MENU

"Empêchez, retardez, rendez inutilisables les fabrications de guerre" (Appels au sabotage du PCF pendant la guerre de 1939-1940)

Le 30 novembre 1939, deux semaines après le refus du gouvernement finlandais de satisfaire ses revendications territoriales, l'Union soviétique a envahi la Finlande en invoquant un incident de frontière qui s'était produit quatre jours plus tôt et... qu'elle avait elle-même organisé.

Preuve de la collusion communo-nazie, Staline a lancé ses armées contre un pays de 3,5 millions d'habitants avec l'accord tacite de... Hitler puisqu'aux termes du Pacte germano-soviétique du 23 août 1939 et de son Protocole secret le territoire finlandais était placé dans la sphère d'intérêt soviétique.
 
Reflet des réactions indignées en France à l'exception de celle... des communistes, Léon Blum a écrit dans Le Populaire du 4 décembre 1939 que l'agression de la Finlande était "le crime le plus abominable, le plus insupportable qu'ait connu ce temps affreux".
 
A la fin du mois de décembre, se conformant à la résolution de la Société des Nations excluant l'URSS et appelant ses membres à soutenir les Finlandais, la France a pris la décision de livrer des armes au gouvernement d'Helsinki.

A la suite de cette décision, le Parti communiste, qui menait son action dans la clandestinité depuis son interdiction en septembre 1939 en raison de sa mobilisation en faveur de Paix avec l'Allemagne, s'est engagé dans la voie du défaitisme révolutionnaire en appelant au sabotage des fabrications de guerre.

Cette campagne de sabotage a été déclenchée par une lettre du 5 janvier 1940 dans laquelle Jacques Duclos, dirigeant communiste réfugié en Belgique, demandait à Benoît Frachon, responsable du Parti communiste clandestin, "d'orienter les ouvriers vers le sabotage des fabrications de guerre destinées à la Finlande". (1)

Ce dernier a répondu favorablement dans une lettre du 16 janvier 1940 :

"Nous avons eu votre mot du 5 le 13. [...]
Finlande. D'accord avec propositions, avons fait plusieurs tracts, mais sans poser problèmes précis que vous proposez." (2)

Conformément à cette nouvelle orientation, le Parti communiste a publié au moins trois textes dans lesquels il encouragerait les ouvriers des usines travaillant pour la défense nationale à détruire les matériels qu'ils fabriquaient :

1) Tract "Daladier Chamberlain Mussolini Franco et Pie XII" diffusé à la fin de janvier ou au début de février 1940 :

"Ouvriers, ne soyez pas complices de vos pires ennemis qui combattent dans l'Union Soviétique le triomphe du socialisme sur un sixième du globe par tous les moyens appropriés, en mettant en œuvre toute vos ressources d'intelligence et toutes vos connaissances techniques, empêchez, retardez, rendez inutilisables les fabrications de guerre; contrecarrez ainsi l'action des gouvernants français qui aident les fascistes finlandais, et se préparent, dans le Proche-Orient, à attaquer l'Union Soviétique parce qu'elle est le pays du socialisme."

Centré sur la question des sabotages, ce tract visait spécifiquement les ouvriers travaillant dans les usines de la défense nationale.
 
2) Appel au "Peuple de France !" de février 1940 :

"Vous qui travaillez dans les fabrications de guerre, n'oubliez pas que votre devoir est de faire échec aux plans des interventionnistes antisoviétiques qui envoyent du matériel de guerre aux fascistes finlandais; mettez tout en œuvre pour retarder, empêcher, rendre inutilisables les fabrications de guerre".

Cet appel au Peuple de France, comme le précédent lancé au mois d'octobre 1939, s'adressait à l'ensemble de la population française et exposait la position du Parti communiste sur la guerre franco-allemande. La présence dans ce texte d'une exhortation à saboter les matériels de guerre prouve que cette question était un élément structurant de la ligne que suivait le PCF à cette période du conflit.

3) Tract "Pas un homme, Pas un sou, Pas une arme, pour les Fascistes Finlandais" diffusé à la fin de février 1940 :

"Ouvriers qui travaillez dans les usines de guerre, mettez tout en œuvre pour empêcher l'envoi de matériel de guerre en Finlande et pour rendre ce matériel inutilisable". (3)

On notera que dans ces trois tracts les Finlandais sont qualifiés de "fascistes". Leur crime : défendre leur pays contre une tentative d'annexion soviétique.

Rédigés après la décision du gouvernement français d'envoyer un contingent en Finlande, les tracts "Peuple de France" et "Pas un homme, Pas un sou, Pas une arme, pour les Fascistes Finlandais" contenaient aussi un appel à la mutinerie :

"Et si demain les gouvernements de Paris et de Londres, dont toute la haine se concentre contre le pays du socialisme parce que ce qui compte avant tout pour eux, c'est la sauvegarde de leurs privilèges, la défense des coffres-forts, si demain ces hommes veulent faire battre les travailleurs français contre l'URSS, alors l'exemple donné par André Marty et les marins de la Mer Noire, il y a vingt ans, aura de profonds échos parmi les soldats, les marins et les aviateurs." pour le premier tract et :

"Soldats, si on vous envoie en Finlande, refusez de combattre l'Armée rouge, détachement armé du prolétariat international, souvenez-vous de l'exemple d'André Marty et des marins de la mer Noire." pour le second.

Une preuve supplémentaire que des appels au sabotage et à la mutinerie ont bien été diffusés par les communistes au 1er trimestre 1940 : les articles de Léon Jouhaux et de Albert Bayet condamnant ces tracts avec des citations à l'appui.

Publié dans Le Peuple du 7 mars 1940 le premier texte dénoncent "les tracts bolcho-nazis". Publié dans L'Œuvre du 31 mars 1940 le second est une condamnation du "communonazisme".

Aux appels de la direction centrale sont venus s'ajouter ceux qui relevaient d'initiatives locales. Un exemple, ce papillon diffusé à la fin de février 1940 dans les usines d'Aubervilliers de l'aviateur Bréguet :

"Aidez les forbans d'Helsinki
c'est le rôle du capitalisme.
Travailleurs, empêchez, sabotez
Toutes fabrications de guerre." (4)

Après la signature le 12 mars 1940 d'un Traité de paix entre l'URSS et la Finlande, la direction du PCF n'a plus considéré la destruction des matériels de guerre comme l'une de ses priorités. Elle a même été jusqu'à nier la réalité des appels au sabotage précédemment diffusés. Ainsi, à ceux qui accusaient les communistes de saboter la défense nationale dans les usines, l'Humanité n° 34 du 27 mars 1940 a répondu :

"Eh bien non ! on ne réussira pas à faire croire que notre Parti, fidèle à l'enseignement de Lénine, partisan de l'action de masse, allant de la pétition, de la manifestation et la grève jusqu'à la levée révolutionnaire du peuple, soit subitement devenu partisan de l'action individuelle, de l'attentat." (5)

Soutien à l'effort de guerre soviétique dans sa tentative d'annexion de la Finlande, les sabotages communistes ont aussi été un moyen de mettre fin à la guerre en privant l'armée française de matériels en état de marche.

Illustration de ce fait, les sabotages de moteurs d'avions qui ont été commis à l'usine Farman de Boulogne-Billancourt et pour lesquels quatre militants communistes ont été condamnés à la peine de mort en mai 1940.

La police avait retrouvé chez le principal accusé - Roger Rambaud - des tracts recopiés de sa main qui permettaient d'expliquer sans aucune équivoque les raisons de son acte :

"Courage on les aura ! Confiance camarade, le parti communiste vivra toujours. Pas de canon, pas d'avion et la guerre finira. Paix immédiate. Le Parti Communiste français." (6)

L'article 76 alinéa 2 du code pénal stipulait que serait coupable de trahison et puni de mort tout Français qui détruirait ou dégraderait tout matériel susceptible d'être employé pour la défense nationale. L'article 77 précisait que "la provocation à commettre" un des crimes visés à l'article 76 serait punie comme le crime même. L'appel au sabotage était donc aussi puni de la peine de mort.

Traître à la fois par ses appels au sabotage et par les actes qui les ont suivis, le Parti communiste a même tenté d'être récompensé par les Allemands pour sa trahison au cours d'une négociation qui s'est tenue les 18, 19 et 20 juin 1940 avec pour unique objet la reparution de l'Humanité dont la publication avait été suspendue le 26 août 1939 en raison de son soutien... au Pacte germano-soviétique.

Le 20 juin 1940, une militante communiste, Denise Ginollin, s'est rendue au service de presse de la Kommandantur pour un nouvel entretien avec un officier allemand, le lieutenant Weber.

La veille, elle avait préparé avec Maurice Tréand, n° 2 du Parti communiste clandestin, un argumentaire. Dans ce texte on peut notamment lire :

"2) Sommes communistes avons appliqué ligne PC sous Dal [Daladier] Ray [Reynaud] juif Mandel
Juif M [Mandel] après Dal [Daladier] nous a emprisonnés. Fusillé des ouvriers qui sabotaient défense nat [nationale]". (7)

Cet extrait permet de connaître deux des arguments communistes devant convaincre les Allemands de légaliser l'Humanité. 

Tout d'abord, la revendication du sabotage des fabrications de guerre. Le message est clair. La contribution des communistes à la défaite de la France et à la victoire allemande mérite une récompense : l'autorisation de publier l'Humanité.

Ensuite, la dénonciation de Georges Mandel, dernier ministre de l'Intérieur dans le Gouvernement Reynaud, en soulignant sa qualité de "Juif". Le sens de cette dénonciation est évident : les communistes sont comme les nazis des victimes des Juifs.

Dernier élément, dans son discours prononcé le 18 juillet 1946 à la 2e Assemblée nationale constituante, l'ancien président du Conseil, Edouard Daladier, a été le premier, après la Libération, à dénoncer publiquement les sabotages que les communistes avaient commis pendant la guerre de 1939-1940 et que d'aucuns voulaient oublier en raison de leur participation à la Résistance après juin 1941 :

"Mais il y a eu aussi des sabotages. Il y a eu le sabotage des moteurs d'avions aux usines Farman, à Boulogne-Billancourt, dans des conditions vraiment affreuses. [...]
Il y a eu un certain nombre de sabotages dans les poudreries, notamment à la poudrerie de Sorgues, où l'ingénieur Muret les a relevés. Il y a eu des sabotages dans les casemates de la région fortifiée de Boulay, des sabotages de fusées d'obus et de balles anti-tank en pleine bataille de France." (8)

Le présente texte est composé de dix parties. La Partie I portera sur le Pacte germano-soviétique et la mobilisation du PCF en faveur de la Paix dans la guerre franco-allemande de 1939-1940. La Partie II sera consacrée à la guerre soviéto-finlandaise de novembre 1939 - mars 1940. Dans les Parties III et IV, on décrira l'impact de ce conflit sur la politique étrangère du gouvernement français et sur l'action clandestine du PCF. Dans les Parties V, VI et VII, on reproduira trois tracts du PCF appelant les ouvriers à saboter les fabrication de guerre.
 
Dans la Partie VIII, on citera les articles de Léon Jouhaux et de Albert Bayet de mars 1940. Dans la Partie IX, on illustrera le défaitisme révolutionnaire des communistes avec un exemple concret : les sabotages commis par Roger Rambaud à l'usine Farman. La Partie X retracera les négociations des 18, 19 et 20 juin 1940 entre les communistes et les envahisseurs allemands.

(1) Transcription dactylographique de la lettre manuscrite de Jacques Duclos du 5 janvier 1940, conservée dans les archives de l'IC (Site Pandor).
(2) Cahiers d'histoire de l'IRM n° 52-53, 1993, pp. 54-56 (Site Pandor) (Deux documents conservés dans les archives de l'IC : la lettre manuscrite de Benoit Frachon du 16 janvier 1940 (Site Pandor) et sa transcription dactylographique (Site Pandor).
(3) Exemplaire conservé dans les archives de l'IC (Site Pandor).
(4) Jean-Louis Crémieux-Brilhac, Les Français de l'an 40 (Tome 2), 2013.
(5) Stéphane Courtois, le PCF dans la guerre, 1980, p. 102.
(6)  Sébastien Albertelli, Histoire du sabotage, 2016.
(7) Jean-Pierre Besse, Claude Pennetier, Juin 40, la négociation secrète, 2006 pp. 10-11.
(8) Journal officiel du 19 juillet 1946 p. 2683.


