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Le tract "Appel de Charles Tillon (17 juin 1940)" est-il le premier appel à la Résistance ou un faux tract ?

Ancien chef des Francs-tireurs et partisans (FTP), le bras armée de la Résistance communiste, Charles Tillon a témoigné de son action pendant la Seconde Guerre mondiale dans Les FTP (1962) et dans deux livres publiés après son exclusion du PCF en 1970 : On chantait rouge (1977) et Les FTP, soldats sans uniforme (1991).

Dans ces deux derniers livres, différence notoire avec le contenu du premier, il affirmait qu'à l'été 1940 il avait organisé la Résistance communiste dans la région de Bordeaux et que de fait il s'était émancipé de la direction centrale du PCF qu'il accusait non seulement d'avoir été soumise à l'IC et à ses consignes respectueuses du Pacte germano-soviétique mais aussi d'avoir tenté de reprendre une activité légale dans les premières semaines de l'occupation allemande.

Comme preuve de sa résistance et de sa dissidence, il mettait en avant trois documents dont un tract qui avait été diffusé dans la soirée du 17 juin 1940.

Ce tract était une réponse à l'intervention du Maréchal Pétain qui en début d'après-midi avait annoncé aux Français qu'il était entré en contact avec le gouvernement allemand pour négocier un armistice.

On notera que le dirigeant communiste qui était contraint à la clandestinité n'a eu besoin que de quelques heures pour rédiger, ronéoter et diffuser un tract. Quelle détermination !!!

Ce tract a été reproduit partiellement et sans titre dans On chantait rouge (1977). Dans Les FTP, soldats sans uniforme (1991), après avoir indiqué que le document avait pour titre "Appel aux travailleurs", Charles Tillon a publié l'intégralité du texte sous le titre "Appel de Charles Tillon" avec en complément une reproduction d'un fac-similé du tract qui porte comme titre "Appel de Charles Tillon (17 juin 1940) (Doc 1).

On peut constater que Charles Tillon a mis quatorze ans pour trouver un titre et qu'il en propose trois. 

Ce dernier décrivait son tract comme un appel à la Résistance. On reproduira l'extrait suivant :

"Pour un gouvernement populaire s’appuyant sur les masses, libérant les travailleurs, établissant la légalité du parti communiste, LUTTANT CONTRE LE FASCISME HITLERIEN et les 200 familles, s’entendant avec l’URSS pour une Paix équitable, luttant pour l’indépendance nationale et prenant des mesures contre les organisations fascistes."

Au vu des affirmations de Charles Tillon, non seulement les communistes n'ont pas attendu la rupture du Pacte germano-soviétique pour combattre les Allemands puisqu'ils se sont engagés dès l'été 1940 dans la Résistance mais en plus ils ont été les premier résistants puisque l'appel du général de Gaulle a été radiodiffusé le 18 juin.

Résistant, il se définissait aussi comme un dissident en rupture avec la direction centrale du PCF et les Instructions de l'IC. Un exemple, l'extrait suivant tiré de On chantait rouge :

"Bien avant l'entrée des occupants dans Bordeaux, je me sentais en état de révolte contre l'Internationale. Ses injonctions venues de Bruxelles [antenne de l'IC], c'était l'acceptation de l'occupation. Or, depuis le 17 juin, mon premier appel désignait notre ennemi, c'était l'envahisseur !"

Toutes ces vérités historiques essentielles étaient absentes de son livre de 1962. Un oubli sûrement...

Avant même de contester les affirmations de Charles Tillon qui ne sont que des mensonges fondant une légende de plus sur la Résistance communiste, on notera que dans son tract sont juxtaposés un appel à lutter "contre le fascisme hitlérien" et un appel à négocier avec Hitler "une Paix équitable" dans le cadre d'une alliance avec l'URSS qui était elle-même liée à l'Allemagne par le Pacte germano-soviétique du 23 août 1939 et le Traité de frontières et d'amitié du 28 septembre 1939.

Doit-on déduire de cette contradiction fondamentale entre les objectifs annoncés que les communistes ont inventé l'appel à la Résistance pacifiste ?

Ironique, cet oxymore pourrait pourtant être utilisé pour décrire la position d'un historien comme Olivier Wieviorka qui dans son Histoire de la Résistance (2013) affirme que Charles Tillon a lancé un appel à la lutte le 17 juin 1940 et juge dans le même temps qu'il ne s'est pas émancipé de la ligne pacifiste du PCF !!! :

"On sait enfin que des responsables de premier ou de second plan lancèrent, dès 1940, des appels à la lutte. Tel fut notamment le cas d’Auguste Havez en juillet à Nantes ou de Charles Tillon qui, dans la nuit du 17 au 18 juin à Bordeaux, affirma dans un tract que « le peuple français ne veut pas de l’esclavage, de la misère ou du fascisme, pas plus qu’il n'a voulu de la guerre des capitalistes. Il est le nombre. Uni, il sera la force ». Le texte, par ailleurs, appelait à constituer un gouvernement « luttant contre LE FASCISME HITLÉRIEN et les 200 familles, s'entendant avec l’URSS pour une paix équitable, luttant pour l’indépendance nationale et prenant des mesures contre les organisations fascistes ».
Faut-il pour autant affirmer que deux lignes coexistaient au sein du Parti ? Ce serait aller un peu vite en besogne. Certes, le tract rédigé par Tillon faisait de l'Allemagne nazie, et non de l’Etat français, le principal adversaire. Pour le reste, il ne se démarquait guère de la vulgate : il exigeait la formation d’un gouvernement populaire, suggérait de s’entendre avec l’URSS – alors alliée du Reich – pour obtenir la paix, et ne soufflait mot de la Grande-Bretagne."

Une remarque supplémentaire. L'historien énonce comme une évidence incontestable que Auguste Havez a lancé un appel à la Résistance en juillet 1940. Ce "fait historique" n'est étayé par aucun document. En effet, contrairement au cas de Charles Tillon, ce supposé appel n'a jamais été retrouvé. En la matière, il faut constater qu'une simple déclaration du dirigeant communiste a suffi à convaincre les historiens.

Fin de la digression. Revenons à notre sujet.

Le meilleur moyen pour détruire les légendes communistes, c'est la vérité. On rappellera donc quelques faits historiques en s'appuyant sur des documents qui présentent la particularité de ne pas avoir été falsifiés.

A la fin de juin 1940 ou début du mois suivant, sous la direction de Charles Tillon, les communistes bordelais ont diffusé un tract titré "Appel au Peuple de France".

Réaction à l'armistice franco-allemand signé le 22 juin, cet appel, comme les trois tracts qu'ils avaient diffusés dans les deux semaines précédentes, plaidait pour la constitution... d'un Gouvernement de Paix communiste :

"Pour un gouvernement populaire s'appuyant sur les masses, libérant les travailleurs, rétablissant la légalité du PARTI COMMUNISTE, luttant contre le fascisme hitlérien et les 200 familles, s’entendant avec l’URSS pour une paix équitable, luttant pour l’indépendance nationale et prenant des mesures contre les organisations fascistes".

Y avait-t-il une contradiction entre l'engagement de négocier avec Hitler "une paix équitable" dans le cadre du Pacte germano-soviétique et celui de lutter contre le "fascisme hitlérien" ? La réponse est non. En effet, le "fascisme hitlérien" désignait... le Gouvernement Pétain et non l'envahisseur allemand. Une preuve pour les sceptiques : la brochure "Union du peuple pour libérer la France" d'août 1940. Dans cette publication, Charles Tillon décrivait le Gouvernement Pétain en ces termes : "l'Ordre nouveau du gouvernement de la 5e colonne, c'est le fascisme hitlérien !".

On notera que l'extrait cité est identique à celui tiré du tract "Appel de Charles Tillon (17 juin 1940)".

Constat logique puisque le tract "Appel de Charles Tillon (17 juin 1940)" est en fait une version altérée tant sur le fond que sur la forme du tract "Appel au Peuple de France".

L'objectif de la falsification étant de transformer un tract pacifiste du PCF en un appel à la Résistance de Charles Tillon antérieur, de surcroît, à celui du général de Gaulle.

Sur le fond, la censure la plus significative concerne la référence à l'Union soviétique : "La grande force de Paix qu'est l'UNION SOVIETIQUE était repoussée".

La célébration et de l'Union soviétique et de son pacifisme ne pouvait figurer dans un tract qui avait pour ambition d'illustrer et la dissidence et la résistance de Charles Tillon.

D'autant plus que la phrase censurée était une condamnation de la France et de l'Angleterre qui n'avaient pas suivi les recommandations de la diplomatie soviétique les incitant à faire la paix avec Hitler.

Sur la forme, l'altération la plus substantielle porte sur les mots "luttant contre le fascisme hitlérien" qui ont été mis en valeur avec l'utilisation des majuscules.

Cette mise en valeur était un élément supplémentaire devant prouver que le tract était un appel à la Résistance.

