MENU
Affichage des articles dont le libellé est Humanité légale. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Humanité légale. Afficher tous les articles

Négociations de l'été 1940 entre le PCF et les nazis

A l'été 1940, dans une France occupée par les nazis, sur des Instructions de l'Internationale communiste, le Parti communiste a mené au mois trois négociations avec les autorités allemandes dans le but d'obtenir la légalisation de ses activités.

La première s'est tenue les 18, 19 et 20 juin 1940, autrement dit avant même la signature de l'armistice franco-allemand et donc l'arrêt des combats, entre une militante communiste et la Propoganda Staffel Frankreich avec pour unique objet la reparution de l'Humanité dont la publication avait été suspendue le 26 août 1939 en raison de son soutien... au Pacte germano-soviétique.

La deuxème s'est déroulée entre le 26 juin et le 27 août 1940 entre Robert Foissin, avocat communiste, et Otto Abetz, le représentant d'Hitler en France. Deux dirigeants communistes ont participé à cette négociation qui a eu pour cadre l'ambassade d'Allemagne. Elle a porté sur la reparution de l'Humanité puis celle de Ce Soir. Autres sujets évoqués : la libération des militants communistes détenus ou internés pour avoir défendu la Paix, le retour dans leurs fonctions électives des élus communistes déchus de leur mandat et plus particulièrement le rétablissement des municipalités communistes et enfin la légalisation des Comités populaires comme les Comités populaires d'entr'aide et de solidarité qui visaient à organiser, à l'échelle locale, le ravitaillement des populations ou encore les Comités populaires d'usine, appelés aussi Comité populaires d'entreprise, qui rassemblaient les personnels d'une entreprise en vue d'assumer deux fonctions : ravitailler en vivre les familles du personnel et remettre l'entreprise en activité. Au cours de ces pourparlers, les deux parties ont même discuté d'un... gouvernement communiste dans la zone nord. Ce dernier point a suscité une vigoureuse réaction de l'IC qui a demandé l'arrêt immédiat des négociations avec Abetz et rappellé qu'elle n'avait autorisé que des pourparlers avec l'admnistration militaire sur des points précis et à la seule condition qu'ils ne fussent menés que par des militants.

La troisième engagée à la mi-août visait à la légalisation de La Vie Ouvrière et n'a duré que quelques jours.

Les négociations entre les nazis et les communistes ont pris fin le 27 août 1940 avec la décision du PCF de ne pas les poursuivre. Deux raisons expliquent cette décision. Tout d'abord, l'absence de résultat, à l'exception de la libération des militants communistes détenus dans la zone occupée. Ensuite, une virulente critique de l'IC motivée par le comportement des communistes français qui étaient totalement sortis du cadre fixé en acceptant de discuter avec Abetz d'un gouvernement révolutionnaire à Paris. Pour expier la dérive dénoncée par l'IC, le Parti communiste a exclu Robert Foissin au mois de septembre. Cette décsion a été immédiatement annoncée dans un numéro de l'Humanité. Pour justifier cette exclusion la déclaration du Parti mettait en avant la collusion du militant avec un journal pro-allemand La France au Travail. Dire le véritable motif c'était reconnaître la réalité des négociations entre les communistes et Abetz.

Les négociations de l'été 1940 constituent une preuve incontestable de... la Résistance communiste. 
 
Ces négociations n'ont jamais été évoquées dans les publications communistes à l'exception d'une brochure diffusée en janvier 1941 sous le titre "Nous accusons".

Dans cette brochure rédigée en grande partie en octobre 1940, après avoir fait le procès... du bellicisme des gouvernements français pendant la guerre de 1939-1940 et célébrer dans le même temps son action en faveur de la Paix, le Parti communiste s'exprime sur le sujet dans les dernières pages consacrées à la période de l'occupation.

Il expose tout d'abord les motifs pour lesquels les négociations entre les communistes et les nazis étaient tout à fait légitimes et justifiées :

"[...] Le parti qui a lutté contre le Traité de Versailles, pour la fraternité des peuples français et allemand, contre la guerre impérialiste, a gardé le front haut. Et, le front haut, il réclame la restitution des droits qui lui on été ravis... Les dirigeants du Reich avaient affirmé au peuple allemand que la guerre leur avait été imposé par les gouvernements de Londres et de Paris. Ils avaient ajoutés que l'armée allemande n'avait pas d'autre ennemi que la ploutocratie occidentale. Ils avaient dit encore que l'Allemagne se félicite d'entretenir, depuis le 23 août 1939, des relations de bon voisinage avec l'URSS. (1)

Il poursuit en rappelant ses demandes et en regrettant que les autorités allemandes ne les aient pas satisfaites :

"A quoi les communistes français répliquaient : s'il en ainsi, accordez vos actes et vos paroles. Des milliers d'hommes sont dans les prisons et dans les camps parce qu'ils ont lutté contre la guerre : qu'on les libère ! Des municipalités ont été destitués parce qu'elles étaient dirigées par les adversaires les plus déterminés de la ploutocratie française : qu'on réinstalle les municipalités ouvrières ! Des journaux on été supprimés parce qu'ils ont approuvé le Pacte soviéto-allemand : qu'on restitue le droit à la parution légale à l'Humanité, à Ce Soir, à l'Avant-Garde, à la Vie Ouvrière, à la revue Russie d'aujourd'hui.
Et ce langage des communistes était le seul digne, et du peuple français, et du peuple allemand.
Il n'a pas été entendu des Autorités occupantes." (2)

Citons un dernier extrait dans lequel il dénonce l'incohérence des Allemands qui ont autorisé la parution de journaux qui étaient bellicistes pendant la guerre de 1939-1940 et qui continuent de refuser ce droit à la presse communiste qui était pacifiste :

"Avec la permission des Autorités occupantes, le Matin, du colonel Fabry; Paris-Soir, du ploutocrate Prouvost; l’Œuvre, qui avait été l'organe de la présidence du Conseil pendant neuf mois, ces feuilles qui durant la guerre n'avaient cessé de prêcher la haine contre le peuple allemand, de préconiser l'extermination du peuple allemand, la soumission de la France aux visées des conservateurs britanniques ont reparu dans la zone occupée. [...]
Mais l'Humanité, Ce Soir, la Vie ouvrière, l'Avant-Garde, Russie d'aujourd'hui, les organes des défenseurs de la paix, des champions de la fraternisation des peuples, demeurent interdits. Les diffuseurs des éditions illégales de ces journaux sont chaque jour arrêtés et jetés en prison". (3)

Toutes ces déclarations ne sont pas dans les livres d'histoire...

A la Libération, le Parti communiste a été rapidement mis en cause pour ses relations avec les Allemands à l'été 1940 au sein même du Parlement et particulièrement aux séances de la 2e Assemblée nationale constituante des 4 et 18 juillet 1946 ou encore à  celle de l'Assemblée nationale du 4 décembre 1947.

A chaque fois les communistes ont répondu que les accusations de leurs adversaires étaient des calomnies et que les documents cités étaient des faux.

Changement d'attitude en 1967 avec la publication d'un livre intitulé Le Parti communiste français dans la Résistance. Dans ce livre le Parti communiste indique qu'en juin 1940 des militants ont pris l'initiative malheureuse de demander à la puissance occupante l'autorisation de publier l'Humanité et que ces militants ont été rapidement sanctionnée pour cette faute.