Partie I
Pacte germano-soviétique

Dans la nuit du 23 au 24 août 1939 à Moscou, après quelques heures de négociations auxquelles ont participé Joachim Ribbentrop, Viatcheslav Molotov et Joseph Staline, l'Allemagne et l'URSS signent un Pacte de non-agression.

Daté du 23 août 1939, cet accord est accompagné d'un Protocole secret qui définit les zones d'intérêts soviétique et allemande en Pologne et dans les Etats baltes (Finlande, Estonie, Lettonie, Lituanie) ainsi que le statut d'une région roumaine limitrophe de l'URSS, la Bessarabie.

Par ce qu'il contient et ne contient pas, le Pacte Hitler-Staline garantit aux nazis de ne faire la guerre que sur un seul front dans l'hypothèse d'un conflit avec la France et l'Angleterre.

C'est pour cette raison qu'il sera condamné par tous les partis politiques à l'exception du Parti communiste qui défendra la thèse que cet accord est une contribution à la paix générale au motif qu'il établit des relations pacifiques entre l'URSS et l'Allemagne et divise le camp fasciste.

L'invasion de la Pologne par les armées allemandes sera un parfait démenti à cette thèse et la preuve que le Pacte germano-soviétique aura été le facteur déclencheur de la Seconde Guerre mondiale.


"Paix immédiate"

Le 1er septembre 1939, Hitler attaque la Pologne avec comme motif le refus du gouvernement polonais de satisfaire des revendications territoriales qu'il juge légitimes et limitées. Alliées des Polonais, la France et l'Angleterre réagissent le 3 septembre en déclarant la guerre à l'Allemagne nazie.

Moins de trois semaines après le début des combats entre les armées françaises et la Wehrmacht, suivant des Instructions de l'Internationale communiste motivées par le Pacte germano-soviétique, le Parti communiste abandonne sa ligne favorable à la défense nationale pour s'engager en faveur de la Paix. Dissous le 26 septembre 1939, il poursuivra son action dans la clandestinité.

Sa position : la guerre est une guerre impérialiste et sa cause n'est pas le nazisme mais le capitalisme. Ses mots d'ordre : "A bas la guerre impérialiste", "Paix immédiate" et "L'ennemi est dans notre propre pays". Ses objectifs : la Paix et, pour en garantir la pérennité, la destruction du régime capitaliste. On peut les résumer d'une phrase : la Paix par la Révolution socialiste.

A la suite de l'agression soviétique contre la Finlande et de la décision du gouvernement français de livrer des armes aux Finlandais. le Parti communiste s'engagera dans la voie du défaitisme révolutionnaire.


Partie II

Alliance germano-soviétique 

En signant le Pacte germano-soviétique, Staline a garanti à son pays de rester à l'écart d'une guerre européenne qu'il a de surcroît provoqué en pactisant avec Hitler.

Par la suite, l'application du Protocole secret lui a permis de faire d'importants gains territoriaux en Europe de l'Est.

Tout d'abord, le 28 septembre 1939, l'Union soviétique a annexé la partie orientale de la Pologne en signant avec l'Allemagne un Traité de frontières et d'amitié.

Ensuite, en concluant des Pactes d'assistance mutuelle avec l'Estonie le 28 septembre, la Lettonie le 5 octobre et la Lituanie le 10 octobre, elle a imposé à ces pays l'installation d'une base soviétique sur leur territoire.

Le sort de la Finlande, dernier pays appartenant à sa sphère d'intérêt, devait être réglé par les négociations russo-finlandaises qui ont été initiées par le pouvoir soviétique et qui se sont tenues à Moscou en octobre et novembre.


Négociations russo-finlandaises

L'Union soviétique ayant fermement manifesté à la Finlande son désir d'engager des négociations commerciales et politiques en soulignant qu'elles devaient débuter rapidement en raison du conflit européen, une délégation finlandaise s'est rendue à Moscou à trois reprises pour une série d'entretiens qui ont lieu les 12 et 14 octobre 1939, puis le 23 octobre et enfin les 3, 4 et 9 novembre 1939.

A chaque fois, les délégués finlandais se sont entretenus avec Molotov, Président du Conseil et commissaire du peuple aux Affaires étrangères, et... Staline, chef du Parti communiste d'Union soviétique.

Après avoir abandonné l'idée d'un Pacte d'assistance mutuelle en raison du refus finlandais, les soviétiques ont formulé principalement deux revendications territoriales dans le but d'assurer la sécurité de Léningrad :

1) Cession à bail pour une durée de 30 ans de la presqu'île de Hanko (Hango) afin de permettre à l'Union soviétique d'y établir une base navale et d'y stationner 5 000 hommes des forces aériennes et terrestres pour en assurer la protection. L'URSS serait ainsi en mesure de contrôler l'entrée du Golfe de Finlande au fond duquel se situe la ville de Léningrad.

2) Cession d'une partie de l'isthme de Carélie qui aurait pour conséquence de déplacer la frontière soviéto-finlandaise d'une quarantaine de kilomètres vers le nord. Situé à 32 km de la frontière, Léningrad se retrouverait alors à une distance de 70 km. La ville serait ainsi moins exposée en cas d'invasion et hors de portée d'un tir d'artillerie venant du territoire Finlandais.

Dans leur réponse, les Finlandais ont indiqué qu'ils acceptaient de céder une bande de terre dans l'isthme de Carélie moyennant une compensation territoriale en précisant que cette cession permettrait d'ajouter une dizaine de kilomètres à la distance séparant Léningrad de la frontière soviéto-finlandaise.

Ils ont fait cette contre-proposition en expliquant qu'ils ne pouvaient céder la totalité du territoire revendiqué par l'Union soviétique au motif que la perte de ce territoire aurait mis en danger la sécurité de la Finlande et aurait en outre supposé le déplacement d'une importante population vivant dans cette zone.

En revanche ils ont marqué leur refus de céder à bail la presqu'île de Hanko en avançant trois arguments : cette cession aurait porté atteinte à l'intégrité territoriale de la Finlande, l'installation d'une base militaire soviétique aurait contrevenu à sa politique de neutralité et enfin les forces armées stationnées dans cette base auraient pu être utilisées pour attaquer... le territoire finlandais.

Les soviétiques ayant maintenu leur exigence concernant la péninsule de Hanko, les Finlandais ont réaffirmé leur refus et fait de nouvelles concessions sur le déplacement de la frontière et une autre revendication territoriale russe.

L'installation d'une base navale soviétique sur le territoire finlandais était un impératif non négociable pour Staline. Ce dernier ne pouvait donc se satisfaire de la réponse finlandaise. Pour surmonter l'opposition d'Helsinki, il a alors proposé un changement de lieu et demandé la cession à bail de l'île de Russarö. Après un échange de télégrammes avec leur gouvernement, les délégués finlandais ont indiqué que la réponse était négative. C'est sur ce constat d'un désaccord que les deux parties se sont séparées.

Après quelques jours de doute sur une possible reprise des pourparlers, la délégation finlandaise a quitté Moscou le 13 novembre. 
 
Les négociations russo-finlandaises d'octobre-novembre 1939 ayant échoué, l'URSS a alors envisagé un autre moyen pour convaincre les Finlandais de répondre favorablement à ses demandes...


Agression soviétique contre la Finlande

Le 30 novembre 1939, deux semaines après le refus du gouvernement finlandais de satisfaire ses revendications territoriales, l'Union soviétique envahit la Finlande en invoquant un incident de frontière qui s'est produit quatre jours plus tôt et... qu'elle a elle-même organisé.

Rendons hommage à la célérité du gouvernement soviétique qui a réussi l'exploit de justifier une intervention en Finlande en quatre jours : condamnation le 26 d'un tir d'artillerie supposé finlandais ayant fait une dizaine de victimes parmi les troupes soviétiques stationnés près du village de Mainila, dénonciation du pacte de non-agression soviéto-finlandais le 28, rupture des relations diplomatiques le 29, entrée de l'Armée rouge le 30. 

L'agression soviétique s'est faite avec l'accord tacite de l'Allemagne puisqu'aux termes du Pacte germano-soviétique et de son Protocole secret le territoire finlandais était placé dans la zone d'intérêt soviétique.


République démocratique de Finlande

Le 1er décembre 1939, le pouvoir soviétique institue dans la ville frontalière finlandaise de Terioki un gouvernement de la République démocratique de Finlande.

Sa direction est confiée à un communiste finlandais qui était réfugié à Moscou depuis près de 20 ans : Otto Kuusinen.

Pour justifier l'intervention soviétique, le jour même de sa constitution, ce gouvernement fantoche publie une Déclaration dans laquelle "le gouvernement du peuple Finlandais invite le gouvernement de l'URSS a accorder à la République démocratique de Finlande, tout le concours nécessaire des forces de l'Armée Rouge".

Autre preuve de sa servitude, le lendemain, il signe avec l'URSS un Pacte d'assistance mutuelle et d'amitié qui satisfait les revendications territoriales soviétiques.


Léon Blum 

Dirigeant de la SFIO, président du groupe parlementaire socialiste à la Chambre, Léon Blum est aussi le directeur politique du Populaire, le journal du Parti. 

Dans son éditorial du 4 décembre 1939, il dénonce l'agression de la Finlande comme "le crime le plus abominable, le plus insupportable qu'ait connu ce temps affreux" :

LE CRIME

Voila de nouveau, comme au moment des grandes secousses sismiques, le cœur qui s'étreint, le monde qui s'obscurcit, l'atmosphère qui s'épaissit au point de devenir irrespirable.

On avait éprouvé déjà une commotion du même genre, le dimanche 14 septembre où fut annoncée l'invasion du sol polonais par l'armée rouge. Mais ce qui se passe aujourd'hui est plus atroce. Certes, les excuses que balbutiaient alors les communistes français et que j'ai mises en pièces dans ma polémique avec Cachin n'étaient que de puérils et misérables sophismes. Mais encore pouvaient-ils balbutier quelque chose. Ils pouvaient insinuer qu'au moment où l'armée rouge avait franchi la frontière, il n'existait plus de gouvernement à l'intérieur de la Pologne; ils pouvaient alléguer que les territoires envahis par les Soviets étaient peuplés de minorités ethniques; ils pouvaient laisser entendre que le but secret de Staline avait été de « souffler » à Hitler une partie de son butin !... A présent, aucune de ces excuses ne tient plus, si puériles et si misérables qu'elles fussent. Quelle ombre de raison, de justification quelconque les communistes français pourraient-ils tirer de leur cervelle, en dehors du droit du plus fort ! Et ce sont eux qui, par une outrageante contradiction, accusent les alliés d'avoir fomenté et de poursuivre « la guerre impérialiste » !

Quand l'armée rouge a attaqué les frontières finlandaises, il existait un gouvernement finlandais, et ce gouvernement représentait même, comme l'a montré le dernier vote de la Chambre, l'unanimité de la nation. Pour fabriquer un gouvernement communiste, il a fallu en apporter tout faits de Moscou les membres et le chef. Il n'existe pas en Finlande de territoires peuplés de minorités ethniques; les deux races qui composent la population du pays, la suédoise et la finnoise, y sont étroitement unies et mêlées sur toute sa surface. La Finlande n'était pas envahie par Hitler et Staline n'avait à la « souffler » à personne. Ajoutons que la disproportion sans mesure des masses et des forces donne à l'agression quelque chose d'encore plus monstrueux. Ajoutons aussi que la politique de la Finlande, intérieure ou extérieure, ne prêtait même pas à Staline les prétextes que lui avait fournis, pendant cinq ans, la diplomatie équivoque du colonel Beck. Ajoutons enfin, sans blesser nos amis polonais ni aucun autre peuple d'Europe, qu'il s'agit vraiment ici d'une élite humaine, élite par la culture, par la dignité morale, par la perfection physique, autant que par le courage. Tout s'accumule en vérité pour faire du crime finlandais le crime le plus abominable, le plus insupportable qu'ait connu ce temps affreux.