Un dernier point, pour tous les apologistes de Charles Tillon, qui aiment tant le célébrer comme le premier résistant, on rappellera que dans sa brochure de "AOUT 1940", il a rendu hommage au patriotisme des communistes en ces termes :

"La vérité tragique est maintenant perceptible à tous les français honnêtes : les communistes accusés de trahison parce qu'ils s'opposaient aux plans criminels des 200 familles, condamnés à des siècles de prison pour avoir réclamé la paix quand elle était possible sans désastre, et pour s'être opposés à la transformation de la France en Dominion de l'Angleterre, les communistes étaient et demeurent les véritables patriotes dont l'amour véritable de la Patrie exige que celle-ci soit libérée de ses exploiteurs et de ses traîtres." (1)

Revenant sur l'action du Parti communiste au cours de la guerre de 1939-1940, Charles Tillon affirme que "les communistes étaient et demeurent les véritables patriotes" en raison de leur opposition à l'Angleterre et de leur engagement en faveur de la paix avec Hitler !!!

Au cours du conflit franco-allemand, l'ennemi n'était donc pas l'Allemagne nazie mais la France dont le bellicisme s'expliquait par sa soumission à l'impérialisme anglais.

Après cet éloge du patriotisme communiste, il appelle à libérer la France "de ses exploiteurs et de ses traîtres" autrement dit des capitalistes et des partisans de la guerre. Aucune référence aux Allemands qui devaient sûrement être... des touristes. 

Le présent texte est composé de treize parties. Dans les Parties I et II, on montrera que le pacifisme du PCF a été constant pendant toute la durée de la guerre franco-allemande de 1939-1940 et dans les premiers mois de l'occupation allemande.
 
Dans les Parties III, IV et V, on suivra l'action de Charles Tillon sur la même période.
 
Dans les Parties VI à X, on décrira les quatre étapes qui ont permis de transformer le tract pacifiste "Appel au peuple de France" en un appel à la Résistance intitulé "Appel de Charles Tillon (17 juin 1940)" en s'appuyant sur les trois ouvrages de Charles Tillon déjà mentionnés et le livre Debout Partisans ! (1970) auquel il a apporté sa contribution en donnant une interview aux deux auteurs. 
 
Dans les Parties XI, XII et XIII, on comparera le tract falsifié avec le tract original pour mettre en évidence toutes les altérations.
 
(1) R. Bourderon, Le PCF à l'épreuve de la guerre, 1940-1943, 2012, p. 56.


Partie I


"Paix immédiate"

Le 1er septembre 1939, Hitler attaque la Pologne avec comme motif le refus du gouvernement polonais de satisfaire des revendications territoriales qu'il juge légitimes et limitées. Alliés des Polonais, la France et l'Angleterre réagissent le 3 septembre en déclarant la guerre à l'Allemagne nazie.

Moins de trois semaines après le début des combats entre les armées françaises et la Wehrmacht, suivant des Instructions de l'Internationale communiste motivées par le Pacte germano-soviétique, le Parti communiste abandonne sa ligne favorable à la défense nationale pour s'engager en faveur de la Paix. Dissous le 26 septembre 1939, il poursuivra son action dans la clandestinité.

Sa position : la guerre est une guerre impérialiste et sa cause n'est pas le nazisme mais le capitalisme. Ses mots d'ordre : "A bas la guerre impérialiste", "Paix immédiate" et "L'ennemi est dans notre propre pays". Ses objectifs : la Paix et, pour en garantir la pérennité, la destruction du régime capitaliste. On peut les résumer d'une phrase : la Paix par la Révolution socialiste.

Fixés par l'IC, ces deux objectifs ont été formellement énoncés par son secrétaire général, Georges Dimitrov, dans un texte qui a été diffusé en novembre 1939 sous le titre "La guerre et la classe ouvrière des pays capitalistes" :

"Les impérialistes des pays belligérants ont commencé la guerre pour un nouveau partage du monde, pour la domination universelle, en vouant à l'extermination des millions d'hommes. La classe ouvrière est appelée à en finir avec cette guerre à sa façon, dans son intérêt, dans l'intérêt de toute l'humanité travailleuse, et à supprimer, ainsi, à tout jamais, les causes essentielles qui engendrent les guerres impérialistes".


"Pour un gouvernement de Paix"

Dans une lettre du 25 mars 1940, Maurice Thorez et André Marty envoient depuis Moscou des Instructions à la direction parisienne du PCF.

Dirigeant du PCF, André Marty est aussi secrétaire de l'Internationale communiste. C'est pour cette raison qu'il a rejoint la capitale russe au mois d'août 1939 avant que ne débute le conflit.

Secrétaire général du PCF, Maurice Thorez a déserté au mois d'octobre 1939 sur les Instructions de l'IC. Après un court séjour en Belgique, il s'est réfugié en Russie. Ce départ a été caché aux militants pour ne pas les démobiliser.

Dans cette lettre, les deux dirigeants indiquent que la revendication d'un Gouvernement de Paix communiste doit être la priorité du Parti, et précisent les formes dans lesquelles cette revendication doit être formulée :

Dans cette situation, il nous semble que le Parti pourrait résumer tout son programme de lutte contre la guerre et la réaction, unir toutes ses revendications politiques et économiques autour du mot d'ordre : "Pour un gouvernement de Paix", s'appuyant sur les masses populaires, donnant des garanties contre la réaction et assurant la collaboration avec l'URSS pour le rétablissement de la paix générale.
Le gouvernement de paix que nous réclamons sera en réalité ce gouvernement du front populaire que les masses populaires ont voulu établir en France malgré la résistance et le sabotage des Blum, Daladier, Jouhaux et Cie. Ce gouvernement, nous devons l'opposer au gouvernement actuel qui accomplit les volontés du grand capital financier et des cliques impérialistes, ces responsables de la catastrophe de la guerre, ces responsables de la destruction des conquêtes du Front Populaire, et de la sauvage réaction, maîtresse actuelle de la France. Ce gouvernement sera celui de la France du Peuple, et non celui des tyrans au service de la France des 200 familles. Ce gouvernement, véritable gouvernement de Front populaire.
Ces précisions nous semblent nécessaires après avoir lu dans La Vie Ouvrière la revendication d' "un pouvoir qui s'appuie sur le peuple (ouvriers, paysans et soldats)" et dans la déclaration des députés le mot d'ordre "d'un gouvernement ouvrier et paysan, émanation de la nation".
Or, ce mot d'ordre du "gouvernement ouvrier et paysan" nous semble prématuré. La crise n'est pas encore si profonde dans les milieux dirigeants et la poussée consciente des masses laborieuses telle, que notre Parti puisse sérieusement poser la question de la prise du pouvoir. Les masses ouvrières sont contre la guerre; elles seront contre le gouvernement Reynaud, parce que c'est un gouvernement de guerre, un gouvernement de spoliation, un gouvernement de répression et de terreur, un gouvernement qui ment, qui trompe le peuple. Les masses populaires, la classe ouvrière demandent un gouvernement qui exprime leur désir, leur volonté de paix, un gouvernement qui fasse sortir le pays du gouffre de la guerre, un gouvernement qui assure la paix et qui assure avec la paix la sécurité du pays. C'est à ces préoccupations que répond la précision que nous proposons ci-dessus.
Le mot d'ordre de gouvernement ouvrier et paysan faciliterait en ce moment la tâche de nos ennemis; il permettrait au gouvernement de la réaction de concentrer toutes les forces autour de lui. Alors que nous devons tendre au contraire à rassembler sur une seule plate-forme les masses éprises de paix, mais non encore de révolution, tout en approfondissant sous leur pression les divergences dans les milieux dirigeants et en nous efforçant de dissocier le camp de la bourgeoisie.
Naturellement, la formulation donnée ci-dessus n'empêche pas - au contraire - la propagande de principe contre la dictature du capital, pour la dictature du prolétariat, pour le socialisme.


"Thorez au pouvoir"

Le 25 avril 1940, sur le constat qu'après huit mois de guerre le gouvernement français est toujours déterminé à combattre Hitler, le Parti communiste appelle les Français à se mobiliser pour la constitution d'un Gouvernement de Paix communiste.

Désormais centrale dans son projet politique, cette revendication est formellement formulée par Maurice Thorez dans un article publié dans l'Humanité clandestine sous le titre "Les Pitt et Cobourg de 1940" :


LES "PITT ET COBOURG" DE 1940
Par MAURICE THOREZ
[...]
Ecoutez-les, ces représentants des 200 familles ! Ils défendent la France. Leur guerre, la guerre des capitalistes, c'est la guerre du droit, de la justice, de la civilisation, de l'indépendance.
Rien de neuf dans ces mensonges usés de 1914 à 1918. Mais leur cynisme ne connait aucune borne. Tandis qu'ils s'enrichissent du sang et de la misère du peuple de France, ils se présentent comme les défenseurs de la Patrie.
Tout ce qui ne s'incline pas devant leur malfaisance, leurs vols et leurs crimes, est jugé ennemi de la Patrie, traître, agent de l'étranger.
Quels sont-ils ces vertueux personnages ? Comment conçoivent-ils l'indépendance de la France ? Tout simplement à la façon de leurs ancêtres, les aristocrates de 1792.
"Pitt et Cobourg" tel était le qualificatif que le peuple de France décernait aux contre-révolutionnaires qui complotaient avec les ennemis de la France et de la Révolution, avec l'Autriche, le roi de Prusse et l'Angleterre.
Les "Pitt et Cobourg" de 1940 ne sont pas émigrés, ils ne sont pas en prison, ils dirigent momentanément, et pour son malheur, les destinées de la France. [...]
Quant à ceux qui exécutent les ordres des impérialistes de Londres, ils sont également légion. Notre Président du Conseil se distingue parmi ceux-là. Ce qu'on dit de l'alliance franco-anglaise est particulièrement insultant pour notre pays : "La France est un dominion de l'Angleterre". Le malheur est que c'est vrai et que les responsables se présentent encore comme les défenseurs de l'indépendance de la France.
En 1792, les "Pitt et Cobourg" avaient leurs girondins. En 1940, les "Pitt et Cobourg" ont les leurs. Les "Brissotins" s'appellent aujourd'hui Léon Blum [dirigeant de la SFIO], Paul Faure [secrétaire général de la SFIO], Jouhaux [secrétaire général de la CGT], Déat [secrétaire général de l'Union socialiste Républicaine]. [...]
Peuple de France, il faut nous débarrasser des "Pitt et Cobourg" de 1940. Notre pays mérite un autre sort que celui d'être cité comme l'exemple de la réaction et comme dominion de l'Angleterre. [...]
Le gouvernement que veut le pays n'est pas celui des "Pitt et Cobourg". C'est un gouvernement de paix, s'appuyant sur les masses populaires, donnant des garanties contre la réaction, assurant la collaboration avec l'Union Soviétique pour le rétablissement de la paix générale.
Seulement un tel gouvernement assurera l'indépendance de notre pays en le libérant de la tutelle des agents du capital français et anglais.
Maurice THOREZ,
 secrétaire général du P.C.

