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Tracts communistes diffusés en juin 1940 dans la région de Bordeaux (Charles Tillon)

Dixième et dernier mois de la guerre franco-allemande, le mois de juin 1940 a été marqué par quatre événements majeurs.

Le 5, les Allemands ont lancé leur offensive sur la Somme. Le 10, l'Italie a déclaré la guerre à la France. Le 17, le Maréchal Pétain a manifesté au gouvernement allemand son désir de mettre fin au conflit. Le 22, l'armistice franco-allemand a été signé.

Sous la direction de Charles Tillon, les communistes bordelais ont été les seuls au sein de l'organisation communiste à réagir à chacun de ces événements en diffusant à chaque fois un tract signé « Le Parti communiste français (SFIC) » :

1) "Pour la Paix, le Pain, la Liberté, l'Indépendance !".
2) "Pour sauver notre pays !".
3) "Pour la Défense de la liberté et de l'Indépendance / Rassemblement".
4) "Appel au Peuple de France".

Réponses à l'invasion de la France par les armées nazies et fascistes, ces tracts appelaient tous à la constitution d'un Gouvernement de Paix communiste !!!

Formulée dans un texte du secrétaire général du PCF publié dans l'Humanité clandestine du 25 avril 1940, cette proposition formait la base du projet communiste.

Ces faits incontestables permettent d'établir trois vérités historiques sur l'action du Parti communiste dans la région de Bordeaux à l'été 1940.

1) Au cours de cette période il a diffusé quatre tracts pacifistes.
2) Leur contenu était en totale conformité avec la ligne fixée par la direction centrale.
3) Il n'a lancé au aucun appel à lutter contre l'envahisseur allemand.

En s'appuyant sur ces vérités, on peut sans aucune difficulté contester l'historiographie officielle qui défend la thèse qu'un mouvement de Résistance communiste a été créé en juin 1940 dans la région bordelaise.

Pour cela, elle met en avant l'action de Charles Tillon et surtout un tract intitulé "Appel de Charles Tillon (17 juin 1940)" qui est un faux et plus précisément une version altérée tant sur la forme que sur le fond du tract "Appel au Peuple de France".

Après avoir montré que le pacifisme du Parti communiste a été constant pendant toute la durée de la guerre franco-allemande de 1939-1940 (I) et dans les premiers mois de l'occupation allemande (II), on analysera le contenu des quatre tracts diffusés par les communistes bordelais au mois de juin 1940 (III à VII).
 
On consacrera aussi un développement au tract "Appel de Charles Tillon (17 juin 1940)" (VIII).


Partie I


"Paix immédiate"

Le 1er septembre 1939, Hitler attaque la Pologne avec comme motif le refus du gouvernement polonais de satisfaire des revendications territoriales qu'il juge légitimes et limitées. Alliés des Polonais, la France et l'Angleterre réagissent le 3 septembre en déclarant la guerre à l'Allemagne nazie.

Moins de trois semaines après le début des combats entre les armées françaises et la Wehrmacht, suivant des Instructions de l'Internationale communiste motivées par le Pacte germano-soviétique, le Parti communiste abandonne sa ligne favorable à la défense nationale pour s'engager en faveur de la Paix. Dissous le 26 septembre 1939, il poursuivra son action dans la clandestinité.

Sa position : la guerre est une guerre impérialiste et sa cause n'est pas le nazisme mais le capitalisme. Ses mots d'ordre : "A bas la guerre impérialiste", "Paix immédiate" et "L'ennemi est dans notre propre pays". Ses objectifs : la Paix et, pour en garantir la pérennité, la destruction du régime capitaliste. On peut les résumer d'une phrase : la Paix par la Révolution socialiste.

Fixés par l'IC, ces deux objectifs ont été formellement énoncés par son secrétaire général, Georges Dimitrov, dans un texte qui a été diffusé en novembre 1939 sous le titre "La guerre et la classe ouvrière des pays capitalistes" :

"Les impérialistes des pays belligérants ont commencé la guerre pour un nouveau partage du monde, pour la domination universelle, en vouant à l'extermination des millions d'hommes. La classe ouvrière est appelée à en finir avec cette guerre à sa façon, dans son intérêt, dans l'intérêt de toute l'humanité travailleuse, et à supprimer, ainsi, à tout jamais, les causes essentielles qui engendrent les guerres impérialistes".


"Pour un gouvernement de Paix"

Dans une lettre du 25 mars 1940, Maurice Thorez et André Marty envoient depuis Moscou des Instructions à la direction parisienne du PCF.

Dirigeant du PCF, André Marty est aussi secrétaire de l'International communiste. C'est pour cette raison qu'il a rejoint la capitale russe au mois d'août 1939 avant que ne débute le conflit.

Secrétaire général du PCF, Maurice Thorez a déserté au mois d'octobre 1939 sur les Instructions de l'IC. Après un court séjour en Belgique, il s'est réfugié en Russie. Ce départ a été caché aux militants pour ne pas les démobiliser.

Dans cette lettre, les deux dirigeants indiquent que la revendication d'un Gouvernement de Paix communiste doit être la priorité du Parti, et précisent les formes dans lesquelles cette revendication doit être formulée :