Appliqués à un objet ou à un autre, ce sont toujours la même avidité féroce, le même instinct sanguinaire; ce sont toujours le défaut total de scrupules et le mépris foncier de l'humanité. C'est vrai, et cependant, jusqu'à ces mois derniers, on pouvait encore jeter sur le despotisme stalinien un voile d'ignorance, d'illusion, ou même d'espérance. Quelque chose résistait dans l'esprit. On parvenait malaisément à admettre un reniement aussi complet et aussi brutal, un tel saccage de toute la pensée, de toute la moralité, de toute l'idéalité révolutionnaires... Maintenant, l'horreur est à son comble. Tout est fini, tout est rompu, tout est brisé.

LEON BLUM


Léon Jouhaux

L'entrée des troupes soviétiques en Pologne le 17 septembre 1939 a constitué pour la direction de la CGT la preuve concrète que le Pacte germano-soviétique était une véritable alliance entre la Russie de Staline et l'Allemagne d'Hitler.

Elle a donc pris la décision d'exclure de la confédération tous les communistes qui continuaient de soutenir ce Pacte.

Parmi les exclus : Benoît Frachon, secrétaire de la CGT. Ce dernier a dénoncé cette décision comme une tentative de division de la classe ouvrière dans son combat contre les oligarchies capitalistes dans un texte publié dans Le Monde du 30 septembre 1939 sous le titre "Pour l'unité syndicale en France". La diffusion de cette publication contrevenant au décret de dissolution du PCF, une procédure judiciaire a été engagée contre le dirigeant syndical. Passé dans la clandestinité, il a échappé à l'arrestation. Dernier élément, au début d'octobre, en raison des départs de Maurice Thorez (Russie) et de Jacques Duclos (Belgique), secrétaire général et secrétaire du PCF, Benoît Frachon, ancien membre du Bureau politique du PCF, a pris la direction du... Parti communiste clandestin.

L'agression de la Finlande par les armées soviétiques suscitent la même indignation que celle de la Pologne comme l'atteste l'éditorial publié par Léon Jouhaux, secrétaire général de la CGT, dans le numéro du 7 décembre 1939 du Peuple, l'organe de la confédération syndicale, sous le titre "le nouveau crime de Staline" :

Le nouveau crime de Staline

par Léon JOUHAUX

UNE vague d'indignation secoue le monde. A l'exception du Reich complice, l'agression de la Russie stalinienne contre la Finlande soulève la réprobation de tous les peuples. Pas un homme digne de ce nom qui ne ressente amèrement ce nouveau coup de force, odieux par lui-même et plus encore par les conditions dans lesquelles il a été préparé et qu'il se poursuit.

Tout écœure, en effet, dans cette agression, mais tout aussi montre que les dictateurs de Moscou ont rigoureusement calqué leurs méthodes et leurs actes sur les agissements de leurs amis de Berlin dont ils s'indignaient si fort encore, il n 'y a pas trois mois et demi. Des négociations du début, avec leurs alternatives de menaces publiques et d'apparente conciliation, de chantages et d'assurances pacifiques, jusqu'à l'ouverture des hostilités et aux massacres des populations civiles, toutes les pratiques criminelles du nazisme s'y retrouvent : sommation faite au gouvernement finlandais d'aller prendre des ordres à Moscou, refus d'accepter les bons offices des Etats-Unis, prétextes mensongers inventés de toutes pièces pour justifier l'invasion décidée, agression brusquement déclenchée quelques heures après la déclaration que l'U.R.S.S. n'envisageait aucunement une guerre, tentatives pour organiser des troubles à l'intérieur, tout s'y trouve, et ce n'est pas la faute de Staline si ne trouvant point un Hacha à Helsinki, il en a été réduit à la grotesque comédie du prétendu gouvernement communiste installé dans la petite ville frontière de Térioky !

Dans cette imitation servile des méthodes hitlériennes, le néo-impérialisme de Moscou a tout juste introduit quelques traits russes, par exemple ces manifestations « spontanées » organisées avec soin pour dénoncer les desseins belliqueux et conquérants des 3 millions et demi de Finlandais contre les 170 millions de sujets soviétiques, ou les vantardises de cette armée rouge proclamant qu'elle « sait et aime faire la guerre » — à cinquante contre un — ou celle de la radio stalinienne proclamant que cette armée s'est couverte d'une « gloire impérissable », ou l'affirmation toute récente que « l'humanité tout entière applaudit » aux exploits des massacreurs d'Helsinki..

Mais surtout, ces méthodes totalitaires que la dictature soviétique met à son tour en pratique, d'aussi répugnante manière, ce sont celles qu'elle dénonçait tant qu'elle n'avait pas jugé a propos de proclamer son entente avec le fascisme allemand ! Elle condamnait l'agression : celle de la Finlande est la pire de toutes celles qui se sont succédé depuis des années. Elle affirmait le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes; elle déchaîne aujourd'hui la barbarie sur une nation de haute culture. Elle réclamait la sécurité collective et elle a repoussé avec insolence tous les efforts de médiation en prétendant que la querelle cherchée par elle a la Finlande n'intéresse qu'elle seule.

Elle condamnait le massacre des populations civiles quand les agresseurs allemands s'y livraient en Espagne et se faisaient la main pour de plus grandes entreprises. On comprend mieux que ni les Soviets ni leurs agents à l'étranger n'aient songé à protester contre les mêmes massacres perpétrés en Pologne. Ils se préparaient à les imiter. Aujourd'hui les gens de Moscou se glorifient des assassinats massifs de femmes et d'enfants. Ils s'enorgueillissent de leur aviation qui porte chez l'adversaire « la terreur, la destruction, l'extermination »...

Le cœur se soulève.

Si méprisables, menteurs et tartufes que se soient montrés les dictateurs du Kremlin, leur nouveau crime outrage plus encore la conscience humaine.

Ce sont des sentiments qui ne comptent pas pour eux, bien sûr. Quand on a fait du mensonge une pratique permanente, et de la duplicité une haute politique, on n'en est plus a regarder aux sentiments des hommes qui n'ont point renoncé a avoir une conscience.

Ce n'est pas vers eux qu'il faut se tourner.

Pas davantage, ce n'est vers leurs agents à l'étranger. Ceux-là n'en sont plus a un reniement près, ils ont accepté tous les avilissements et sont dans les mains de leurs patrons comme des cadavres; ils feront l'apologie du nouveau crime comme ils ont fait celle de tous ceux qui l'ont précédé.

Mais on s'adresse à ceux que trompaient encore leurs mensonges et leurs sophismes, que les habitudes prises et - il faut bien le dire - l'ignorance laissaient encore accessibles aux mensonges et aux sophismes des agents de Moscou.

Ils étaient déjà bien clairsemés, la vigoureuse action des organisations syndicales ayant éclairé le plus grand nombre d'entre que eux. L'invasion de la Finlande doit achever l'œuvre que nous avions commencée. Elle ne laisse plus aucune excuse à ceux qui prêtaient encore l'oreille aux domestiques de Staline. S'il en reste encore, on connaîtra la mesure de leur intelligence ou de leur bonne foi.


Société des Nations

Le 3 décembre, le gouvernement d'Helsinki saisit la Société des Nations (SDN) dans le but qu'elle prenne "toutes mesures utiles pour enrayer l'agression".

Convoquée par la SDN, l'Union soviétique refusera toute médiation en expliquant que son intervention en Finlande répond à la demande du gouvernement de la République démocratique de Finlande.

Le 11 décembre, le comité spécial chargé d'étudier la requête finlandaise adresse un message au gouvernement soviétique pour lui demander de cesser les hostilités et d'entamer sans délai des négociations de paix. Dans sa réponse envoyée le lendemain, l'URSS renouvelle son refus de toute médiation de la SDN.

Finalement, le 14 décembre, l'Assemblée de la SDN adopte une résolution dans laquelle elle "condamne solennellement" l'URSS pour son agression de la Finlande avant d'appeler ses membres à soutenir le gouvernement finlandais et de recommander au Conseil d'exclure l'Etat soviétique. Le jour même, le Conseil de la SDN vote une résolution dans laquelle il "constate que, par son fait, l'Union des républiques socialistes soviétiques s'est exclue de la Société des nations. Il en résulte qu'elle ne fait plus partie de la Société."
 
 
Traité de Moscou

Après trois mois de guerre, l'URSS et la Finlande décident d'entamer des négociations de Paix.

La décision du pouvoir soviétique s'explique par la résistance finlandaise et la menace d'une intervention franco-anglaise. Quant à celle du gouvernement finlandais, elle est motivée par le fait que sa principale ligne de défense dans l’Isthme de Carélie - la ligne Mannerheim -  a cédé et que la Suède a non seulement refusé par avance de laisser les troupes alliés transiter par son territoire mais aussi menacé de suspendre son aide militaire si le conflit devait perdurer.

Ces négociations débutent le 6 mars 1940 avec l'arrivée à Moscou d'une délégation finlandaise menée par le premier ministre, Risto Ryti.

C'est dans la soirée du 12 mars 1940 et après avoir obtenu l'accord de leur Parlement que les négociateurs finlandais signent avec les dirigeants soviétiques un traité de Paix qui marque la fin du conflit russo-finlandais.

Plus importantes que celles exigées par le pouvoir soviétique pendant les négociations d'octobre-novembre 1939, les concessions territoriales finlandaises permettront à l'URSS de célébrer le traité de Moscou comme un succès éclatant alors que son objectif premier était l'annexion de la Finlande.

Dernier élément, n'ayant plus aucune utilité, la République démocratique de Finlande et son gouvernement populaire seront dissous par le pouvoir soviétique.
 
 
 Partie III 
 
Soutien de la France

Après les décisions de l'Assemblée et du Conseil de la SDN du 14 décembre 1939, la France s'engage à apporter une aide militaire à la Finlande. 

Dans son discours prononcé le 22 décembre à la Chambre des députés, le président du Conseil, Edouard Daladier, radical-socialiste, assume ce choix de politique étrangère :

"Et voici l'héroïque Finlande à son tour menacée dans des conditions peut-être encore plus répugnantes et plus abjectes  [...]
La résistance de quatre millions de Finlandais a duré davantage que celle de l'héroïque Pologne et j'espère qu'elle triomphera. [...]
J'entends bien que l'on dit : ce pays héroïque, il ne suffit pas de le saluer, il faut l'aider.
Je répondrai que, le soir même où la Société des nations, réunie à Genève, a prononcé la condamnation de l'agresseur, nous avons, suivant les formes et dans le cadre des articles du pacte [Pacte de la SDN], assumé, en ce qui concerne la France, notre entier devoir. Sous la forme précise d'assistance que prévoit le pacte, nous avons, dans toute la mesure où nous le pouvions, accompli notre devoir envers ce pays, et nous continuerons à le faire dans toute la mesure de nos possibilités". (1)

Il notifiera au secrétaire général de la SDN la décision de son gouvernement concernant la Finlande dans un télégramme en date du 2 janvier 1940 : 

"Par un télégramme en date du 18 décembre vous avez bien voulu attirer mon attention sur la résolution adoptée par l'assemblée de la Société des nations du 14 décembre, à la suite de l'appel finlandais.
Aux termes de cette résolution, le secrétaire général de la Société des nations est autorisé à prêter le concours de ses services techniques pour l'organisation de l'assistance à la Finlande et il est également autorisé, en vertu de la résolution de l'assemblée du 4 octobre 1937, à consulter les Etats non-membres en vue d'une éventuelle coopération.
Vous me demandez de vous faire connaître les dispositions du gouvernement français à cet égard.
En réponse à cette communication, j'ai l'honneur de vous rappeler que la France s'est pleine associée à la résolution votée par l'assemblée le 14 décembre dernier, ainsi qu'à la résolution du conseil en date du même jour. Elle entend donc assumer dans le cadre des dispositions du pacte et suivant les formes prévues par lesdites résolutions son devoir d'assistance envers la Finlande attaquée. Le gouvernement français accomplit ce devoir dans toute la mesure du possible. Il est prêt, en outre, à agir en coopération avec les autres puissances membres ou non-membres de la Société des nations qui voudront se conformer aux recommandations de la Société des nations." (2)


Léon Blum

Dans son éditorial du 24 décembre 1939, Léon Blum approuve la décision du gouvernement français de soutenir la Finlande dans sa résistance "héroïque" à "l'agression de Staline" :

L'agression de Staline
LES CONDITIONS
d'un secours efficace

DANS le discours qu'Edouard Daladier a prononcé à la Chambre jeudi matin [22 décembre], immédiatement avant le vote des crédits, le passage applaudi sur tous les bancs avec le plus d'ardeur est celui qu'il avait consacré à la Finlande.