Illustration de cette nouvelle orientation, le mot d'ordre "Thorez au pouvoir". Est-il un meilleur choix qu'un déserteur pour négocier la Paix avec Hitler ?

La revendication d'un Gouvernement de Paix communiste sera une constante de la propagande communiste jusqu'au... 22 juin 1941 et l'invasion de l'URSS par les armées allemandes.

Elle se compose de 4 éléments distinctifs et significatifs :

1) Un gouvernement "s'appuyant sur les masses populaires". Jugeant que la notion bolchevik de Gouvernement paysan et ouvrier serait un frein à la prise du pouvoir par les communistes, Maurice Thorez plaide pour un gouvernement s'appuyant sur les masses populaires autrement dit un Gouvernement populaire. A partir de juillet, les communistes mettront en avant la notion de Gouvernement du Peuple.

2) "Un gouvernement de Paix". En septembre 1939, le Parti communiste s'est mobilisé en faveur de la "Paix immédiate". Les Gouvernements Daladier et Reynaud n'ayant pas répondu à cette revendication, Maurice Thorez demande au peuple de France de soutenir la constitution d'un gouvernement communiste qui négociera la Paix avec Hitler.

3) un gouvernement "assurant la collaboration avec l'Union Soviétique pour le rétablissement de la paix générale". Pour faire la Paix avec le régime hitlérien, le Parti communiste compte sur le soutien de l'URSS dont les relations pacifiques avec l'Allemagne nazie sont organisées par le Pacte germano-soviétique du 23 août 1939 et le Traité de frontières et d'amitié du 28 septembre 1939.

4) un gouvernement "donnant des garanties contre la réaction" : Sous le terme de réaction le Parti communiste désigne tous ceux qui soutiennent la guerre contre Hitler et qui pour ce seul motif sont accusés d'être des bellicistes ou des impérialistes. Sont visés en priorité le gouvernement français et ses soutiens dans la classe ouvrière : la SFIO (Leon Blum) et la CGT (Léon Jouhaux). L'engagement à les combattre est une déclinaison du mot d'ordre : "L'ennemi est dans notre pays". Au mois de juin 1940, la formule concernant la réaction s'enrichira avec l'ajout du terme... "fascisme" : "Le peuple veut un gouvernement qui s'appuie sur les masses populaires, qui libèrent les communistes, qui mettent en prison les fascistes et tous les hitlériens et tous les responsables de 5 ans de politique extérieure pro-fasciste" (L'Humanité n° 54 du 14 juin 1940). De fait, les antihitlériens était déjà qualifiés de fascistes dans la propagande communiste puisque cette dernière célébrait l'action du Parti communiste en faveur de la paix avec nazis comme un combat... antifasciste.

Deux remarques supplémentaires sur l'article.

Tout d'abord, sur le plan intérieur, le Gouvernement Thorez s'engage à libérer la France du capitalisme.  On retrouve ainsi les deux objectifs fixés par l'IC : la Paix et la Révolution socialiste.

Ensuite, logique communiste, le silence sur les ennemis allemands est compensé par une ferme condamnation des alliés anglais. 

Démonstration de l'anglophobie du Parti communiste, Maurice Thorez accuse le gouvernement français "d'exécuter les ordres des impérialistes de Londres", affirme que la France n'est qu'un "Dominion de l'Angleterre" et enfin appelle à libérer la France "de la tutelle des agents du capital français et anglais".


Offensive allemande de mai 1940

Le 10 mai 1940, l'Allemagne prend l'initiative sur le front Ouest en envahissant la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg. Après avoir percé le front français dans le secteur de Sedan le 13 mai, les divisions blindées allemandes foncent en direction de la Manche pour prendre à revers les unités françaises et le contingent anglais qui sont entrés en Belgique pour repousser la Wehrmacht. Victorieuse, cette première phase de l'offensive allemande se termine le 4 juin. Les armées françaises qui ne se sont pas engagées en Belgique constituent dans l'intervalle une ligne de défense sur la Somme et l'Aisne. Le 5 juin, les Allemands déclenchent la seconde phase de leur plan en attaquant sur la Somme puis sur l'Aisne quelques jours après. La ligne de défense française est rapidement enfoncée permettant ainsi aux unités allemandes d'avancer à l'Ouest, à l'Est et sur Paris, déclarée ville ouverte la capitale tombe le 14, puis de se répandre sur tout le Sud. Le 17 juin, jugeant la situation militaire catastrophique, le Maréchal Pétain, nommé la veille à la présidence du Conseil, demande l'armistice qui est signé le 22 juin.

Les combats de mai et juin 1940 sur le territoire français n'ont provoqué aucun changement dans la ligne pacifiste du PCF comme l'attestent tous les numéros de l'Humanité qui ont été diffusés au cours de cette période.
 
Un exemple de l'attitude des communistes, l'appel publié dans l'Humanité n° 47 du 17 mai 1940 sous le titre "Pour sauver notre pays et notre peuple de la misère, de la ruine et de la mort"  :

"Le Parti Communiste a dit et répété que cette guerre a été provoqué par les capitalistes. Pour avoir réclamé la paix, avant que les massacrent ne commencent, des milliers de ses membres ont été jetés en prison, dans les camps de concentration ou dans les bagnes africains. D'autres sont menacés de la peine de mort ! [...]
Aujourd'hui où l'angoisse étreint des millions d'hommes et de femmes de notre pays le Parti Communiste dit, comme toujours, ce qu'il considère être l'intérêt des travailleurs et du peuple de France.
Le rétablissement de la paix, la sécurité et l'indépendance du pays, la liberté et le progrès social exigent que soit impitoyablement chassé le gouvernement des 200 familles qui a entraîné notre pays dans l'aventure présente. [...]
PEUPLE DE FRANCE ! Pour la paix, le pain, la liberté, l'indépendance, SOIS UNIS !
Lutte pour :
Un gouvernement de paix, s'appuyant sur les masses populaires, prenant des mesures contre la réaction, un gouvernement qui s'entende sans délai avec l'Union Soviétique pour le rétablissement de la Paix générale dans le monde."

Particularité de cet appel, il sera repris dans les deux premiers tracts diffusés par les communistes bordelais au mois de juin.

Ce fait prouve d'une part qu'il y a eu une liaison entre Paris et Bordeaux et d'autre part que les communistes bordelais ont fidèlement appliqué la ligne fixée par la direction centrale.
 
 
Partie II


Gouvernement Pétain

Le 16 juin 1940, réfugié dans la ville de Bordeaux depuis deux jours, le Gouvernement Reynaud démissionne à 22 heures en raison de sa division entre opposants et partisans de l'armistice.

A la tête de ceux qui veulent mettre fin au conflit avec l'Allemagne et qui défendent au sein du gouvernement la même position que le Commandant en chef des armées françaises, le Général Weygand : le Maréchal Pétain, vice-président du Conseil et ministre d'Etat. Ce dernier est aussitôt chargé par le Président de la République de former un nouveau gouvernement.

Parmi ceux qui veulent continuer de se battre contre les Allemands : le Général de Gaulle, sous-secrétaire d'Etat à la Défense nationale et à la Guerre attaché à la présidence du Conseil. En mission en Angleterre, il apprendra la démission du gouvernement à son retour à Bordeaux dans la soirée. Après la constitution dans la nuit d'un cabinet marquant la victoire du clan des défaitistes, il décide le lendemain matin de repartir pour Londres. Il s'embarquera dans l'avion ramenant en Angleterre l'envoyé spécial de Churchill, le Général Spears. 


Demande d'armistice

Le 17 juin, en début d'après-midi, le nouveau président du Conseil prononce à la radio une courte allocution dans laquelle il déclare qu'il faut mettre fin au conflit avec l'Allemagne ("il faut cesser le combat") avant d’annoncer qu'il est entré en contact avec le gouvernement allemand pour négocier un armistice.

