conduits dans le cabinet du capitaine de Moissac. Après l'interrogatoire d'identité, ils sont inculpés d'infraction au décret-loi du 26 septembre 1939 portant dissolution du Parti communiste. Placés sous mandats de dépôt, ils sont écroués à la prison militaire de la Santé. 

Le 9 octobre, le magistrat instructeur prend les mêmes mesures contre les 22 députés communistes arrêtés la veille en province par la Sûreté nationale et transférés dans la nuit vers Paris. Une exception Robert Philippot. Inculpé, le député du Lot-et-Garonne est laissé en liberté pour raison de santé.

Le 11 octobre, Prosper Môquet, député de la Seine arrêté la veille dans la Manche, est à son tour inculpé et écroué.

Bilan de cette première phase : 51 des 52 membres du GOPF on été inculpés, 38 ont été incarcérés, 10 sont en fuite et visés par un mandat d'arrêt (Bonte, Catelas, Duclos, Dutilleul, Monmousseau, Péri, Ramette, Rigal, Thorez, Tillon), 3 sont en liberté soit parce qu'ils sont mobilisés (Fajon et Puech), soit pour raison de santé (Philippot).

A l'exception d'Albert Rigal, le groupe des députés en fuite présente la particularité d'être composé de dirigeants importants du PCF. Maurice Thorez : secrétaire général. Jacques Duclos : secrétaire. Arthur Ramette, Gaston Monmousseau : membres du Bureau politique. Florimond Bonte, Jean Catelas, Gabriel Péri, Charles Tillon, Emile Dutilleul : membres du Comité central.

(1) Joints à un rapport de Marty de décembre 1939 sur l'attitude des députés communistes arrêtés en octobre et en novembre (seul Bonte a été arrêté en novembre), les 22 interrogatoires réalisés les 5, 6 et 7 octobre sont consultables sur le site Pandor qui publie des documents conservés dans les archives de l'IC.


Réaction du Parti communiste
 
Au début du mois d'octobre 1939, une direction communiste s'installe à Bruxelles avec à sa tête Jacques Duclos.

Cette direction pourra compter sur le soutien du Parti communiste belge. Autre avantage de la capitale belge : la présence d'une antenne de l'IC assurant un lien direct avec Moscou. Cette antenne est dirigée par Eugen Fried. Sa mission : contrôler les partis communistes d'Europe occidentale.

Refuge pour les communistes français, Bruxelles sera surtout un centre d'imprimerie pour la propagande communiste qui sera diffusée sur le territoire français.
 
Initiative de sa direction belge, le Parti communiste publie dans Le Monde n° 5 du 14 octobre 1939 - hebdomadaire de l'IC édité en Belgique - un texte intitulé : "Le Parti Communiste Français / Au peuple de France".
 
Ce premier appel lancé par le PCF depuis sa dissolution sera repris dans un numéo spécial de l'Humanité de novembre 1939 imprimé... à Bruxelles.

Intérêt du texte : il s'ouvre sur un salut aux députés communistes qui permet de surcroît d'en caractériser le contenu :

"Le Parti Communiste Français adresse un fraternel salut aux élus du peuple, fidèles à la cause du peuple, qui pour avoir combattu la guerre impérialiste et lutté pour la paix ont été jetés en prison par le gouvernement de réaction qui impose à la France la volonté des banquiers de Londres."

Illustration de la ligne pacifiste, antipatriotique et anglophobe du PCF, ce salut affirme que les députés communistes ont été emprisonnés pour "avoir combattu la guerre impérialiste et lutté pour la paix" et que leur incarcération illustre la soumission du gouvernement français à "la volonté des banquiers de Londres".


Renvoi de 44 inculpés

Le 5 février 1940, au terme de quatre mois d'instruction, le capitaine de Moissac décide de renvoyer 44 députés communistes devant le 3e tribunal militaire de Paris et de prononcer un non-lieu pour 7 inculpés. 