Après avoir salué la résistance poignante et presque surhumaine de l'armée finlandaise - je regrette que le mot « héroïque » qui serait l'expression juste, ait trop servi - il a ajoute : « Je vous entends... Vous dites : il ne suffit pas de saluer ce vaillant pays, il faut l'aider. Dès le soir même du jour où la S.D.N. eut prononcé sa condamnation, nous avons, dans le cadre des articles du Pacte, accompli notre entier devoir. Nous avons dans la mesure où nous le pouvions - et elle n'est pas médiocre - accompli ce devoir et nous continuerons à l'accomplir dans la mesure de possibilités... »

La Chambre entière s'est associée à ces paroles qui lui apportaient une sorte de soulagement. La Finlande ne peut pas être laissée sans assistance. Certes, elle a commencé par appliquer le vieux précepte : elle s'est aidée elle-même en attendant que le reste de la terre l'aidât. Elle a opposé à l'agresseur barbare une résistance dont l'énergie et l'efficacité ont bouleversé toutes les prévisions. Je me rappelle encore l'article où un très important journaliste parisien, dont ce n'est pas le ton ordinaire, annonçait l'imminence du désastre et préparait sans ménagement l'opinion à cette dure vérité. Non; après quatre semaines de lutte farouche et ininterrompue, l'armée rouge n'a encore gagné sur l'armée finlandaise aucun avantage stratégique notable. Là où elle s'était avancée, elle reflue en désordre. Ses pertes en hommes et en matériel sont sévères. Cependant, personne n'oserait croire à l'incroyable; personne n'oserait espérer que la Finlande pût tenir indéfiniment, victorieusement, si elle n'était pas secourue. J'ignore si elle a besoin d'hommes. Mais elle a certainement besoin d'avions, d'artillerie contre les avions et les tanks, de munitions de toute espèce. Voilà sur quoi doit porter l'assistance « dans le cadre des articles du Pacte ». Des hommages sentimentaux et des souscriptions charitables ne seraient qu'un hommage vain, choquant et presque ridicule.

Mais ici je suis obligé de faire deux réflexions. La première est que le secours apporté à la Finlande par les Etats membres de la S.D.N. va fatalement se présenter en ordre dispersé; chaque Etat fournira, prêtera, vendra ce qu'il peut ou ce qu'il veut, sans coordination, sans plan d'ensemble, sans impulsion directrice; la « sécurité collective » que l'assemblée de Genève s'est efforcée de ranimer reste « inorganique », et là apparaît un des vices constitutifs de la S.D.N., telle qu'elle peut fonctionner aujourd'hui, ou même telle qu'elle fonctionnait depuis vingt ans. La seconde est que l'assistance donnée à la Finlande, quelles qu'en soient la nature et la mesure, dépendra nécessairement de l'attitude prise à cet égard par les autres Etats Scandinaves.

Je continue à penser, à part moi, que si les autres Etats Scandinaves avaient notifié en temps et lieu leur ferme détermination de faire cause commune avec la Finlande, que si, de leur côté, l'Angleterre et la France avaient déclaré leur résolution de remplir éventuellement le devoir d'assistance dont elles s'acquittent aujourd'hui, Staline aurait reculé devant une agression armée. La vérification est et restera toujours impossible, mais je crois pouvoir affirmer que mon opinion n'est pas isolée. J'ai pu recueillir récemment sur ce point des témoignages d'une valeur toute particulière. Ce qui était vrai alors l'est dans un autre sens aujourd'hui. Secours en hommes, secours en matériel, transport des fournitures achetées grâce à des secours en prêts ou en crédits, tout est suspendu matériellement à la bonne volonté plus ou moins active, plus ou moins ouverte des autres pays Scandinaves, à leur façon plus ou moins timorée, ou plus ou moins déterminée d'entendre leur « neutralité » et leur sécurité, à leur confiance dans les démocraties alliées. Oui, tout est subordonné à leur bonne volonté; un secours vraiment décisif serait subordonné à leur volonté tout court. Si cette volonté s'exerçait, peut-être verrait-on se réaliser le vœu de Georges Bidault dans l'Aube : « Pour rompre le cercle infernal, il aura suffi d'un petit peuple héroïque ».

LEON BLUM.


Bilan de l'aide française

A la séance de la Chambre du 12 mars 1940, le président du Conseil s'exprime sur la Finlande à la suite des interpellations qui ont été déposées par plusieurs parlementaires quelques jours plus tôt à l'annonce que des pourparlers de paix avaient été engagés entre l'URSS et la Finlande.

Dans son intervention, Edouard Daladier dresse l'inventaire du matériel de guerre livré à la Finlande, évoque les préparatifs relatifs à l'envoi d'un corps expéditionnaire franco-anglais, rend hommage aux efforts diplomatiques de son gouvernement et enfin réaffirme que la France s'engagera militairement aux côtés de la Finlande si le gouvernement finlandais en fait la demande :

"Je comprends très bien la hâte que vous pouvez avoir d'instituer ce grand et large débat. Je comprends et je partage l'émotion du Parlement et du pays lorsqu'ils ont appris les récents événements. Cela m'incite à dire, en quelques mots, quelles ont été, dans ces conjonctures, la position  et l'action du Gouvernement français.

[Matériel de guerre]

Je voudrais rappeler, en quelques minutes seulement et sans aborder le fond même du débat, que nous n'avons pas cessé, depuis l'agression russe contre la Finlande, c'est-à-dire depuis les premiers jours du mois de décembre, de faire parvenir au Gouvernement, au peuple finlandais le matériel de guerre qu'il a bien voulu demander à la France.
C'est ainsi qu'au total, depuis cette date jusqu'à aujourd'hui, la France, je peux le dire, se classe en tête pour ces fournitures d'armes et de matériel de guerre que divers pays ont consenties à la Finlande.
La France, pour sa part, a fourni 175 avions, 496 canons, 5 000 fusils mitrailleurs, 400 mines sous-marines, 200 000 grenades et 20 millions de cartouches.
Elle n'a pas borné son effort à cela. Elle vient encore il y a quelques jours, à la demande pressante du gouvernement finlandais, et quelles que soient les nécessités militaires si lourdes et si rudes auxquelles nous sommes obligés de faire face, de faire parvenir à la Finlande des avions de bombardement modernes, qui sont certainement arrivés sur le front finlandais.
Sur ce point, messieurs, d'ailleurs, le meilleur juge n'est-il pas le gouvernement finlandais lui-même ?
C'est le 2 janvier que le ministre des affaires étrangères de Finlande recevait le ministre de France à Helsinki en lui disant que sa visite lui apportait les plus belles étrennes que la Finlande puisse recevoir et qu'il le chargeait de remercier chaleureusement le gouvernement français.
C'est beaucoup plus tard, le 7 mars, que le maréchal Mannerheim me faisait parvenir, lui aussi, ses remerciements chaleureux pour l'aide que la France avait bien voulu apporter à son pays, dont le gouvernement finlandais et l'armée finlandaise avaient pleinement apprécié l'importance.
Enfin, alors même que les négociations se poursuivaient à Moscou, répondant à l'appel du gouvernement finlandais, ou plutôt de certains membres du gouvernement finlandais qui demandaient, dans cette épreuve si cruelle que traversait la Finlande, un nouveau gage d'amitié du gouvernement français, j'ai fait parvenir à la Finlande les avions de bombardement dont je vous ai parlé il y a un instant.
Et M. Tanner, le 11 mars, c'est-à-dire hier, à quatorze heures, remerciait le ministre de France du soin que nous avions mis à envoyer, dans le plus bref délai possible, les avions demandés et à répondre ainsi à un des désirs les plus vifs du gouvernement et des autorités finlandais.
Voici ce que me fait savoir le ministre de France :
« J'ai fait entendre au ministre des affaires étrangères que nous marquions de cette façon notre volonté d'aider la Finlande sans réserve et sans hésitation. Il m'a répondu qu'il était sûr de notre décision et de notre loyauté et il m'a chargé de vous transmettre ses entiers remerciements. »
Voilà pour le matériel. Je pourrais être plus complet, mais je passe.

[Envoi d'un corps expéditionnaire franco-anglais]

Cependant, le matériel ne saurait suffire à sauver la Finlande. Ici même, dans un récent comité secret, on a demandé au Gouvernement français : Enverrez-vous aussi des hommes ?
J'ai répondu, à cette même tribune : Nous enverrons aussi des hommes.
En réalité, c'est le 5 février que la décision a été prise par la Grande-Bretagne et la France de donner à la Finlande le concours en hommes, en effectifs, qui lui était indispensable.
Je peux dire, sans craindre d'être démenti, qu'en ce qui concerne la France, dès le 26 février, les troupes françaises destinées à secourir la Finlande étaient organisées, spécialement équipées et rassemblées et qu'à cette date du 26 février, les bateaux destinés au transport de ces effectifs étaient rassemblés. (Applaudissements.)
Messieurs, voilà ce que nous avons fait; à cette date, nous étions prêts à apporter ce concours en hommes que nous jugions nécessaire.
Je dois dire que le gouvernement britannique, auquel incombe la plus grande partie de ce concours en hommes et qui, d'autre part, était chargé de la protection navale du corps expéditionnaire, protection navale dont on ne saurait sous-estimer l'importance si l'on songe que près de 3 000 kilomètres séparent les côtes anglaises des côtes de Norvège, le gouvernement britannique avait aussi multiplié les efforts, en ce qui le concerne, afin que des secours en hommes fussent envoyés à la Finlande.

[Action diplomatique]

Enfin, l'action diplomatique du Gouvernement français s'est exercée chaque jour sur les gouvernements neutres, sur les gouvernements amis. Je dis : chaque jour. Je devrais dire, pour être plus exact, que c'est de jour et de nuit que l'action diplomatique du Gouvernement français n'a cessé de s'exercer en faveur de la Finlande.

[Intervention de la France conditionnée à un appel de la Finlande]

Mais je voudrais ajouter que l'intervention militaire en Finlande, que l'apport d'un secours en hommes à ce pays n'est possible que si la Finlande fait appel à ce concours militaire. (Interruptions à droite.)
Messieurs, vous ferez connaître vos opinions, vous soutiendrez le contraire de ce que je dis. Je vous déclare, très sincèrement et très loyalement, que je ne conçois pas que, dans la réalité des choses, le concours militaire de ces milliers d'hommes soit possible si la Finlande n'adresse pas un appel public à la France et à l'Angleterre pour qu'elles viennent à son secours. [...]
Il n'est pas possible d'aller, avec une expédition par terre, au secours de la Finlande, si l'on n'est pas appelé par la Finlande elle-même à son secours.
Or, ainsi que je vous l'ai dit, cet appel ne nous a jamais été adressé.
Il y a quelques jours encore, le je remettais moi-même à M. Holma, ministre de Finlande à Paris, le message suivant, à l'adresse du gouvernent finlandais :
« Depuis plusieurs jours déjà, nous n'attendons que l'appel de la Finlande pour venir à son aide avec tous nos moyens. Il nous est difficile de comprendre que cet appel ait été encore ajourné...
« ...Je vous affirme, une fois de plus que nous sommes prêts à vous fournir immédiatement notre aide. Les avions sont prêts à partir, le corps expéditionnaire est prêt à partir... »
« ...Je demande donc à votre gouvernement de de bien vouloir nous faire connaitre d'extrême urgence sa décision ». [...]
Aujourd'hui, je n'ai pas encore reçu cet appel. Cependant, M. Tanner, ministre des affaires étrangères de Finlande, a voulu m'informer qu'une réponse décisive, dans un sens ou dans l'autre, nous serait adressée, aujourd'hui même, après la réunion du Parlement finlandais.
Je renouvelle, une fois de plus, cette déclaration que, aujourd'hui ou ou demain, si la Finlande adresse un appel aux Alliés, les Alliés iront à secours avec toute les forces qui lui ont été promises.
Voilà, ce que je voulais dire à la Chambre." (3)

(1) Journal officiel du 23 décembre 1939
(2) Le Petit Parisien du 3 janvier 1940.
(3) Journal officiel du 13 mars 1940.
 