Illustration de l'alliance germano-soviétique, quelques heures après cette annonce, Viatcheslav Molotov, président du Conseil et commissaire du peuple aux Affaires étrangères, convoque l'ambassadeur allemand à Moscou, Friedrich Werner von der Schulenburg, pour lui exprimer "les plus chaleureuses félicitations du Gouvernement soviétique pour le magnifique succès des forces armées allemandes". (Télégramme n° 1167 du 17 juin 1940)

Le lendemain, à Londres, le Général de Gaulle s'exprime à la BBC pour condamner la demande d'armistice et appeler les Français à poursuivre le combat contre l'envahisseur allemand. Initiative d'un officier supérieur refusant la défaite quand tous l'acceptent, coup d'éclat motivé par son patriotisme, message d'espérance dans une France en pleine débâcle, l'Appel du 18 juin 1940 est l'acte fondateur de la Résistance française : "Quoi qu'il arrive, la flamme de la résistance française ne doit pas s'éteindre et ne s'éteindra pas".

A l'inverse de la position gaullienne, le Parti communiste, qui s'est engagé pour la Paix avec les nazis dès septembre 1939 en arguant que la guerre contre l'Allemagne d'Hitler était une guerre impérialiste, approuve la démarche du Gouvernement Pétain dans l'Humanité du mercredi 19 juin 1940 qui présente la particularité de reproduire un communiqué de... la Wehrmacht :

"Tous les hommes qui constituent le gouvernement portent, à des titres divers, la responsabilité de la politique qui a conduit la France à la guerre, à la catastrophe. Le maréchal Pétain a dit qu'il faut tenter de cesser le combat. Nous prenons acte, mais le peuple prendra acte aussi du fait que si, en septembre dernier les propositions des députés communistes avaient été retenues, nous n'en serions pas où nous en sommes.
Les députés communistes qui, en septembre proposaient une paix qui auraient laissé intactes la puissance et l'économie française, en même temps qu'elle aurait épargné bien des vies humaines et des destructions, furent jetés en prison et aujourd'hui ceux qui ont fait cette criminelle besogne sont acculés à la paix après la défaite."

Soumis aux autorités allemandes comme un numéro modèle de l'Humanité légale, ce numéro rappelle que les députés communistes ont été emprisonnés parce qu'ils avaient demandé l'organisation d'un vote du Parlement en faveur d'une "paix juste, loyale et durable que du fond de leur cœur souhaitent tous nos concitoyens" dans une lettre remise au président de la Chambre quelques jours après la victoire des armées allemandes et soviétiques en Pologne.


Armistice franco-allemand

Signé le 22 juin par le Gouvernement Pétain, l'armistice franco-allemand marque la défaite de la France.

Dans l'attente des négociations portant sur un traité de Paix, cet armistice impose au pays vaincu l'occupation d'une zone couvrant les trois-cinquièmes de son territoire et comprenant sa capitale, le maintien en captivité de 1,5 million prisonniers de guerre, la démobilisation et le désarmement de ses forces armées, et enfin le paiement d'une indemnité journalière pour les frais d'occupation dont le montant sera fixé quelques semaines tard à 400 millions francs et représentera pour le budget français un prélèvement massif et abusif relevant plus des réparations de guerre que de l'entretien d'une armée d'occupation.

Dans une allocution prononcée le lendemain à la radio de Londres, le Général de Gaulle déclare que cet armistice est une véritable "capitulation" et que de ce fait le Gouvernement Pétain a perdu toute légitimité :

"L'armistice accepté par le gouvernement de Bordeaux est une capitulation.
Cette capitulation a été signée avant que soient épuisés tous les moyens de résistance. Cette capitulation livre à l'ennemi qui les emploiera contre nos alliés nos armes, nos avions, nos navires, notre or. Cette capitulation asservit complétement la France et place le gouvernement de Bordeaux sous la dépendance immédiate et directe des Allemands et des Italiens. 
Il n'existe donc plus sur le territoire de la France métropolitaine de gouvernement indépendant susceptible de soutenir au dehors les intérêts de la France et ceux des Français."

Pour connaître la réaction du PCF à la défaite de la France et à l'occupation allemande qui en est la conséquence, il suffit de lire l'Humanité du 24 juin 1940 et son article leader intitulé... "Construire la paix" :

"L'armistice est signé.
Ah, certes nous serrons les poings à la pensée qu'une autre paix eut pu être conclue en Septembre-Octobre dernier comme la proposaient les Communistes. Mais à cette époque Daladier jugeait que les ordres de la Cité de Londres devaient être obéis.
Construire la Paix ! Voilà donc la tâche urgente.
Nous savons bien, nous autres communistes, qu'il n'y aura de paix véritable que lorsque auront été extirpées les racines profondes de la guerre. LA PAIX C'EST LE SOCIALISME.
Lutter pour la paix, c'est coordonner l'action des prolétaires de tous les pays dans la lutte pour la victoire du socialisme, de ce socialisme dont l'URSS offre au monde le resplendissant exemple. Tel est notre but.
Préparer cette paix implique que la France est un gouvernement capable de comprendre et de traduire les aspirations populaires. La France de juin 1940 ne possède pas un [tel] gouvernement. [...]
Pour négocier la paix, il faut pouvoir parler au nom du peuple. On ne parle pas au nom du peuple quand on tient en prison et dans les camps des milliers de militants du peuple. Seul, sera digne de négocier une paix équitable, le gouvernement qui rendra au prolétariat ses droits et sa liberté. [...]
Que disparaissent les fauteurs de guerre, les responsables du désastre, les valets de la Cité de Londres : PLACE AU PEUPLE !".

Dans ce texte approuvant l'armistice franco-allemand, l'Humanité affirme que seul le Parti communiste est en mesure de négocier avec Hitler "une paix véritable" ou encore une "paix équitable" car il est le seul Parti à s'être opposé à la guerre et à pouvoir en outre bénéficier du soutien de l'URSS, alliée de l'Allemagne.

Ajoutons quatre remarques supplémentaires.

Tout d'abord, l'Humanité rappelle l'initiative pacifiste des députés communistes à la fin de la Campagne de Pologne et en attribue l'échec à la soumission du gouvernement français aux "ordres de la Cité de Londres".

Ensuite, formulé dans le but de prouver que les communistes sont des pacifistes de la première heure, ce rappel est aussi une dénonciation implicite du Maréchal Pétain qui est accusé par la propagande communiste de n'être qu'un belliciste, autrement dit un agent du capitalisme français et anglais, dont l'engagement tardif en faveur de la Paix n'est qu'un opportunisme.

C'est d'ailleurs pour mettre en avant le bellicisme de ce dernier que le texte décrit le président du Conseil ainsi que les membres de son Gouvernement de Paix comme des "fauteurs de guerre" (impérialisme français) et des "valets de la Cité de Londres" (impérialisme anglais).

De plus, toujours dans le but de montrer que seul le projet pacifiste du Parti communiste est légitime, l'Humanité plaide pour une "paix équitable" ou encore une "paix véritable" par opposition à une paix inéquitable ou à une fausse paix négociée par le Maréchal Pétain.

Enfin, par son contenu, cet article est en totale conformité avec le projet défendu par les communistes depuis le début du conflit à savoir la Paix par la Révolution socialiste ("LA PAIX C'EST LE SOCIALISME").
 
 
Appel du PCF

A la fin de juillet 1940, soit un mois après la signature de l'armistice franco-allemand, le Parti communiste clandestin lance un Appel au "Peuple de France".

Signé "Au nom du Comité Central du Parti Communiste Français" par Maurice Thorez et Jacques Duclos, secrétaire général et secrétaire du PCF, cet appel est un véritable plaidoyer pour la constitution... d'un Gouvernement de Paix communiste.

Pour justifier cette revendication et en même temps marquer la différence entre son projet pacifiste et celui du Maréchal Pétain, le Parti communiste affirme que seuls les communistes sont en mesure de négocier avec Hitler une "Paix dans l’indépendance complète et réelle de la France" ou encore "une paix véritable" car "seuls, les Communistes ont lutté contre la guerre".

Un dernier élément, cet appel est le tract le plus important diffusé par les communistes à l'été 1940.


Partie III


Charles Tillon

A l'entrée en guerre de la France en septembre 1939, Charles Tillon est membre du Comité central du Parti communiste français, responsable de la Région Paris-Nord du PCF et député de la Seine.

Trois semaines après le début du conflit, le Parti communiste est dissous en raison de son approbation du Pacte germano-soviétique, de son soutien à l'entrée des troupes soviétiques en Pologne et enfin de sa mobilisation en faveur de la Paix.

Dernière tribune légale du Parti, le groupe parlementaire communiste se mobilise dans les jours qui suivent le partage de la Pologne entre la Russie de Staline et l'Allemagne d'Hitler pour demander dans une lettre adressée au président de la Chambre l'organisation d'un vote du Parlement en faveur de la Paix.

Jugeant que la diffusion de cette lettre constitue une infraction au décret de dissolution du PCF, la justice militaire engagera des poursuites contre tous les députés communistes. Elle cherchera aussi à déterminer si l'article 75 du code pénal qui définit la trahison peut s'appliquer à cette initiative qui invoque la diplomatie soviétique.

Absent de son domicile par mesure de sécurité, Charles Tillon échappe à l'arrestation comme neuf de ses camarades. Contraint à la clandestinité, il n'a aucune activité politique pendant plusieurs semaines.

En novembre, Benoît Frachon l'envoie à Bordeaux pour diriger l'action du Parti dans une zone couvrant une douzaine de départements allant de la Charente aux Pyrénées.

