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Négociations de juillet-août 1940 entre le PCF et les nazis ou la tentative de reparution de Ce Soir

Le 6 juillet 1940, dans le cadre des pourparlers entre le Parti communiste et l'ambassade d'Allemagne, Robert Foissin remet à Otto Abetz la morasse (page imprimée) du premier numéro de Ce Soir sous censure allemande : Ce Soir n° 1 du lundi 8 juillet 1940.

Ce numéro se compose de six articles, d'un espace réservé au "Communiqué" officiel allemand et d'un autre plus réduit pour les "Echos et informations".

L'éditorial intitulé "Dix mois d'interdiction" rappelle les raisons de l'interdiction du quotidien communiste et annonce une heureuse nouvelle :

"Ce Soir, journal indépendant, qui mena de courageuses campagnes pour défendre le peuple de France, fut interdit, en même temps que l'Humanité, pour avoir approuvé le pacte germano-soviétique et servi par cela même la cause de la paix. [...]
Aujourd'hui, après dix mois d'interdiction, Ce Soir a obtenu l'autorisation de reparaître". (1)

Peut-on dire qu'il y a un lien de causalité entre ces deux événements ?

Les pourparlers concernant Ce Soir ont commencé le 4 juillet à la suite de l'échec de ceux portant sur la publication légale de l'Humanité qui avaient débuté le 26 juin avec une rencontre à l'ambassade d'Allemagne entre Otto Abetz et deux dirigeants communistes : Maurice Tréand et Jean Catelas. Etait aussi présent Robert Foissin, avocat communiste. Cette rencontre a marqué le début de la seconde négociation entre le Parti communiste et les Allemands. Son objet était plus large que la première qui s'était tenue les 18, 19, 20 juin entre une militante communiste et la Propaganda Staffel Frankreich avec pour unique sujet la reparution de l'Humanité. 

Le 8 juillet, sans réponse des Allemands concernant la reparution de Ce Soir, Foissin évoque le sujet avec Picard, un agent d'Abetz. Démarche identique le lendemain.

Le 12 juillet, preuve de la détermination des communistes, Foissin rencontre Abetz pour lui manifester l'impatience de ses camarades et lui demander de les recevoir dans la journée.

L'entrevue aura lieu le lendemain à l'ambassade. Abetz sera accompagné d'un représentant de la Propaganda Staffel : Maass. Cette deuxième rencontre entre des dirigeants communistes et des officiels allemands constitue une nouvelle preuve de... la Résistance communiste.

Le 19 juillet, le jour même du discours d'Hitler célébrant devant le Reichstag la victoire de l'Allemagne contre son ennemi héréditaire : la France, Maass annonce à Tréand que Ce Soir est autorisé à paraître. L'entretien porte sur plusieurs sujets ainsi qu'une surprenante proposition de l'Allemand. Constatant que les communistes viennent de diffuser un tract reproduisant la lettre des députés communistes du 1er octobre 1939 appelant à la Paix, Maass les invitent à recommencer l'opération en suggérant un plus grand tirage et un petit changement : l'ajout d'extraits du discours d'Hitler !!! Preuve du traitement privilégié accordé aux communistes, cette troisième rencontre entre un dirigeant communiste et un officiel allemand a lieu au domicile de Robert Foissin.

Le lendemain, Abetz quitte Paris. Il a été convoqué par Joachim Ribbentrop pour rendre compte de la situation en France. Il sera absent pendant plus de deux semaines. En attendant les décisions qui seront prises à Berlin par le ministre des Affaires étrangères et... le Führer, Adolf Hitler, les relations avec les communistes sont gelées.

Les sujets en suspens sont l'autorisation d'un journal communiste, la possibilité pour les communistes de s'exprimer par voie d'affiche, la libération des militants communistes détenus en zone occupée et... en zone non occupée, le rétablissement des municipalités communistes et enfin la légalisation des comités populaires.

Le 5 août, sur la base notamment d'un rapport de Tréand décrivant sa rencontre du 19 juillet avec Maass et d'un compte rendu fait par Foissin au chargé d'affaires russe dans lequel il indiquait que les négociations avec Abetz portaient aussi sur la constitution d'un gouvernement révolutionnaire dans la zone nord, l'Internationale communiste adopte une Directive qui montre que le comportement des communistes français a suscité à Moscou la consternation, l'inquiétude et la sidération.

Dans ce texte, l'IC rappelle une nouvelle fois que les dirigeants communistes ne doivent pas participer aux négociations avec les Allemands, dénonce Abetz et ses manœuvres qui mettent en danger le Parti et enfin après avoir déclaré que toute négociation politique était une trahison accuse Foissin d'être un agent des occupants.

Robert Foissin était-il un traître ? Pour répondre à cette question on citera deux lettres adressées à André Picard, un agent d'Abetz, illustrant parfaitement l'état d'esprit des communistes à l'été 1940 et les conséquences d'une ligne politique fondée sur la condamnation de la guerre impérialiste et l'adhésion au Pacte germano-soviétique :

1) lettre du 4 juillet 1940 :

"Tu m'as loyalement mis au courant des manœuvres qui cherchent à étouffer la voix du seul parti qui a su définitivement tuer la haine entre les masses françaises et le peuple allemand, qui est capable de faire accepter la paix sans idée de revanche chauvine. (3)

2) lettre du 5 août 1940 :

"Des centaines de prisonniers politiques se trouvent encore dans la zone occupée. Bien qu'un mémo ait été remis à ce sujet aux autorités allemandes, depuis plus dix jours mes camarades sont toujours détenus ou internés pour avoir défendu le pacte germano-soviétique, pacte dont les développements prochains viennent d'être si heureusement soulignés par Hitler et Molotov dans leurs plus récents discours. [...]
Tu sais avec quel foi j'ai agi jusqu'à maintenant et les discours d'Hitler et de Molotov m'ont confirmé dans l'opinion que l'amitié entre le Reich et l'URSS doit avoir de profondes répercussions même sur l'évolution de la politique de la France." (4)

Au final, l'IC exige l'arrêt immédiat des négociations avec Abetz. Elle demande aussi au Parti communiste de poursuivre ses efforts pour la légalisation de la presse ouvrière en s'appuyant uniquement sur des militants et en limitant au strict nécessaire les contacts avec les autorités militaires allemandes. 

Suivant cette dernière prescription, les communistes initieront une nouvelle démarche auprès de la Propaganda Staffel pour faire reparaître La Vie ouvrière, journal de la CGT de tendance communiste. Cette troisième négociation se soldera rapidement par un échec avec le rejet du numéro soumis à la censure.

Le 21, le Parti communiste répond à l'IC en indiquant qu'il a mis fin aux pourparlers avec Abetz et en niant avoir mené une quelconque négociation politique avec ce dernier.

Dans les faits les négociations avec le dignitaire nazi se poursuivent pendant quelques jours pour connaître les contre-propositions allemandes.

Le 22, plus de deux semaines après son retour à Paris avec le rang d'ambassadeur, Abetz invite Foissin à passer à l'ambassade. Après s'être excusé de n'avoir pu le recevoir plus tôt, l'ambassadeur allemand lui annonce le résultat de ses conversations avec Ribbentrop et Hitler. En suivant une note de l'avocat communiste en date du 7 novembre 1944, ces annonces ont été les suivantes :

"1° Accord sur le développement du mouvement des comités d'entreprise.
2° Impossibilité de la reparution de Ce Soir trop marqué par sa position lors de la guerre d'Espagne mais entrée à "La France au Travail" qui sera profondément remaniée.
3° Accord sur la libération des détenus de la zone non occupée." (5)

Le 25, Foissin transmet les contre-propositions allemandes à Catelas qui lui demande de prendre rendez-vous avec Abetz pour le 27 août.

Le 27, le dirigeant communiste ne se présente pas chez Foissin qui l'attend pour se rendre à l'ambassade.