Partie IV

"Bas les pattes devant l'URSS"

Dans le conflit soviéto-finlandais, le Parti communiste s'est mobilisé en faveur de l'URSS en justifiant l'intervention soviétique en Finlande, en combattant le soutien de la France au gouvernement finlandais avec des appels au sabotage et à la mutinerie et enfin en célébrant le Traité de Moscou.

Cette mobilisation s'est faite sous le mot d'ordre suivant : "Bas les pattes devant l'URSS". 


Justification de l'intervention soviétique

La propagande communiste a soutenu l'intervention soviétique en Finlande en défendant la thèse que cette intervention répondait à la demande du peuple finlandais qui voulait être libéré d'un gouvernement soumis à la tutelle des impérialistes franco-anglais.

Illustration de cet argumentaire, le salut du "Parti communiste français au Parti communiste de l'URSS" de décembre 1939 :

"Le peuple finlandais savait que son appel à l'Union Soviétique ne resterait sans réponse et aujourd'hui, tandis que la glorieuse armée rouge est venue à leur secours, les travailleurs finlandais ont conscience de lutter pour leur indépendance et pour faire échec aux plans antisoviétiques des fauteurs de guerre impérialistes et leurs valets socialistes.
Et aujourd'hui, répondant à l'appel du peuple finlandais et de son gouvernement populaire de la République démocratique de Finlande, l'Union Soviétique a donné son concours aux victimes des provocateurs finlandais à la solde des impérialistes étrangers."

Dans ce texte le Parti communiste réussit l'exploit de présenter la victime de l'agression (la Finlande) comme une puissance belliciste servant les intérêts des impérialistes franco-anglais et l'agresseur (l'Union soviétique) comme une puissance libératrice.

En outre, il soutient que l'URSS est intervenue en Finlande à l'appel du peuple finlandais. Cet appel fait référence à la Déclaration diffusée le 1er décembre 1939 par le gouvernement populaire de Finlande.

On notera la célérité de la réponse de l'URSS puisque son intervention en Finlande a précédé l'appel du peuple finlandais.
 

Appels au sabotage et à la mutinerie

Après la décision du gouvernement français de fournir des armes à la Finlande, le Parti communiste s'est engagé dans la voie du défaitisme révolutionnaire en appelant au sabotage des fabrications de guerre.

Touchant les usines travaillant pour la défense nationale, cette campagne de sabotage a été déclenchée par une lettre du 5 janvier 1940  dans laquelle Jacques Duclos, dirigeant communiste réfugié en Belgique, demande à Benoît Frachon, responsable du Parti communiste clandestin, "d'orienter les ouvriers vers le sabotage des fabrications de guerre destinées à la Finlande" en diffusant le tract joint à sa lettre :

"Nous vous faisons parvenir ci-joint deux projets de tracts qui pourraient être édités à la ronéo, bien entendu après mise au point éventuelle de votre part.
I°- L'un a trait aux fournitures d'armes et de matériel de guerre aux fascistes d'Helsinki, fournitures annoncées par Daladier tant à la Chambre que dans son télégramme au secrétaire général de la SDN. Il nous semble qu'en présence de ces faits le moment est venu pour nous d'orienter les ouvriers vers le sabotage des fabrications de guerre destinées à la Finlande et d'attirer leur attention sur l'utilisation anti-soviétique du matériel de guerre fabriqué en France. De plus en ce qui concerne les dockers, nous pensons qu'il faudrait donner comme mot d'ordre, de refuser de charger les bateaux de munitions destinés à la Finlande. (1)

Secrétaire du PCF, député de la Seine, Jacques Duclos s'est réfugié à Bruxelles en octobre 1939 après la dissolution du Parti communiste et la procédure judiciaire engagée contre le groupe parlementaire communiste pour une lettre adressée au président de la Chambre à la fin de la Campagne de Pologne dans laquelle il lui demandait l'organisation d'un vote du Parlement en faveur de la Paix. Dans la capitale belge, Jacques Duclos a mis en place une direction communiste. Particularité de Bruxelles : la présence d'une antenne de l'IC qui était dirigée par Eugen Fried et dont la mission était de contrôler les partis communistes d'Europe occidentale.

Secrétaire de la CGT, ancien membre du bureau politique du PCF, Benoît Frachon assumait depuis octobre 1939 la direction clandestine du Parti communiste. Sa nomination à ce poste s'expliquait par les absences de Maurice Thorez, secrétaire général du PCF, et de Jacques Duclos qui avait tous les deux quitté le territoire français. Le premier avait rejoint Moscou après sa désertion. Le second, recherché par la justice militaire pour infraction au décret de dissolution du PCF, avait fui en Belgique.

Benoît Frachon a répondu favorablement aux instructions de Jacques Duclos dans une lettre du 16 janvier 1940 :

"Nous avons eu votre mot du 5 le 13. [...]
Finlande. D'accord avec propositions, avons fait plusieurs tracts, mais sans poser problèmes précis que vous proposez."  (2)

Conformément à cette nouvelle orientation, le Parti communiste a publié au moins trois tracts dans lesquels il encourageait les ouvriers des usines travaillant pour la défense nationale à détruire les matériels qu'ils fabriquaient :

1) Tract "Daladier Chamberlain Mussolini Franco et Pie XII" de février 1940.
2) Appel au "Peuple de France !" de février 1940.
3) Tract "Pas un homme, Pas un sou, Pas une arme, pour les Fascistes Finlandais" de février 1940.

Aux textes de la direction centrale sont venus s'ajouter ceux qui relevaient d'initiatives locales. Un exemple, ce papillon diffusé à la fin de février 1940 dans les usines d'Aubervillers de l'aviateur Bréguet :

"Aidez les forbans d'Helsinki 
c'est le rôle du capitalisme.
Travailleurs, empêchez, sabotez 
Toutes fabrications de guerre." (3)

Le gouvernement français a aussi formé le projet d'envoyer un corps expéditionnaire en Finlande. Il a pris cette décision le 5 février 1940. Dès le 26 février un premier contingent était prêt à partir. Ce départ était subordonnée à une demande formelle du gouvernement finlandais. Cette demande n'a pas été formulée puisque la Finlande a préféré s'engager au début de mars dans des négociations de Paix.

En réaction à cette initiative de la France, le Parti communiste a appelé les soldats français à se mutiner s'ils étaient envoyés en Finlande pour combattre l'Armée Rouge.

Parmi ces textes on peut citer les tracts "Peuple de France" et "Pas un homme, Pas un sou, Pas une arme, pour les Fascistes Finlandais" qui ont été rédigés après le 5 février.

En revanche, le tract "Daladier Chamberlain Mussolini Franco et Pie XII" ne contient aucun appel à la mutinerie puisqu'il a été écrit au mois de janvier.
 

Célébration du Traité de Moscou

Publié dans l'Humanité n° 32 du 15 mars 1940, soit trois jours après la fin du conflit russo-finlandais, l'article "Vive l'URSS ! Vive Staline !" célèbre le traité de Moscou comme un succès de l'URSS et un échec des impérialistes franco-anglais :

"Les travailleurs de France ont appris avec enthousiasme la nouvelle de la conclusion du traité de Paix entre l'URSS et la Finlande. Quel réveil pour les pauvres bougres trompés par les mensonges de la presse aux gages, par les histoires sur les skis cloués sur les chaussures, les avions détruits par centaines, les tanks par milliers, les divisions anéanties chaque semaine ! La vérité leur apparaît subitement : pour la première fois dans l'histoire une armée, celle du peuple soviétique, a percé une ligne fortifiée sur le modèle de la ligne Maginot, la Ligne Mannerheim réputée imprenable. En débordant le flanc de l'armée finlandaise en retraite, prenant largement pied sur la rive ouest de la baie de Viborg, l'Armée Rouge dirigée par l'ancien métallo VOROCHILOV a obligé le gouvernement des gardes-blancs à venir demander grâce à Moscou où, en novembre, excités par leurs maîtres de Paris et de Londres, ils avaient repoussé les propositions modestes de l'URSS !
Si l'URSS faisait une politique de prestige ou de conquête, elle aurait pu parachever la déroute finlandaise et occuper l'ensemble du pays en sacrifiant quelques dizaines de milliers d'hommes. Mais la sage politique de Staline a arrêté la guerre dès qu'il fut possible "d'assurer la sécurité de Leningrad et de ses 3 millions 1/2 d'habitants, celle de Mourmansk et du chemin de fer entre Mourmansk et Leningrad". Ainsi se termine piteusement le rêve des impérialistes de Paris et de Londres qui espéraient entraîner les pays scandinaves dans la guerre et attaquer le pays du socialisme à la fois par la Finlande et la Mer Noire et le Caucase. En 1919, le TIMES écrivait que la Finlande est la clef de Leningrad et Leningrad la clef de Moscou.
Eh bien, Messieurs les capitalistes, vous ne tendrez plus vos doigts rapaces vers ce trousseau de clefs ! L'Armée Rouge des paysans, propriétaires de leur terre, et des prolétaires, propriétaires de leurs usines, le tient en bonne garde ! En renforçant encore ses positions dans la Baltique, l'URSS a compromis fortement tous vos espoirs en un nouveau Munich, vos désirs d'entraîner l'Allemagne dans une Sainte-Alliance antisoviétique !"

Après la signature le 12 mars 1940 d'un Traité de paix entre l'URSS et la Finlande, la direction du PCF n'a plus considéré la destruction des matériels de guerre comme l'une de ses priorités. Elle a même été jusqu'à nier la réalité des appels au sabotage précédemment diffusés. Ainsi, à ceux qui accusaient les communistes de saboter la défense nationale dans les usines, l'Humanité n° 34 du 27 mars 1940 a répondu :

"Eh bien non ! on ne réussira pas à faire croire que notre Parti, fidèle à l'enseignement de Lénine, partisan de l'action de masse, allant de la pétition, de la manifestation et la grève jusqu'à la levée révolutionnaire du peuple, soit subitement devenu partisan de l'action individuelle, de l'attentat." (4)

(1) Transcription dactylographique de la lettre manuscrite de Jacques Duclos du 5 janvier 1940, conservée dans les archives de l'IC (Site Pandor).
(2) Cahiers d'histoire de l'IRM n° 52-53, 1993, pp. 54-56 (Site Pandor) (Deux documents conservés dans les archives de l'IC : la lettre manuscrite de Benoit Frachon du 16 janvier 1940 (Site Pandor) et sa transcription dactylographique (Site Pandor).
(3) Jean-Louis Crémieux-Brilhac, Les Français de l'an 40 (Tome 2), 2013.
(4) Stéphane Courtois, le PCF dans la guerre, 1980, p. 102.


Partie V

Tract "Daladier Chamberlain Mussolini Franco et Pie XII"

Au début de février 1940 et peut-être même dès la fin de janvier, le Parti communiste a manifesté son opposition aux livraisons d'armes à la Finlande en diffusant dans les usines travaillant pour la défense nationale un appel au sabotage des fabrications de guerre sous le titre "Daladier Chamberlain Mussolini Franco et Pie XII".