Responsable du PCF clandestin, ce dernier formulera un jugement positif sur le travail de Tillon dans une lettre du 20 janvier 1940 adressée à Jacques Duclos, secrétaire du PCF réfugié à Bruxelles :

"Pour Ch T. [Tillon] je crois qu'il faut le laisser encore un peu où nous l'avons mis et où il fait un excellent travail. Je pense que lui-même préfère cela. Ici il craignait un peu de sortir, de prendre des contacts. Là-bas, ça va beaucoup mieux. Je suis d'avis de le faire revenir, mais pas tout de suite". (1)

Le 5 février 1940, les députés communistes sont renvoyés devant le tribunal militaire de Paris où ils seront jugés pour infraction au décret de dissolution. La procédure concernant la trahison est disjointe et ne visera que les 9 députés toujours recherchés dont Charles Tillon. Elle n'ira pas à son terme à cause de la défaite de juin 1940.

Le 20 février, le député de la Seine est déchu de son mandat par une Résolution de la Chambre votée en application de la loi du 20 janvier 1940 prononçant la déchéance de tous les élus communistes qui n'ont pas rompu avec le PCF.

En mars-avril se tient le procès des 44 députés communistes mis en cause pour la lettre au président Herriot. Jugé par contumace, Charles Tillon est condamné à 5 ans de prison, peine maximale prévue par le décret de dissolution. Cette condamnation sera amnistié par une ordonnance du 1er juillet 1943 signée par le général de Gaulle.

A l'été 1940, Charles Tillon est le principal dirigeant communiste dans la région du Sud-Ouest.

(1) Cahiers d'histoire de l'Institut de recherches marxistes, n° 52-53, 1993, p. 60.


Juin 1940

Dixième et dernier mois de la guerre franco-allemande, le mois de juin 1940 a été marqué par quatre événements majeurs.

Le 5, les Allemands ont lancé leur offensive sur la Somme. Le 10, l'Italie a déclaré la guerre à la France. Le 17, le Maréchal Pétain a manifesté au gouvernement allemand son désir de mettre fin au conflit. Le 22, l'armistice franco-allemand a été signé.

Sous la direction de Charles Tillon, les communistes bordelais ont été les seuls au sein de l'organisation communiste à réagir à chacun de ces événements en diffusant à chaque fois un tract signé « Le Parti communiste français (SFIC) » :

1) "Pour la Paix, le Pain, la Liberté, l'Indépendance !".
2) "Pour sauver notre pays !".
3) "Pour la Défense de la liberté et de l'Indépendance / Rassemblement".
4) "Appel au Peuple de France".

Réponses à l'invasion de la France par les armées nazies et fascistes, ces tracts appelaient tous à la constitution d'un Gouvernement de Paix communiste !!!

Dans le premier tract, on pouvait en effet lire :

"Pour le rétablissement de la Paix et de la Liberté. [...]
Il faut un gouvernement s'appuyant sur les masses populaires et prenant des mesures contre la réaction.
Un gouvernement qui s'entende sans délai avec l'Union Soviétique pour le rétablissement de la Paix dans le monde."

Dans le second, le plaidoyer pour la paix associait le Gouvernement Pétain au "fascisme" :

"PEUPLE DE FRANCE !

Pour sauver notre pays des désastres préparés par les deux cents familles et leurs Daladier, Blum, Flandin, écoute la voix du Parti communiste qui ne t'a jamais trompé, soutiens son action !
SOIS UNIS et LUTTE POUR UN GOUVERNEMENT S'APPUYANT SUR LES MASSES POPULAIRES, agissant contre le fascisme, la réaction et tous les traîtres à la classe ouvrière, capable de s'entendre sans délai avec l'Union Soviétique pour le rétablissement de la Paix dans le monde."

Enfin dans le troisième, le plaidoyer pour la paix faisait référence au "complot fasciste de la réaction" :

"Il faut immédiatement un gouvernement appuyé sur les masses populaires, brisant le complot fasciste de la réaction et faisant appel à l'URSS pour le rétablissement d'une Paix véritable dans le monde !"

Le tract "Appel au peuple de France" sera traité dans la Partie suivante.


Partie IV


"Appel au Peuple de France"

A la fin de juin 1940 ou au début de juillet 1940, en réaction à l'armistice franco-allemand signé le 22 juin, les communistes bordelais ont diffusé un "Appel au Peuple de France".

Cet appel plaidait pour un Gouvernement de Paix communiste :

"Pour un gouvernement populaire s’appuyant sur les masses, libérant les travailleurs, rétablissant la légalité du PARTI COMMUNISTE, luttant contre le fascisme hitlérien et les 200 familles, s’entendant avec l’URSS pour une paix équitable, luttant pour l’indépendance nationale et prenant des mesures contre les organisations fascistes".

Cette revendication était conforme à la ligne fixée par la direction centrale. Elle reprenait même les quatre éléments qui formaient la proposition formulée par Maurice Thorez dans son article du 25 avril 1940 :

1) "un gouvernement populaire s’appuyant sur les masses".
2) "une paix équitable".
3) "s’entendant avec l’URSS".
4) "luttant contre le fascisme hitlérien et les 200 familles".

Y avait-t-il une contradiction entre l'engagement de négocier avec Hitler "une paix équitable" dans le cadre du Pacte germano-soviétique et celui de lutter contre le "fascisme hitlérien" ? La réponse est non. En effet, le "fascisme hitlérien" désignait... le Gouvernement Pétain et non l'envahisseur allemand. Une preuve pour les sceptiques : la brochure "Union du peuple pour libérer la France" d'août 1940. Dans cette publication, Charles Tillon décrivait le Gouvernement Pétain en ces termes : "l'Ordre nouveau du gouvernement de la 5e colonne, c'est le fascisme hitlérien !" (1).

(1) R. Bourderon, Le PCF à l'épreuve de la guerre, 1940-1943, 2012, p. 48.


Auteur

On peut attribuer la rédaction de ce texte à Charles Tillon. Membre du Comité central du PCF, ce dernier était en juin 1940 le responsable inter-régional pour tout le Sud-Ouest.
 
Autre argument : dans ses livres On chantait rouge (1977) et FTP soldats sans uniforme (1991), il a revendiqué la rédaction d'un texte dont le contenu se rapproche de ce tract.


Date de rédaction

En s'appuyant sur le contenu du tract, on peut établir qu'il été a rédigé après le 22 juin 1940 :

Tout d'abord, le texte fait référence à l'armistice franco-allemand signé le 22 juin 1940 à Rethondes : "ET MAINTENANT, ils LIVRENT LA FRANCE".

Il mentionne aussi la capitulation des armées de l'Est le 22 juin 1940, initiative prise par le Général Condé au vu de la situation militaire : "Après avoir livré les armées du Nord et de l'Est".

Enfin, le passage "Ils ont livré à HITLER et à MUSSOLINI : l’ESPAGNE, l'AUTRICHE, l’ALBANIE et la TCHECOSLOVAQUIE. [...] ET MAINTENANT, ils LIVRENT LA FRANCE." permet d'établir une parenté et un lien de postériorité avec le tract "Pour la Défense de la liberté et de l'Indépendance / Rassemblement" qui a été diffusé pendant les négociations de l'armistice et dans lequel on pouvait lire : "Maintenant, ils ne pensent plus qu'au meilleur moyen de livrer la France à Hitler et Mussolini, comme ils leur ont livré les peuples de Tchécoslovaquie et d'Espagne".


Date de diffusion

Une certitude sur la date diffusion du tract : elle est postérieure au 22 juin 1940. La fin juin de 1940 peut-être une hypothèse.

Autre hypothèse, dans Les FTP (1962), Charles Tillon affirme que les communistes bordelais ont diffusé "quelques jours" après l'entrée des troupes allemandes dans Bordeaux "un appel au travailleurs" que l'on peut consulter aux "Archives dép. de la Gironde" (2). En se basant sur ce témoignage et sur une entrée des troupes allemandes dans Bordeaux le 30 juin, le tract  "Appel au Peuple de France" aurait été diffusé au début de juillet 1940.

(1) C. Tillon, Les FTP, 1962. p. 29.
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Partie V


"Union du peuple pour libérer la France"

Autre succès de la propagande communiste dans la région de Bordeaux : la diffusion au début de septembre 1940 d'une brochure intitulée "Union du peuple pour libérer la France".

Rédigée par Charles Tillon, cette brochure datée de "AOUT 1940" a été tirée à 300 exemplaires.

Illustration de son contenu pacifiste, anglophobe et antipatriotique, l'extrait dans lequel le PCF donne sa définition du patriotisme :

"La vérité tragique est maintenant perceptible à tous les français honnêtes : les communistes accusés de trahison parce qu'ils s'opposaient aux plans criminels des 200 familles, condamnés à des siècles de prison pour avoir réclamé la paix quand elle était possible sans désastre, et pour s'être opposés à la transformation de la France en Dominion de l'Angleterre, les communistes étaient et demeurent les véritables patriotes dont l'amour véritable de la Patrie exige que celle-ci soit libérée de ses exploiteurs et de ses traîtres." (1)

Revenant sur l'action du Parti communistes au cours de la guerre de 1939-1940, Charles Tillon affirme que "les communistes étaient et demeurent les véritables patriotes" en raison de leur opposition à l'Angleterre et de leur engagement en faveur de la paix avec Hitler !!!