Ce fait marque la fin non seulement de la deuxième négociation entre le PCF et les Allemands mais aussi des relations entre les deux parties. D'une durée de deux mois, concomitante à la troisième démarche concernant la Vie Ouvrière, visant à la légalisation des activités du PCF, portant même sur un gouvernement communiste dans la zone nord, cette deuxième négociation aura été un échec à l'exception de la libération des militants communistes détenus dans la zone occupée.

Le 31, Foissin est exclu du PCF sur les ordres de Moscou (Thorez). On lui reproche ses discussions avec Abetz sur un projet allemand de gouvernement communiste à Paris. Son exclusion sera annoncée dans un numéro spécial de l'Humanité en date du 27 septembre 1940 avec comme motif sa participation à la France au Travail. Donner le véritable motif c'était reconnaître la réalité des négociations avec les Allemands.

On développera tous ces points en rappelant l'échec des deux tentatives de légalisation de l'Humanité (I), en s'intéressant au premier et unique numéro de Ce Soir sous censure allemande (II) et enfin en retraçant la suite des négociations sur la période du 13 juillet au 27 août 1940 (III).

(1) Cahiers d'histoire de l'IRM n° 14, 1983 p. 168.
(2) Ibid., p. 171.
(3) Crémieux Francis, Estager Jacques, Sur le Parti 1939-1940, 1983, p. 297-298.
(4) Ibid., pp. 314, 316.
(5) Ibid., p. 354.


Partie I

Première tentative de légalisation de l'Humanité

Engagée avant même la signature de l'armistice franco-allemand autrement dit avant même l'arrêt des combats, la première négociation entre le Parti communiste et les envahisseurs allemands s'est tenue les 18, 19 et 20 juin 1940. 

Répondant à des Instructions de l'Internationale communiste, cette négociation a eu pour unique objet la reparution de l'Humanité dont la publication avait été suspendue le 26 août 1939 en raison de son soutien au... Pacte germano-soviétique.

Elle a pris la forme de plusieurs rencontres entre une militante communiste, Denise Ginollin, et un officier de la Propaganda Staffel Frankreich, le lieutenant Weber.

Cette militante a agi sur les ordres de Maurice Tréand, membre du Comité central, responsable de la commission des cadres et adjoint de Jacques Duclos, chef du Parti communiste clandestin.

Le 20 juin, à son entrevue de 16 heures avec le lieutenant Weber, Denise Ginollin a obtenu l'autorisation de publier l'Humanité. Elle est revenu à 18 heures pour lui soumettre les articles devant paraître dans le premier numéro de l'Humanité légale. Des changements ayant été demandés, la militante communiste devait revenir à 22 heures pour obtenir le visa définitif de la Kommandantur. Preuve des bonnes relations entre les deux parties, l'officier allemand lui a remis... un laissez-passer lui permettant de circuler après le couvre-feu.

A 20 h 30 près du Métro Saint-Martin, la militante communiste a rencontré comme prévu Maurice Tréand et Jeanne Schrodt pour faire le point sur les négociations.

C'est à ce moment qu'ils ont été arrêtés par la police française qui les soupçonnaient de vouloir faire reparaître l'Humanité.

Sans nouvelles de Denise Ginollin, le lieutenant Weber, passé le délai d'une heure qu'il avait accordé, a informé l'Etat-major que l'Humanité ne paraîtrait pas le lendemain :

"Le 20 juin à 23 heures, l'envoyé de l'Humanité n'ayant pas présenté les modifications demandées, ce journal ne paraîtra pas le 21 juin". (1)

C'est donc l'intervention de la police française qui a empêché la parution du premier numéro de l'Humanité sous censure allemande !!!

Le 21 juin, les trois suspects et une quatrième personne arrêtée le jour même, Valentine Grunenberger, ont été auditionnés par le commissaire Lafont. Le lendemain, sur la décision du Juge Pihier, Maurice Tréand et les trois militantes ont été incarcérés respectivement à la Santé et à la Petite Roquette.

Les quatre staliniens ont été libérés le 25 juin à la suite d'une intervention... d'Otto Abetz qui avait été sollicitée par l'avocat communiste de Maurice Tréand, Me Robert Foissin. En contrepartie de cette intervention, le représentant d'Hitler en France avait manifesté le désir de rencontrer le dirigeant communiste pour discuter de la question de l'Humanité avec l'ambition d'engager de plus larges négociations...
 
(1) Jean-Pierre Besse, Claude Pennetier, Juin 40, la négociation secrète, 2006. p. 57.


Seconde tentative de légalisation de l'Humanité

Le 26 juin, dans la matinée, le Parti communiste ayant accepté de satisfaire la demande allemande, Maurice Tréand se rend à l'ambassade d'Allemagne pour conférer avec Otto Abetz. Il est accompagné d'un autre membre du Comité central : Jean Catelas. Sont aussi présents à la réunion : Me Foissin et Denise Ginollin. 
 
Première rencontre entre un officiel allemand et... deux dirigeants communistes, cette réunion du 26 juin 1940 marque le début de la seconde négociation entre le PCF et les nazis. Encore une preuve de... la Résistance communiste. 
 
Dans l'après-midi, sur les conseils d'Abetz, le Parti communiste prépare une lettre dans laquelle il formule officiellement ses demandes.
 
Datée du 26 juin 1940, signée par Maurice Tréand et Jean Catelas, cette lettre demande :
 
1) "l'autorisation de publier l'Humanité",
2) la libération des "militants communistes emprisonnés ou internés dans des camps de concentration" pour avoir défendu la Paix,
3) le retour dans leurs fonctions électives des élus communistes déchus de leur mandat pour avoir, "envers et contre tous, défendu le pacte germano-soviétique".

Ayant pour objet principal la demande de reparution de l'Humanité, cette lettre est remise le lendemain à Otto Abetz par Robert Foissin qui a été désigné par ses camarades pour les représenter dans cette nouvelle négociation.
 
Sur le point particulier de l'Humanité, les pourparlers prennent fin le 4 juillet sur un échec comme dans la première négociation mais pour des motifs différents.

Dans le cas présent, les Allemands expliqueront aux communistes que pour des raisons politiques ils ne peuvent laisser paraître l'Humanité et qu'un journal communiste ne sera autorisé qu'à la condition de changer de titre. Après le lancement d'un quotidien du matin sur le modèle de l'Humanité ayant pour titre La France au Travail, les Allemands poseront une deuxième condition : une parution le soir.

Déterminé à obtenir la légalisation de son organe central, le Parti communiste proposera de faire paraître l'Humanité le soir sous le titre l'Humanité du soir. Nouveau refus.

Au final, il cèdera aussi à la seconde exigence allemande et demandera l'autorisation de reprendre la publication de Ce Soir, le quotidien communiste du soir.


Partie II

Reparution de Ce soir

Le 4 juillet, Abetz reçoit Foissin à l'ambassade d'Allemagne pour lui renouveler le refus des autorités allemandes d'autoriser la parution de l'Humanité même dans une formule du soir. L'avocat communiste lui répond que, dans ce cas, les dirigeants de son Parti acceptent de changer de titre et demandent l'autorisation de reprendre la publication du l'autre quotidien communiste : Ce Soir.

Dans le but d'obtenir une tribune légale même limitée puisque soumise à la censure de l'occupant, le Parti communiste a donc accepté les deux conditions posées par les autorités allemandes : un changement de titre et une parution le soir.

Les efforts et les concessions des communistes sont rapidement récompensés. En effet, dès le 5 juillet, Abetz invite Foissin à l'ambassade pour discuter de la publication de Ce Soir. Au terme de cette discussion, le diplomate allemand lui demande de préparer le premier numéro.

Quotidien communiste du soir dirigé par Louis Aragon, Ce Soir a été, comme l'Humanité, suspendu le 26 août 1939 par un arrêté du ministre de l'intérieur, Albert Sarraut, radical-socialiste, en raison de son soutien... au Pacte germano-soviétique dans son numéro du 25 août 1939 (diffusé le 24 au soir). Saisi dans les locaux du journal, le numéro du 26 août n'a pas été diffusé. Cet arrêté avait pour base juridique le décret-loi du 24 août 1939 autorisant la suspension de tout journal dont "la publication est de nature à nuire à la défense nationale". Dernier élément, à la suspension est venue s'ajouter une interdiction prévue par le décret de dissolution du PCF du 26 septembre 1939.