La première mesure concerne les 9 députés qui sont toujours recherchés par la police (Catelas, Duclos Jacques, Dutilleul, Monmousseau, Péri, Ramette, Rigal, Thorez, Tillon - Bonte a été arrêté en novembre) et les 35 parlementaires qui au cours de leurs auditions (1) ont approuvé le contenu de la lettre adressée au président Herriot.

La situation de ces 35 élus est la suivante : 30 sont en détention, 5 sont en liberté soit pour raison de santé (mutilés de guerre, Brun, Dadot et Duclos Jean ont été libérés en janvier 1940 - Philippot a été incarcéré en janvier 1940 ), soit parce qu'ils sont mobilisés (Fajon, Puech)

Cas particuliers : Robert Philippot et André Puech (dit Parsal) ont rompu avec le PCF en janvier 1940. Ces ruptures ont été enregistrés aux Journaux officiels du 17 janvier 1940 pour le premier et du 10 février 1940 pour le second. 

Bénéficient d'un non-lieu, les 7 inculpés qui se sont désolidarisés (2) de la ligne du Parti communiste et ont démissionné du groupe ouvrier et paysan français.

En adoptant cette position, Capron, Fouchard et Jardon ont été libérés en octobre, Daul en novembre, Valat en décembre, Piginnier en janvier, ce dernier ayant démissionné à la fois du GOPF et de son mandat de député en novembre, et enfin Pillot en février.

Ces démissions ont été annoncées aux Journaux officiels des 11 octobre 1939 (Fouchard), 14 octobre 1939 (Daul), 15 octobre 1939 (Capron), 20 octobre 1939 (Valat), 25 octobre 1939 (Jardon), 2 décembre 1939 (Piginnier), et 23 décembre 1939 (Pillot).

Avec 9 départs au cours de cette période, les effectifs du GOPF sont tombés à 42 membres. Rappelons que deux députés démissionnaires sont renvoyés devant la juridiction de jugement : Puech et Philippot. 

Autre décision importante du capitaine de Moissac : la poursuite de son instruction relative à des infractions aux articles 75 et suivants du code pénal dans une procédure séparée.

Ne visant plus que les neufs députés en fuite, cette procédure n'ira pas à son terme à cause de la défaite de juin 1940.

(1) Le site Pandor publie des documents conservés dans les archives de l'IC. Un rapport de Marty de décembre 1939 sur l'attitude des députés communistes arrêtés en octobre et en novembre (seul Bonte a été arrêté en novembre) compile leurs interrogatoires d'octobre sous le statut de témoin (5, 6 et 7 oct) puis d'inculpé.
(2) Interrogatoires d'octobre sous le statut de témoin (5, 6 et 7 oct) puis d'inculpé (site Pandor) : Capron (5 / 13 / 20 [p. 1 - p. 2]), Daul (9 / 20), Fouchard (7 / 14 / 21), Jardon (9 / 16 / 21), Piginnier (6 / 9 / 18), Pillot (6 / 14), Valat (9 / 17 / 21).
 

Partie V


Déchéance des députés communistes

Le 9 janvier 1940, la Chambre des députés se réunit pour la première fois de l'année. Bénéficiant d'une permission exceptionnelle de 8 jours, de nombreux parlementaires mobilisés sont présents

Cette séance de rentrée doit commencer par le discours d'usage prononcé par président d'âge puis se consacrer uniquement à l'élection du Bureau pour l'année 1940 qui comprend 1 président, 6 vice-présidents, 12 secrétaires et 3 questeurs.

Doyen de la Chambre assumant la présidence de la séance, le président d'âge débute son allocution "en envoyant aux armées de la République qui, avec tant de calme et fière résolution, se sont levées en masse à l'appel de la Patrie en danger, le salut plein d'émotion et d'affection de cette Assemblée".

Cet hommage suscite les applaudissements enthousiastes de la représentation nationale debout à l'exception de quatre députés communistes permissionnaires (Fernand Grenier, Raymond Guyot, André Mercier et Charles Michels) qui entendent ainsi manifester publiquement et avec éclat l'opposition du Parti communiste à la guerre contre l'Allemagne d'Hitler.

