En complément de l'article "Quand les députés communistes écrivaient au maréchal Pétain pour demander leur libération et...", on reproduira ci-dessous les lettres de Joanny Berlioz du 4 août 1940 et du 8 décembre 1940 adressées toute les deux au ministre de la Justice :
Le Puy, le 4 août 1940.
J. Berlioz, ex-député de Seine, ex-secrétaire de la commission des Finance ex-rapporteur du budget des Beaux-Arts, détenu à la prison du Puy, à Monsieur le ministre de la Justice, garde Sceaux. Monsieur le Ministre, J'ai appris par des visiteurs que le gouvernement avait créé un tribunal suprême, qui doit prochainement juger un certain nombre de responsables des malheurs dont souffre notre pays. Je vous prie en conséquence de bien vouloir me faire citer à titre de témoin à charge devant cette haute juridiction. Je suis sûr que ce désir est aussi celui de mes collègues emprisonnés comme moi arbitrairement depuis dix mois.
De par les fonctions que nous avons occupées au Parlement et de par les relations que nous avons eues avec de nombreuses personnalités politiques et de la haute administration, nous sommes en effet en mesure d’apporter à la Cour des informations d’un intérêt capital sur les agissements scandaleux de ceux qui ont conduit la France à sa perte.
Nous avons été précisément poursuivis, persécutés et condamnés sur l’ordre d’individu, hier maîtres des destinées du pays, qui vont sans doute être traduits devant le Tribunal suprême comme coupables de faiblesse, d'incapacité ou de honteuses trahisons. Ils se sont acharnés contre nous dans le but de dissimuler ou de faire oublier leur politique néfaste aux intérêts nationaux. Aussi nos déclarations contribueraient-elles largement à mettre à nu les turpitudes de ces anciens dirigeants en même temps qu’elles seraient sans aucun doute le point de départ vers l'indispensable révision de notre procès, monstrueuse parodie de justice et notre éclatante réhabilitation.
Le peuple de France réclame le châtiment de tous les vrais responsables des désastres qui l'accablent. Dans l'espoir d'aider la lumière à se faire sur un premier point, je sollicite donc d'être appelé à titre de témoin à charge devant la Cour suprême.
Veuillez agréer, Monsieur le Ministre, l'assurance de ma parfaite considération.
Signé : J. Berlioz.
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Le Puy, 8 décembre 1940.
J. Berlioz, ex-député de la Seine, ex-secrétaire de la commission des Finances actuellement détenu à la maison d'arrêt du Puy, à Monsieur le président de la Cour suprême de Riom. Monsieur le Président, Le 4 août dernier, je demandais à Monsieur le ministre de la Justice de bien vouloir me faire citer à titre de témoin à charge, devant la Cour suprême, chargée de juger un certain nombre de responsables des malheurs de la France. J’ajoutais alors que ce désir d'être entendu par la Haute juridiction était également celui de mes collègues députés, emprisonnés arbitrairement avec moi à la maison d'arrêt du Puy. Jusqu'à ce jour, je n’ai pas reçu de réponse de M. le garde des Sceaux. Ayant appris, lors d'une récente visite de mes parents à la prison, que le procès des accusés Daladier, Paul Reynaud, Gamelin et consorts, devait s'ouvrir bientôt, je me permets, Monsieur Président, de vous renouveler directement ma demande. De par les fonctions que j'ai occupées au Parlement (secrétaire de la commission des Finances) de par les relations que dans l’exercice de mon mandat, avec plusieurs des personnalités inculpées, je crois être en mesure d'apporter à la Cour suprême des informations susceptibles de l'éclairer sur les agissements criminels dont le peuple de ce pays a été la victime. Je pourrais notamment fournir des renseignements utiles sur la soumission aveugle de nos gouvernants aux volontés de l'impérialisme britannique qui fut sans conteste une des causes de la guerre. Il serait nécessaire que soient mises à jour les conditions exactes de notre arrestation en octobre 1939, faite en violation de la Constitution de la République, laquelle fut déjà violée, ainsi que l'a souligné M. le maréchal Pétain lors de la déclaration de la guerre. Il est non moins indispensable que toute la lumière soit faite sur les dessous du procès qui nous fut intenté en mars-avril 1940, à mes amis et à moi de par la volonté des hommes alors au gouvernement et actuellement incarcérés en tant que responsables du désastre de juin dernier et de ses suites néfastes. Ce procès, forgé de toutes pièces, marqué d'immixtions scandaleuses du pouvoir exécutif dans l'exercice de la justice, au cours duquel un document faux fut utilisé contre nous, aboutit a une condamnation par ordre alors que les débats avaient établi le néant de l’accusation. Mais les gouvernements d'alors (Daladier et Paul Reynaud) avaient exigé le huis-clos, de sorte que le peuple français n'a rien pu connaître de nos justifications et de nos accusations à l'adresse ceux qui menaient allègrement la France à la ruine. Notre procès fut, parmi tant d'autres, une illustration de régime de la dictature du mensonge si justement flétri par M. le Maréchal Pétain, chef de l'Etat français. Mes déclarations devant la Cour suprême, en même temps qu'elles ne pourraient manqué de contribuer à mettre en relief les responsabilités écrasantes des dirigeants incapables ou traitres à la nation qui nous ont poursuivis et persécutés, seraient donc aussi un point de départ vers l'indispensable révision de notre inique procès, monstrueuse parodie de justice, destinée à couvrir leurs agissements. Le peuple de France réclame avec raison le châtiment de tous les vrais coupables des maux qui l'accablent. Il ne comprend pas non plus que nous restions emprisonnés depuis 14 mois au droit commun, comme des malfaiteurs uniquement pour avoir essayé, au dernier moment, de sauver la paix assassinée par ceux que vous allez juger. Dans l'espoir qu'il me sera possible d'aider à faire la lumière sur tous ces points, je sollicite donc, Monsieur le Président, d'être appelé comme témoin à charge devant le tribunal suprême que vous avez l'honneur de présider. Veuillez agréer, Monsieur le Président, l'assurance de ma parfaite considération.
Signé : J. Berlioz.
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