Au cours du conflit franco-allemand, l'ennemi n'était donc pas l'Allemagne nazie mais la France dont le bellicisme s'expliquait par sa soumission à l'impérialisme anglais.

Au sens communiste du terme, Charles Tillon mérite pleinement le titre de "patriote" puisqu'il a été condamné à la "prison pour avoir réclamé la paix".

Après cet éloge du patriotisme communiste, il appelle à libérer la France "de ses exploiteurs et de ses traîtres" autrement dit des capitalistes et des partisans de la guerre. Aucune référence aux Allemands qui devaient sûrement être... des touristes. 

Pour terminer, on fera remarquer que l'extrait cité n'a été repris dans aucun des livres que Charles Tillon a publiés après la guerre. Silence identique chez tous ceux qui le célèbrent comme le premier Résistant.

(1) R. Bourderon, Le PCF à l'épreuve de la guerre, 1940-1943, 2012, p. 56.


Partie VI


Etapes d'une falsification

Plaidoyer pour la Paix diffusé par les communistes bordelais à la fin de juin ou au début de juillet 1940, le tract "Appel au Peuple de France" s'est transformé entre 1962 et 1991, sur la base de quatre témoignages de Charles Tillon, en un Appel à la Résistance diffusé le 17 juin 1940 sous le titre "Appel de Charles Tillon (17 juin 1940)".

On décrira le contenu de chacun de ces témoignages en mettant en gras les éléments significatifs :

1) Appel à la Résistance diffusé au début de juillet 1940 dans la région de Bordeaux (Les FTP, 1962).
2) Appel à la Résistance diffusé le 18 juin 1940 dans Bordeaux et ses environs (Debout Partisans !, 1970).
3) Appel à la Résistance diffusé le 17 juin 1940 dans Bordeaux et sa région (On chantait rouge, 1977).
4) "Appel de Charles Tillon" diffusé le 17 juin 1940 dans Bordeaux, sa région et dans le Sud-est (Les FTP, soldats sans uniforme, 1991).


Partie VII


Appel à la Résistance 
diffusé au début de juillet 1940
dans la région de Bordeaux

Dans Les FTP (1962), Charles Tillon soutient qu'à son origine la Résistance à l'occupant allemand était fondamentalement animée par deux courants.

L'un, gaulliste, servait les intérêts de la bourgeoisie qui ne faisait pas confiance à Pétain. L'autre, communiste, était au service de classe ouvrière.

Evoquant son attitude à l'été 1940, il écrit :

"Le 22, les armées de l'Est avaient capitulé, le 24, les Allemands étaient entrés à Angoulême, à Grenoble, à Menton. Lorsqu'ils pénètrent dans Bordeaux, des tracts communistes condamnant la trahison et appelant au sentiment national contre l'occupant, à l'union des travailleurs pour résister à l'hitlérisme apporté avec les baïonnettes allemandes, furent encartés dans les journaux du jour avec l'approbation de plusieurs tenanciers des kiosques, et distribués à la main dans les faubourgs (2)." (1)

La note "(2)" apporte les précisions suivantes :

"Quelques jours plus tard, un appel aux travailleurs fut diffusé dans la région, qui insistait sur la nécessité du combat immédiat contre le fascisme hitlérien, comme moyen d'ouvrir la voie à la libération nationale (Archives dép. de la Gironde)". (2)

Dans ce témoignage, l'ancien chef des communistes bordelais mentionne la distribution d'un tract dans Bordeaux le jour de l'entrée des troupes allemandes, soit le 30 juin, puis quelques jours plus tard la diffusion dans la région bordelaise d'un appel aux travailleurs. Il ne cite pas de titre et ne reproduit aucun extrait de ces deux textes qui sont décrits comme des appels à la Résistance. Enfin, il indique une source - les Archives départementale de la Gironde - uniquement pour le second document.

On notera que son appel aux travailleurs est évoqué dans une simple note, qu'il ne revendique aucune rupture avec la direction centrale à laquelle il n'adresse aucune critique et enfin que son initiative n'est pas célébrée comme l'acte fondateur de la Résistance communiste.


"Appel au peuple de France"

Plusieurs éléments permettent de soutenir que le second tract décrit dans le texte fait référence au tract "Appel au peuple de France" qui a été rédigé après le 22 juin 1940 et donc diffusé après cette date :

1) les dates et lieu de diffusion : dans la région bordelaise au début de juillet 1940.
2) le type de tract : un appel.
3) le contenu : la lutte "contre le fascisme hitlérien".
4) la source : les "Archives dép. de la Gironde" où sont conservés les quatre tracts diffusés par les communistes bordelais à l'été 1940 dont l'un est intitulé "Appel au Peuple de France".

Après avoir établi cette correspondance, on peut faire le constat que le tract décrit dans le passage cité ne reflète pas le contenu réel du tract diffusé. En effet, dans sa description, l'auteur ne fait aucune référence à la "paix équitable" et évoque la lutte contre le "fascisme hitlérien" en laissant croire volontairement que cette formule vise les Allemands alors qu'elle désigne le Gouvernement Pétain.

La preuve de la Résistance des communistes bordelais est donc fondée sur une description fallacieuse du texte original.

Concernant le premier tract, on peut faire l'hypothèse qu'il correspond aussi au tract "Appel au Peuple de France" avec les arguments suivants :

1) les lieux et date de diffusion : dans Bordeaux à la fin de juin 1940.

2) le mode de diffusion : "encartés dans les journaux du jour avec l'approbation de plusieurs tenanciers des kiosques". Dans Les FTP, soldats sans uniforme (1991), Charles Tillon fait état d'un "appel aux travailleurs" diffusé dans les mêmes conditions : "Et le jour où les Allemands entrent dans Bordeaux, les tenanciers des kiosques en glissent dans les journaux".

3) le contenu : "condamnant la trahison", "appelant au sentiment national contre l'occupant" et appelant "à l'union des travailleurs pour résister à l'hitlérisme apporté avec les baïonnettes allemandes". Dans le tract "Appel au Peuple de France", on peut lire : "ils ont tous trahis", "Notre Parti communiste [...] fait appel aux traditions françaises de liberté et d'indépendance",  "luttant contre le fascisme hitlérien" (c'est-à-dire le Gouvernent Pétain), et "Unissez-vous dans l'action !".

4) aucune source. Si l'auteur indique qu'un exemplaire du second tract est conservé aux Archives départementales de la Gironde, en revanche il ne fournit aucune source pour le premier. Doit-on considérer que ce ce tract n'existe pas ou plus simplement qu'il est identique au premier ?

Comme dans le premier cas, la description du tract dans le passage cité ne reflète pas le contenu réel du tract diffusé. En effet l'auteur ne fait aucune référence à la "paix équitable".


Date de diffusion

En s'appuyant sur le témoignage de Charles Tillon, et on considérant que les deux tracts décrits (simple hypothèse pour le premier tract) correspondent au tract "Appel au Peuple de France", on peut soutenir que cet appel a été diffusé dans Bordeaux à la fin de juin 1940 - les troupes allemandes étant entrées dans la ville le 30 juin - puis dans sa région au début de juillet.

Rappelons que le contenu du tract permet d'établir qu'il été rédigé après le 22 juin et que les communistes bordelais l'ont donc diffusé après cette date.
 
(1) C. Tillon, Les FTP, 1962. p.29.
(2) Ibid. p. 29.


Partie VIII


Appel à la Résistance
diffusé le 18 juin 1940
dans Bordeaux et ses environs

Dans leur livre publié en 1970 sous le titre Debout Partisans !, C. Angeli et P. Gillet décrivent la Résistance des communistes entre 1940 et 1942 sur la base des entretiens que leur ont accordés des militants ou des dirigeants comme Charles Tillon.

Evoquant juin 1940, ils écrivent :

"Dans ce pays aux frontières effacées par la guerre, Bordeaux jouait les centres de décision. [...]
Une République y mourrait et le pouvoir passait des mains de Paul Reynaud à celles du Maréchal Pétain. Mais la ville comptait aussi ses inconnus en la demeure. Deux surtout qui, aux mêmes heures, choisissaient des chemins conformes à l'idée, différente, qu'ils se faisaient de la France.
Le premier était général de brigade à titre temporaire. Il avait cinquante ans et se nommait Charles de Gaulle. [...]
Le second était un ancien des bagnes militaires. Il avait quarante-trois ans et s'appelait Charles Tillon. [...]
Puis, comme Pétain lançait à la radio, le 17 juin à midi trente, son fameux « Il faut cesser le combat », Tillon s'était mis à rédiger un tract dans son grenier de Gradignan. C'était un appel titré : Peuple de France. Les communistes allaient en distribuer le lendemain dans Bordeaux et ses environs : [suit un extrait du tract]" (1).

Cet extrait du tract permet de l'identifier. Il s'agit du tract "Appel au Peuple de France". Le texte reproduit représente un peu plus de la moitié de ce dernier. En comparant les deux textes, on peut aussi constater que toute les coupes ne sont pas signalées dans l'extrait.

On retrouve dans ce récit la même affirmation que dans le texte de Charles Tillon de 1962 : les communistes bordelais ont diffusé à l'été 1940 un Appel à la Résistance.