Dans cette situation, il nous semble que le Parti pourrait résumer tout son programme de lutte contre la guerre et la réaction, unir toutes ses revendications politiques et économiques autour du mot d'ordre : "Pour un gouvernement de Paix", s'appuyant sur les masses populaires, donnant des garanties contre la réaction et assurant la collaboration avec l'URSS pour le rétablissement de la paix générale.
Le gouvernement de paix que nous réclamons sera en réalité ce gouvernement du front populaire que les masses populaires ont voulu établir en France malgré la résistance et le sabotage des Blum, Daladier, Jouhaux et Cie. Ce gouvernement, nous devons l'opposer au gouvernement actuel qui accomplit les volontés du grand capital financier et des cliques impérialistes, ces responsables de la catastrophe de la guerre, ces responsables de la destruction des conquêtes du Front Populaire, et de la sauvage réaction, maîtresse actuelle de la France. Ce gouvernement sera celui de la France du Peuple, et non celui des tyrans au service de la France des 200 familles. Ce gouvernement, véritable gouvernement de Front populaire.
Ces précisions nous semblent nécessaires après avoir lu dans La Vie Ouvrière la revendication d' "un pouvoir qui s'appuie sur le peuple (ouvriers, paysans et soldats)" et dans la déclaration des députés le mot d'ordre "d'un gouvernement ouvrier et paysan, émanation de la nation".
Or, ce mot d'ordre du "gouvernement ouvrier et paysan" nous semble prématuré. La crise n'est pas encore si profonde dans les milieux dirigeants et la poussée consciente des masses laborieuses telle, que notre Parti puisse sérieusement poser la question de la prise du pouvoir. Les masses ouvrières sont contre la guerre; elles seront contre le gouvernement Reynaud, parce que c'est un gouvernement de guerre, un gouvernement de spoliation, un gouvernement de répression et de terreur, un gouvernement qui ment, qui trompe le peuple. Les masses populaires, la classe ouvrière demandent un gouvernement qui exprime leur désir, leur volonté de paix, un gouvernement qui fasse sortir le pays du gouffre de la guerre, un gouvernement qui assure la paix et qui assure avec la paix la sécurité du pays. C'est à ces préoccupations que répond la précision que nous proposons ci-dessus.
Le mot d'ordre de gouvernement ouvrier et paysan faciliterait en ce moment la tâche de nos ennemis; il permettrait au gouvernement de la réaction de concentrer toutes les forces autour de lui. Alors que nous devons tendre au contraire à rassembler sur une seule plate-forme les masses éprises de paix, mais non encore de révolution, tout en approfondissant sous leur pression les divergences dans les milieux dirigeants et en nous efforçant de dissocier le camp de la bourgeoisie.
Naturellement, la formulation donnée ci-dessus n'empêche pas - au contraire - la propagande de principe contre la dictature du capital, pour la dictature du prolétariat, pour le socialisme.


"Thorez au pouvoir"

Le 25 avril 1940, sur le constat qu'après huit mois de guerre le gouvernement français est toujours déterminé à combattre Hitler, le Parti communiste appelle les Français à se mobiliser pour la constitution d'un Gouvernement de Paix communiste.

Désormais centrale dans son projet politique, cette revendication est formellement formulée par Maurice Thorez dans un article publié dans l'Humanité clandestine sous le titre "Les Pitt et Cobourg de 1940" :


LES "PITT ET COBOURG" DE 1940
Par MAURICE THOREZ
[...]
Ecoutez-les, ces représentants des 200 familles ! Ils défendent la France. Leur guerre, la guerre des capitalistes, c'est la guerre du droit, de la justice, de la civilisation, de l'indépendance.
Rien de neuf dans ces mensonges usés de 1914 à 1918. Mais leur cynisme ne connait aucune borne. Tandis qu'ils s'enrichissent du sang et de la misère du peuple de France, ils se présentent comme les défenseurs de la Patrie.
Tout ce qui ne s'incline pas devant leur malfaisance, leurs vols et leurs crimes, est jugé ennemi de la Patrie, traître, agent de l'étranger.
Quels sont-ils ces vertueux personnages ? Comment conçoivent-ils l'indépendance de la France ? Tout simplement à la façon de leurs ancêtres, les aristocrates de 1792.
"Pitt et Cobourg" tel était le qualificatif que le peuple de France décernait aux contre-révolutionnaires qui complotaient avec les ennemis de la France et de la Révolution, avec l'Autriche, le roi de Prusse et l'Angleterre.
Les "Pitt et Cobourg" de 1940 ne sont pas émigrés, ils ne sont pas en prison, ils dirigent momentanément, et pour son malheur, les destinées de la France. [...]
Quant à ceux qui exécutent les ordres des impérialistes de Londres, ils sont également légion. Notre Président du Conseil se distingue parmi ceux-là. Ce qu'on dit de l'alliance franco-anglaise est particulièrement insultant pour notre pays : "La France est un dominion de l'Angleterre". Le malheur est que c'est vrai et que les responsables se présentent encore comme les défenseurs de l'indépendance de la France.
En 1792, les "Pitt et Cobourg" avaient leurs girondins. En 1940, les "Pitt et Cobourg" ont les leurs. Les "Brissotins" s'appellent aujourd'hui Léon Blum [dirigeant de la SFIO], Paul Faure [secrétaire général de la SFIO], Jouhaux [secrétaire général de la CGT], Déat [secrétaire général de l'Union socialiste Républicaine]. [...]
Peuple de France, il faut nous débarrasser des "Pitt et Cobourg" de 1940. Notre pays mérite un autre sort que celui d'être cité comme l'exemple de la réaction et comme dominion de l'Angleterre. [...]
Le gouvernement que veut le pays n'est pas celui des "Pitt et Cobourg". C'est un gouvernement de paix, s'appuyant sur les masses populaires, donnant des garanties contre la réaction, assurant la collaboration avec l'Union Soviétique pour le rétablissement de la paix générale.
Seulement un tel gouvernement assurera l'indépendance de notre pays en le libérant de la tutelle des agents du capital français et anglais.
Maurice THOREZ,
 secrétaire général du P.C.

Illustration de cette nouvelle orientation, le mot d'ordre "Thorez au pouvoir". Est-il un meilleur choix qu'un déserteur pour négocier la Paix avec Hitler ?

La revendication d'un Gouvernement de Paix communiste sera une constante de la propagande communiste jusqu'au... 22 juin 1941 et l'invasion de l'URSS par les armées allemandes.

Elle se compose de 4 éléments :

1) Un gouvernement "s'appuyant sur les masses populaires". Jugeant que la notion bolchevik de Gouvernement paysan et ouvrier serait un frein à la prise du pouvoir par les communistes, Maurice Thorez plaide pour un gouvernement s'appuyant sur les masses populaires autrement dit un Gouvernement populaire. A partir de juillet, les communistes mettront en avant la notion de Gouvernement du Peuple.

2) "Un gouvernement de Paix". En septembre 1939, le Parti communiste s'est mobilisé en faveur de la "Paix immédiate". Les Gouvernements Daladier et Reynaud n'ayant pas répondu à cette revendication, Maurice Thorez demande au peuple de France de soutenir la constitution d'un gouvernement communiste qui négociera la Paix avec Hitler.