Les deux parties se retrouvent le 6 juillet pour une nouvelle conférence. Deux faits marquants dans cette réunion. Tout d'abord Foissin présente à Abetz la personne que le Parti communiste a désigné pour diriger Ce Soir : Jules Dumont (le colonel Dumont). Ensuite, conformément à sa demande, il lui remet la morasse (page imprimée) du premier numéro de Ce Soir. Ce numéro qui doit être soumis à la censure allemande porte la date du lundi 8 juillet 1940.


Ce Soir n° 1 du 8 juillet 1940

Premier et unique numéro soumis à la censure allemande, Ce Soir n° 1 du lundi 8 juillet 1940 se compose de six articles, d'un espace réservé au "Communiqué" officiel allemand et d'un autre plus réduit pour les "Echos et informations".

L'éditorial intitulé "Dix mois d'interdiction" rappelle les raisons de l'interdiction du quotidien communiste et annonce une heureuse nouvelle :

"Ce Soir, journal indépendant, qui mena de courageuses campagnes pour défendre le peuple de France, fut interdit, en même temps que l'Humanité, pour avoir approuvé le pacte germano-soviétique et servi par cela même la cause de la paix. [...]
Aujourd'hui, après dix mois d'interdiction, Ce Soir a obtenu l'autorisation de reparaître". (1)

Peut-on dire qu'il y a un lien de causalité entre ces deux événements ?

L'article "Amnistie générale" appelle dans son sous-titre à la libération de tous les militants communistes détenus ou internés pour avoir défendu la Paix, à l'abrogation entre autres du décret-loi du 26 septembre 1939 prononçant la dissolution du PCF et à la mis en accusation de tous les responsables de la répression :

"Libération immédiate de tous les détenus et internés politiques
Abrogation des décrets-loi Daladier-Reynaud-Mandel
Mise en accusation et arrestation de tous les responsables de la répression". (2)

Qui doit satisfaire ces revendications : les Allemands, le Gouvernement Pétain, les deux ?


En réservant un espace au "Communiqué" officiel allemand les communistes prouvent qu'ils acceptent non seulement de se soumettre aux règles fixées par les Allemands en matière de presse mais aussi de faire de Ce Soir un relais de la propagande allemande.

Preuve de leur bonne foi, cette attitude, autant que le contenu de leur journal, doit leur permettre d'obtenir une réponse positive des nazis.

Sur la forme, la manchette du journal a été modifié :

- Ce Soir du 25 août 1939 : "Grand quotidien d'information indépendant".

- Ce Soir du 8 juillet 1940 : "Grand quotidien indépendant d'information" et "Au Service du Peuple". (4)

Cette modification s'explique par le lancement de La France au Travail le 30 juin 1940 avec la manchette suivante  : "Grand quotidien d'information au service du peuple français".

Dernier élément, au bas de ce premier numéro sous censure allemande est reproduit un appel à souscription :

"AMIS DE CE SOIR SOUSCRIVEZ !
Envoyez les fonds à Jules DUMONT, 123 rue Montmartre, Paris" (5)

(1) Cahiers d'histoire de l'IRM n° 14, 1983 p. 168.
(2) Ibid., p. 171.
(3) Ibid., pp. 169-172.
(4) Ibid., p. 168.
(5) Ibid., p. 172.


Rapport de Jacques Duclos du 6 juillet 1940

Dans son rapport à l'IC du 6 juillet 1940, en s'appuyant sur les compte-rendus de Tréand, Jacques Duclos, chef du Parti communiste clandestin, fait le point sur la négociation avec les Allemands depuis son précédent rapport du 30 juin:

"Dans une telle situation les autorités occupantes ne sont pas hostiles, au contraire, au développement d'initiatives privées pour résoudre des problèmes comme celui du ravitaillement, de l'aide etc. et ces autorités savent qu'elles ne parviendront pas à créer des comités de masse avec leurs hommes, elles savent que seuls nous pouvons réaliser cela. Cela explique à notre avis, pourquoi après nous avoir refusé de faire paraître l'Humanité ils (sic) ont consenti a laisser paraître « Ce Soir » dont nous allons nous efforcer de faire le centre de ralliement des comités populaires de solidarité et d'entraide en poursuivant une politique très ferme contre les responsables de la catastrophe et pour l'indépendance de la France. [...]
Le Parti n'est pas directement engagé dans la parution de « Ce Soir » mais nous allons surveiller de très près et en faire le défenseur des masses populaires; sans doute on essayera de nous jouer des tours, mais il est bien entendu que si l'on exigeait pour prix de la parution du journal des manifestations d’approbation d'une politique qui n’est pas la nôtre, nous cesserions avec éclat la publication du journal, mais tout d'abord nous allons voir comment marchent les choses.
Naturellement Grégoire [pseudonyme de Maurice Tréand] et Catelas ont depuis l'entrevue dont il est question dans la première lettre [Rapport du 30 juin 1940] cessé tout rapport avec les représentants des occupants chargés de la presse, c'est Foissin qui a reçu l'autorisation pour « Ce Soir  » par l'intermédiaire d'un avocat français au service des allemands; il s'agit d'un nommé Picard qui travaille avec Abetz et Sieburg et fait le fameux journal « La France au travail » en compagnie de Van den Broeck.
Comme il fallait quelqu'un pour « Ce Soir » et que nous n'avons pas beaucoup de monde sous la main, nous avons pris Dumont et nous allons chercher quelqu'un d'autre pour la « Russie d'aujourd'hui » dont la parution n'a pas l'air de plaire à ces messieurs, ça se comprend. [...]
[...] Dans le premier numéro de « Ce Soir » nous posons la question au gouvernement Où sont les députés communistes ?". (1)

Comme tous ceux rédigés au cours de cette période, ce rapport porte les signatures de Yves (Duclos) et de Grégoire (Tréand).

Dans l'extrait cité, Duclos évoque l'intérêt des Allemands pour une activité apolitique du PCF, fait état des négociations avec les autorités allemandes concernant la reparution de Ce Soir, annonce une autorisation sur laquelle il reviendra dans son rapport du 18 juillet, indique que le Parti n'est pas directement impliqué dans ces négociations puisqu'elles sont menées par un militant, Foissin, et que Tréand et Catelas n'ont plus de contact avec les occupants, précise que la direction de Ce Soir a été confiée à Dumont et enfin dans un passage consacré aux députés communistes fait référence à un article dans le premier numéro de Ce Soir les concernant.

(1) Cahiers d'histoire de l'I.R.M, n° 52-53, 1993, pp. 215-216.


Lettre d'Otto Abetz du 7 juillet 1940

Le 7 juillet, Otto Abetz transmet la morasse de Ce Soir aux autorités militaires accompagnée d'une note.

Cette note décrit le danger communiste et formule quatre mesures pour le combattre. Centrée sur la question de la propagande, ayant pour finalité la diffusion des idées nationales-socialistes sous le couvert d'un quotidien communiste, la quatrième proposition plaide en faveur de la reparution de Ce Soir :

"4° Autorisez un journal portant le titre de l'une des feuilles les plus connues du Front populaire Ce Soir pour éveiller d'emblée la confiance dans les masses imprégnées de marxisme .
Les journalistes désignées par le mouvement communiste pour la direction de la rédaction se sont déjà déclarés prêts à soumettre chaque projet d'article avant impression et à s'aligner au plus près pour le traitement des questions politiques les plus importantes sur le journal la France au Travail que nous rédigeons nous mêmes.
Le Parti communiste s'engagerait en outre à renoncer aux tirages illégaux de l'Humanité et des tracts les plus importants, en cas d'autorisation dudit journal ainsi qu'à prendre toutes les mesures qu'exigent l'exécution de cet engagement.
En faisant cette offre qui va très loin au vu des idées tactiques des communistes, ces auteurs partent certainement de l'idée qu'ils pourraient petit à petit surprendre notre vigilance et avec un journal tout d'abord apolitique, orienté seulement dans un sens antiploutocratique et anglophobe, parvenir lentement à distiller la propagande communiste à petite dose.
Mais avec cette équipe de collaborateurs français et allemands à notre disposition pour la surveillance et le contrôle de ce journal, nous avons la garantie que ce n'est pas nous mais les communistes  qui seront bernés et que dans cet organe souhaité par eux et qui sera recommandé aux masses travailleuses comme communiste, ce seront nos idées qui feront leur chemin dans les masses de travailleurs français". (1)

Document permettant de pallier les oublis délibérés dans les rapports de Duclos, la lettre d'Abetz liste les engagements pris par les communistes pour obtenir la légalisation de Ce Soir.