Après avoir reproduit un extrait de cet appel, on montrera que ce tract était le premier Appel au sabotage du Parti communiste, on analysera l'argumentaire développé pour convaincre les ouvriers de commettre de tels actes et enfin on évoquera la procédure judiciaire engagée contre des diffuseurs de ce tract sous le chef d'inculpation de trahison.


Extrait

On reproduira ci-après un extrait du tract "Daladier Chamberlain Mussolini Franco et Pie XII" :

TRACT TRES IMPORTANT - A DIFFUSER AU MAXIMUM ET TRES RAPIDEMENT
----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

DALADIER CHAMBERLAIN MUSSOLINI FRANCO & PIE XII

soutiennent la clique des fascistes finlandais contre l'URSS. [...]

Des armes et des munitions françaises sont envoyées pour combattre l'URSS.

A la Chambre des Députés, Daladier avait dit : "Il faut aider la Finlande. Dès la décision de la SDN la France a rempli son devoir dans une proportion qui n'est pas médiocre.Elle continuera à le faireet dans un télégramme à la SDN, le même Daladier a écrit : "La France entend assurer son devoir d'assistance envers la Finlande". [...]

Ouvriers, ne soyez pas complices de vos pires ennemis qui combattent dans l'Union Soviétique le triomphe du socialisme sur un sixième du globe; par tout les moyens appropriés, en mettant en œuvre toutes vos ressources d'intelligence et toutes vos connaissances techniques, empêchez, retardez, rendez inutilisable les fabrications de guerre : contrecarrez ainsi l'action des gouvernements français qui aident les fascistes finlandais, et se préparent, dans le Proche-Orient, à attaquer l'Union Soviétique parce qu'elle est le pays du socialisme

Il faut tout mettre en œuvre pour rendre impossible l'envoi d'avions, de canons, de mitrailleuses et de munitions  à la clique fasciste d'Helsinki dirigée par cette sombre brute de Mannerheim, l'agent de l'Intelligence Service, aux mains rouge de sang de milliers et de milliers de travailleurs Finlandais.

Quand à vous docker, refusez carrément de charger les bateaux d'armes et de munitions destinés aux réactionnaires finlandais. [...]

Les travailleurs français ne permettront pas que les armes françaises soient envoyées aux ennemis de l'Union Soviétique, entourée de la haine des capitalistes mais aussi de la confiance des exploités de l'univers. [...]

BAS LES PATTES DEVANT L'UNION SOVIETIQUE ESPOIR DES TRAVAILLEURS DU MONDE ENTIER



Premier Appel au sabotage du PCF

En s'appuyant sur son contenu, on peut affirmer que le tract "Daladier Chamberlain Mussolini Franco et Pie XII" correspond au tract joint à la lettre de Jacques Duclos du 5 janvier 1940 et qu'il est donc le premier Appel au sabotage du PCF.

En effet, il fait référence au discours prononcé par Daladier à la "Chambre des députés" ainsi qu'à son "télégramme à la SDN" et ces deux éléments sont mentionnés dans le projet de tract décrit dans la lettre de Jacques Duclos du 5 janvier 1940.

Précisons que la citation du discours prononcé par Daladier le 22 décembre 1939 est en fait tirée du Matin du 23 décembre 1939 dans lequel ce discours a été reproduit sous une forme réduite.

On peut ajouter deux arguments supplémentaires pour étayer la thèse du premier appel au sabotage. Tout d'abord, la mention "tract très important - à diffuser au maximum et très rapidement" témoigne d'une nouvelle orientation dans la ligne du Parti.

Ensuite, l'exemplaire envoyé à Moscou a été archivé avec les mentions suivantes : "Tract PCF/janvier 1940/(Ronéotypé)". (1)

Ce dernier fait prouve que l'Internationale communiste était informé des sabotages communistes et qu'elle les approuvait.

En revanche, peut-on affirmer que Jacques Duclos a écrit sa lettre du 5 janvier 1940 sur des instructions de Moscou ?

A part la présence d'une antenne de l'IC à Bruxelles dirigée par Eugen Fried, il n'y a pas d'élément permettant de soutenir cette hypothèse.

(1) Tract conservé dans les archives de l'IC (Site Pandor).


"Fascistes finlandais"

Le 30 novembre 1939, dans le cadre du Pacte germano-soviétique, l'URSS, pays de 193 millions d'habitants après... l'annexion de la partie orientale de la Pologne, a attaqué la Finlande et ses 3,5 millions d'habitants pour s'emparer de son territoire. 

Pour justifier son appel au sabotage, le Parti communiste présente cette agression en ces termes :

"DALADIER CHAMBERLAIN MUSSOLINI FRANCO et PIE XII soutiennent la clique des fascistes finlandais contre l'URSS."

Révélation communiste : l'URSS a été agressée par la Finlande fasciste avec le soutien d'une alliance anti-soviétique rassemblant la France, l'Angleterre, l'Italie, l'Espagne et... le Vatican. On fera remarquer qu'un acteur important n'est pas mentionné dans cette alliance née de l'imagination du Parti communiste : l'Allemagne d'Hitler. Un oubli sûrement...

En s'appuyant sur cette description mensongère du conflit russo-finlandais, le Parti communiste appelle les ouvriers français à défendre leur patrie (l'URSS) en détruisant les matériels destinés aux "fascistes finlandais". Ces sabotages ne seront pas des actes de trahison (la France n'étant pas leur patrie), au contraire ils seront un témoignage de leur engagement antifasciste. 

Signalons que pour justifier le partage de la Pologne entre l'URSS et l'Allemagne, les communistes avaient aussi accusé les polonais d'être des fascistes !!!


Trahison

Arrêtés en mars 1940, Robert Blache, ancien secrétaire de rédaction de l'Humanité, et plusieurs de ses camarades ont été poursuivis pour avoir diffusé le tract "Daladier Chamberlain Mussolini Franco et Pie XII".

Ces poursuites ont été engagées sur la base de l'article 77 du code pénal qui prévoyait que "la provocation à commettre" un des crimes visés à l'article 76 serait punie comme le crime même. Le second alinéa de cet article 76 stipulait que serait coupable de trahison et puni de mort tout français qui détruirait ou dégraderait tout matériel susceptible d'être employé pour la défense nationale. L'appel au sabotage était donc aussi un acte de trahison puni de la peine de mort.

Prévu pour le 10 juin, leur procès ne s'est pas tenu en raison de l'offensive allemande sur la capitale et de la décision consécutive du gouvernement d'évacuer au sud de la Loire la prison militaire de Paris.


Partie VI

Appel au "Peuple de France
de février 1940

En février 1940, sixième mois de la guerre opposant la France à l'Allemagne nazie, le Parti communiste clandestin a lancé un appel au "Peuple de France". 

Cet appel avait été rédigé par Jacques Duclos, secrétaire du PCF réfugié en Belgique, à la suite de plusieurs communications avec Benoît Frachon, responsable du Parti communiste clandestin, dans lesquelles les deux dirigeants avaient discuté dans le détail de son contenu.

Sur la forme, le tract était trois fois plus long que le premier appel au "Peuple de France" diffusé le 14 octobre 1939, soit trois semaines après la dissolution du PCF.

Sur le fond, il condamnait la politique extérieure du Gouvernement Daladier ("guerre impérialiste") ainsi que sa politique intérieure ("guerre de réaction").

Il consacrait aussi un développement à "la trahison des chefs socialistes et réformistes" qui avaient commis le crime d'approuver la guerre contre Hitler.

Au terme de ce long réquisitoire, le Parti communiste appelait les Français à s'unir "sous le drapeau de LA PAIX ET DE LA FRATERNITE DES PEUPLES".

L'appel au "Peuple de France" de février 1940 a été le tract plus important diffusé par les communistes pour la période couvrant les cinq derniers de la guerre franco-allemande de 1939-1940.


Finlande 

Plaidoyer pour la Paix avec l'Allemagne et la fraternité franco-allemande, l'appel de février 1940 présentait une différence notoire avec celui du 14 octobre 1939 : une référence au conflit russo-finlandais qui avait débuté le 30 novembre 1939 avec l'invasion de la Finlande par les armées soviétiques.

Ce tract approuvait l'intervention soviétique en Finlande et combattait l'aide française à la Résistance finlandaise en lançant des appels à la mutinerie et au sabotage :

Peuple de France !

[...]

AUX COTES DE L'UNION SOVIETIQUE

Si toute la réaction nourrit de profonds sentiments de haine à l'égard de l'Union soviétique, c'est parce que ce pays symbolise la victoire des travailleurs sur le capitalisme, parce qu'il montre aux exploités du monde entier, la voie à suivre pour se libérer de leurs chaînes.
Quand ils voient les Daladier, les Blum, les La Rocque, les Maurras, les Jouhaux et toute la clique des réactionnaires attaquer l'URSS, tout naturellement les travailleurs placent leur confiance dans ce pays qui provoque la haine des ennemis du peuple, dans ce pays qui fait flotter le drapeau rouge de la révolution prolétarienne sur un sixième du globe et où retentissent les accents libérateurs de « l'Internationale ».
Les travailleurs français saluent avec joie le retour des populations de la Biélorussie et de l'Ukraine occidentales à la grande partie socialiste, ils ont salué avec joie la conclusion du pacte d'assistance mutuelle avec les États baltes.
De même les travailleurs français saluent avec joie la constitution du GOUVERNEMENT POPULAIRE de la République démocratique de Finlande, qui a demandé et obtenu que l'armée rouge se joigne à l'armée populaire de Finlande pour redonner à ce pays l'indépendance à laquelle il a droit.
En aidant les travailleurs finlandais à détruire le centre de provocations impérialistes qui existait dans leur pays, l'Union soviétique a servi la cause du prolétariat international et la cause de la paix contre les provocateurs impérialistes qui n'ont pas renoncé à leur plan de guerre antisoviétique.
Une armée de 400 000 hommes commandée par le général le général Weygand est en Syrie dans le but d'intervenir éventuellement, de concert avec l'Angleterre et la Turquie contre le pays du socialisme. Ces messieurs auraient voulu, grâce à. la complicité des provocateurs finlandais se ménager la possibilité d'attaquer l'URSS à la fois par le Sud et par le Nord, comme ils le firent il y a vingt ans.
Voilà pourquoi, les travailleurs de tous les pays saluent l'action du peuple finlandais et de son gouvernement populaire ainsi que l'aide que lui a apportée l'URSS, car tout ce qui consolide le grand pays du socialisme, consolide les positions du prolétariat international.
Le peuple de France dénonce l'hypocrisie de ceux qui se livrent à une abominable campagne antisoviétique et font cyniquement étalage de pseudo sentiments d'humanité.
Silence aux assassins de Guemica, Madrid et Barcelone, et à ceux qui ont couvert leurs crimes.
Silence à ceux qui font tuer des travailleurs pour le plus grand profit des impérialistes.
Ceux qui sont prêts à faire couler des fleuves de sang et ramassent des milliards dans les horreurs de la guerre, sont furieux de voir l'URSS aider le peuple finlandais à se délivrer de ses bourreaux, instruments serviles des impérialistes qui rêvent de détruire la patrie du socialisme. Mais ce qui remplit les impérialistes de colère remplit de joie le peuple de France, heureux de voir s'affirmer la force grandissante du pays des Soviets.
Et si demain les gouvernements de Paris et de Londres, dont toute la haine se concentre contre le pays du socialisme parce que ce qui compte avant tout pour eux, c'est la sauvegarde de leurs privilèges, la défense des coffres-forts, si demain ces hommes veulent faire battre les travailleurs français contre l'URSS, alors l'exemple donné par André Marty et les marins de la Mer Noire, il y a vingt ans, aura de profonds échos parmi les soldats, les marins et les aviateurs. Les prolétaires savent que lutter contre le pays du socialisme où la domination capitaliste a été détruite, équivaudrait pour eux à un véritable suicide, à la trahison du grand idéal de libération humaine qu'incarne l'Union soviétique. Que Daladier et Chamberlain le sachent bien, les travailleurs ne se battront jamais contre l'URSS pays du progrès, de la liberté et de la paix et ils sont bien décidés à ne pas se faire les complices de l'intervention française contre le pays du socialisme, intervention qui s'exprime par l'envoi de matériel de guerre aux bandits de la clique Mannerheim. 
De même que tous les hommes de progrès de tous les pays étaient, il y a 150 ans, aux côtés de la Révolution Française, contre le despotisme féodal, de même tous les travailleurs sont aujourd'hui et seront demain aux côtés de 1'Union soviétique, où l'homme n'est plus exploité par l'homme, contre les exploiteurs et oppresseurs impérialistes. 