3) un gouvernement "assurant la collaboration avec l'Union Soviétique pour le rétablissement de la paix générale". Pour faire la Paix avec le régime hitlérien, le Parti communiste compte sur le soutien de l'URSS dont les relations pacifiques avec l'Allemagne nazie sont organisées par le Pacte germano-soviétique du 23 août 1939 et le Traité de frontières et d'amitié du 28 septembre 1939.

4) un gouvernement "donnant des garanties contre la réaction" : Sous le terme de réaction le Parti communiste désigne tous ceux qui soutiennent la guerre contre Hitler et qui pour ce seul motif sont accusés d'être des bellicistes ou des impérialistes. Sont visés en priorité le gouvernement français et ses soutiens dans la classe ouvrière : la SFIO (Leon Blum) et la CGT (Léon Jouhaux). L'engagement à les combattre est une déclinaison du mot d'ordre : "L'ennemi est dans notre pays". Au mois de juin 1940, la formule concernant la réaction s'enrichira avec l'ajout du terme... "fascisme" : "Le peuple veut un gouvernement qui s'appuie sur les masses populaires, qui libèrent les communistes, qui mettent en prison les fascistes et tous les hitlériens et tous les responsables de 5 ans de politique extérieure pro-fasciste" (L'Humanité n° 54 du 14 juin 1940). De fait, les antihitlériens était déjà qualifiés de fascistes dans la propagande communiste puisque cette dernière célébrait l'action du Parti communiste en faveur de la paix avec nazis comme un combat... antifasciste.

Deux remarques supplémentaires sur l'article.

Tout d'abord, sur le plan intérieur, le Gouvernement Thorez s'engage à libérer la France du capitalisme.  On retrouve ainsi les deux objectifs fixés par l'IC : la Paix et la Révolution socialiste.

Ensuite, logique communiste, le silence sur les ennemis allemands est compensé par une ferme condamnation des alliés anglais. 

Démonstration de l'anglophobie du Parti communiste, Maurice Thorez accuse le gouvernement français "d'exécuter les ordres des impérialistes de Londres", affirme que la France n'est qu'un "Dominion de l'Angleterre" et enfin appelle à libérer la France "de la tutelle des agents du capital français et anglais".


Offensive allemande de mai 1940

Le 10 mai 1940, l'Allemagne prend l'initiative sur le front Ouest en envahissant la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg. Après avoir percé le front français dans le secteur de Sedan le 13 mai, les divisions blindées allemandes foncent en direction de la Manche pour prendre à revers les unités françaises et le contingent anglais qui sont entrés en Belgique pour repousser la Wehrmacht. Victorieuse, cette première phase de l'offensive allemande se termine le 4 juin. Les armées françaises qui ne se sont pas engagées en Belgique constituent dans l'intervalle une ligne de défense sur la Somme et l'Aisne. Le 5 juin, les Allemands déclenchent la seconde phase de leur plan en attaquant sur la Somme puis sur l'Aisne quelques jours après. La ligne de défense française est rapidement enfoncée permettant ainsi aux unités allemandes d'avancer à l'Ouest, à l'Est et sur Paris, déclarée ville ouverte la capitale tombe le 14, puis de se répandre sur tout le Sud. Le 17 juin, jugeant la situation militaire catastrophique, le Maréchal Pétain, nommé la veille à la présidence du Conseil, demande l'armistice qui est signé le 22 juin.

Les combats de mai et juin 1940 sur le territoire français n'ont provoqué aucun changement dans la ligne pacifiste du PCF comme l'attestent tous les numéros de l'Humanité qui ont été diffusés au cours de cette période.
 
Un exemple de l'attitude des communistes, l'appel publié dans l'Humanité n° 47 du 17 mai 1940 sous le titre "Pour sauver notre pays et notre peuple de la misère, de la ruine et de la mort" :

"Le Parti Communiste a dit et répété que cette guerre a été provoqué par les capitalistes. Pour avoir réclamé la paix, avant que les massacrent ne commencent, des milliers de ses membres ont été jetés en prison, dans les camps de concentration ou dans les bagnes africains. D'autres sont menacés de la peine de mort ! [...]
Aujourd'hui où l'angoisse étreint des millions d'hommes et de femmes de notre pays le Parti Communiste dit, comme toujours, ce qu'il considère être l'intérêt des travailleurs et du peuple de France.
Le rétablissement de la paix, la sécurité et l'indépendance du pays, la liberté et le progrès social exigent que soit impitoyablement chassé le gouvernement des 200 familles qui a entraîné notre pays dans l'aventure présente. [...]
PEUPLE DE FRANCE ! Pour la paix, le pain, la liberté, l'indépendance, SOIS UNIS !
Lutte pour :
Un gouvernement de paix, s'appuyant sur les masses populaires, prenant des mesures contre la réaction, un gouvernement qui s'entende sans délai avec l'Union Soviétique pour le rétablissement de la Paix générale dans le monde."

Particularité de cet appel, il sera repris dans les deux premiers tracts diffusés par les communistes bordelais au mois de juin.

Ce fait prouve d'une part qu'il y a eu une liaison entre Paris et Bordeaux et d'autre part que les communistes bordelais ont fidèlement appliqué la ligne fixée par la direction centrale.


Partie II


Gouvernement Pétain

Le 16 juin 1940, réfugié dans la ville de Bordeaux depuis deux jours, le Gouvernement Reynaud démissionne à 22 heures en raison de sa division entre opposants et partisans de l'armistice.

A la tête de ceux qui veulent mettre fin au conflit avec l'Allemagne et qui défendent au sein du gouvernement la même position que le Commandant en chef des armées françaises, le Général Weygand : le Maréchal Pétain, vice-président du Conseil et ministre d'Etat. Ce dernier est aussitôt chargé par le Président de la République de former un nouveau gouvernement.

Parmi ceux qui veulent continuer de se battre contre les Allemands : le Général de Gaulle, sous-secrétaire d'Etat à la Défense nationale et à la Guerre attaché à la présidence du Conseil. En mission en Angleterre, il apprendra la démission du gouvernement à son retour à Bordeaux dans la soirée. Après la constitution dans la nuit d'un cabinet marquant la victoire du clan des défaitistes, il décide le lendemain matin de repartir pour Londres. Il s'embarquera dans l'avion ramenant en Angleterre l'envoyé spécial de Churchill, le Général Spears.