Si la position adoptée en 1967 ne nie plus la réalité des contacts entre les communistes et les Allemands au début de l'occupation, elle en minimise la gravité :

1) en les limitant à la seule reparution de l'Humanité,
2) en les attribuant à une initiative malheureuse de militants de bonne foi.
3) et surtout en écartant toute responsabilité de l'IC et de la direction du PCF de l'époque qu'elle soit à Moscou (Thorez) ou à Paris (Duclos).

On développera tous ces points en exposant la situation de la France à l'été 1940 (I), en décrivant les trois négociations que le Parti communiste a menée avec les autorités allemandes au cours de cette période (II), en consacrant un développement à la brochure de janvier 1941 intitulé "Nous accusons" et enfin on évoquant les polémiques de 1946 et de 1947 au Parlement (IV).

(1) Brochure "Nous accusons" de janvier 1941, p. 42 (site pandor)
(2) Ibid., pp. 42-43.
(3) Ibid. p. 43.


Partie I

Gouvernement Pétain

Le 16 juin 1940, réfugié dans la ville de Bordeaux depuis deux jours, le Gouvernement Reynaud démissionne à 22 heures au terme d'un Conseil des ministres au cours duquel se sont une nouvelle fois affrontés opposants et partisans de l'armistice.

A la tête de ceux qui veulent mettre fin au conflit avec l'Allemagne : le Maréchal Pétain, vice-président du Conseil et ministre d'Etat. Ce dernier est aussitôt chargé par le Président de la République de former un nouveau gouvernement. Dans ce Gouvernement de Paix qui sera formé en moins d'une heure entreront avec l'accord de Léon Blum deux socialistes qui étaient membres du cabinet démissionnaire : André Février et Albert Rivière.

Parmi ceux qui veulent continuer de se battre contre les Allemands : le Général de Gaulle, sous-secrétaire d'Etat à la Défense nationale et à la Guerre attaché à la présidence du Conseil. Après s'être illustré dans les combats contre la Wehrmacht à la tête de la 4e Division Cuirassée, ce dernier a rejoint le gouvernement le 5 juin 1940 pour servir de conseiller militaire au président du Conseil. N'ayant pas une fonction ministérielle, il n'assiste jamais au Conseil des ministres. En mission en Angleterre, il apprendra la démission du gouvernement à son retour à Bordeaux dans la soirée. Après la constitution dans la nuit d'un cabinet marquant la victoire du clan des défaitistes, il décide le lendemain matin de repartir pour Londres. Il s'embarquera dans l'avion ramenant en Angleterre l'envoyé spécial de Churchill, le Général Spears.


Demande d'armistice

Le 17 juin, en début d'après-midi, le nouveau président du Conseil prononce à la radio une courte allocution dans laquelle il déclare qu'il faut mettre fin au conflit avec l'Allemagne ("il faut cesser le combat") avant d’annoncer qu'il est entré en contact avec le gouvernement allemand pour négocier un armistice.

Illustration de l'alliance germano-soviétique, quelques heures après cette annonce, Viatcheslav Molotov, président du Conseil et commissaire du peuple aux Affaires étrangères, convoque l'ambassadeur allemand à Moscou, Friedrich Werner von der Schulenburg, pour lui exprimer "les plus chaleureuses félicitations du Gouvernement soviétique pour le magnifique succès des forces armées allemandes". (Télégramme n° 1167 du 17 juin 1940)

Le lendemain, à Londres, le Général de Gaulle s'exprime à la BBC pour condamner l'initiative pétainiste et appeler les Français à poursuivre le combat contre l'envahisseur allemand. L'Appel du 18 juin 1940 marque le refus de tout armistice avec le régime hitlérien. Il est l'acte fondateur de la Résistance française : "Quoi qu'il arrive, la flamme de la résistance française ne doit pas s'éteindre et ne s'éteindra pas".


Parti communiste français

Jacques Duclos, secrétaire du PCF, et Maurice Tréand, membre du Comité central et responsable de la Commission des cadres, arrivent à Paris le 15 juin 1940 soit le lendemain de l'entrée des troupes allemandes dans la capitale.

La veille, ils ont quitté Bruxelles où ils étaient réfugiés depuis octobre 1939. Particularité de la capitale belge : la présence d'une antenne de l'Internationale communiste qui est dirigée par Eugen Fried et dont la mission est de contrôler les partis communistes d'Europe occidentale.

Motivé par un télégramme de Moscou reçu quelques jours après l'invasion de la Belgique par les armées allemandes le 10 mai 1940, ce départ a été retardé pour des raisons de sécurité.

A son arrivée, Jacques Duclos prend la direction du Parti communiste clandestin en raison des absences de Maurice Thorez et de Benoît Frachon.

Secrétaire général du PCF, le premier s'est réfugié en Russie après sa désertion en octobre 1939 et un court séjour en Belgique. Responsable du Parti depuis octobre 1939, le second a quitté Paris avant l'arrivée des Allemands.

Sur la base des consignes orales d'Eugen Fried qui seront confirmées par une Directive de l'IC en date du 22 juin 1940, le Parti communiste s'engage rapidement dans des négociations avec les autorités allemandes pour obtenir la légalisation de ses activités qui ont été interdites par un décret-loi daté du 26 septembre 1939.


Partie II

Négociations des 18, 19 et 20 juin 1940

Engagée avant même la signature de l'armistice franco-allemand autrement dit avant même l'arrêt des combats, la première négociation entre le Parti communiste et les envahisseurs allemands s'est tenue les 18, 19 et 20 juin 1940. 

Répondant à des Instructions de l'Internationale communiste, cette négociation a eu pour unique objet la reparution de l'Humanité dont la publication avait été suspendue le 26 août 1939 en raison de son soutien... au Pacte germano-soviétique.

Elle a pris la forme de plusieurs rencontres entre une militante communiste, Denise Ginollin, et un officier de la Propaganda Staffel Frankreich, le lieutenant Weber.

Cette militante a agi sur les ordres de Maurice Tréand, adjoint de Jacques Duclos, chef du Parti communiste clandestin.

Le 20 juin, après avoir obtenu à 16 heures l'autorisation de publier l'Humanité et soumis à 18 heures les articles devant paraître dans le premier numéro de l'Humanité légale, Denise Ginollin, munie d'un laissez-passer signé par le lieutenant Weber, devait revenir à 22 heures pour obtenir le visa définitif de la Kommandantur sur les modifications demandées.

A 20 h 30 près du Métro Saint-Martin, la militante communiste a rencontré comme prévu Maurice Tréand et Jeanne Schrodt pour faire le point sur les négociations.

C'est à ce moment qu'ils ont été arrêtés par la police française qui les soupçonnaient de vouloir faire reparaître l'Humanité.

Sans nouvelles de Denise Ginollin, le lieutenant Weber, passé le délai d'une heure qu'il avait accordé, a informé l'Etat-major que l'Humanité ne paraîtrait pas le lendemain :

"Le 20 juin à 23 heures, l'envoyé de l'Humanité n'ayant pas présenté les modifications demandées, ce journal ne paraîtra pas le 21 juin". (1)

C'est donc l'intervention de la police française qui a empêché la parution du premier numéro de l'Humanité sous censure allemande !!!

Le 21 juin, les trois suspects et une quatrième personne arrêtée le jour même, Valentine Grunenberger, ont été auditionnés par le commissaire Lafont. Le lendemain, sur la décision du Juge Pihier, Maurice Tréand et les trois militantes ont été incarcérés respectivement à la Santé et à la Petite Roquette.

(1) Jean-Pierre Besse, Claude Pennetier, Juin 40, la négociation secrète, 2006. p. 57.