LE PEUPLE DE FRANCE CONTRE DALADIER
[...]

OUVRIERS et OUVRIÈRES, soyez unis dans les entreprises, organisez votre propagande
et votre action revendicative, défendez vos salaires, défendez vos militants, résistez à l'exploitation renforcée dont vous êtes victimes. N'oubliez jamais que si le patronat aujourd'hui prend la revanche de juin 1936, vous devez préparer la riposte pour demain. Vous qui travaillez dans les fabrications de guerre, n'oubliez pas que votre devoir est de faire échec aux plans des interventionnistes antisoviétiques qui envoyent du matériel de guerre aux fascistes finlandais; mettez tout en œuvre pour retarder, empêcher, rendre inutilisables les fabrications de guerre dont il est clair désormais, qu'elles sont destinées à combattre l'armée rouge, détachement armé du prolétariat international.
Vous dockers, n'hésitez pas à refuser de charger les bateaux destinés à transporter du matériel de guerre en Finlande pour combattre le pays du socialisme, objet de la haine du capitalisme international.

[...]

Le Parti Communiste Français (SFIC).


Partie VII

Troisième Appel au sabotage

A la fin de février 1940, le Parti communiste a publié un troisième Appel au sabotage sous le titre "Pas un homme, Pas un sou, Pas une arme, pour les Fascistes Finlandais". 

On citera de ce tract l'extrait suivant :

"Mannerheim, la brute sinistre qui fait peser sa criminelle dictature sur le peuple finlandais a déclarer le 17 février dernier : « L'aide de l'étranger nous parvient en quantité appréciable ».
En même temps le gouvernement Daladier faisait savoir qu'il avait envoyé à Mannerheim, des avions, des canons anti-chars ultra modernes, de l'artillerie lourde, des munitions de grenades et des fusils mitrailleurs; Daladier a fait savoir en outre que Mannerheim a été autorisé à puiser dans le matériel dont dispose l'armée française. [...]

Travailleurs socialistes et syndiqués, dressez-vous contre le crime de Blum et de Jouhaux qui après avoir assassiné l'Espagne Républicaine, voudraient  sauver la Finlande réactionnaire et combattre le grand pays du socialisme.
L'heure du règlement de compte va bientôt sonner pour Mannerheim, elle sonnera aussi pour Daladier, pour Blum, pour Jouhaux etc... et pour hâter cette heure :
Dockers, refusez de charger les bateaux à destination de la Finlande;
Ouvriers qui travaillez dans les usines de guerre, mettez tout en œuvre pour empêcher l'envoi de matériel de guerre en Finlande et pour rendre ce matériel inutilisable.
Soldats, si on vous envoie en Finlande, refusez de combattre l'Armée rouge, détachement armé du prolétariat international; souvenez-vous de l'exemple d'André Marty et des marins de la mer Noire."

(Un exemplaire du tract "Pas un homme, Pas un sou, Pas une arme, pour les Fascistes Finlandais" est publié sur le site Pandor)


Partie VIII

Léon Jouhaux

Secrétaire général de la CGT, Léon Jouhaux a été au même titre que Léon Blum une cible régulière des attaques du Parti communiste en raison de son soutien à la guerre contre l'Allemagne.

On pourra illustrer cette réalité en s'appuyant simplement sur les trois appels au sabotage précédemment cités : 

"La guerre des Daladier, des Maurras, des La Rocque, des Blum et Jouhaux apparaît de plus en plus sous son vrai jour. C'est une guerre anti-ouvrière, c'est une guerre réactionnaire, une guerre dirigée contre le pays où a disparu l'exploitation de l'homme par l'homme." (tract "Daladier Chamberlain Mussolini Franco et Pie XII")

"Les impérialistes français n'ont pu imposer leur guerre qu'avec le concours des chefs du Parti Radical et grâce à la trahison honteuse des chefs socialistes et réformistes à la Blum et à la Jouhaux." (tract "Peuple de France").

"Travailleurs socialistes et syndiqués, dressez-vous contre le crime de Blum et de Jouhaux qui après avoir assassiné l'Espagne Républicaine, voudraient sauver la Finlande réactionnaire et combattre le grand pays du socialisme." (tract "Pas un homme, Pas un sou, Pas une arme, pour les Fascistes Finlandais")


"Tracts bolcho-nazis"

Dans un article publié dans Le Peuple du 7 mars 1940 sous le titre "Les agents de Staline et de Hitler continuent", Léon Jouhaux a dénoncé les appels au sabotage contenus dans les tracts "Daladier Chamberlain Mussolini Franco et Pie XII" et "Peuple de France" en soulignant la nécessité de ne pas faire silence sur les "tracts bolchonazis" diffusés dans la clandestinité :

"C'EST sans plaisir, on s'en doute, qu'il nous faut continuer à signaler la propagande clandestine à laquelle se livrent les valets de Staline. Nous ne sommes pas les pourvoyeurs d'une répression que nous n'approuvons pas, nous l'avons dit depuis longtemps. Nous en venons même à croire qu'il y a plus d'inconvénients que d'avantages à empêcher la publication des tracts bolchonazis, si odieux soient-ils : justement parce qu'ils sont odieux et imbéciles, il serait bon de mettre fin à cette espèce de mystère qui les entoure; s'ils étaient connus, ils ne soulèveraient que le dégoût. Quoi qu'il en soit, nous avons le devoir de dénoncer cette propagande aux ouvriers qu'elle cherche à toucher.
Le dernier des tracts venus à notre connaissance et qu'une ruse grossière voudrait nous faire croire qu'il nous a été transmis anonymement de la zone des armées, ne cache pas son origine comme tant d'autres : il est en effet signé « le parti communiste français S.F.I.C. ».
C'est une nouvelle preuve — mais en était-il besoin encore ? — que les communistes français sont au service de la politique stalinienne et qu'ils livrent contre la défense de la liberté à une besogne de trahison pure et simple, laquelle ne songe même plus à se couvrir de prétextes idéologiques.
Dans d'autres tracts on trouvait encore, mais en termes de plus en plus atténués, d'hypocrites condamnations de l'hitlérisme. Dans celui-ci, il n'en est plus question, et pour cause; il ne s'y trouve aucune allusion, même indirecte, au sanglant compère du sanglant Staline. Il n'est d'ailleurs que trop aisé de comprendre pourquoi. Ce tract a pour sujet la guerre de Finlande et le « père des peuples », le « soleil qui brille au firmament soviétique » a trop besoin de Hitler pour qu'il soit permis à ses agents opérant en France de mettre en cause le Führer et son régime.
Il est vrai que ça les oblige à quelques acrobaties. Mais ce ne sont pas les premières. Impossible aujourd'hui de soutenir, comme ils l'avaient fait, qu'il n'y a pas de soldats soviétiques en Finlande. Il leur fallu trouver de nouveaux mensonges. Ce n'est pas, bien entendu, l'U.R.S.S. qui a attaqué la Finlande; c'est ce petit pays qui a agressé le géant soviétique. Pour les Bechi-Bouzouks de Staline, c'est la guerre de « Daladier; Chamberlain. Mussolini, Franco et Pie XII ». Et allez donc ! Prévenons-les pourtant qu'ils auront bientôt l'ordre de changer une fois de plus leurs fusils d'épaule, ne serait-ce qu'à cause de l'Italie, qui va déjà loin.
Nous sommes aussi dans la danse, personnellement. Cette guerre est encore celle de « la bande sinistre des Blum, des Paul Faure et des Jouhaux »; tout autant qu'elle est celle des « marquis, princes et rois déchus », de la « maffia des profiteurs de guerre et des marchands de canons » avec lesquels nos amis socialistes et nous constituent, ainsi que nul ne l'ignore, le gouvernement de la France !
Quelle salade ! Vous ouvrez de grands yeux ? Ne vous étonnez pas ! Voici une autre révélation de Moscou : Cette guerre est celle « des Daladier, des Maurras, des de la Rocque, des Blum et des Jouhaux ». Si vous n'êtes pas fixés maintenant, si votre antenne n'est pas éclairée, si vous ne savez pas pourquoi la Finlande « fasciste » — mais oui, « fasciste » ! — et vendue au capitalisme international a attaqué la colossale Russie à soixante contre un, que vous faut-il de plus ? Quelques révélations de même source vous seraient-elles encore nécessaires ? Un peu de patience. Il ne manquera pas d'en venir.
S'il ne s'agissait que de ces divagations staliniennes, ce ne serait peu.
Mais, il s'agit de quelque chose de beaucoup plus grave.
Ce tract s'adresse aux ouvriers français : « En mettant en œuvre toutes vos ressources d'intelligence (sic) et toutes vos connaissances techniques, leur dit-il, retardez, rendez inutilisables les fabrications de guerre; contrecarrez ainsi l'action des gouvernants français... »
Il s'adresse aux dockers : « Quant à vous, refusez carrément de charger des bateaux d'armes et de munitions destinés aux réactionnaires finlandais ».
Il s'adresse aux « soldats, marins et aviateurs » (1) pour leur demander d'imiter le geste de Marty en 1919.
Inutile d'insister davantage.
Nous portons à la connaissance des travailleurs français ces conseils odieux. Certains qu'ils ne les apprendront pas sans dégoût et qu'ils les rejetteront avec mépris."

(1) Cette citation est tirée du tract "Peuple de France" dans lequel on peut lire : "si demain ces hommes veulent faire battre les travailleurs français contre l'URSS, alors l'exemple donné par André Marty et les marins de la Mer Noire, il y a vingt ans, aura de profonds échos parmi les soldats, les marins et les aviateurs."


Albert Bayet

Le 31 mars 1940, L'Œuvre a publié un article d'Albert Bayet - "Ne mêlons pas les questions !" - approuvant sur le plan intérieur la lutte contre "le communazisme" mais s'opposant sur le plan extérieur à toute déclaration de guerre à l'URSS. Particularité de cet article, il reproduisait un extrait du tract "Daladier Chamberlain Mussolini Franco et Pie XII" :

"Autre chose est de combattre chez nous le communazisme, agent de Hitler, autre chose est de déclarer la guerre à l'URSS.
Sur le premier point, la vigilance gouvernementale doit être en défaillance, parce que l'action ennemie se poursuit. C'est ainsi que, dans un tract récemment publié par « le parti communiste français », on lisait l'appel suivant adressé aux ouvriers de nos usines :

Par tous les moyens appropriés, en mettant en œuvre toutes vos ressources d'intelligence et toutes vos connaissances techniques, rendez inutilisables les fabrications de guerre.

J'entends que cet abominable appel sera accueilli avec dégoût par les ouvriers de France; mais je dis que ceux qui l'ont lancé sont des traîtres, qu'ils poignardent nos soldats dans le dos, et qu'au même titre que ceux qui stockaient sur notre sol les armes venues d'Allemagne ou les arguments fournis par von Abetz, ils doivent subir la juste rigueur de lois de la République. Que cela plaise ou déplaise à Moscou est le cadet de nos soucis.
Mais cette lutte nécessaire contre le communazisme, c'est-à-dire contre la trahison, implique-t-elle que nous devions déclarer la guerre à l'URSS ? Daladier ne l'a pas pensé; Paul Reynaud ne le pense pas : j'ai la conviction qu'en dépit d'une assez bizarre campagne de presse, le pays tout entier est d'accord avec eux."


Partie IX

Condamnation à mort
de saboteurs communistes

 Soutien à l'effort de guerre soviétique dans sa tentative d'annexion de la Finlande, les sabotages communistes furent aussi un moyen de mettre fin à la guerre en privant l'armée française de matériels en état de marche.