Le 17 juin, en début d'après-midi, le nouveau président du Conseil annonce aux Français qu'il est entré en contact avec le gouvernement allemand pour négocier un armistice.


Armistice franco-allemand

Signé le 22 juin, l'armistice franco-allemand marque la défaite de la France. Dans l'attente des négociations portant sur un traité de Paix, cet armistice impose au pays vaincu l'occupation d'une zone couvrant les trois-cinquièmes de son territoire et comprenant sa capitale, le maintien en captivité de 1,5 million prisonniers de guerre, la démobilisation et le désarmement de ses forces armées, et enfin le paiement d'une indemnité journalière pour les frais d'occupation dont le montant sera fixé quelques semaines tard à 400 millions francs et représentera pour le budget français un prélèvement massif et abusif relevant plus des réparations de guerre que de l'entretien d'une armée d'occupation.

Pour connaître la réaction du PCF à la défaite de la France et à l'occupation allemande qui en est la conséquence, il suffit de lire l'Humanité du 24 juin 1940 et son article intitulé... "Construire la paix" :

"L'armistice est signé.
Ah, certes nous serrons les poings à la pensée qu'une autre paix eut pu être conclue en Septembre-Octobre dernier comme la proposaient les Communistes. Mais à cette époque Daladier jugeait que les ordres de la Cité de Londres devaient être obéis.
Construire la Paix ! Voilà donc la tâche urgente.
Nous savons bien, nous autres communistes, qu'il n'y aura de paix véritable que lorsque auront été extirpées les racines profondes de la guerre. LA PAIX C'EST LE SOCIALISME.
Lutter pour la paix, c'est coordonner l'action des prolétaires de tous les pays dans la lutte pour la victoire du socialisme, de ce socialisme dont l'URSS offre au monde le resplendissant exemple. Tel est notre but.
Préparer cette paix implique que la France est un gouvernement capable de comprendre et de traduire les aspirations populaires. La France de juin 1940 ne possède pas un [tel] gouvernement. [...]
Pour négocier la paix, il faut pouvoir parler au nom du peuple. On ne parle pas au nom du peuple quand on tient en prison et dans les camps des milliers de militants du peuple. Seul, sera digne de négocier une paix équitable, le gouvernement qui rendra au prolétariat ses droits et sa liberté. [...]
Que disparaissent les fauteurs de guerre, les responsables du désastre, les valets de la Cité de Londres : PLACE AU PEUPLE !".
 
Dans ce texte approuvant l'armistice franco-allemand, l'Humanité affirme que seul le Parti communiste est en mesure de négocier avec Hitler "une paix véritable" ou encore une "paix équitable" car il est le seul Parti à s'être opposé à la guerre et à pouvoir en outre bénéficier du soutien de l'URSS, alliée de l'Allemagne.

Ajoutons quatre remarques supplémentaires.

Tout d'abord, l'Humanité rappelle que les députés communistes ont été emprisonnés parce qu'ils avaient demandé l'organisation d'un vote du Parlement en faveur d'une "paix juste, loyale et durable que du fond de leur cœur souhaitent tous nos concitoyens" dans une lettre remise au président de la Chambre quelques jours après la victoire des armées allemandes et soviétiques en Pologne.

Elle attribue l'échec de cette initiative pacifiste à la soumission du gouvernement français aux "ordres de la Cité de Londres".

Ensuite, formulé dans le but de prouver que les communistes sont des pacifistes de la première heure, ce rappel est aussi une dénonciation implicite du Maréchal Pétain qui est accusé par la propagande communiste de n'être qu'un belliciste, autrement dit un agent du capitalisme français et anglais, dont l'engagement tardif en faveur de la Paix n'est qu'un opportunisme.

C'est d'ailleurs pour mettre en avant le bellicisme de ce dernier que le texte décrit le président du Conseil ainsi que les membres de son Gouvernement de Paix comme des "fauteurs de guerre" (impérialisme français) et des "valets de la Cité de Londres" (impérialisme anglais).

De plus, toujours dans le but de montrer que seul le projet pacifiste du Parti communiste est légitime, l'Humanité plaide pour une "paix équitable" ou encore une "paix véritable" par opposition à une paix inéquitable ou à une fausse paix négociée par le Maréchal Pétain.

Enfin, par son contenu, cet article est en totale conformité avec le projet défendu par les communistes depuis le début du conflit à savoir la Paix par la Révolution socialiste ("LA PAIX C'EST LE SOCIALISME").


Appel du PCF

A la fin de juillet 1940, soit un mois après la signature de l'armistice franco-allemand, le Parti communiste clandestin lance un Appel au "Peuple de France".

Signé "Au nom du Comité Central du Parti Communiste Français" par Maurice Thorez et Jacques Duclos, secrétaire général et secrétaire du PCF, cet appel est un véritable plaidoyer pour la constitution... d'un Gouvernement de Paix communiste.

Pour justifier cette revendication et en même temps marquer la différence entre son projet pacifiste et celui du Maréchal Pétain, le Parti communiste affirme que seuls les communistes sont en mesure de négocier avec Hitler une "Paix dans l’indépendance complète et réelle de la France" ou encore "une paix véritable" car "seuls, les Communistes ont lutté contre la guerre".

Un dernier élément, cet appel est le tract le plus important diffusé par les communistes à l'été 1940.


Partie III


Communistes bordelais

Au mois de juin 1940, sous la direction de Charles Tillon, les communistes bordelais se sont exprimés à quatre reprise sur la situation du pays en diffusant à chaque fois un tract dans lequel il plaidait pour la paix avec Hitler :

1) "Pour la Paix, le Pain, la Liberté, l'Indépendance !".
2) "Pour sauver notre pays !".
3) "Pour la Défense de la liberté et de l'Indépendance / Rassemblement".
4) "Appel au Peuple de France".

Conservés aux Archives départementales de la Gironde, ces tracts permettent de connaître la position que le Parti communiste a défendu dans la région de Bordeaux en juin 1940 autrement dit au cours du dernier mois de la guerre opposant la France à l'Allemagne nazie.
 