Deuxième et troisième négociations

Lettre du 26 juin 1940

Le 27 juin 1940, soit cinq jours après la signature de l'armistice franco-allemand, le Parti communiste remet aux autorités allemandes une lettre dans laquelle il demande "l'autorisation de publier l'Humanité", la libération des "militants communistes emprisonnés ou internés dans des camps de concentration" pour avoir défendu la Paix et enfin le retour dans leurs fonctions électives des élus communistes déchus de leur mandat pour avoir, "envers et contre tous, défendu le pacte germano-soviétique".

Ayant pour objet principal la demande de reparution de l'Humanité, cette lettre datée du 26 juin 1940 porte les signatures de deux membres du Comité central du Parti communiste français : Maurice Tréand et Jean Catelas.

Elle a été rédigée dans l'après-midi du 26 à la suite d'une réunion qui s'est tenue dans la matinée à l'ambassade d'Allemagne et au cours de laquelle les deux dirigeants communistes ont rencontré Otto Abetz, le représentant d'Hitler en France.

Cette rencontre surprenante a été la contrepartie communiste à l'intervention d'Otto Abetz en faveur de la libération de Maurice Tréand et de trois de ses camarades qui avaient été arrêtés par la police française pour leur implication dans les négociations des 18, 19 et 20 juin.

Elle a marqué le début de la deuxième négociation entre le Parti communiste et les nazis.

Le représentant du Parti communiste dans ces nouveaux pourparlers sera Robert Foissin. Avocat de profession, il assiste sur le plan juridique l'ambassade soviétique depuis plus de dix ans. En charge de la défense de ses camarades arrêtés par la police française les 20 et 21 juin, il avait sollicité l'intervention d'Otto Abetz. Ce fut un succès.

L'Humanité

Sur le point particulier de l'Humanité, cette deuxième négociation prendra fin le 4 juillet sur un échec comme la première mais pour des motifs différents.

Dans le cas présent, les Allemands expliqueront aux communistes que pour des raisons politiques ils ne peuvent laisser paraître l'Humanité et qu'un journal communiste ne sera autorisé qu'à la condition de changer de titre. Après le lancement d'un quotidien du matin sur le modèle de l'Humanité ayant pour titre La France au Travail, les Allemands poseront une deuxième condition : une parution le soir.

Déterminé à obtenir la légalisation de son organe central, le Parti communiste proposera de faire paraître l'Humanité le soir sous le titre l'Humanité du soir. Nouveau refus.

Au final, il cèdera aussi à la seconde exigence allemande et demandera l'autorisation de reprendre la publication de Ce Soir, le quotidien communiste du soir.

Ce Soir

Les efforts et les concessions des communistes sont rapidement récompensés. En effet, dès le 5 juillet, Abetz invite Foissin à l'ambassade pour discuter de la publication de Ce Soir. Au terme de cette discussion, le diplomate allemand lui demande de préparer le premier numéro.

Les deux parties se retrouvent le 6 juillet pour une nouvelle conférence. Deux faits marquants dans cette réunion. Tout d'abord Foissin présente à Abetz la personne que le Parti communiste a désigné pour diriger Ce Soir : Jules Dumont (le colonel Dumont). Ensuite, conformément à sa demande, il lui remet la morasse (page imprimée) du premier numéro de Ce Soir. Ce numéro qui doit être soumis à la censure allemande porte la date du lundi 8 juillet 1940.

Ce numéro se compose de six articles, d'un espace réservé au "Communiqué" officiel allemand et d'un autre plus réduit pour les "Echos et informations".

L'éditorial intitulé "Dix mois d'interdiction" rappelle les raisons de l'interdiction du quotidien communiste et annonce une heureuse nouvelle :

"Ce Soir, journal indépendant, qui mena de courageuses campagnes pour défendre le peuple de France, fut interdit, en même temps que l'Humanité, pour avoir approuvé le pacte germano-soviétique et servi par cela même la cause de la paix. [...]
Aujourd'hui, après dix mois d'interdiction, Ce Soir a obtenu l'autorisation de reparaître". (1)

Peut-on dire qu'il y a un lien de causalité entre ces deux événements ?

Le 8 juillet, sans réponse des Allemands concernant la reparution de Ce Soir, Foissin évoque le sujet avec Picard, un agent d'Abetz. Démarche identique le lendemain.

Le 12 juillet, preuve de la détermination des communistes, Foissin rencontre Abetz pour lui manifester l'impatience de ses camarades et lui demander de les recevoir dans la journée.

L'entrevue aura lieu le lendemain à l'ambassade. Abetz sera accompagné d'un représentant de la Propaganda Staffel : Maass. Cette deuxième rencontre entre des dirigeants communistes et des officiels allemands constitue une nouvelle preuve de... la Résistance communiste.

Le 19 juillet, le jour même du discours d'Hitler célébrant devant le Reichstag la victoire de l'Allemagne contre son ennemi héréditaire : la France, Maass annonce à Tréand que Ce Soir est autorisé à paraître. L'entretien porte sur plusieurs sujets ainsi qu'une surprenante proposition de l'Allemand. Constatant que les communistes viennent de diffuser un tract reproduisant la lettre des députés communistes du 1er octobre 1939 appelant à la Paix, Maass les invitent à recommencer l'opération en suggérant un plus grand tirage et un petit changement : l'ajout d'extraits du discours d'Hitler !!! Preuve du traitement privilégié accordé aux communistes, cette troisième rencontre entre un dirigeant communiste et un officiel allemand a lieu au domicile de Robert Foissin.

Abetz

Le 20 juillet, Abetz quitte Paris. Il a été convoqué par Joachim Ribbentrop pour rendre compte de la situation en France. Il sera absent pendant plus de deux semaines. En attendant les décisions qui seront prises à Berlin par le ministre des Affaires étrangères et... le Führer, Adolf Hitler, les relations avec les communistes sont gelées.

Les sujets en suspens sont l'autorisation d'un journal communiste, la possibilité pour les communistes de s'exprimer par voie d'affiche, la libération des militants communistes détenus en zone occupée et.. en zone non occupée, le rétablissement des municipalités communistes et enfin la légalisation des comités populaires.

Directive de l'IC du 5 août 1940

Le 5 août, sur la base notamment d'un rapport de Tréand décrivant sa rencontre du 19 juillet avec Maass et d'un compte rendu fait par Foissin au chargé d'affaires russe dans lequel il indiquait que les négociations avec Abetz portaient aussi sur la constitution d'un gouvernement révolutionnaire dans la zone nord, l'Internationale communiste adopte une Directive qui montre que le comportement des communistes français a suscité à Moscou la consternation, l'inquiétude et la sidération.

Dans ce texte, l'IC rappelle une nouvelle fois que les dirigeants communistes ne doivent pas participer aux négociations avec les Allemands, dénonce Abetz et ses manœuvres qui mettent en danger le Parti et enfin après avoir déclaré que toute négociation politique était une trahison accuse Foissin d'être un agent des occupants.

Au final, l'IC exige l'arrêt immédiat des négociations avec Abetz. Elle demande aussi au Parti communiste de poursuivre ses efforts pour la légalisation de la presse ouvrière en s'appuyant uniquement sur des militants et en limitant au strict nécessaire les contacts avec les autorités militaires allemandes. 

La Vie Ouvrière

A la mi-août, suivant les instructions de l'IC, les communistes initient une nouvelle démarche auprès de la Propaganda Staffel pour faire reparaître La Vie ouvrière, journal de la CGT de tendance communiste. Cette troisième négociation se soldera rapidement par un échec avec le rejet du numéro soumis à la censure.