Toutefois, on notera deux ajouts significatifs et une différence substantielle. Tout d'abord les deux journalistes indiquent que cet appel était intitulé "Peuple de France" et que l'auteur de ce texte était Charles Tillon. Ensuite, ils affirment que ce tract a été diffusé le 18 juin 1940.

Rappelons que dans son témoignage de 1962 Charles Tillon évoquait la diffusion d'un premier tract anti-allemand à la fin du mois de juin et d'un "appel au travailleurs" quelques jours après. Cette nouvelle chronologie permet aux deux auteurs de faire de Charles Tillon l'égal du Général de Gaulle puisque ces deux "inconnus" ont lancé leur appel le même jour.

(1) C. Angeli et P. Gillet, Debout Partisans !, 1970, pp. 69-70.

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Partie IX


Appel à la Résistance 
diffusé le 17 juin 1940
dans Bordeaux et sa région

Dans On chantait rouge (1977), revenant sur la période de l'été 1940, Charles Tillon décrit sa réaction au discours du Maréchal annonçant la demande d'armistice  :

"Le 17 juin à midi trente, quand je descendis de mon galetas pour le repas avec mes hôtes, j'écoutai les informations. C'était Pétain. [...]
J'avalai la soupe de la douce Mme Souques et je remontai à l'étage pour rédiger un tract qui soit un appel à empêcher que des représentants du peuple restent sans voix en voyant la France envahie, soumise et lâchement tenue dans l'ignorance de la vraie nature du fascisme. Il n'était pas possible de combattre l'hitlérisme autrement qu'au nom de la nation et de la liberté, contre ceux qui livraient le pays. J'écrivis à la hâte une déclaration encore bien éloignée des réalités nouvelles, dont je sentais la nécessité absolu". (1)

Suit un extrait de cette déclaration (le texte reproduit indique des coupes). Une note en bas de page précise la source : "Archives de Bordeaux et Centre Jean Moulin" (2).

Ce texte s'avère être un extrait altéré du tract "Appel au Peuple de France". Il en représente un peu plus de la moitié.

L'extrait lui-même a subi trois altérations. Tout d'abord, la plus significative : la phrase "luttant contre le fascisme hitlérien" est devenu "luttant contre LE FASCISME HITLERIEN". Ensuite, la phrase "Ils avaient livré à Hitler..." a été remplacé par "Ils ont (les gouvernements bourgeois) abandonné à Hitler...". Enfin, la phrase "ILS ONT TOUS TRAHIS : les gouvernements ont toujours agi contre le peuple" a été remplacée par "Ils ont tout trahi".

L'auteur poursuit :

"Henri Souques partit aussitôt pour faire ronéoter ce texte. Un premier tirage fut répandu dans la soirée du 17 juin et pendant la nuit. Le matin du 18 juin, jour anniversaire de Waterloo, alors que les allemands entouraient la ville pour gagner Hendaye, des camarades avaient obtenu des dépositaires de journaux du centre de la ville de laisser encarter notre tract à l'intérieur des quotidiens. Il sera reproduit et diffusé pendant toute une semaine dans la région." (3)

Au vu de ce témoignage, Charles Tillon a diffusé un appel à la Résistance dès... le 17 juin 1940 dans la ville de Bordeaux puis dans sa région dans les jours suivants. Il est donc l'auteur du premier appel à la Résistance !!! L'appel du général de Gaulle ayant été radiodiffusé le 18 juin.

Il va même jusqu'à décrire les premiers effets de son appel sur la population :

"J'apprenais que le 22 juin, quand la Wehrmacht avait gagné la rive droite de la Gironde et gagné le fort de Chay près de Royan, l'effervescence régnait dans le chantier de construction navale où des ouvriers occupés à bord de torpilleurs appelaient les marins à appareiller en même temps que le Massilia. Un convoi s'était aussi formé avec l'objectif de gagner l'Angleterre. Leray rapportait que c'étaient des copains qui, en reproduisant notre tract du 17 juin, poussaient à refuser le fait accompli et il citait le nom de marins arrêtés le 21 juin : ainsi, le matelot de vingt ans Robert Paul, à bord du Kerguelen. Plusieurs torpilleurs en réparation tentaient de fuir. Les Allemands avaient feu contre l'un d'entre eux qui ripostait. Le de Salle, touché, avait dû rejoindre le Verdon. Le Lansquenet réussissait à passer, puis, en péril dans la tempête, devait mettre cap sur Casablanca pour se heurter là-bas à l'esprit de soumission des colons et du général Noguès, résident général du Maroc." (4)

On peut constater que les premiers effets ont été spectaculaires...

Résistant, Charles Tillon se définit aussi comme un dissident. En effet, il souligne que son action marquait une rupture avec la ligne fixée par la direction centrale qui était soumise aux Instructions de l'IC lesquelles étaient respectueuses du Pacte germano-soviétique.

Sur ce point essentiel, il indique qu'à la mi-août il a pu rencontrer un agent de liaison envoyé par la direction centrale et prendre ainsi connaissance du contenu à la fois de l'Appel au "Peuple de France" de juillet 1940 signé par Thorez et Duclos, et des numéros de l'Humanité clandestine.

Concernant, l'Appel de Duclos et Thorez, il témoigne de sa stupéfaction en ces termes :

"Je m'attendais à trouver un appel à la résistance contre le fascisme germano-français issu de l'armistice. Mais ce Peuple de France (1) ne reprenait que des appréciations de l'IC contre les « responsables de la guerre impérialiste » et de la défaite, et contre leurs successeurs à Vichy, une dénonciation de la constitution à Vichy du ministère formé par Pétain le 13 juillet 1940. Mais rien contre le fascisme hitlérien."

La note (1) relève de l'humour... involontaire. En effet, Charles Tillon accuse ses camarades d'avoir procéder à la "falsification" de l'Appel de juillet 1940 pour en faire un appel à la Résistance :

"C'est ce tract Peuple de France que Duclos venait de publier vers le 15 août qui allait devenir, après la Libération, le fameux Appel du 10 juillet 1940, mais après sa falsification, alors qu'il n'attaquait que Vichy sans un mot contre l'occupant, pas plus que dans tous les numéros de l'Humanité de l'époque." (5)

Concernant l'Humanité clandestine, il manifeste la même horreur. Un exemple, après avoir lu dans le numéro du 13 juillet 1940 un article célébrant "la fraternité franco-allemande", il fait le commentaire suivant :

"Je me frottai les yeux : la Fraternité franco-allemande, proclamée au nom de la direction, comme ligne politique internationale à l'égard du régime d'occupation me pétrifiait. Ce n'était pas possible ! Mais qui donc dirigeait à Paris ?" (6)

Signalons que le traumatisme a été de courte durée puisqu'à la mi-septembre il a été rappelé à Paris pour intégrer la direction du Parti. Appliquant fidèlement les consignes de l'IC, cette direction à trois comprenait Jacques Duclos, Benoît Frachon et... Charles Tillon.

Son rejet de l'IC est affirmé avec la même conviction que sa condamnation de la direction centrale : 

"Bien avant l'entrée des occupants dans Bordeaux, je me sentais en état de révolte contre l'Internationale. Ses injonctions venues de Bruxelles [antenne de l'IC], c'était l'acceptation de l'occupation. Or, depuis le 17 juin, mon premier appel désignait notre ennemi, c'était l'envahisseur !" (7)

Dernier élément, publié après son exclusion du PCF en 1970, On Chantait rouge contient des vérités historiques essentielles, tellement essentielles qu'elles étaient absentes de son précédent livre édité en 1961 sous le titre Les FTP. Un oubli sûrement...

(1) C. Tillon, On chantait rouge, 1977 p. 301.
(2) Ibid., p. 302.
(3) Ibid., p. 302.
(4) Ibid., p. 305.
(5) Ibid., p. 308.
(6) Ibid., p. 308.
(6) Ibid., p. 304.


Partie X


"Appel de Charles Tillon" 
diffusé le 17 juin 1940
dans Bordeaux, sa région et dans le Sud-est

Dans Les FTP, soldats sans uniforme (1991), Charles Tillon décrit sa réaction à la demande d'armistice avec plus de détails que dans son précédent livre On chantait rouge :

"Le 17 juin, à midi trente, Pétain annonce à la radio : « Français, Française, il faut cesser le combat entre soldats et dans l'honneur... je fais don de ma personne à la France ! ». [...]
Je n'imaginais pas que j'étais, en même temps, en train de me détacher de la direction de ceux qui, comme Duclos et son appareil de Belgique, attendaient les consigne de Moscou. Je me mis à écrire, sur un bout de table, que je n'acceptais pas la trahison de Pétain et des siens. Je fis porter ma déclaration par Henri Souques, mon logeur, à Paulette Lacabe, qui tapait nos tracts dans Bordeaux. Elle en témoigne toujours. Celle-là allait être reproduite, sans attendre, en tract avec pour titre mon seul recours : APPEL AUX TRAVAILLEURS. Ce tract rédigé le 17 juin 1940, après la déclaration de Pétain à l'envahisseur ne traduit jamais que le sursaut d'un esprit de classe qui ne capitulera jamais". (1)

Suit alors, sous la mention "L'APPEL DE CHARLES TILLON" (2), le texte de ce tract, puis l'auteur ajoute :

"Cet appel d'abord diffusé dans Bordeaux et sa région, est tiré à répétition par milliers d'exemplaires et envoyé dans les départements du Sud-Est, où je suis en relation avec des camarades partageant mes sentiments. Le 18 juin, il est répandu clandestinement dans les hôtels où résident les parlementaires. Et le jour où les Allemands entrent dans Bordeaux, les tenanciers des kiosques en glissent dans les journaux. Un exemplaire original existe au centre Jean Moulin de Bordeaux." (3)

Dans ce texte, Charles Tillon maintient la version d'un Appel à la Résistance diffusé le 17 juin 1940 dans Bordeaux et sa région. Toutefois, il étend la zone de diffusion de cet appel aux départements du Sud-est. Pourquoi pas toute la France ? La modestie sûrement.