Tout d'abord, la soumission des articles à la censure allemande. Les communistes avaient déjà accepté cette exigence dans leur première négociation avec les Allemands.

Ensuite, l'alignement des articles sur la France au Travail. En d'autres termes, les communistes se sont engagés à faire de Ce Soir une copie du journal anticapitaliste, anglophobe et antisémite lancé par les Allemands le 30 juin 1940.

A qui Abetz fait-il référence quand il évoque "Les journalistes désignés par le mouvement communiste pour la direction de la rédaction" ?

Une piste, la Directive de l'IC du 5 août 1940 dénonçant les négociations avec Abetz et accusant Foissin d'être un agent de ce dernier :

"Necessaire prevenir personnellement les parlementaires et les journalistes connus du parti, comme par exemple Peri [Gabriel Péri] et autres, et exiger d'eux de repousser énergiquement toute tentative de les entraîner à des pourparlers ou des discussions en commun avec les occupants et leurs agents au sujet de la tactique ou d'autres problèmes du parti. L'Attitude de l'avocat Foissin laisse croire qu'il est un agent des occupants". (2)

Enfin, tout aussi surprenant : la fin des publications illégales. Les communistes se sont engagés à ne plus publier l'Humanité clandestine et à ne plus diffuser de tracts en cas de légalisation de Ce Soir.

(1) Crémieux Francis, Estager Jacques, Sur le Parti 1939-1940, 1983, p. 303.
(2) Cahiers d'histoire de l'I.R.M, n° 52-53, 1993, p. 235


Partie III

Entretiens des 13 et 19 juillet 1940
 entre des dirigeants du PCF et les Allemands

Le 8 juillet, sans réponse des Allemands concernant la reparution de Ce Soir, Foissin évoque le sujet avec Picard, un agent d'Abetz. Démarche identique le lendemain.

Le 12 juillet, preuve de la détermination des communistes, Foissin rencontre Abetz pour lui manifester l'impatience de ses camarades et lui demander de les recevoir dans la journée.

L'entrevue aura lieu le lendemain à l'ambassade. Abetz sera accompagné d'un représentant de la Propaganda Staffel : Maass. Cette deuxième rencontre entre des dirigeants communistes et des officiels allemands constitue une nouvelle preuve de... la Résistance communiste.

La note de l'avocat communiste du 7 novembre 1944 indique qu'à cette conférence "la question du journal est de nouveau évoquée ainsi que l'attitude des autorités allemandes vis-à-vis du Parti communiste et les possibilités de propagande de ce dernier". (1)

Le 18 juillet, Duclos rédige un nouveau rapport dans lequel il consacre un passage à la reparution de Ce Soir pour indiquer que "la fameuse autorisation ne fût pas donnée" (2). Dans ce passage, il n'est fait aucune référence à la rencontre du 13 juillet. Deux explications possibles : choix délibéré de Duclos pour ne pas inquiéter l'IC ou absence d'un compte rendu de Tréand.

Le 19 juillet, le jour même du discours d'Hitler célébrant devant le Reichstag la victoire de l'Allemagne contre son ennemi héréditaire : la France, Maass annonce à Tréand que Ce Soir est autorisé à paraître. L'entretien porte sur plusieurs sujets ainsi qu'une surprenante proposition de l'Allemand. Constatant que les communistes viennent de diffuser un tract reproduisant la lettre des députés communistes du 1er octobre 1939 appelant à la Paix, Maass les invitent à recommencer l'opération en suggérant un plus grand tirage et un petit changement : l'ajout d'extraits du discours d'Hitler !!! Preuve du traitement privilégié accordé aux communistes, cette troisième rencontre entre un dirigeant communiste et un officiel allemand a lieu au domicile de Robert Foissin.

Tréand rendra compte de cette réunion dans une lettre qu'il rédigera le 20 juillet et qu'il joindra au rapport de Duclos du 18 juillet :

"Comme je n'ai pu voir Jac. [Jacques Duclos] hier et qu'aujourd'hui ce seras impossible, je veux compléter votre lettre [lettre de Duclos du 18/7/40] avant le départ de notre ami. [...]
[...] Immédiatement suivant les directives donnés a Catelas nous avons mis chacun de ces ex-permanents [de la CGT] dans chacune des 5 régions [la région parisienne est divisée en cinq régions] à coté de la direction pour s'occuper de faire des comités populaires dans les usines ouvertes et former des comité populaires pour faire ouvrir les usines. Après la réunion avec les allemands hier (dont je vous parlerais après) nous avons hier soir décidé d'aller encore plus vite. Demain matin nous allons à nouveau réunir tous ses [ces] permanents, nous irons tous les deux Catelas [et Tréand] pour les pousser d'aller plus vite, et plus fort c'est-à-dire aller jusqu'à l'ouverture par nous mêmes des usines abandonnés par leur patrons ou directeurs. Il faut que dans ces 8 jours il y ait déjà des résultats [...].
Je veux immédiatement vous donner l'essentiel de notre 3ème entrevue avec les allemands car je dois donner cette lettre dans une heure.
Chez Foissin nous avons reçu le chef de la propagande du Parti Nazi de France un certain Maès. Voici sa conversation :
Pour le journal Ce Soir c'est d'accord pour sa reparution. Pour les affiches et les municipalités Abetz est parti à Berlin causé avec Hitler. Mardi soir nous vous donnerons la réponse.
Nous avons posé différentes questions, voici ces réponses :
1. Pour la libération des emprisonnés qui reste dans la zône occupé mais non condamné a cause du pacte germano-soviétique ils doivent être libérés, vous devez nous donner des faits précis et insister auprès de autorités  allemandes pour leur libérations.
Sont dans ces conditions : Sémard, Tournemaine, les conseillers de Paris en prison à Bourges, les mutiles député Roca ect. à l'Île de Ré, des femmes à la prison de Libonne ect, ect.
2. Les prisonniers l'autre côté condamné en ce qui concerne le pacte germano-soviétique doivent être libérés à vous de faire pression auprès de Noël [Délégué de Vichy à Paris] pour leur libération. [...]
4. Nous pensez que vous devez faire plus pour faire marcher les usines ! Formé des comité populaire, et si des patrons ne sont pas là faîte marché l'usine. Nous vous créerons aucune difficulté dans ce sens. Il faut faire vite. Le peuple crève de faim. [...]
8. Votre tract sur la lettre des députés au président de la Chambre na pas assez grand tirage, diffusez en plus ajoutez les passages d'Hitler sur son discours pour la paix d'aujourd'hui [discours du 19/7/40] et multipliez le.
Vous pensez bien qu'il n'y aura aucune suite." (3)

Au vu de ce compte rendu, les négociations avec les Allemands portent leurs fruits : autorisation accordée à Ce Soir, libération des communistes toujours détenus dans la zone occupée et ce quelque soit le motif de leur détention, soutien à la libération des communistes détenus en zone non occupée, et enfin encouragement à former des comités populaires dans les entreprises.

Sur le dernier point, on notera que Tréand écrit qu'après "la réunion avec les allemands hier [...] nous avons hier soir décidé d'aller encore plus vite" dans la constitution des comités populaires.