Télégramme du PCF du 21 août 1940

Le 21 août, le Parti communiste répond à l'IC en indiquant qu'il a mis fin aux pourparlers avec Abetz et en niant avoir mené une quelconque négociation politique avec ce dernier.

Dans les faits les négociations avec le dignitaire nazi se poursuivent pendant quelques jours pour connaître les contre-propositions allemandes.

Contre-propositions allemandes

Le 22 août, plus de deux semaines après son retour à Paris avec le rang d'ambassadeur, Abetz invite Foissin à passer à l'ambassade. Après s'être excusé de n'avoir pu le recevoir plus tôt, l'ambassadeur allemand lui annonce le résultat de ses conversations avec Ribbentrop et Hitler. En suivant une note de l'avocat communiste en date du 7 novembre 1944, ces annonces ont été les suivantes :

"1° Accord sur le développement du mouvement des comités d'entreprise.
2° Impossibilité de la reparution de Ce Soir trop marqué par sa position lors de la guerre d'Espagne mais entrée à "La France au Travail" qui sera profondément remaniée.
3° Accord sur la libération des détenus de la zone non occupée." (2)

Le 25, Foissin transmet les contre-propositions allemandes à Catelas qui lui demande de prendre rendez-vous avec Abetz pour le 27 août.

Fin des négociations

Le 27 août, le dirigeant communiste ne se présente pas chez Foissin qui l'attend pour se rendre à l'ambassade.

Ce fait marque la fin non seulement de la deuxième négociation entre le PCF et les Allemands mais aussi des relations entre les deux parties. D'une durée de deux mois, concomitante à la troisième démarche concernant la Vie Ouvrière, visant à la légalisation des activités du PCF, portant même sur un gouvernement communiste dans la zone nord, cette deuxième négociation aura été un échec à l'exception de la libération des militants communistes détenus dans la zone occupée.

Le 31, Foissin est exclu du PCF sur les ordres de Moscou (Thorez). On lui reproche ses discussions avec Abetz sur un gouvernement révolutionnaire à Paris. Son exclusion sera annoncée dans un numéro spécial de l'Humanité en date du 27 septembre 1940 avec comme motif sa participation à la France au Travail. Donner le véritable motif c'était reconnaître la réalité des négociations avec les Allemands.

(1) Cahiers d'histoire de l'IRM n° 14, 1983 p. 168.
(2) Crémieux Francis, Estager Jacques, Sur le Parti 1939-1940, 1983, p. 354.


Partie III

Brochure "Nous accusons"

Diffusée en janvier 1941 à 20 000 exemplaire, la brochure "Nous accusons" est l'une des rares publications du Parti communiste évoquant les négociations de l'été 1940.

Rédigée en octobre 1940, cette brochure de 48 pages est un véritable réquisitoire contre... le gouvernement français et son bellicisme pendant la guerre de 1939-1940. Il est aussi - à l'inverse - une célébration du Parti communiste et de son combat pour la Paix.

Consacrées à la période de l'occupation, les dernières pages reviennent sur les négociations de l'été 1940 :

"[...] Le parti qui a lutté contre le Traité de Versailles, pour la fraternité des peuples français et allemand, contre la guerre impérialiste, a gardé le front haut. Et, le front haut, il réclame la restitution des droits qui lui on été ravis... Les dirigeants du Reich avaient affirmé au peuple allemand que la guerre leur avait été imposé par les gouvernements de Londres et de Paris. Ils avaient ajoutés que l'armée allemande n'avait pas d'autre ennemi que la ploutocratie occidentale. Ils avaient dit encore que l'Allemagne se félicite d'entretenir, depuis le 23 août 1939, des relations de bon voisinage avec l'URSS. 
A quoi les communistes français répliquaient : s'il en ainsi, accordez vos actes et vos paroles. Des milliers d'hommes sont dans les prisons et dans les camps parce qu'ils ont lutté contre la guerre : qu'on les libère ! Des municipalités ont été destitués parce qu'elles étaient dirigées par les adversaires les plus déterminés de la ploutocratie française : qu'on réinstalle les municipalités ouvrières ! Des journaux on été supprimés parce qu'ils ont approuvé le Pacte soviéto-allemand : qu'on restitue le droit à la parution légale à l'Humanité, à Ce Soir, à l'Avant-Garde, à la Vie Ouvrière, à la revue Russie d'aujourd'hui
Et ce langage des communistes était le seul digne, et du peuple français, et du peuple allemand. 
Il n'a pas été entendu des Autorités occupantes.
Avec la permission des Autorités occupantes, le Matin, du colonel Fabry; Paris-Soir, du ploutocrate Prouvost; l’Œuvre, qui avait été l'organe de la présidence du Conseil pendant neuf mois, ces feuilles qui durant la guerre n'avaient cessé de prêcher la haine contre le peuple allemand, de préconiser l'extermination du peuple allemand, la soumission de la France aux visées des conservateurs britanniques ont reparu dans la zone occupée. [...]
Mais l'Humanité, Ce Soir, la Vie ouvrière, l'Avant-Garde, Russie d'aujourd'hui, les organes des défenseurs de la paix, des champions de la fraternisation des peuples, demeurent interdits. Les diffuseurs des éditions illégales de ces journaux sont chaque jour arrêtés et jetés en prison.
D'ordre des Autorités occupantes, les maires réactionnaires jusqu'au-boutistes, jusqu'au 5 juin... mais fuyards après le 5 juin, ont été réintégrés dans leur municipalité, en dépit des protestation légitimes de la population. Par contre, les élus ouvriers n'ont pas recouvré le mandat qui leur a été ravi par le fauteur de guerre Sarraut, et quelques-uns d'entre eux ont été arrêtés courant octobre par ordre des Autorités occupantes.
D'ordre des Autorités occupantes, les milliers d'hommes et de femmes incarcérés ou interné par Sarraut et Mandel ont été maintenus dans les prisons et dans les camps, où, depuis le 15 juin, des centaines d'autres sont venus les rejoindre.
[...] Si gênant que cela soit pour les dirigeants allemands, qui ont régalé leurs soldats de couplets contre les fauteurs de guerre et les ploutocrates, il faut que les soldats allemands sachent, en même temps que le public français, que les adversaires de la ploutocratie française, que les ennemis des fauteurs de guerre sont emprisonnés sur les ordres des Autorités allemandes. Dans ces persécutions qui servent si bien les oligarchies capitalistes, la responsabilité des Autorités occupantes est totale. [...] Mais allons plus loin. Les Autorités occupantes ne sont point responsables seulement de ce qui se passe dans la zone occupée. On sait - et la presse de Berlin ne prend pas la peine de le dissimuler - qu'elles gouvernent en fait la France entière. Le gouvernement de Vichy tient d'elles sa raison d'être. C'est par elles - et elles seules - qu'il a été créé et mis au monde et qu'il tient en place. Laval, Belin et le très glorieux Maréchal Philippe ne font et ne disent que ce que les maitres des Autorités occupantes leur ordonnent de dire et de faire. Ce sont les Autorités occupantes qui ont dicté aux hommes de Vichy le nouveau décret sur les suspects qui aggrave les dispositions du décret Daladier de novembre 1939. Et ce sont les Autorités occupantes qui ont délibéré de maintenir en prison les défenseurs de la Paix, dans les deux zones.