Ils témoignent aussi de l'activité exceptionnelle des communistes bordelais qui n'a pas eu d'égal dans les autres régions françaises à l'exception de Paris. Rappelons que l'action du PCF a été fortement pénalisée par la mobilisation, les démissions, la répression et enfin l'exode consécutif à l'avancée des armées allemandes. 
 
Indiquons pour terminer que le gouvernement français s'est installé à Bordeaux du 14 au 28 juin et que les troupes allemandes sont entrées dans la capitale de la Gironde le 30 juin.


Partie IV


"Pour la Paix, le Pain, la Liberté, l'Indépendance !"

Après la percée de Sedan et l'élimination des forces anglaises et françaises qui s'étaient engagées en Belgique, les Allemands attaquent sur la Somme le 5 juin 1940.

Les communistes bordelais réagissent à cette nouvelle offensive allemande en publiant un tract intitulé "Pour la Paix, le Pain, la Liberté, l'Indépendance !" :

POUR LA PAIX, LE PAIN, LA LIBERTÉ, L'INDÉPENDANCE ! 

Après l'abandon de l'Espagne Républicaine, livrée au fascisme par la non-intervention, nous avons été trahis à Munich lorsque Daladier et tous les Munichois, de Flandin à Blum, ont donné à Hitler les clefs de l'Europe, un armement moderne considérable, les plans de la ligne Maginot, et les usines où l'Allemagne a fabriqué les chars lourds qui marchent sur Paris. [...]

Pour le rétablissement de la Paix et de la Liberté. [...]

Il faut un gouvernement s'appuyant sur les masses populaires et prenant des mesures contre la réaction.

Un gouvernement qui s'entende sans délai avec l'Union Soviétique pour le rétablissement de la Paix dans le monde. [...]

Le Parti communiste Français (SFIC) (1)

Signé « Le Parti communiste français (SFIC) », ce tract a été rédigé entre le 5 et le 10 juin 1940.

On peut déterminer cette période en s'appuyant sur le texte qui mentionne "les chars lourds qui marchent sur Paris" (offensive allemande du 5 juin 1940), signale la démission de "Daladier" (5 juin 1940) et fait référence à plusieurs reprises à "Mussolini" sans évoquer l'entrée en guerre de l'Italie (10 juin 1940).

Les revendications qui composent la dernière partie du tract ("Pour le rétablissement de la Paix et de la Liberté....") sont quasiment identiques à celles formulées dans l'Appel du PCF publié dans l'Humanité n° 47 du 17 mai 1940 sous le titre "Pour sauver notre pays et notre peuple de la misère de la ruine et de la mort".

Ajoutons que le titre du tract est aussi tiré de cet Appel comme l'atteste l'extrait suivant : "PEUPLE DE FRANCE ! Pour la paix, le pain, la liberté, l'indépendance, SOIS UNIS !".

Sur le fond, le tract "Pour la Paix, le Pain, la Liberté, l'Indépendance !" appelle à la formation d'un Gouvernement de Paix communiste.
 
On peut constater que cette revendication contient les quatre éléments qui formaient la proposition formulée par Maurice Thorez dans son article du 25 avril 1940 :
 
1) "un gouvernement s'appuyant sur les masses populaires"
2) "pour le rétablissement de la Paix dans le monde" (souligné deux fois dans le texte).
3) "Un gouvernement qui s'entende sans délai avec l'Union Soviétique".
4) "prenant des mesures contre la réaction".

(1) R. Bourderon, Le PCF à l'épreuve de la guerre, 1940-1943, 2012, pp. 38-40.


Partie V


"Pour sauver notre pays !"

En réaction à l'entrée en guerre de l'Italie aux côtés de l'Allemagne le 10 juin 1940 et à l'avancée des armées allemandes sur Paris, les communistes bordelais diffusent un tract intitulé "Pour sauver notre pays !".

Que propose le Parti communiste pour "sauver" la France des envahisseurs nazis et fascistes ? La réponse est contenue dans l'extrait suivant :

POUR SAUVER NOTRE PAYS !

[...]
Aujourd'hui, Hitler encercle Paris, et Mussolini, « l'ange de Paix » des munichois, a déclaré la guerre. [...]

PEUPLE DE FRANCE !

Pour sauver notre pays des désastres préparés par les deux cents familles et leurs Daladier, Blum, Flandin, écoute la voix du Parti communiste qui ne t'a jamais trompé, soutiens son action !

SOIS UNIS et LUTTE POUR UN GOUVERNEMENT S'APPUYANT SUR LES MASSES POPULAIRES, agissant contre le fascisme, la réaction et tous les traîtres à la classe ouvrière, capable de s'entendre sans délai avec l'Union Soviétique pour le rétablissement de la Paix dans le monde.

LE PARTI COMMUNISTE FRANCAIS (SFIC) (1)


Contenu
 
Signé « Le Parti communiste français (SFIC) », ce tract a été rédigé entre le 10 juin 1940 (entrée en guerre de l'Italie) et le 14 juin 1940 (entrée de l'armée allemande dans Paris)

Son titre et son contenu s'inspirent directement de l'Appel qui a été publié dans l'Humanité n° 47 du 17 mai 1940 sous le titre "Pour sauver notre pays et notre peuple de la misère de la ruine et de la mort" et dans lequel on pouvait lire le passage suivant :

"PEUPLE DE FRANCE ! Pour la paix, le pain, la liberté, l'indépendance, SOIS UNIS !
Lutte pour :
Un gouvernement de paix, s'appuyant sur les masses populaires, prenant des mesures contre la réaction, un gouvernement qui s'entende sans délai avec l'Union Soviétique pour le rétablissement de la Paix générale dans le monde."

Sur le fond, le tract "Pour sauver notre pays !" appelle à la formation d'un Gouvernement de Paix communiste.

On peut constater que cette revendication contient les quatre éléments qui formaient la proposition formulée par Maurice Thorez dans son article du 25 avril 1940 :

1) "UN GOUVERNEMENT S'APPUYANT SUR LES MASSES POPULAIRES".
2) "pour le rétablissement de la Paix dans le monde".
3) "capable de s'entendre sans délai avec l'Union Soviétique".
4) "agissant contre le fascisme, la réaction et tous les traîtres à la classe ouvrière".