Avant le passage consacré à Ce Soir, le dirigeant communiste évoque d'abord en quelques lignes la reprise de plusieurs municipalités communistes en posant la question de la reconnaissance par les Allemands ("Grandel c'est installé mais l'allemand n'a pas voulu discuter avec lui" (4)), le mécontentement des démobilisés et les difficultés de ravitaillement avant de consacrer des passages plus longs à la diffusion de l'Humanité et à ses faiblesses (tirage insuffisant et contenu pas assez revendicatif), à l'organisation du Parti (les 5 régions parisiennes et l'établissement de liaisons avec les départements de la zone occupée) et enfin au travail syndical avec notamment l'envoi d'une délégation de métallurgiste à l'ambassade d'Allemagne qui a suscité l'opposition d'un responsable syndical qui a été blâmé pour son comportement.

(1) Crémieux Francis, Estager Jacques, Sur le Parti 1939-194, 1983, p. 354.
(2) Cahiers d'histoire de l'IRM, n° 52-53, 1993, p. 217.
(3) Ibid., pp. 225, 229 et 230.
(4) Ibid., p. 225.


Directive de l'IC du 19 juillet 1940

Dans son rapport du 30 juin 1940, Jacques Duclos rend compte dans le détail de son activité à la tête du Parti depuis son arrivée dans la capitale le 15 juin.

Il fait état notamment des négociations des 18, 19 et 20 juin, de l'arrestation de ses camarades, de leur libération par les Allemands et des pourparlers qui ont repris le 26 juin avec une rencontre à l'ambassade d'Allemagne entre Otto Abetz et une délégation communiste composée de Denise Ginollin, de Robert Foissin, avocat, et de deux membres du Comité central : Maurice Tréand et Jean Catelas.

Ce rapport sera suivi de ceux plus succincts des 3 et 6 juillet 1940.

Sur la base de ces documents, l'Internationale communiste adoptera une Directive le 19 juillet 1940 qui sera envoyée le lendemain dans un télégramme signé par Georges Dimitrov, secrétaire général de l'IC, et Maurice Thorez, secrétaire général du PCF.

Dans ce télégramme du 20 juillet 1940, l'IC adresse un satisfecit à la direction du Parti communiste :

"Reçu vos matériaux jusqu'au six juillet. Considérons juste ligne générale.
Indispensable redoubler vigilance contre manœuvres des occupants. Etait juste entreprendre démarches pour obtenir presse légale, mais entrevue avec Abetz faute, car danger compromettre parti et dirigeants." (1)

Dans ce texte, elle approuve sans aucune équivoque les contacts du Parti communiste avec les autorités allemandes : "Etait juste entreprendre démarches pour obtenir presse légale".

Sont donc validées par Moscou la première négociation entre Denise Ginollin et le lieutenant Weber ainsi que la seconde qui a débuté le 26 juin 1940. Cette seconde négociation a d'abord porté sur la reparution de l'Humanité puis s'est focalisée sur celle de Ce Soir à partir du 4 juillet. La seule critique ("faute") porte sur l'entrevue que Maurice Tréand et Jean Catelas ont eue avec Otto Abetz. Pour l'IC, les dirigeants communistes ne doivent pas participer à ces négociations. Leur présence est une compromission.

Autre document permettant de connaître plus succinctement les opinions de Thorez sur la situation du PCF : son carnet personnel. A la date du 12 juillet, ce dernier a noté les informations que lui a données Grigori Sorkine : "Legros [Maurice Tréand] à sa sortie de prison a été conduit chez Abetz qui lui a offert de publier un journal pour remplacer l'Humanité" avant d'ajouter ce commentaire : "Tentative collaborer avec le Parti. Le compromettre parce qu'il reste la seule force". (2)

Jacques Duclos répondra à l'IC et en particulier à sa critique sur le risque de compromission du PCF dans son rapport du 5 août 1940 :

"Nous avons reçu de vos nouvelles et comme vous pouvez le penser nous avons examiné avec le plus grand soin les conseils que vous nous donner concernant le renforcement de la vigilance contre les manœuvres des occupants ainsi que vos observations relatives à la conversation que nous vous avons relatée. Nous comprenons toute l'importance qu'il y a à ne pas nous laisser compromettre mais le déroulement des événements est tel que l'on peut dire que ce danger a été évité.

(1) B.Bayerlein, M. Narinski, B. Studer, S. Wolikow, Moscou, Paris, Berlin. Télégrammes chiffrés du Komintern, 1939-1941, 2003, p. 265.
(2) Crémieux Francis, Estager Jacques, Sur le Parti 1939-1940, 1983, p. 279.
(3) Cahiers d'histoire de l'I.R.M, n° 42, 1990, p. 92.


Depart d'Abetz

Le 20 juillet, Abetz quitte Paris. Il a été convoqué par Joachim Ribbentrop pour rendre compte de la situation en France. Il sera absent pendant plus de deux semaines. En attendant les décisions qui seront prises à Berlin par le ministre des Affaires étrangères et... le Führer, Adolf Hitler, les relations avec les communistes sont gelées.

Les sujets en suspens sont l'autorisation d'un journal communiste, la possibilité pour les communistes de s'exprimer par voie d'affiche, la libération des militants communistes détenus en zone occupée et.. en zone non occupée, le rétablissement des municipalités communistes et enfin la légalisation des comités populaires.

Illustration de cette situation, la lettre de Foissin du 5 août 1940 adressée à Picard, un agent d'Abetz :

"Depuis 15 jours tout le monde dit que l'autorisation de sortir le journal Ce Soir est un fait acquis. Mais jusqu'à maintenant, Ce Soir ne peut paraître parce que personne n'en a encore donné l'autorisation officielle et formelle". (1)

Un aperçu du contenu des conversations d'Abetz avec les dirigeants du Reich, son memorandum du 30 juillet 1940 adressé à Hitler sous le titre "Travail politique en France".

Dans ce texte, le diplomate allemand met en évidence "le danger du chauvinisme" (2) qui pourrait conduire à la lutte armée en soulignant que le Parti communiste constitue une opposition naturelle au développement d'un tel mouvement. Toutefois, après avoir dénoncé la tactique du Parti communiste qui "vise à maintenir intacte ses organisation, en affichant une amitié hypocrite vis-à-vis des forces d'occupation", il estime qu'il "ne peut-être dans l'intérêt de l'Allemagne d'avoir aussi un voisin bolchévique à l'ouest" (3). Rappelons que si l'URSS et l'Allemagne ont une frontière commune c'est parce qu'elles se sont partagé la Pologne. Au final, il propose au Führer des mesures pour lutter contre le communisme. Formulée dans les mêmes termes que sa lettre du 7 juillet 1940, sa troisième proposition plaide en faveur de la reparution de Ce Soir :

"Il serait donc recommandé : [...]
3. De publier un quotidien au titre accrocheur, bien connu du temps du Front populaire, tel que Ce Soir, et d'y commencer un travail d'éducation antimarxiste. Les travailleurs pourraient prendre une telle feuille pour un journal communiste et seraient plus accessible aux articles qui y seront publiés." (4)

On notera qu'Abetz n'a pas été convaincu par le Parti communiste et ses appels à fraterniser avec les soldats allemands.

(1) Crémieux Francis, Estager Jacques, Sur le Parti 1939-1940, 1983, p. 314.
(2) Ibid., p. 308.
(3) Ibid., p. 309.
(2) Ibid., p. 309.


Rapport de Foissin

Dans la seconde quinzaine de juillet, Robert Foissin a rencontré le chargé d'affaires soviétique en France.

Au cours de cet entretien, de sa propre initiative, il lui a fait un compte rendu des négociations avec Abetz. Il a notamment évoqué des discussions initiées par ce dernier sur la constitution d'un gouvernement communiste dans la zone nord.

Le diplomate soviétique lui a conseillé de poursuivre les pourparlers avec l'ambassade en veillant toutefois à ne pas être "prisonnier moral des Allemands". (1)

Ce compte-rendu sera le principal document à la base de la Directive de l'IC du 5 août 1940 mettant fin aux négociations avec Abetz et accusant Foissin d'être un agent de ce dernier. 