(Brochure "Nous accusons" pp 42-44)

Dans ce texte, après avoir montrer qu'il avait toute toute légitimité pour négocier avec les Allemands et que ses revendications étaient tout à fait justifiées, le Parti communiste regrette que ses négociations avec les autorités allemandes n'aient pas abouti en soulignant l'injustice de cet échec au vu d'une part des privilèges accordés aux bellicistes et d'autre part des discours anti-capitalistes des dirigeants du Reich.

1) Légitimité du Parti communiste

Le Parti communiste soutient qu'il avait toute légitimité pour négocier avec les Allemands parce qu'il avait mené par le passé des combats pro-allemands, qu'il partageait avec l'envahisseur nazi le même ennemi - la France capitaliste - et enfin que l'Allemagne et l'URSS entretenaient de bonnes relations.

Sur le premier point il rappelle qu'il avait "lutté contre le Traité de Versailles, pour la fraternité des peuples français et allemand, contre la guerre impérialiste".

En d'autres termes, il était le partenaire idéal puisqu'il avait dénoncé comme Hitler l'humiliant diktat de Versailles imposé à l'Allemagne en 1919, qu'en 1923 il avait appelé les soldats français qui occupaient la Rhur à fraterniser avec la population allemande et enfin - le plus important - que pendant la guerre franco-allemande il s'était mobilisé pour la paix dès septembre 1939.

Sur le second point il reprend à son compte la position allemande sur la guerre 1939-1940 : Agressée par la France et l'Angleterre impérialistes, l'Allemagne nazie avait combattu "la ploutocratie occidentale".

Les communistes et les nazis avaient donc le même ennemi : l'impérialisme français.

Sur le dernier point, il rappelle la signature du Pacte de non-agression germano-soviétique en août 1939 garantissant des relations pacifiques entre l'URSS et l'Allemagne.

Ce rappel permet de souligner qu'au final les négociations entre le Parti communiste et les autorités allemandes n'étaient qu'une déclinaison de ce Pacte.

2) Revendications communistes

Le Parti communiste détaille les revendications qu'il a soumises aux autorités allemandes en soulignant qu'elles étaient tout à fait justifiées :

- Libération des communistes détenus "dans les prisons et dans les camps parce qu'ils ont lutté contre la guerre".

- Rétablissement des municipalités communistes qui "étaient dirigées par les adversaires les plus déterminés de la ploutocratie française".

- Reparution des  journaux communistes "supprimés parce qu'ils ont approuvé le pacte soviéto-allemand"

3) Echec des négociations

Le Parti communiste constate avec regret l'échec de ses négociations avec les Allemands : "Et ce langage des communistes était le seul digne, et du peuple français, et du peuple allemand. Il n'a pas été entendu des autorités occupantes.

Il souligne même l'injustice de cet échec au vu des privilèges accordés par la puissance occupante aux bellicistes qui avaient - contrairement aux communistes - soutenu la guerre contre l'Allemagne nazie.

Ainsi sont autorisés les journaux "qui durant la guerre n'avaient cessé de prêcher la haine contre le peuple allemand, de préconiser l'extermination du peuple allemand, la soumission de la France aux visées des conservateurs britanniques".

A l'inverse, "l'Humanité, Ce Soir, la Vie ouvrière, l'Avant-Garde, Russie d'aujourd'hui, les organes des défenseurs de la paix, des champions de la fraternisation des peuples, demeurent interdits".

On notera que dans ce texte publié en janvier 1941, l'Humanité n'est pas célébré comme l'organe des Résistants de la première heure

De même "les maires réactionnaires jusqu'au-boutistes" ont pu reprendre leurs fonctions contrairement aux édiles communistes qui ont été suspendus de leur mandat en septembre 1939 par un décret-loi signé par  "le fauteur de guerre Sarraut" alors ministre de l'Intérieur.

Injustice aussi le maintien en détention des militants communistes compte tenu des discours anti-capitalistes des dirigeants Reich.

En effet s'adressant directement aux soldats allemands ("il faut que les soldats allemands sachent"), le Parti communiste dénonce la contradiction de leurs dirigeants qui pendant le conflit prétendaient combattre "les fauteurs de guerre et les ploutocrate" et qui maintenant non seulement refusent de libérer "les adversaires de la ploutocratie française", "les ennemis des fauteurs de guerre" autrement dit les communistes, mais en plus les font même emprisonnés.

Ce dernier point fait référence aux arrestations massives de militants et d'élus communistes au début d'octobre 1940 avec - pour la zone occupée - l'accord des autorités allemandes. Cette vague d'arrestations fait suite à l'adoption par Vichy d'un nouveau texte juridique modifiant les conditions de l'internement administratif qui étaient fixées dans le décret-loi du 18 novembre 1939 : la loi du 3 septembre 1940 relative aux mesures à prendre à l'égard des individus dangereux pour la défense nationale ou la sécurité publique.

La responsabilité de cette répression est attribuée aux Allemands au motif que Vichy est leur création. Argument d'ailleurs utilisé par les communistes dans leurs négociations avec les autorités allemandes pour obtenir la libération de leur camarades détenus non seulement en zone occupée mais aussi en zone non occupée.

Mais le plus important c'est que le Parti communiste affirme que ses militants sont "persécutés" parce qu'ils combattent "les oligarchies capitalistes". Aucune référence à la lutte armée contre l'occupant allemand. D'ailleurs, le texte se termine en dénonçant "les Autorités occupantes qui ont délibéré de maintenir en prison les défenseurs de la Paix, dans les deux zones".


Partie IV

Séance du 4 juillet 1946

La séance du 4 juillet 1946 de la 2ème Assemblée nationale constituante doit se prononcer sur la validité de l'élection du député de Paris Edouard Frédéric-Dupont du Parti républicain de la liberté.

Indigné par le comportement des communistes qui demandent l'invalidation de son élection en formulant des accusations qu'il juge mensongères concernant son comportement pendant l'occupation allemande, ce dernier prend la parole d'abord pour se défendre puis pour mettre en cause l'attitude des communistes entre 1939 et 1941 en s'appuyant sur plusieurs documents.

Pour montrer la collusion des communistes avec les Allemands pendant la guerre franco-allemande de 1939-1940, il cite les documents suivants :

- la lettre du 1er octobre 1939 des députés communistes demandant au président de la Chambre l'organisation d'un vote en faveur de la Paix,
- le Traité germano-soviétique du 28 septembre 1939 aboutissant au partage de la Pologne entre l'URSS et l'Allemagne,
- la déclaration germano-soviétique du 28 septembre 1939 appelant la France et l'Angleterre à faire la Paix avec l'Allemagne.

Abordant la période de l'occupation, le député de Paris accuse le Parti communiste d'avoir voulu tiré profit de son attitude pendant la guerre de 1939-1940 en demandant aux Allemands l'autorisation de faire paraître l'Humanité. Les protestations sur les bancs communistes sont si vives qu'elles provoquent une suspension de séance.

A la reprise, pour prouver le bien fondé de ses déclarations, Edouard Frédéric-Dupont lit des extraits de la lettre du 26 juin 1940 demandant la reparution de l'Humanité. Cette lettre porte les signatures de deux membres du Comité central du PCF : Maurice Tréand et Jean Catelas. Condamné à la peine de mort par le Tribunal d'Etat, ce dernier a été guillotiné le 24 septembre 1941.