La Chambre condamne immédiatement cette attitude en votant à main levée une peine de censure avec exclusion temporaire.

A l'opposé de cette réaction, le Parti communiste célèbrera le comportement de ses parlementaires en leur adressant dans l'Humanité n° 19 du 14 janvier 1940 ses "plus chaleureuses félicitations" pour avoir "refusé de s'associer aux manifestations chauvines et d'Union Sacrée des fauteurs de guerre." et ainsi "exprimé le sentiment des ouvriers, des paysans et des soldats qui condamnent la guerre des capitalistes et réclament la paix".

Dans ce même numéro, l'Humanité les félicitera d'avoir "refusé de se prêter à l'indigne comédie d'union sacrée".

Après la lettre au président Herriot du 1er octobre 1939 et la tentative de Florimond Bonte de lire une Déclaration du PCF à la séance du 30 novembre 1939, la manifestation anti-républicaine et antipatriotique du 9 janvier 1940 est la troisième mobilisation des députés communistes en faveur de la Paix avec Hitler.

Cette troisième mobilisation au sein même du Parlement français aura une conséquence majeure : la promulgation le 20 janvier 1940 d'une loi prononçant la déchéance de tous les élus communistes qui n'ont pas rompu avec le PCF, et définissant par ailleurs la procédure à suivre pour la rendre effective.

Pour les députés, la déchéance doit être prononcée par la Chambre.


Suppression du groupe ouvrier et paysan français

Le 31 janvier 1940, le président Daladier envoie une lettre au président Herriot dans laquelle il demande à la Chambre de valider la déchéance de 67 députés communistes en application de la loi du 20 janvier 1940.

Sept députés communistes ne sont pas visés par cette mesure. Pour six d'entre eux (Capron, Brout, Fourrier, Loubradou, Nicod, Saussot), c'est parce qu'ils ont rompu avec le PCF dans les conditions prévues par la loi. Pour le septième (Piginnier), c'est parce qu'il a démissionné en novembre 1939. 

Le 20 février 1940, la Chambre des députés vote à l'unanimité (scrutin n° 758) une résolution dans laquelle elle constate la déchéance de 60 députés communistes sur les 67 qui figuraient dans la demande du gouvernement.

Ne sont pas déchus de leur mandat Declercq, Dewez, Fouchard, Jardon, Raux et Valat au motif que leur répudiation de tout lien avec le Parti communiste était, sur la forme, antérieure à la date butoir du 26 octobre 1939 et, sur le fond, sincère et sans équivoque. Pillot conserve aussi son mandat avec cette différence substantielle : la Chambre a justifié sa décision en retenant les propos qu'il a tenus devant le magistrat instructeur le 27 décembre 1939. 

Sur les 74 députés du groupe communiste, 60 sont déchus, 13 conservent leurs mandats - ils ont tous adhéré au groupe de l'union populaire française (UPF) - et enfin un député, Piginnier, n'est plus en fonction depuis sa démission en novembre 1939.

Les 60 députés déchus sont les 43 membres du groupe ouvrier et paysan français, c'est-à-dire les 42 députés inculpés plus Mercier, auxquels vient s'ajouter 17 députés communistes non-inscrits c'est-à-dire les 15 députés non-inscrits restés fidèles au PCF et les deux inculpés qui ont quitté le GOPF : Puech et Philippot.

L'exclusion de tous les membres du GOPF entraîne la suppression du groupe parlementaire qui est annoncée dans le Journal officiel du 23 février 1940 : "Supprimer le groupe ouvrier et paysan français".

(1) Le Petit Parisien du 12 janvier 1940.


Partie VI


Procès

Le 20 mars 1940, s'ouvre devant le 3e tribunal militaire de Paris le procès de 44 ex-députés communistes du groupe ouvrier et paysan français.