Illustration de ce fait, les sabotages de moteurs d'avions commis dans l'usine de Boulogne-Billancourt de la Société Nationale de Construction Aéronautique du Centre (SNCAC), anciennement l'usine Farman, pour lesquels six militants communistes ont été mis en cause par la justice militaire : Roger et Marcel Rambaud, Léon et Maurice Lebeau, Raymond Andrieu et Roger Leroux.

Il était reproché à Roger Rambaud, 17 ans et demi, ouvrier ajusteur à la SNCAC, d'avoir saboté entre février et mai 1940 des dizaines de moteurs d'avion en coupant le fil de laiton servant de frein à l'écrou maintenant le tuyau d'arrivée d'essence. Ces accusations étaient d'autant plus fondées que ce militant des Jeunesses communistes avait été arrêté alors qu'il venait de saboter dans un atelier 17 des 20 moteurs prêts à être livrés. (1)

Les tracts recopiés de sa main que la police a retrouvés à son domicile permettaient d'expliquer sans aucune équivoque les raisons de son acte :

"Courage on les aura ! Confiance camarade, le parti communiste vivra toujours. Pas de canon, pas d'avion et la guerre finira. Paix immédiate. Le Parti Communiste français. " (2)

Les conséquences de ces sabotages ont été mortelles. En effet, les fuites d'essence consécutives à la perte de l'écrou saboté provoquaient l'explosion en plein vol de l'appareil. Une quête fut d'ailleurs organisée à la SNCAC en faveur des pilotes militaires victimes d'accident en plein vol à laquelle participa... Roger Rambaud.

L'instruction a mis en évidence que ce dernier avait agi sur les instructions de Léon Lebeau et les conseils de son frère ainé Marcel Rambaud. Le premier l'avait incité à commettre ces sabotages. Quant au second, il lui avait expliqué comment les réaliser.

Léon Lebeau, 33 ans, menuisier, était membre du PCF.  Il fut notamment condamné en 1930 pour le sabotage des turbines d'un navire de guerre sur lequel il effectuait son service militaire. Condamné à 7 ans de travaux forcés il bénéficia d'une amnistie. Il participa par la suite à des meetings anti-militaristes organisés par le Parti communiste où il était présenté comme un modèle à suivre. (3)

Agé de 24 ans, Marcel Rambaud était aussi ajusteur à la SNAC avant d'être relevé de son affectation spéciale pour avoir saboté plusieurs bains de chromage. Il alors été envoyé par punition dans une compagnie spéciale. C'est au cours d'une permission qu'il a fourni à son frère des croquis indiquant la manière d'effectuer les sabotages. (4)

Enfin, Maurice Lebeau, 17 ans et demi, coursier, ainsi que Raymond Andrieu et Roger Leroux, deux plombiers âgés de 18 ans, ont été mis en cause pour leur participation à des discussions au cours desquelles avaient été évoquées ces sabotages.

Jugés le 27 mai 1940 par le 3e Tribunal militaire de Paris, les frères Rambaud et les frères Lebeau ont été condamnés à la peine de mort. Les deux autres accusés ont été condamnés à 20 ans de travaux forcés.

Cette décision s'appuyait sur l'article 76 alinéa 2 du code pénal :

"Sera coupable de trahison et puni de mort : [...]
Tout Français qui détruira ou détériorera volontairement un navire, un appareil de navigation aérienne, un matériel, une fourniture, une construction ou une installation susceptibles d'être employés pour la défense nationale, ou pratiquera sciemment, soit avant, soit après leur achèvement, des malfaçons de nature à les empêcher de fonctionner, ou à provoquer un accident."

C'était la première application de cette disposition qui avait été introduite dans le code pénal par le décret-loi du 29 juillet 1939.

Le lendemain, les journaux de la presse parisiennes ont annoncé la décision du tribunal militaire à la une : "Quatre saboteurs d'avions condamnés à mort" (Le Petit Parisien), "La mort pour les saboteurs / Quatre ouvriers d'une usine de la région parisienne sont condamnés à la peine capitale" (Le Matin), "Quatre saboteurs sont condamnés à mort" (L'Œuvre), "Pour sabotage dans une usine de la défense nationale / Quatre condamnations à mort" (Le Petit Journal), "Quatre saboteurs sont condamnés à mort" (L'Epoque) ou dans leurs pages intérieures : "Le crime de sabotage dans une usine" (Le Temps), "La condamnation à mort de quatre anciens communistes qui sabotaient les avions" (Le Journal), "Quatre saboteurs condamnés à mort" (Paris-soir), "La cinquième colonne / Quatre communistes convaincus de sabotage sont condamnés à mort" (L'Action française) / "Quatre saboteurs condamnés à mort" (La Justice), "Quatre condamnations à mort pour sabotage"(Le Figaro).

Le 10 juin 1940, les quatre condamnés à mort ont été transférés à la prison militaire de Bordeaux. Maurice Lebeau, 17 ans et demi, a été gracié le 18 juin 1940 par le président de la République, Albert Lebrun. Quant à Roger Rambaud, Marcel Rambaud et Léon Lebeau, ils ont été exécutés à Pessac, près de Bordeaux, le 22 juin 1940.

La mémoire communiste n'a pas retenu les noms de ces morts et pour cause...

(1) A. Rossi, Les communistes français pendant la drôle de guerre, rééd 1972, p. 242.
(2) Sébastien Albertelli, Histoire du sabotage, 2016.
(3) A. Rossi, op. cit. p. 242.
(4) Ibid.


Partie X

"Fusillé des ouvriers qui sabotaient défense nat"

Traître à la fois par ses appels au sabotage et par les actes qui les ont suivis, le Parti communiste a même tenté d'être récompensé par les Allemands pour sa trahison au cours d'une négociation qui s'est tenue les 18, 19 et 20 juin 1940.

Cette négociation a eu pour unique objet la reparution de l'Humanité dont la publication avait été suspendue le 26 août 1939 en raison de son soutien au... Pacte germano-soviétique.

Elle a pris la forme de plusieurs rencontres entre une militante communiste, Denise Ginollin, et un officier de la Propaganda Staffel Frankreich, le lieutenant Weber.

Cette militante a agi sur les ordres de Maurice Tréand, membre du Comité central, responsable de la commission des cadres et adjoint de Jacques Duclos, chef du Parti communiste clandestin.

Quelques faits marquants de cette première négociation :

1) Elle a débuté avant même la signature de l'armistice et donc l'arrêt des combats.

Négocier avec les envahisseurs allemands avant même la fin des hostilités est une preuve incontestable de... la Résistance communiste.

2) Pour obtenir l'accord des nazis, les communistes ont préparé un numéro modèle de l'Humanité légale : l'Humanité du mercredi 19 juin 1940.

En totale conformité avec la ligne défendue par le PCF depuis le début du conflit, ce numéro plaidait pour la paix avec Hitler, faisait l'éloge de la fraternité franco-allemande et condamnait l'Angleterre : autant d'engagements politiques qui n'ont pas dû pas heurter la censure allemande.

Autre élément significatif : la publication dans ce numéro d'un "communiqué officiel allemand".
 
Cette publication devait prouver la bonne foi des communistes en montrant qu'ils acceptaient non seulement de se soumettre aux règles fixées par les Allemands en matière de presse mais aussi de faire de l'Humanité légale un relais de leur propagande.

3) Pour réussir sa mission, Denise Ginollin a rédigé sous la dictée de Maurice Tréand un argumentaire. Dans ce texte on peut notamment lire :

"2) Sommes communistes avons appliqué ligne PC sous Dal [Daladier] Ray [Reynaud] juif Mandel
Juif M [Mandel] après Dal [Daladier] nous a emprisonnés. Fusillé des ouvriers qui sabotaient défense nat [nationale]
Sommes PC français pas eu peur
3) pas cédé face dictature juif M [Mandel] et du défenseur des intérêts capitalistes anglais Raynaud [Reynaud]
4) [...]
avons été d'accord avec pacte G S [pacte germano-soviétique]
notre lutte contre Bonnet, Dal [Daladier], Ray [Reynaud], Man [Mandel], cela a facilité votre victoire
notre défense du pacte
cela vous a avantagé
pour l'URSS nous avons bien travaillé par conséquent par ricochet pour vous". (1)

Cet extrait permet de connaître quatre des arguments communistes devant convaincre les Allemands de légaliser l'Humanité.

Tout d'abord, la célébration du Pacte germano-soviétique. Le message est clair : les communistes et les nazis sont des... alliés. L'ouverture d'une négociation entre le PCF et les autorités d'occupation est donc tout à fait légitime.
 
Ensuite, la revendication du sabotage des fabrications de guerre. Encore un message clair. La contribution des communistes à la défaite de la France et à la victoire allemande mérite une récompense : l'autorisation de publier l'Humanité.

Autre élément, la dénonciation de Georges Mandel, dernier ministre de l'Intérieur dans le Gouvernement Reynaud, en soulignant sa qualité de "Juif". Le sens de cette dénonciation est évident : les communistes sont comme les nazis des victimes des Juifs.

Enfin, la condamnation des capitalistes anglais. Le propos est explicite. Les communistes et les nazis combattent un même ennemi : l'impérialisme britannique.

Le 20 juin, à son rendez-vous de 16 heures avec le lieutenant Weber, Denise Ginollin a obtenu l'autorisation de publier l'Humanité. Ses arguments ont dû être convaincants...

A 18 heures, elle lui a soumis les articles devant paraître dans le premier numéro de l'Humanité légale. Des changements ayant été demandés, la militante communiste devait revenir à 22 heures pour obtenir le visa définitif de la Kommandantur. Preuve des bonnes relations entre les deux parties, l'officier allemand lui a remis... un laissez-passer lui permettant de circuler après le couvre-feu.

A 20 h 30 près du Métro Saint-Martin, la militante communiste a rencontré comme prévu Maurice Tréand et Jeanne Schrodt pour faire le point sur les négociations.

C'est à ce moment qu'ils ont été arrêtés par la police française qui les soupçonnaient de vouloir faire reparaître l'Humanité.

Sans nouvelles de Denise Ginollin, le lieutenant Weber, passé le délai d'une heure qu'il avait accordé, a informé l'Etat-major que l'Humanité ne paraîtrait pas le lendemain :

"Le 20 juin à 23 heures, l'envoyé de l'Humanité n'ayant pas présenté les modifications demandées, ce journal ne paraîtra pas le 21 juin". (2)

C'est donc l'intervention de la police française qui a empêché la parution du premier numéro de l'Humanité sous censure allemande !!!

Le 21 juin, les trois suspects et une quatrième personne arrêtée le jour même, Valentine Grunenberger, ont été auditionnés par le commissaire Lafont. Le lendemain, sur la décision du Juge Pihier, Maurice Tréand et les trois militantes ont été incarcérés respectivement à la Santé et à la Petite Roquette.

Les quatre staliniens ont été libérés le 25 juin à la suite d'une intervention... d'Otto Abetz qui avait été sollicitée par l'avocat communiste de Maurice Tréand, Me Robert Foissin. En contrepartie de cette intervention, le représentant d'Hitler en France avait manifesté le désir de rencontrer le dirigeant communiste pour discuter de la question de l'Humanité avec l'ambition d'engager de plus larges négociations...
 
Le 26 juin, le Parti communiste ayant accepté de satisfaire la demande allemande, Maurice Tréand s'est rendu à l'ambassade d'Allemagne pour conférer avec Otto Abetz. Il était accompagné d'un autre membre du Comité central : Jean Catelas. Etaient aussi présents à la réunion : Me Foissin et Denise Ginollin. 
 
Première rencontre entre un officiel allemand et... deux dirigeants communistes, cette réunion du 26 juin 1940 a marqué le début de la seconde négociation entre le PCF et les nazis. Encore une preuve de... la Résistance communiste.

(1) Jean-Pierre Besse, Claude Pennetier, Juin 40, la négociation secrète, 2006 pp. 10-11.
(2) Ibid. p. 57.