Fruit d'une initiative personnelle, il sera aussi une source d'incompréhension pour ses camarades. Dans une note du 7 novembre 1944, l'avocat communiste écrira que ce rapport "avait indisposé mes camarades". (2)

(2) Crémieux Francis, Estager Jacques, Sur le Parti 1939-1940, 1983, p. 355 (Note de Foissin du 7 novembre 1944).


Discours de Molotov du 1er aout 1940

Hitler

Dans son discours du 19 juillet, évoquant les relations de l'Allemagne avec l'URSS, Hitler justifie son alliance avec Staline, se félicite d'avoir comme son allié respecté les accords signés et enfin met en avant la solidité des liens entre les deux pays pour répondre à ceux qui en Angleterre annonce une prochaine guerre germano-soviétique :

"Dans ces circonstances, je considérai comme juste d'entreprendre avant tout avec la Russie une nette démarcation de nos intérêts, afin de définir, une fois pour toutes, quelles sont les régions que l'Allemagne croit devoir considérer comme intéressantes pour son avenir et quelles sont celles au contraire que la Russie estime nécessaires à son existence. Et c'est sur la base de cette claire délimitation des sphères d'intérêts respectives de l'Allemagne et de la Russie qu'intervint le nouveau règlement des relations germano-russes. En raison de la conclusion de cet accord, il faut être naïf pour espérer une nouvelle tension entre les deux pays. Ni l'Allemagne, ni la Russie n'ont fait un seul pas en dehors de leurs sphères d'intérêts. Mais l'espoir de l'Angleterre de pouvoir arriver à un allègement de sa propre situation en créant une crise européenne quelconque est un faux argument. Les homme d’État britannique comprennent tout un peu lentement, ils apprendront donc aussi peu à peu à se rendre compte de ce fait."

 Molotov

Le 1er août, soit quinze jour après l'intervention d'Hitler devant le Reichstag, Viatcheslav Molotov, président du Conseil et commissaire du peuple aux Affaires étrangères, prononce à la 7e session extraordinaire du Soviet suprême de l'URSS, un discours sur la politique étrangère de l'Union soviétique.

Dans son intervention, le chef du gouvernement soviétique décrit la situation militaire de l'Europe en guerre, explique les causes de la défaite française et dénonce le refus de l'Angleterre d'accepter les propositions de Paix allemandes du 19 juillet avant de dresser un tableau des relations bilatérales entre l'URSS et plusieurs pays et de terminer sur l'hypothèse d'un conflit européen qui risque de dégénérer en guerre mondiale et sur la nécessité pour l'URSS de rester vigilante.

Evoquant les relations germano-soviétiques, Molotov déclare : 

"Nos relations avec l'Allemagne, après le tournant qui s'est opéré il y a près d'un an, continuent à se maintenir entièrement comme prévues par l'accord germano-soviétique.
Cet accord que le gouvernement soviétique a observé strictement, a écarté la possibilité de friction dans les relations germano-soviétiques, lors de l'application des mesures le long de notre frontière occidentale. En même temps, il assure à l'Allemagne une certitude de calme à l'Est. Le cours des événements en Europe non seulement n'a pas affaibli l'accord, mais au contraire, a souligné l'importance de son existence et de son développement ultérieur.
Ces derniers temps, la presse étrangère, et surtout la presse anglaise et anglophile a souvent spéculé sur la possibilité de divergences entre l'Union Soviétique et l'Allemagne cherchant à nous effrayés par la perspective d'un renforcement de la puissance de l'Allemagne. Ces tentatives ont été plus d`une fois dénoncées et rejetées, aussi bien par nous que par l'Allemagne. Nous pouvons seulement confirmer qu'à notre avis, à la base des relations amicales et de bon voisinage qui se sont établies entre l'URSS et l'Allemagne se trouvent non seulement des éléments fortuits de conjoncture, mais [aussi] des intérêts d'Etat fondamentaux de l'Union Soviétique comme de l'Allemagne."

Au vu de ces déclarations, Molotov célèbre l'URSS comme un allié fidèle du régime nazi en mettant en avant trois preuves.

Tout d'abord, il indique que l'Union soviétique a "strictement" respecté le pacte de non-agression du 23 août 1939 (pacte germano-soviétique) et qu'elle a ainsi garanti à "l'Allemagne une certitude de calme à l'Est" autrement dit de ne faire la guerre que sur un seul front.

Ensuite, il souligne que l'URSS a clairement manifesté sa volonté de renforcer ses liens avec Allemagne nazie en signant le Traité de frontières et d'amitié du 28 septembre 1939 ("développement ultérieur").

Enfin, à ceux, notamment en Angleterre, qui douteraient de la solidité des relations entre Moscou et Berlin, il répond qu'à "la base des relations amicales et de bon voisinage qui se sont établies entre l'URSS et l'Allemagne se trouvent non seulement des éléments fortuits de conjoncture, mais [aussi] des intérêts d'Etat fondamentaux de l'Union Soviétique comme de l'Allemagne".

Au final, dans leurs discours respectifs, les chefs de gouvernements allemand et soviétique se félicitent des bonnes relations entre l'Allemagne et l'URSS en mettant en avant d'une part le respect des engagements contractés et d'autre part la solidité des liens unissant les deux pays.

Diffusion

Au vu des discours d'Hitler et de Molotov célébrant les relations germano-soviétiques, on ne sera pas étonné que les communistes aient sollicité l'ambassade d'Allemagne pour obtenir l'autorisation de publier celui... de Molotov.

Après l'échec de cette démarche, le Parti communiste le diffusera clandestinement sous forme de brochure avec la mention suivante à la dernière page :

"Discours du camarade Molotov édité illégalement par le Parti communiste français, l'Ambassade d'Allemagne ayant refusé l'autorisation de le faire imprimer normalement".

Chef du Parti communiste clandestin, Jacques Duclos fera état de cette initiative dans son rapport à l'IC du 5 août 1940 : "nous somme en train d'éditer le discours du camarade Molotov et nous allons essayer de le faire vendre dans la rue". (1)

Dans un télégramme du 8 août 1940 envoyé au secrétaire général de l'IC, Georgi Dimitrov, il apportera les précisions suivantes : "Le discours de Molotov est publié légalement sans demande permission en 35 mille exemplaires et on continue". (2)

(1) Cahiers d'histoire de l'institut de recherches marxistes, 1940, n° 42, 1990, p. 96 (texte intégral).
(2) B. Bayerlein, M. Narinski, B. Studer, S. Wolikow, Moscou, Paris, Berlin. Télégrammes chiffrés du Komintern, 1939-1941, 2003, p. 283.


Directive de l'IC du 5 août 1940

Dernière Directive de l'été 1940

Le 5 août, après ses Directives des 22 juin 1940 et 19 juillet 1940, l'IC adopte une troisième Directive en relation avec la Section Française de l'Internationale Communiste (SFIC) autrement dit le Parti communiste français (PCF).

Ayant pour base notamment le rapport de Tréand du 20 juillet et le compte rendu fait par Foissin au chargé d'affaires soviétique en France, cette dernière Directive de l'été 1940 témoigne de la consternation, de l'inquiétude et de la sidération qu'ont suscité à Moscou les deux nouvelles rencontres entre des dirigeants communistes et des officiels allemands, les négociations avec Abetz et les discussions sur un gouvernement communiste dans la zone nord.

Elle sera envoyée le 7 août dans un télégramme signé par Georges Dimitrov, secrétaire général de l'IC, et Maurice Thorez, secrétaire général du PCF.

On peut avoir un aperçu des réflexions de ce dernier sur la situation du PCF en consultant son carnet personnel. A la date du 2 août, informé du contenu du compte rendu de Foissin, il a noté :

"Intrigue A. [Abetz] continuent. Danger grave. Foissin. Un gouvernement national révol [révolutionnaire]. avec comm [communistes]. Avertissement catégorique. Exclusion de ceux qui seraient compromis". (1)

Mise en garde

Le télégramme du 7 août 1940 débute par une vigoureuse mise en garde : "Sommes fortement inquiets graves dangers qui menacent parti par suite manœuvres autorités occupation." (2)

Pour comparaison, la Directive indique : "Selon informations arrivées par diverses voies au sujet situation France il est évident que le parti est menacé de graves dangers de la part des manœuvres occupants". (3)

Motifs des Allemands

Les Allemands intensifient leurs manœuvres envers le Parti communiste parce qu'ils "se rendent comptent que parti seul force politique organisée, intègre, jouissant confiance masses et capables réaliser ralliement masses, entreprendre redressement pays et diriger lutte pour indépendance !" (4)

Signalons que les mots "et diriger lutte pour indépendance" et le "!" sont absents de la Directive et que la phrase reproduite est la seule du télégramme dans laquelle on peut constater un ajout par rapport à la Directive...