Député communiste, ancien chef du Parti communiste clandestin, Jacques Duclos réagira avec vigueur aux accusations du député de Paris en déclarant que le document cité est un "faux", le fruit d'une "machination de la Gestapo" qui visait à "porter atteinte à l'honneur" de Jean Catelas :

"M. Frédéric-Dupont. Trois jours après ce pacte [Traité du 28 septembre], qui consacrait le quatrième partage de la Pologne, vous avez été les courtiers d'Hitler pour une paix de déshonneur [Lettre du 1er octobre]. Vous le savez d'ailleurs très bien, puisque vous en avez touché le bénéfice... (Exclamations et bruit à l'extrême gauche.)

M. Waldeck Rochet. C'est vous qui avez négocié avec les Allemands.

M. Frédéric-Dupont. ...car cinq jours avant l'armistice, en pleine guerre, le délégué central du parti communiste est allé solliciter de la Gestapo qui l'a accordée, l'autorisation de faire paraître l'Humanité. (Vives interruptions et protestations à l'extrême gauche.)

[Note du Blog : Le député évoque la première négociation avec les Allemands]

M. Georges Cogniot. Souvenez-vous de Péri !

M. le président. Devant ce tumulte, je vais suspendre la séance ! (Le tumulte continue. — Les membres du mouvement républicain se lèvent et quittent la salle des séances.)

(La séance, suspendue à seize heures quarante-cinq minutes, est reprise à dix-sept heures dix minutes.

M. le président. La séance est reprise.
[...]
M. le président. Nous reprenons la suite de la discussion des conclusions du rapport du 9e bureau sur les opérations électorales de la 1re circonscription de la Seine. 
La violence des incidents qui se sont produits tout à l'heure m'a obligé à suspendre la séance, car il m'apparaissait que la raison ne pouvait avoir raison de la passion.
Je regrette, vous regretterez tous de part et d'autre, j'en suis sûr, la violence de ces incidents, surtout au moment où se tient à Paris la conférence que vous savez. (Applaudissements à gauche, au centre et à droite.)
Ne vous contentez pas de m'applaudir, mes chère collègues ! Je vous demande aux uns et aux autres de prendre garde : quelques séances comme celle d'aujourd'hui risquent de compromettre, non seulement la dignité de l'Assemblée, mais le régime représentatif lui-même. (Applaudissements à gauche, au centre et à droite.)
 J'ai prié M. Frédéric-Dupont de terminer son exposé et je l'invite à nouveau à ne pas mettre en cause une puissance étrangère [l'URSS]...
 [...]
M. le président. [...] Je demande à chacun de vous de respecter la dignité de ses collègues.
L'accusation est libre, la défense est libre. M. Frédéric-Dupont doit pouvoir se faire entendre dans le silence. Deux orateurs du parti communiste se sont fait inscrire pour lui répondre et je suis sûr que nos collègues de la droite les écouteront également en silence. 
Ensuite auront lieu les explications de vote et le scrutin sera ouvert. 
Des engagements ont été pris de part et d'autre. Je vous demande, dans l'intérêt de l'Assemblée et aussi par amitié pour moi-même, si vous le voulez bien (Applaudissements sur un grand nombre de bancs), de rester calmes et de terminer ce débat dans la dignité où il aurait dû se poursuivre
La parole est à M. Frédéric-Dupont.

M. Frédéric-Dupont. [...] J'en reviens au point où j'en étais resté. Je constate avec regret que vous avez alors envoyé au conseiller Turner, le jour de l'armistice, la lettre suivante :
« Monsieur, comme suite à la conversation que nous avons eue ce matin, nous tenons à vous préciser les préoccupations qui sont nôtres dans les moments difficiles que traverse notre pays. Nous avons été seuls à nous dresser contre la guerre et à demander la paix à une heure où il y avait quelque danger à le faire. Il y a un journal qui est capable d'inspirer confiance au peuple parce qu'il a été interdit par le gouvernement des fauteurs de guerre. Ce journal, c'est l'Humanité, bien connu comme organe central du parti communiste fiançais.
« Nous vous demandons l'autorisation de publier l'Humanité, sous la forme dans laquelle elle se présentait à ses lecteurs avant son interdiction par Daladier, au lendemain de la signature du pacte germano-soviétique.
« L'Humanité publiée par nous se fixerait pour tâche de dénoncer les agissements des agents de l'impérialisme britannique qui veulent entraîner les colonies françaises dans la guerre et d'appeler les peuples coloniaux à lutter pour leur indépendance contre les oppresseurs impérialistes. »

M. Jacques Duclos. Voulez-vous me permettre de vous interrompre.

M. Frédéric-Dupont. Je préfère continuer, vous répondrez tout à l'heure. (Interruptions à l'extrême gauche.)
Or, j'ai le regret de constater que cette lettre, dont on possède l'original, a été envoyée au conseiller Turner le jour-même de l'armistice par le comité central du parti communiste français.
« Fauteurs de guerre impérialistes ». Est-ce que cela ne vous rappelle pas les slogans d'Hitler ?
[...]
M. Jacques Duclos. Tout à l'heure, M. Frédéric-Dupont, sortant un peu du sujet qui nous préoccupe et qui a trait à une affaire de commerce avec l'ennemi, a donné lecture d'un certain nombre de documents. Nous aurons sans doute l'occasion de parler de ces documents dans de prochains débats et nous ferons toute la lumière sur les problèmes qui ont été soulevés dans un but évident de diversion. Cependant, sans attendre davantage, je veux me permettre de dire quelques mots au sujet de l'un d'eux.
Il s'agit de ce document [la lettre du 26 juin 1940] qui traîne depuis quelque temps dans les colonnes de l'Epoque, le journal bien connu des trusts. Ce document tend à faire la démonstration qu'au mois de juin 1940, le comité central du parti communiste français aurait demandé l'autorisation de faire paraître l'Humanité. Permettez-moi de vous dire que c'est là une machination de la Gestapo. (Rires et exclamations à droite. — Applaudissements à l'extrême gauche).
Qu'il me soit permis de dire que M. Frédéric-Dupont n'a pas parlé des deux signataires présumés, d'après la Gestapo, de cette fameuse lettre. L'un de ces deux prétendus signataires était un de nos anciens collègues de la Chambre élue en 1936, M. Jean Catelas, député d'Amiens, décoré quatre fois sur le front, à Verdun, au cours de la guerre 1911-1918. Catelas avait été un des députés persécutés en 1939-1940. Il fut arrêté et condamné par les tribunaux de Vichy et, un matin de septembre 1941, il était guillotiné dans la cour de la prison de la Santé. Il n'y avait pas de préfet de police pour l'aider à s'enfuir. (Vifs applaudissements à l'extrême gauche )
Quand la Gestapo a lancé ce faux, elle voulait porter atteinte à l'honneur de cet homme qui est mort en brave, qui est mort en héros.
Aussi permettez-moi de dire à l'Assemblée comment est mort Jean Catelas, député communiste d'Amiens. Après avoir été condamné à mort par la justice de Vichy, Jean Catelas fut guillotiné avec deux autres de ses compagnons, un jeune architecte de 22 ans, Jacques Voog, et un ouvrier métallurgiste, Adolphe Guyot, un matin de septembre 1941. Jean Catelas, exécuté le dernier, vit tomber la tête de ses deux camarades dans la cour de la prison de la Santé, tandis qu'un détachement de SS était venu assister à l'exécution de trois communistes.
Ces SS. étaient les mêmes qui, le jour où l'on fusillait des communistes à Chàteaubriant, disaient « Communistes, pas Français ! », comme si les Boches étaient habilités à délivrer des. certificats de patriotisme français. (Applaudissements à l'extrême gauche.)
Jean Catelas, dont le nom figure sur ce faux de la Gestapo...

A droite. Cela est en dehors de la question.