Vérité historique alternative

Le contenu pacifiste du tract "Pour sauver notre pays !" ne fait aucun doute. Pourtant, l'historiographie officielle nous offre une vérité historique alternative.

Sa source : un livre de Charles Tillon publié en 1977 sous le titre On chantait rouge. Fait significatif, ce livre a été écrit après son exclusion du PCF en 1970. Conséquence, le récit de son action pendant la Seconde Guerre mondiale présente des différences substantielles avec son livre de 1962 intitulé Les FTP.

Dans On chantait rouge, après avoir rappelé qu'il dirigeait l'action du Parti communiste dans la région du Sud-Ouest, Charles Tillon affirme qu'à l'été 1940 il a appelé les Français à se mobiliser contre l'envahisseur allemand. Preuve supplémentaire de son courage, il indique que cette ligne politique était distincte de celle suivie par la direction centrale qui était soumise aux directives de l'IC et qui pour cette raison ne disait rien contre les Allemands comme l'illustrait, selon lui, l'Appel au "Peuple de France !" de juillet 1940 signé par Duclos et Thorez.

Pour prouver la réalité et de sa dissidence et de sa résistance, il mentionne trois documents qu'il a diffusés au cours de cette période : deux tracts rédigés le 11 juin et le 17 juin sans que soit précisé leur titre et une brochure - "L'ordre nouveau, c'est le fascisme hitlérien" - diffusée à la fin de juillet.

Les extraits cités permettent d'identifier ces trois documents qui sont respectivement : le tract "Pour sauver notre pays !", le tract "Appel de Charles Tillon (17 juin 1940)" et la brochure "Union du peuple pour libérer la France" (le titre indiqué par Tillon est celui du texte publié dans cette brochure).

Ces extraits ne reflètent pas le contenu réel des textes originaux puisque toutes les références à la Paix avec l'Allemagne ont été élimées. Ainsi, la rédaction d'un tract le 11 juin 1940 est évoquée en ces termes :

"Le 11 juin, j'avais écrit dans un tract : « Peuple de France, Hitler encercle Paris... Mussolini, l'ange de la paix des munichois, a déclaré la guerre au peuple... Pour sauver notre pays des désastres préparés par les deux cents familles, sois unis contre le fascisme et la réaction. »" (2).

Cet extrait correspond au tract "Pour sauver notre pays !". On notera qu'il y manque l'essentiel : l'appel à former un gouvernement communiste "capable de s'entendre sans délai avec l'Union Soviétique pour le rétablissement de la Paix dans le monde."

Rappelons que "le fascisme et la réaction" est une formule qui désigne tous les partisans de la guerre contre Hitler.
 
La preuve de la dissidence et de la résistance de l'ancien dirigeant communiste est donc fondée sur la falsification d'un tract pacifiste qui reprenait de surcroît des éléments essentiels de l'Humanité du 17 mai 1940 !!!

Pour souligner une fois de plus que Charles Tillon adhérait sans aucune équivoque à la ligne pacifiste du PCF, on citera un extrait de sa brochure d'août 1940 intitulée "Union du peuple pour libérer la France" dans lequel est évoqué l'Appel publié dans l'Humanité du 17 mai 1940 :

"La classe ouvrière n'oubliera pas qu'une autre issue aurait pu être trouvée pour la France, si tous les partis n'avaient pas ensemble, réprimé l'appel du Parti communiste qui demandait notamment en mai 1940 (par l'Humanité illégale et ses publications éditées au prix de tant d'abnégation) le rétablissement des libertés démocratiques, des mesures brisant la 5e colonne, un gouvernement sans traîtres, et capable de faire appel à l'Union Soviétique pour pratiquer une politique d'amitié confiante, permettant sa collaboration en faveur du rétablissement de la paix véritable dans le monde." (3)

Au vu de tous ces éléments, on comprendra pourquoi les historiens préfèrent s'appuyer sur les témoignages postérieurs à la guerre plutôt que sur les textes publiés pendant l'occupation allemande pour affirmer que les communistes ou des communistes se sont engagés dans la Résistance dès l'été 1940.

(1) R. Bourderon, Le PCF à l'épreuve de la guerre, 1940-1943, 2012, pp. 34-36 / Cahiers d'histoire de l'institut de recherches marxistes, n° 14, 3e trim. 1983, pp 155-157.
(2) C. Tillon, On chantait rouge, 1977 p. 300.
(3) R. Bourderon, op. cit., p. 57.


Partie VI


"Pour la défense de la liberté et de l'indépendance
Rassemblement"

Dans la soirée du 16 juin 1940, à Bordeaux, le président de la République, Albert Lebrun, nomme le Maréchal Pétain à la présidence du Conseil.

Le lendemain, en début d'après-midi, le nouveau président du Conseil  prononce à la radio une courte allocution dans laquelle il déclare qu'il faut mettre fin au conflit avec l'Allemagne avant d’annoncer qu'il est entré en contact avec le gouvernement allemand pour négocier un armistice.

En réaction à cette décision majeure annonçant la défaite de la France, les communistes bordelais diffusent un tract intitulé "Pour la défense de la liberté et de l'indépendance / Rassemblement".

Rédigé entre le 17 juin (demande d'armistice) et le 22 juin (signature de l'armistice), ce tract signé « Le parti communiste français (SFIC) » présente le contenu suivant :

POUR LA
DÉFENSE DE LA LIBERTÉ ET DE L’INDÉPENDANCE
RASSEMBLEMENT

[...]
Maintenant, ils ne pensent plus qu'au meilleur moyen de livrer la France à Hilter et Mussolini, comme ils leur ont livré les peuples de Tchécoslovaquie et d'Espagne[...]

Maintenant, ils négocient une paix fasciste. [...]

PEUPLE DE FRANCE, TRAVAILLEUR, TRAVAILLEUSES ! [...]

POUR SAUVER L'INDÉPENDANCE ET LA LIBERTÉ

Il faut immédiatement un gouvernement appuyé sur les masses populaires, brisant le complot fasciste de la réaction et faisant appel à l'URSS pour le rétablissement d'une Paix véritable dans le monde !" [...]