Le Conseil de guerre devra déterminer pour chaque accusé s'il est coupable :

1) "d'avoir à Paris, sur le territoire français, entre le 27 septembre et le 5 octobre 1939, participé à la formation et au fonctionnement du groupement « Ouvrier et Paysan » ayant pour but de propager, directement ou indirectement, les mot d'ordre de la IIIe internationale",

2) "d'avoir participé à la publication, à la circulation et à la diffusion d'une lettre adressée au président de la Chambre des députés, ayant pour but de prôner la paix sous les auspices de l'Union soviétique". (1)

Outre le huis clos et l'absence de neuf accusés qui seront jugés par contumace, ce procès qui prendra fin le 3 avril sera marqué par la Déclaration que Françoix Billoux, député des Bouches-du-Rhône et membre du Bureau politique, prononcera le dernier jour au nom de ses co-accusés à l'exception de 5 refus :

"Nous sommes poursuivis parce que nous nous sommes dressés et que nous dressons avec la dernière énergie contre la guerre impérialiste qui sévit sur notre pays, parce que nous appelons le peuple à exiger qu'il y soit mis fin par la paix, parce que nous indiquons au peuple de France le moyen de rendre notre pays libre et heureux. [...]
Communistes français. Avec Maurice Thorez, André Marty, Jacques Duclos, et tous nos amis co-inculpés, nous travaillons à la libération de notre pays.
Nous voulons le débarrasser de la guerre.
Nous appelons le peuple à imposer la paix."

Le Parti communiste diffusera l'intégralité de cette Déclaration sous forme de tract pour inciter les Français à se mobiliser contre la guerre. Elle sera même publiée à l'étranger pour dénoncer la répression des capitalistes français.

En raison de son contenu - dénonciation de la guerre impérialiste, plaidoyer pour la Paix, témoignage  de fidélité à l'IC, à l'URSS et à Staline - cinq députés ont refusé de la signer : Béchard, Jean, Vazeilles, Puech et Philippot.

Au final, au cours de la guerre de 1939-1940, 25 députés ont rompu avec le PCF : Béchard, Benenson, Brout, Capron, Daul, Declerq, Dewez, Fouchard, Fourrier, Gitton, Honel Jardon, Jean, Langumier, Le Corre, Loubradou, Nicod, Philippot, Piginnier, Pillot, Puech (dit Parsal), Raux, Saussot, Valat, Vazeilles.

Une précision : député de la Seine et secrétaire à l'organisation, Marcel Gitton a quitté le PCF en novembre 1939.


Jugement

Le tribunal militaire rend sa décision le 3 avril en fin d'après-midi après quatre heures de délibération.

Concernant la première accusation, tous les accusés sont reconnus coupables d'avoir enfreint l'article 1 du décret de dissolution qui proscrit toute activité ayant pour objet de propager les mots d'ordre de la IIIe Internationale.

Quant à la seconde accusation, seuls les deux signataires de la lettre - Florimond Bonte (présent) et Arthur Ramette (en fuite) - sont reconnus coupables d'avoir enfreint l'article 3 du décret de dissolution qui interdit la publication, la circulation et la distribution des écrits tendant à propager les mots d'ordre de la IIIe Internationale.

Au vu de ces éléments et de la situation de chaque accusé, le tribunal condamne 36 députés communistes à 5 ans de prison ferme et les 8 autres à 4 ans de prison avec sursis

Bénéficient du sursis les 3 députés (Dadot, Brun, Duclos Jean), mutilés de guerre, en liberté provisoire pour raisons de santé et les 5 députés (Béchard, Jean, Philippot, Puech, Vazeilles) qui n'ont pas signé la Déclaration de Billoux. Ces sursitaires ne seront pas libérés mais internés administrativement dans un Centre de séjour surveillé. 

A ces peines de prison viennent s'ajouter des amendes de 5 000 francs pour 10 députés (les neuf en fuite, dont Ramette, et Bonte, l'autre signataire de la lettre) et 4 000 francs pour les autres accusés.

Enfin, tous sont privés de leurs droits civiques, civils et de famille pour une durée de 5 ans.