Jacques Duclos. ... que M. Frédéric-Dupont a lu à l'Assemblée est mort en héros, en criant : « Vive la France !» et : « Vive le parti communiste français ! » et c'est le couperet de la guillotine qui arrêta la Marseillaise sur ses lèvres ! (Applaudissements à l'extrême gauche.)
Permettez-moi de vous dire...

M. André Mutter. Parlez-nous de l'affiche de Cachin.

M. Jacques Duclos. ...que si nous avons tout à l'heure entendu l'éloge de certains de nos camarades qui sont morts pour que vive la France, nous n'oublions pas que souvent on exalte les morts pour insulter les vivants et nous savons aussi qu'il y a des gens qui regrettent que tous les communistes n'aient pas été tués pendant l'occupation. (Applaudissements à l'extrême gauche.)
On en a tué beaucoup, certes, mais il en reste encore et aujourd'hui ils vont se compter dans cette enceinte pour voter contre la validation de M. Frédéric-Dupont. (Applaudissements à l'extrême gauche.) (1)

(1) Journal officiel du 5 juillet 1946, pp 2592, 2593, 2594, 2596.


Séance du 18 juillet 1946

Députés du Vaucluse

La séance du 18 juillet 1946 de la 2e Assemblée nationale constituante est consacrée pour partie à la vérification des pouvoirs des députés du Vaucluse sur la base d'un rapport du 10e bureau.

Toutes les élections de ce département sont validées à l'exception de celle du radical-socialiste d'Edouard Daladier qui est contestée par le Parti communiste.

Les communistes tentent par ce détournement de procédure d'éliminer l'ancien président du Conseil d'avril 1938 à mars 1940, l'un des hommes politiques les plus important de la IIIe République. 

Les débats s'ouvrent par une déclaration du rapporteur qui indique que le 10e bureau s'est prononcé majoritairement en faveur de la validation de l'élection d'Edouard Daladier au motif qu'aucune irrégularité ne l'avait été entachée et que les motifs invoqués par la minorité communiste était d'ordre politique.

Edouard Daladier

Après les interventions de deux députés communistes demandant son exclusion de l'Assemblée, Edouard Daladier prend la parole pour répondre à leurs accusations : trahison de Munich en septembre 1938, abandon de la Tchécoslovaquie en mars 1939, sabotage des négociations anglo-franco-soviétiques du printemps et de l'été 1939, impéritie dans la préparation de la guerre, persécution des communistes pendant la guerre de 1939-1940.

Justifiant sa lutte contre les communistes, il fera état notamment de leurs sabotages des fabrications de guerre.

Evoquant la période de l'occupation il décrira les négociations entre les communistes et les Allemands :

"Le 20 juin 1940 avant que l'armistice ne fût conclu, un membre du comité central du parti communiste, accompagné de deux dames, était arrêté. C'était M. Maurice Tréand. Ces personnes portaient, des papiers de la Propagandastaffel, établissant que des pourparlers avaient été engagés avec les services allemands dans le but de faire reparaître l'Humanité. Une de ces dames était d'ailleurs munie, d'autre part, d'un laissez-passer établi à son nom par les mêmes services pour les besoins de ce journal et signé : lieutenant Weber.
Sur réquisitoire du procureur de la République, une instruction fut ouverte contre eux et trois mandats de dépôt furent délivrés; M. Maurice Tréand fut écroué à la Santé et les deux dames à la Roquette.
Mais, le 25 juin, ils étaient délivrés par intervention des autorités allemandes, sur l'ordre du conseiller supérieur de justice — il porte un nom national, puisqu'il s'appelle Fritz — chef des affaires de la justice au Palais-Bourbon.
Il ne s'agit pas là de faux émanant de la Gestapo. Il suffit d'aller consulter le registre d'écrou de la Santé ou de la Roquette ou d'interroger les magistrats qui ont poursuivi, pour avoir confirmation de ces faits.
Ainsi, au 20 juin, dans Paris occupé par les forces allemandes, au moins un membre du comité central du parti communiste sollicitait l'autorisation de faire reparaître publiquement l'Humanité. 
Quelques jours après, d'ailleurs, l'Humanité reparaissait, mais toujours sous une forme clandestine. (Exclamations, et rires à l'extrême gauche.)
C'était à un refus, sans doute, que le parti communiste s'était heurté, non pas de la Propagandastaffel, mais de la préfecture de police agissant au nom du gouvernement de Vichy. (Exclamations sur les mêmes bancs.)
De sorte que, sans Pétain, l'Humanité aurait reparu et aurait été d'ailleurs interdite à la libération.
M. Raymond Guyot. On est en plein roman feuilleton !
M. Arthur Ramette. C'est du pastis !
M. Edouard Daladier. Monsieur Ramette, ce sont des plaisanteries que Gringoire a employées avant vous et que vous pourriez lui laisser.

Edouard Daladier publiera son discours du 18 juillet 1946 dans une brochure intitulée "Réponse aux chefs communistes" ainsi que plusieurs documents étayant ses affirmations.

Concernant les négociations de l'été 1940, cette brochure reproduira des extraits de la lettre du 26 juin 1940 demandant la reparution de l'Humanité et l'intégralité de la lettre d'Otto Abetz du 28 juin 1940. Le diplomate allemand a joint cette lettre à celle du 26 juin dans le pli qu'il a envoyé au Dr Turner, Chef de l'Etat-Major administratif du Commandant militaire de Paris.

Validation

Après l'intervention de deux députés communistes et une nouvelle réponse de l'ancien président du Conseil, l'Assemblée valide l'élection du député du Vaucluse.


Séance du 4 décembre 1947

Le 9 décembre 1947, à la suite d'une polémique l'opposant à la députée communiste Denise Ginollin, le député MRP Pierre de Chevigné lit dans l'hémicycle plusieurs documents prouvant que la militante communiste a sollicité en juin 1940 la Kommandantur pour obtenir l'autorisation de publier l'Humanité et qu'après avoir été arrêtée par la police française pour cette démarche elle a été libérée par les Allemands.

Les documents cités sont tirés du dossier d'instruction ouvert à la suite de l'arrestation les 20 et 21 juin 1940 de Maurice Tréand et de trois de ses camarades : Denise Ginollin, Jeanne Schrodt et Valentine Grunenberger.

Les deux principales pièces utilisées sont les dépositions du 21 juin 1940 de Denise Ginollin et de Maurice Tréand.

La lecture est ponctuée par les réactions virulentes des élus communistes qui contestent toute négociation avec les autorités allemandes : Fernand Grenier : "Entre 1940 et 1944, les collaborateurs et rédacteurs de l'Humanité ont été fusillés par suite de l'action de ce journal et parce qu'il paraissait clandestinement. Voilà la vérité !"; Georges Cogniot : "Vous devriez avoir honte de la besogne que vous faites"; Madelaine Braun : "C'est un roman d'Agatha Christie que vous nous racontez là"; Marcel Servin à trois reprises : "Quand aurez-vous fini de calomnier le parti qui à verser son sang plus que tous les autres partis réunis", "Quand on parlait de poubelles, tout à l'heure, on était trop modeste", "Je constate simplement qu'il a fallu deux ans pour forger ces documents"; Arthur Ramette : "On a mis deux ans pour fabriquer un faux". (1)

Absente à la séance du 9 décembre, Denise Ginollin répondra aux accusations de Pierre de Chevigné à celle du 11 décembre en déclarant notamment : "Les documents que vous utilisez, Monsieur de Chevigné, sont des faux dignes des officines de la Gestapo".