Autres nouveautés, celles-là essentielles, non seulement il reproduit l'intégralité du texte de cet appel mais en plus il propose un fac-similé du tract (Doc. 1) en précisant que ce document est conservé au Centre Jean Moulin de Bordeaux.

Charles Tillon a mis quatorze ans pour trouver un titre à son appel du 17 juin 1940 et il en propose trois !!! :

1) Dans le texte, il indique avoir nommé son tract : "Appel au travailleurs".
2) Le texte du tract est reproduit sous le titre : "Appel de Charles Tillon".
3) Le fac-similé du tract porte le titre suivant : "Appel de Charles Tillon (17 juin 1940)".

Le texte du tact est légèrement différent de celui publié dans On chantait rouge. Les différences avec le tract original seront exposées dans la partie suivante.

En définitive, Les FTP, soldats sans uniforme est un ouvrage de référence puisqu'il contient l'ensemble des éléments qui composent la fiction d'un appel à la Résistance lancé par les communistes bordelais le 17 juin 1940 : le récit, le titre et le texte du tract, et enfin sa reproduction en fac-similé. L'auteur du livre étant de surcroît le signataire de cet appel à la Résistance.

Au vu de tous ces éléments, on comprendra pourquoi les historiens préfèrent s'appuyer sur les témoignages postérieurs à la guerre plutôt que sur les textes publiés pendant l'occupation allemande pour affirmer que les communistes ou des communistes se sont engagés dans la Résistance dès l'été 1940.

(1) C. Tillon, Les FTP, soldats sans uniforme, 1991, pp. 14-15.
(2) Ibid., p. 15.
(3)Ibid., p. 15.


Partie XI


Falsification

"L'Appel de Charles Tillon (17 juin 1940)" constitue le document de référence pour tous les auteurs qui soutiennent non seulement que les communistes se sont engagés dans la lutte contre l'occupant allemand dès l'été 1940 mais en encore qu'ils sont les premiers Résistants

Reproduit dans Les FTP, soldats sans uniforme (1991), ce tract imprimé n'est pas un vrai tract mais une version falsifiée tant sur le fond que sur la forme d'un tract ronéoté intitulé "Appel au Peuple de France" qui a été diffusé par les communistes bordelais à la fin de juin 1940.

L'objectif de la falsification étant de transformer un tract pacifiste du PCF en un appel à la Résistance de Charles Tillon antérieur, de surcroît, à celui du général de Gaulle.
 
Un exemplaire de "l'Appel de Charles Tillon (17 juin 1940)" (de fait l'unique exemplaire) a été déposé au Centre Jean Moulin de Bordeaux. Un exemplaire du tract "Appel au Peuple de Peuple" est conservé aux Archives départementales de la Gironde avec 3 trois tracts et une brochure qui ont été diffusés par les communistes bordelais à l'été 1940.

Ces premières différences entre le tract falsifié et le tract original peuvent être synthétisées dans le tableau suivant :

Critères"Appel au peuple
de France"
"Appel de Charles Tillon
(17 juin 1940)
"
Méthode de reproductionRonéotéImprimé
ObjetGouvernement de PaixRésistance
Date de diffusionDébut juillet 194017 juin 1940
SignatureParti communiste françaisCharles Tillon
Lieu de conservationArchives départementales
de la Gironde
Centre Jean Moulin
de Bordeaux

Dans les deux Parties suivantes, on examinera les différences portant sur le fond et la forme du texte.


Partie XII


Falsification sur le fond

Le tract falsifié reprend 22 des 29 lignes composant le tract original. Ont été écartées les phrases suivantes :

- "La grande force de Paix qu'est l'UNION SOVIETIQUE était repoussée".
- "Les incapables, les veules, les vendus à Hitler voudraient esquiver les responsabilités" (2 lignes).
- "Après avoir emprisonné plus de quinze mille travailleurs".
- "Notre PARTI COMMUNISTE FRANÇAIS toujours vivant malgré la répression, fait appel aux traditions françaises de liberté et d'indépendance" (2 lignes).
- "IL FAUT QUE LE PEUPLE TOUT ENTIER SE DRESSE".

D'autre part, deux phrase ont été réécrites :

- "Ils avaient livré à HITLER..." est devenu "Les gouvernements bourgeois ont livré à Hitler..."
- "ILS ONT TOUS TRAHIS : les gouvernants ont toujours agi contre le peuple" a été remplacé par "Ils ont tout trahi".


"La grande force de Paix"

La censure la plus significative concerne la référence à l'Union soviétique : "La grande force de Paix qu'est l'UNION SOVIETIQUE était repoussée".

La célébration et de l'Union soviétique et de son pacifisme ne pouvait figurer dans un tract qui avait pour ambition d'illustrer et la dissidence et la résistance de Charles Tillon.

D'autant plus que la phrase censurée était une condamnation de la France et de l'Angleterre qui n'avaient pas suivi les recommandations de la diplomatie soviétique les incitant à faire la paix avec Hitler.

Rappelons quelques faits. Tout d'abord, l'Union soviétique était liée à l'Allemagne nazie par le Pacte germano-soviétique du 23 août 1939 et le Traité de frontières et d'amitié du 28 septembre 1939.

Ensuite, en complément du traité du 28 septembre 1939 organisant le partage de la Pologne, les gouvernements allemand et soviétique ont signé une Déclaration dans laquelle ils appelaient la France et l'Angleterre à approuver leur action en Pologne, s'engageaient à faire des "efforts communs" pour mettre un terme à la guerre et enfin affirmaient qu'un échec de leurs démarches pour la paix établirait le fait que "l'Angleterre et la France sont responsables de la continuation de la guerre".

C'est dans ce contexte que le groupe parlementaire communiste s'est fait le relais de "la diplomatie soviétique" en adressant une lettre au président de la Chambre des députés dans laquelle il demandait l'organisation d'un vote du Parlement en faveur d'une "paix juste, loyale et durable, que du fond de leur cœur souhaitent tous nos concitoyens."

Les députés communistes ont été poursuivis pour infraction au décret de dissolution du PCF. Parmi ceux qui ont échappé à l'arrestation figuraient Charles Tillon, député de la Seine. Le procès des députés communistes s'est tenu en mars-avril 1940. Dans le jugement rendu le 3 avril, Charles Tillon a été condamné par contumace à 5 ans de prison.


Partie XII


Falsification sur la forme

La falsification sur la forme a été aussi efficace que celle sur le fond comme l'atteste cette comparaison entre le texte original et le texte altéré :

-  Tract  "Appel au Peuple de France" (texte original) :

"Pour un gouvernement populaire s’appuyant sur les masses, libérant les travailleurs, rétablissant la légalité du PARTI COMMUNISTE, luttant contre le fascisme hitlérien [...]."

-  Tract "Appel de Charles Tillon (17 juin 1940)" (texte altéré) :

"Pour un gouvernement populaire s’appuyant sur les masses, libérant les travailleurs, établissant la légalité du parti communiste, LUTTANT CONTRE LE FASCISME HITLERIEN [...]."

Dans le texte altéré, l'accent est uniquement mis sur "LUTTANT CONTRE LE FASCISME HITLERIEN" qui est d'ailleurs l'élément sur lequel s'appuie les historiens pour faire de ce tract un Appel à la Résistance.

Dans le texte original, l'accent était mis sur le projet du Parti communiste : "Pour un gouvernement populaire" et sur l'organisation communiste elle-même : "PARTI COMMUNISTE".


Document 1 :

APPEL DE CHARLES TILLON
(17 juin 1940)

Les gouvernements bourgeois ont livré à Hitler et à Mussolini : l’Espagne, l’Autriche, l’Albanie et la Tchécoslovaquie... Et maintenant, ils livrent la France. Ils ont tout trahi.

Après avoir livré les armées du Nord et de l’Est, après avoir livré Paris, ses usines, ses ouvriers, ils jugent pouvoir, avec le concours de Hitler, livrer le pays entier au fascisme. Mais le peuple français ne veut pas de de l'esclavage, de la misère, du fascisme. Pas plus qu’il n’a voulu de la guerre des capitalistes. Il est le nombre : uni, il sera la force.

∗ Pour l’arrestation immédiate des traîtres;

∗ Pour un gouvernement populaire s’appuyant sur les masses, libérant les travailleurs, établissant la légalité du  parti communiste, LUTTANT CONTRE LE FASCISME HITLERIEN et les 200 familles, s’entendant avec l’URSS pour une Paix équitable, luttant pour l’indépendance nationale et prenant des mesures contre les organisations fascistes.

Peuple des usines, des champs, des magasins et des bureaux, commerçants, artisans et intellectuels, soldats, marins, aviateurs encore sous les armes, UNISSEZ VOUS DANS L’ACTION !