Objectifs des Allemands

Par leurs manœuvres, les Allemands visent plusieurs objectifs :

"1. Se servir parti comme levier pour créer parmi population opinion favorable envers occupants pour leur facilité continuation guerre; pousser relèvement économique dans sens favorable intérêts occupants; charger parti responsabilités pour calamités conséquence occupation.
2. se servir influence croissante parti comme argument de chantage et pression envers Vichy. [...]
3. Isoler parti de masses, provoquer désagrégation interne, paralyser son activité, discréditer ou démoraliser cadres, repérer cadres illégaux en vue décapiter parti moyennant provocations." (5)

Deux documents allemands mentionnent les objectifs décrits au point 1.

Tout d'abord, la lettre d'Abetz du 28 juin 1940 évoquant l'utilité de traiter avec Foissin, Tréand et Catelas :

"Par contre elles ["les trois personnes nommées"] paraissent susceptibles de nous rendre d'utiles services dans le cadre d'un accord clair pour remettre en marche l'économie française et rétablir une situation sociale plus saine." (6)

Ensuite, celle du 7 juillet 1940 et sa troisième proposition en matière de lutte contre le communisme :

"3° S'assurer délibérément des éléments communistes sélectionnés pour coopérer à la solution des questions économiques et sociales dans les villes et les communes pour leur en faire partager la responsabilité". (7)

Concernant le troisième objectif, on citera la première proposition figurant dans la lettre d'Abetz du 7 juillet 1940 :

"1° Prendre contact avec le plus grand nombre de permanents communistes importants ou non, pour procéder à un inventaire complet du personnel de l'appareil communiste et à cette occasion en tirer des observations pour savoir lesquels d'entre eux pourraient gagnés à des objectifs politiques différents". (8)

Abetz

C'est précisément en vue de ces objectifs que "Abetz et ses agents déploient activité, autorités occupantes cherchent contact avec parti, effectuent sondages, lancent projet gouvernement populaire, manifestent libéralisme apparent momentané envers communistes. (9)

On notera que l'une des manœuvres allemandes dénoncée par l'IC porte sur la discussion d'un projet de gouvernement communiste dans la zone nord.

Dans la suite du télégramme on peut lire que ce "serait véritable désastre si parti se laisse influencer par manœuvres occupants" car "absolument inconcevable relèvement économique et redressement national dans conditions occupation et sur base collaboration politique avec occupants". (10)

Pour Moscou, les communistes français sont totalement sortis du cadre fixé en s'engageant dans des négociations politiques avec Abetz.

Recommandations

Au vu de tout ce qui précède, l'IC formule huit recommandations :

"1. Repousser catégoriquement et condamner comme trahison toute manifestation solidarité avec occupant. [...]
2. Poursuivre effets [La Directive indique... "efforts"] obtention presse légale et utilisation moindre possibilités légales. Refus catégorique presse légale rendre services propagande et politique occupants. Si impossible sauvegarder caractère indépendant (de) Ce Soir, (il) faudra renoncer sa publication en expliquant oralement (aux) masses (les) motifs (de) pareille mesure.
3. Limiter tous rapports aux autorités occupants exclusivement questions purement formelles et administratives. [...]
5. [...]. Attitude avocat Foissin révèle être agent occupants. [...]". (11)

Au final, l'IC exige l'arrêt immédiat des négociations avec Abetz. Elle demande aussi au Parti communiste de poursuivre ses efforts pour la légalisation des ses activités et de sa presse en s'appuyant uniquement sur des militants et en limitant au strict nécessaire les contacts avec les autorités militaires allemandes.

On notera que cette Directive de l'IC encourage une nouvelle fois le PCF à négocier avec les Allemands.

Pour terminer signalons que l'arrêt des pourparler avec l'ambassade d'Allemagne figurait déjà dans un télégramme du 6 août signé par Thorez et Dimitrov :

"Avons reçu lettres de 18 juillet et matériels [Tracts et journaux publiés par le PCF]. Ils confirment nos inquiétudes causées par informations diverses sources au sujet graves dangers pour parti par suite manœuvres occupants. Insistons catégoriquement faire cessez immediatement pourparler avec Abetz [et] et ses agents. A ce sujet recevrez bientôt directive détaillée [Télégramme du 7 août]. (12)

Robert Foissin

La Directive du 5 août 1940 accuse Robert Foissin d'être un "agent [des] occupants".

Robert Foissin était-il un traître ? Pour répondre à cette question on citera deux lettres adressées à André Picard, un agent d'Abetz, illustrant parfaitement l'état d'esprit des communistes à l'été 1940 et les conséquences d'une ligne politique fondée sur la condamnation de la guerre impérialiste et l'adhésion au Pacte germano-soviétique :

1) lettre du 4 juillet 1940 :

"Tu m'as loyalement mis au courant des manœuvres qui cherchent à étouffer la voix du seul parti qui a su définitivement tuer la haine entre les masses françaises et le peuple allemand, qui est capable de faire accepter la paix sans idée de revanche chauvine. (13)

2) lettre du 5 août 1940 :

"Des centaines de prisonniers politiques se trouvent encore dans la zone occupée. Bien qu'un mémo ait été remis à ce sujet aux autorités allemandes, depuis plus dix jours mes camarades sont toujours détenus ou internés pour avoir défendu le pacte germano-soviétique, pacte dont les développements prochains viennent d'être si heureusement soulignés par Hitler et Molotov dans leurs plus récents discours. [...]
Tu sais avec quel foi j'ai agi jusqu'à maintenant et les discours d'Hitler et de Molotov m'ont confirmé dans l'opinion que l'amitié entre le Reich et l'URSS doit avoir de profondes répercussions même sur l'évolution de la politique de la France." (14)

(1) Stéphane Courtois, Le Bolchévisme à la française, 2010, p 169-170.
(2) B. Bayerlein, M. Narinski, B. Studer, S. Wolikow, Moscou, Paris, Berlin. Télégrammes chiffrés du Komintern, 1939-1941, 2003, p. 279.
(3) Cahiers d'histoire de l'I.R.M, n° 52-53, 1993, p. 234.
(4) B. Bayerlein, op. cit., p. 279
(5) Ibid., pp. 279-280.
(6) Francis Crémieux, Jacques Estager, Sur le Parti 1939-1940, 1983, p. 288.
(6) Ibid., p. 303.
(8) Ibid., p. 302.
(9) B. Bayerlein, op. cit., p. 280.
(10) Ibid., p. 280.
(11) Ibid., pp. 280-281.
(12)  Ibid., p. 277.
(13) F. Crémieux, J. Estager, op. cit., p. 297-298.
(14) Ibid., pp. 314, 316.


Tentative de légalisation de La Vie Ouvrière

A la mi-août, se conformant à la Directive du 5 août appelant à poursuivre les efforts pour la légalisation de la presse ouvrière, le Parti communiste a initié une nouvelle démarche auprès de la Propaganda Staffel pour faire reparaître La Vie ouvrière, journal de la CGT de tendance communiste.