Le parti communiste français (SFIC) (1)

Un rapport du 14 juillet 1940 du ministère de l'Intérieur intitulé "Note sur les menées communistes" apporte les précisions suivantes quant à sa diffusion :

"La question des responsabilités, qui n'était qu'ébauchée dans les premiers tracts, est posée brutalement dans celui intitulé "Pour la Défense de la Liberté et de l'Indépendance, rassemblement !", qui circulait dans les usines de Bordeaux, dès le 21 juin." (2)

Sur le fond, le tract "Pour la Défense de la liberté et de l'indépendance / Rassemblement" accuse le Gouvernement Pétain, représentant des oligarchies capitalistes, de négocier avec les Allemands une "paix fasciste".

Quelle est l'alternative à cette paix fasciste ? La Résistance ? Absolument pas puisque les communistes appellent encore une fois à la constitution d'un Gouvernement de Paix communiste.
 
On peut constater que cette revendication contient les quatre éléments qui formaient la proposition formulée par Maurice Thorez dans son article du 25 avril 1940 :
 
1)"un gouvernement appuyé sur les masses populaires".
2) "pour le rétablissement d'une Paix véritable dans le monde" (souligné deux fois dans le texte).
3) "faisant appel à l'URSS".
4) "brisant le complot fasciste de la réaction".

Deux remarques. Tout d'abord, le Parti communiste plaide pour une "paix véritable" pour bien marquer la différence entre son projet pacifiste et celui du Maréchal Pétain ("paix fasciste")
 
Ensuite, on notera que l'accusation de fascisme vise aussi bien les bellicistes que les pacifistes qui ne sont pas communistes.
 
Pour terminer on signalera que la phrase "Maintenant, ils ne pensent plus qu'au meilleur moyen de livrer la France à Hitler et Mussolini comme ils leur ont livré les peuples de Tchécoslovaquie et d'Espagne" permet d'établir non seulement une parenté et mais aussi un lien d'antériorité avec "l'Appel au Peuple de France" dans lequel on peut lire :

"Ils ont livré à HITLER et à MUSSOLINI : l’ESPAGNE, l'AUTRICHE, l’ALBANIE et la TCHECOSLOVAQUIE. [...]
ET MAINTENANT, ils LIVRENT LA FRANCE."

(1) R. Bourderon, Le PCF à l'épreuve de la guerre, 1940-1943, 2012pp. 45-47.
(2) D. Peschanski, Vichy 1940-1944 Archives de guerre d'Angelo Tasca, p. 358.


Partie VII


"Appel au Peuple de France"

A la fin de juin 1940 ou au début de juillet 1940, en réaction à l'armistice franco-allemand signé le 22 juin, les communistes bordelais ont diffusé un "Appel au Peuple de France".

Un exemplaire de ce tract est conservé aux Archives départementale de la Gironde. On en reproduira le contenu :

APPEL
AU PEUPLE DE FRANCE

Ils avaient livré à HITLER et à MUSSOLINI : l’ESPAGNE, l'AUTRICHE, l’ALBANIE et la TCHECOSLOVAQUIE.
La grande force de Paix qu'est l'UNION SOVIETIQUE était repoussée

ET MAINTENANT, ils LIVRENT LA FRANCE.

Les incapables, les veulent, les vendus à Hitler voudraient esquiver les responsabilités.

ILS ONT TOUS TRAHIS : les gouvernants ont toujours agi contre le peuple .

Après avoir emprisonné plus de quinze mille travailleurs,
Après avoir livré les armées du Nord et de l'Est,
Après avoir livré Paris, ses usines, ses ouvriers,
Ils jugent pouvoir avec le concours d'HITLER, livrer le pays tout entier au fascisme.
Mais le peuple français ne veut pas de l'esclavage, de la misère et du fascisme, pas plus qu’il n’a voulu la guerre des capitalistes.

Il est le NOMBRE : uni, il sera la FORCE.

Notre PARTI COMMUNISTE FRANÇAIS toujours vivant malgré la répression, fait appel aux traditions françaises de liberté et d'indépendance.

IL FAUT QUE LE PEUPLE TOUT ENTIER SE DRESSE.

Pour l’arrestation immédiate des traîtres,
Pour un gouvernement populaire s’appuyant sur les masses, libérant les travailleurs, rétablissant la légalité du PARTI COMMUNISTE, luttant contre le fascisme hitlérien et les 200 familles, s’entendant avec l’URSS pour une paix équitable, luttant pour l'indépendance nationale et prenant des mesures contre les organisations fascistes,
Peuple des usines, des champs, des magasins, des bureaux,
Commerçants, artisans et intellectuels,
Soldats, marins, aviateurs encore sous les armes,

UNISSEZ VOUS DANS L’ACTIONS

LE PARTI COMMUNISTE FRANÇAIS (1)


Revendication

Cet appel plaidait pour un Gouvernement de Paix communiste.

On peut constater que cette revendication contient les quatre éléments qui formaient la proposition formulée par Maurice Thorez dans son article du 25 avril 1940 :

1) "un gouvernement populaire s’appuyant sur les masses".
2) "une paix équitable". 
3) "s'entendant avec l'URSS"
4) "luttant contre le fascisme hitlérien et les 200 familles".

Y avait-t-il une contradiction entre l'engagement de négocier avec Hitler "une paix équitable" dans le cadre du Pacte germano-soviétique et celui de lutter contre le "fascisme hitlérien" ? La réponse est non. Le "fascisme hitlérien" désignait... le Gouvernement Pétain et non l'envahisseur allemand. Une preuve pour les sceptiques : la brochure "Union du peuple pour libérer la France" d'août 1940. Dans cette publication, Charles Tillon décrivait le Gouvernement Pétain en ces termes : "l'Ordre nouveau du gouvernement de la 5e colonne, c'est le fascisme hitlérien !" (3)

(1) R. Bourderon, Le PCF à l'épreuve de la guerre, 1940-1943, 2012, p. 41.
(2) C. Tillon, Les FTP, 1962. p. 29.
(3) R. Bourderon, op. cit., p. 48.


Auteur

On peut attribuer la rédaction de ce texte à Charles Tillon. Membre du Comité central du PCF, ce dernier était en juin 1940 le responsable inter-régional pour tout le Sud-Ouest.
 