Cette troisième négociation se soldera rapidement par un échec avec le rejet du numéro soumis à la censure. Deux documents permettent d'établir la réalité de cette démarche :

1) un rapport de police du 1er avril 1941

Dans un rapport de synthèse sur "la propagande communiste" en date du 1er avril 1941, la Préfecture de Police de Paris indique d'une part que le Parti communiste clandestin a tenté à l'été 1940 de faire paraître avec l'accord des Allemands l'Humanité, Ce Soir et La Vie Ouvrière, et d'autre part qu'elle a contribué à faire échoué ces démarches :

"Elle [la propagande communiste] se manifesta à nouveau quelques jours après l'arrivée des troupes d'occupation. Les communistes pensaient en effet trouver auprès des Autorités allemandes une certaine tolérance et même obtenir d'elles l'autorisation de reprendre leur activité normale. De fait, dès le 18 juin, ils entreprirent auprès des Autorités d'occupation des démarches en vue faire de reparaître dans sa forme et dans sa présentation habituelle, le journal "l'Humanité". Ce n'est que sur les interventions de la Préfecture de Police qui alerta les Services allemands et fit ressortir le danger d'une telle publication que le projet communiste échoua.
Peu après, des tentatives analogues des communistes, ayant pour but la publication de deux autres organes : "Ce Soir" et "La Vie Ouvrière", eurent le même sort, grâce aux efforts de la Préfecture de Police. " (1)

2) un texte du secrétariat du PCF de 1949

Dans un texte confidentiel rédigé en 1949 par une commission instituée par le secrétariat du PCF en 1948 avec la mission d'établir les faits relatifs à l'action du Parti au cours l'été de 1940, on peut lire :

"D'autre part, en ce qui concerne les pourparlers engagés pour faire reparaître légalement la VO, ---- [Frachon] nous a précisé que dès son retour à Paris (mi-août) il avait lui-même rédigé le n°. 2 de la VO à présenter à la Kommandantur dans le but de faire échouer les pourparlers et d'obliger les Allemands à opposer un refus à la reparution légale de la VO." (2)

Secrétaire de la CGT, démissionnaire pour la forme du Bureau politique du PCF pour exercer ce mandat syndical, Benoit Frachon a pris la direction du Parti communiste clandestin à partir d'octobre 1939 en raison des départs de Maurice Thorez (Russie), secrétaire général du PCF, et de Jacques Duclos (Belgique), secrétaire du PCF.

Il a quitté Paris avant l'entrée des Allemands dans la capitale le 14 juin 1940. Arrivé dans la capitale le 15 juin, Jacques Duclos a pris la direction du Parti avec comme adjoint Maurice Tréand.

Dans la deuxième semaine du mois d'août, Benoit Frachon était de retour à Paris. Il a constitué avec ses deux camarades une direction à trois.

En suivant le texte de 1949 et les déclarations d'un dirigeant dont le nom masqué par des tirets est donné par les deux auteurs du livre, Benoit Frachon a reconnu avoir rédigé à la mi-août le numéro de la Vie Ouvrière (VO) soumis à la censure allemande avec cet argument étonnant : il a rédigé ce numéro dans le but qu'il soit refusé par les Allemands. Si tel était l'objectif le plus simple était de ne soumettre aucun texte à la Propaganda Staffel.

(1) D. Peschanski, Vichy 1940-1944 Archives de guerre d'Angelo Tasca, 1985, p. 361.
(2) Jean-Pierre Besse, Claude Pennetier, Juin 1940, la négociation secrète, 2006, p. 25.


Télégramme du PCF du 21 août 1940

Après la réception des télégrammes de l'IC des 6 et 7 août 1940 demandant l'arrêt immédiat des négociations avec Abetz au motif que dans ces pourparlers était envisagée la constitutiton d'un gouvernement communiste à Paris, le Parti communiste répond dans un télégramme du 21 août 1940 qui porte la signatures des trois membres composant sa direction, à savoir Duclos, Tréand et Frachon, pour montrer qu'il n'y a aucun désaccord entre les deux premiers qui dirigent le Parti depuis leur arrivée à Paris le 15 juin et le troisième qui a pu rejoindre la capitale depuis la zone non occupée dans la deuxième semaine du mois d'août : 

"Tous pourparlers ont cessé après communications antérieures. Prenons mesures renforcement vigilance. Renseignements donnés par d'autres concernant soi-disant gouvernement de Paris sont contraires vérité. [...] Sommes surpris qu'on ait pu penser que nous pourrions devenir jouets des occupants. Parti uni derrière direction. (1)

Dans ce télégramme, le PCF indique qu'il a mis fin aux pourparlers avec Abetz et nie avoir mené une quelconque négociation politique avec ce dernier.

Dans les faits les négociations avec le dignitaire nazi se poursuivront pendant quelques jours pour connaître les contre-propositions allemandes.

(1) Stéphane Courtois, Le Bolchévisme à la française, 2010, p. 172.


Contre-propositions allemandes

Le 22 août, plus de deux semaines après son retour à Paris avec le rang d'ambassadeur, Abetz invite Foissin à passer à l'ambassade.

Après s'être excusé de n'avoir pu le recevoir plus tôt, l'ambassadeur allemand lui annonce le résultat de ses conversations avec Ribbentrop et Hitler. En suivant une note de l'avocat communiste en date du 7 novembre 1944, ces annonces ont été les suivantes :

"1° Accord sur le développement du mouvement des comités d'entreprise.
2° Impossibilité de la reparution de Ce Soir trop marqué par sa position lors de la guerre d'Espagne mais entrée à "La France au Travail" qui sera profondément remaniée. 
3° Accord sur la libération des détenus de la zone non occupée." (1)

Le 25, Foissin transmet les contre-propositions allemandes à Catelas qui lui demande de prendre rendez-vous avec Abetz pour le 27 août.

Le 27, le dirigeant communiste ne se présente pas chez Foissin qui l'attend pour se rendre à l'ambassade.

Ce fait marque la fin non seulement de la seconde négociation entre le PCF et les Allemands mais aussi des relations entre les deux parties. D'une durée de deux mois, concomittante à la troisième démarche concernant la Vie Ouvrière, visant à la légalisation des activités du PCF, portant même sur un gouvernement communiste dans la zone nord, cette seconde négociation aura été un échec à l'exception de la libération des militants communistes détenus dans la zone occupée.

(1) Francis Crémieux, Jacques Estager, Sur le Parti 1939-1940, 1983, p. 354.


Exclusion de Foissin

Le 31 août, Foissin est exclu du PCF sur les ordres de Moscou (Thorez). On lui reproche ses discussions avec Abetz sur un projet allemand de gouvernement communiste à Paris. 

Son exclusion sera annoncée dans un numéro spécial de l'Humanité en date du 27 septembre 1940 :

EXCLUSION DE FOISSIN

L'avocat Foissin qui, bien que sachant parfaitement que le Parti Communiste combat et dénonce le journal La France au Travail, a collaboré à cet organe de presse, est chassé des rangs du Parti.
Foissin est d'autant plus coupable qu'avant de collaborer à La France au Travail, il avait été avisé que le Parti mettait ses militants en garde contre Juliette Goublet (qui n'a jamais appartenu au Parti) pour sa collalboration à ce journal.
En collaborant à ce journal, aux origines et aux resssources suspectes. Foissin a fait le jeu des agents qui mènent une campagne de discrédit contre le Parti Communiste et ses militants.
Le Parti Communiste, Parti du Peuple, au service du Peuple, dénonce et condamne les tractations de Foissin avec les gens de La France au Travail, tractations faisant portie d'un plan destiné à nuire aux intérêts des masses populaires de France en essayant de déconsidérer leurs défenseurs.
Le Parti Communiste, fort de la confiance grandissante du peuple de France qui veut la liberté et l'indépendance de notre pays, voue au mépris des masses laborieuses tous ceux qui. sous une forme ou sous une autre, se montrent partisans ou solidaires des mesures anti-ouvrières et anti-françaises défendues par des journaux comme La France au Travail.
Tous les membres du Parti et les travailleurs doivent considérer Foissin comme un traître à la cause du communisme et à la cause du peuple de France et le traiter comme tel. La Direction du Parti appelle tous les militants à faire preuve dans les circonstances actuelles d'une vigilance de tous les instants et d'une fermeté politque à toute épreuve.

Le Parti communiste justifie l'exclusion de son militant en mettant en avant sa participation à la France au Travail. Donner le véritable motif c'était reconnaître la réalité des négociations avec les Allemands.