Autre argument : dans ses livres On chantait rouge (1977) et FTP soldats sans uniforme (1991), il a revendiqué la rédaction d'un texte dont le contenu se rapproche de ce tract.


Date de rédaction

En s'appuyant sur le contenu du tract, on peut établir qu'il été a rédigé après le 22 juin 1940.

Tout d'abord, le texte fait référence à l'armistice franco-allemand signé le 22 juin 1940 à Rethondes : "ET MAINTENANT, ils LIVRENT LA FRANCE".

Il mentionne aussi la capitulation des armées de l'Est le 22 juin 1940, initiative prise par le Général Condé au vu de la situation militaire : "Après avoir livré les armées du Nord et de l'Est".

Enfin, le passage "Ils ont livré à HITLER et à MUSSOLINI : l’ESPAGNE, l'AUTRICHE, l’ALBANIE et la TCHECOSLOVAQUIE. [...] ET MAINTENANT, ils LIVRENT LA FRANCE." permet d'établir une parenté et un lien de postériorité avec le tract "Pour la Défense de la liberté et de l'Indépendance / Rassemblement" qui a été diffusé pendant les négociations de l'armistice et dans lequel on pouvait lire : "Maintenant, ils ne pensent plus qu'au meilleur moyen de livrer la France à Hitler et Mussolini, comme ils leur ont livré les peuples de Tchécoslovaquie et d'Espagne".


Date de diffusion

Une certitude sur la date diffusion du tract : elle est postérieure au 22 juin 1940. La fin juin de 1940 peut-être une hypothèse.

Autre hypothèse, dans Les FTP (1962), Charles Tillon affirme que les communistes bordelais ont diffusé "quelques jours" après l'entrée des troupes allemandes dans Bordeaux "un appel au travailleurs" que l'on peut consulter aux "Archives dép. de la Gironde" (2). En se basant sur ce témoignage et sur une entrée des troupes allemandes dans Bordeaux le 30 juin, le tract  "Appel au Peuple de France" aurait été diffusé au début de juillet 1940.




Partie VIII


Charles Tillon, l'historien pas vraiment historien

Charles Tillon a témoigné de son action au cours de la Seconde Guerre mondiale dans Les FTP (1962) et dans deux livres publiés après son exclusion du PCF en 1970 : On chantait rouge (1977) et Les FTP, soldats sans uniforme (1991).

Le traitement réservé au tract "Appel au peuple de France" prouve que la vérité historique n'était pas une motivation de l'auteur.


Une première version de l'histoire

Dans Les FTP, défendant la thèse que le Parti communiste s'est engagé dans la Résistance dès l'été 1940, Charles Tillon évoque l'action des communistes bordelais et notamment la diffusion d'un "appel aux travailleurs" dans les jours qui ont suivi l'entrée des Allemands dans Bordeaux :

"Quelque jours plus tard, un appel aux travailleurs fut diffusé dans la région, qui insistait sur la nécessité du combat immédiat contre contre le fascisme hitlérien, comme moyen d'ouvrir la voie à la libération nationale. (Archives dép. de la Gironde)." (1)

Il ne précise pas le titre du tract et ne reproduit aucun extrait.

Les date et lieu de diffusion, le type de tract, le contenu et la mention de l'établissement qui l'a archivé permettent d'affirmer que le document décrit correspond au tract "Appel au Peuple de France".

Dans sa description, l'auteur ne fait aucune référence à la "paix équitable" et cite seulement la lutte contre le "fascisme hitlérien" en laissant croire volontairement que cette formule vise les Allemands alors qu'elle désigne le Gouvernement Pétain.
 
La preuve de la Résistance des communistes bordelais est donc fondée sur une description fallacieuse du texte original.


Une seconde version de l'histoire

Dans On chantait rouge et Les FTP, soldats sans uniforme, en rupture avec le PCF, Charles Tillon affirme qu'à l'été 1940 il a organisé la Résistance communiste dans la région de Bordeaux et que de fait il s'est émancipé de la direction centrale du Parti qui était soumise à l'IC et à ses consignes respectueuses du Pacte germano-soviétique, et qui avait même tenté de reprendre une activité légale dans les premières semaines de l'occupation.

Pour étayer ces affirmations, il cite des extraits de trois documents : deux tracts rédigés le 10 et le 17 juin et une brochure préparée au mois de juillet.

Un fac-similé du second tract est publié dans Les FTP, soldats sans uniforme. Son titre : "Appel de Charles Tillon (17 juin 1940)".

On peut constater en le lisant que ce tract est en fait une version altérée tant sur la forme que sur le fond du tract "Appel au peuple de France".

Point central du texte, l'extrait suivant :

"Pour un gouvernement populaire s’appuyant sur les masses, libérant les travailleurs, établissant la légalité du parti communiste, LUTTANT CONTRE LE FASCISME HITLERIEN et les 200 familles, s’entendant avec l’URSS pour une Paix équitable, luttant pour l’indépendance nationale et prenant des mesures contre les organisations fascistes."

Sur la forme le texte a subi une modification substantielle avec la mise en majuscules du passage suivant : "luttant contre le fascisme hitlérien". Cette modification est l'une des plus importantes altérations du tract original. Sa finalité : faire de ce tract un appel à la Résistance en mettant en valeur la lutte contre le fascisme hitlérien. L'efficacité de l'altération suppose de considérer comme le veut Charles Tillon que le fascisme hitlérien fait référence aux Allemands et non au Gouvernement Pétain.

En revanche, l'auteur ne fournit aucune explication sur la présence dans le texte d'un appel à négocier une "paix équitable" avec Hitler !!!

Doit-on en conclure que les communistes ont inventé l'appel à la Résistance pacifiste ?

Dans cette nouvelle histoire alternative, l'appel pacifiste de la fin de juin 1940 du PCF est donc devenu un appel à la Résistance, un appel personnel de Charles Tillon et enfin un appel antérieur à celui du général de Gaulle.

Mieux, le mensonge est devenu vérité historique. D'ailleurs, le tract "Appel de Charles Tillon (17 juin 1940)" est le document de référence pour tous ceux qui défendent la thèse que les communistes non seulement se sont engagés dans la Résistance dès l'été 1940 mais en plus qu'ils sont les premiers Résistants !!!

(1) C. Tillon, Les FTP, 1962. p. 29.