(1) Journal officiel n° 128 du 10 décembre 1947, pp. 5560-5564.


Les preuves des négociations de l'été 1940 entre le PCF les nazis révélées à la séance de l'Assemblée nationale du 9 décembre 1947

Le 9 décembre 1947, à la suite d'une polémique l'opposant à la députée communiste Denise Ginollin, le député MRP Pierre de Chevigné lit dans l'hémicycle plusieurs documents prouvant que l'élue du Parti communiste a sollicité en juin 1940 la Kommandantur pour obtenir l'autorisation de publier l'Humanité et qu'après avoir été arrêtée par la police française pour cette démarche elle a été libérée par les Allemands.

Les documents cités sont tirés du dossier d'instruction ouvert à la suite de l'arrestation les 20 et 21 juin 1940 de Maurice Tréand et de trois de ses camarades, Denise Ginollin, Jeanne Schrodt et Valentine Grunenberger, pour une tentative de reparution de l'Humanité dont la publication avait été suspendue le 26 août 1940 en raison de son soutien... au Pacte germano-soviétique.

Ce sont dans l'ordre la déposition de Ginollin, le procès-verbal des documents saisis sur la militante communiste, l'interrogatoire de Tréand, les dépositions de Schrodt et celle d'un témoin, l'imprimeur Dangon, deux lettres de l'administration pénitentiaire annonçant les libérations de Ginollin et de Tréand et mentionnant l'intervention des Allemands, et enfin le procès-verbal rédigé par le commissaire Lafont.

La lecture de ces pièces est ponctuée par les réactions indignées des députés communistes qui contestent toute négociation avec les autorités allemandes : 

- Fernand Grenier : "Entre 1940 et 1944, les collaborateurs et rédacteurs de l'Humanité ont été fusillés par suite de l'action de ce journal et parce qu'il paraissait clandestinement. Voilà la vérité !";
- Georges Cogniot : "Vous devriez avoir honte de la besogne que vous faites"; "C'est absolument faux.", "Qui vous a remis ces documents ?" "Signé Jules Moch [ministre de l'Intérieur].", "C'est du Jules Moch !"; 
- Madelaine Braun : "C'est un roman d'Agatha Christie que vous nous racontez là.";
- Jacques Duclos : "C'est un rapport de flic. Vous en êtes alors ?", "Vingt-deux, v'là les flics !";
- Eugénie Duvernois : "C'est de la provocation.", "C'est une insulte à nos morts !", "C'est du roman policier !";
- Marcel Servin : "Quand aurez-vous fini de calomnier le parti qui à verser son sang plus que tous les autres partis réunis.", "Quand on parlait de poubelles, tout à l'heure, on était trop modeste.", "Je constate simplement qu'il a fallu deux ans pour forger ces documents.";
- Arthur Ramette : "On a mis deux ans pour fabriquer un faux.", "Oh oui ! c'est « moche » [moche / Moch]. Les rédacteurs manquent d'imagination."

A la fin de son intervention Pierre de Chevigné annonce aux communistes qu'il publiera le lendemain dans son journal toutes les documents qu'il vient de citer et qu'ainsi ils pourront le poursuivre pour diffamation s'ils en contestent l'authenticité. En conclusion, il fait la déclaration suivante :

"Je referme ce dossier. Je crois que la cause est entendue.
Avant l'armistice, c'est ce qui est le plus grave, alors que le feu n'avait pas cessé, alors que des Français mouraient encore, alors que déjà, dans l'Empire et les territoires alliés, des hommes reprenaient la lutte, d'autres Français pensaient à s'arranger avec les autorités allemandes pour reprendre leur activité partisane."

Absente à la séance du 9 décembre, Denise Ginollin répondra aux accusations de Pierre de Chevigné à celle du 11 décembre en déclarant que ces accusations ne sont que des calomnies, des mensonges et des insultes visant à discréditer le Parti communiste avec des documents qui ne sont que des "faux dignes des officines de la Gestapo".

Après avoir décrit les négociations des 18, 19 et 20 juin 1940 entre le Parti communiste et les Allemands (I), on reviendra sur la polémique entre les députés Pierre de Chevigné et Denise Ginollin aux séances des 5 et 6 décembre 1947 (II), puis on suivra le député des Basses-Pyrénées dans sa lecture, à la séance du 9 décembre, des dépositions de Denise Ginollin (III) et de Maurice Tréand (IV) ainsi que des pièces complémentaires tirées du dossier d'instruction (V), et enfin on évoquera la fin de cette polémique à séance du 11 décembre (VI).


Partie I

Négociations des 18, 19 et 20 juin 1940

Engagée avant même la signature de l'armistice franco-allemand autrement dit avant même l'arrêt des combats, la première négociation entre le Parti communiste et les envahisseurs allemands s'est tenue les 18, 19 et 20 juin 1940.

Répondant à des Instructions de l'Internationale communiste, cette négociation a eu pour unique objet la reparution de l'Humanité dont la publication avait été suspendue le 26 août 1939 en raison de son soutien... au Pacte germano-soviétique.

Elle a pris la forme de plusieurs rencontres entre une militante communiste, Denise Ginollin, et un officier de la Propaganda Staffel Frankreich, le lieutenant Weber.

Cette militante a agi sur les ordres de Maurice Tréand, membre du Comité central, responsable de la commission des cadres et adjoint de Jacques Duclos, chef du Parti communiste clandestin.

Le 20 juin, après avoir obtenu à 16 heures l'autorisation de publier l'Humanité et soumis à 18 heures les articles devant paraître dans le premier numéro de l'Humanité légale, Denise Ginollin, munie d'un laissez-passer signé par le lieutenant Weber, devait revenir à 22 heures pour obtenir le visa définitif de la Kommandantur sur les modifications demandées.

A 20 h 30 près du Métro Saint-Martin, la militante communiste a rencontré comme prévu Maurice Tréand et Jeanne Schrodt pour faire le point sur les négociations.

C'est à ce moment qu'ils ont été arrêtés par la police française qui les soupçonnaient de vouloir faire reparaître l'Humanité.

Sans nouvelles de Denise Ginollin, le lieutenant Weber, passé le délai d'une heure qu'il avait accordé, a informé l'Etat-major que l'Humanité ne paraîtrait pas le lendemain :

"Le 20 juin à 23 heures, l'envoyé de l'Humanité n'ayant pas présenté les modifications demandées, ce journal ne paraîtra pas le 21 juin". (1)

C'est donc l'intervention de la police française qui a empêché la parution du premier numéro de l'Humanité sous censure allemande !!!

Le 21 juin, les trois suspects et une quatrième personne arrêtée le jour même, Valentine Grunenberger, ont été auditionnés par le commissaire Lafont. Le lendemain, sur la décision du Juge Pihier, Maurice Tréand et les trois militantes ont été incarcérés respectivement à la Santé et à la Petite Roquette.

Le 25 juin, les quatre détenus communistes ont été libérés... à suite d'une intervention d'Otto Abetz qui a été sollicitée par Me Robert Foissin, avocat communiste de Maurice Tréand. 

Le lendemain, à l'invitation du diplomate allemand, une délégation du Parti communiste s'est rendue à l'ambassade d'Allemagne pour reprendre les négociations interrompues par la police française....

(1) Jean-Pierre Besse, Claude Pennetier, Juin 40, la négociation secrète, 2006. p. 57.


Partie II

Séance du 5 décembre 1947

Le 5 décembre 1947, à l'Assemblée nationale, un député communiste interpelle le ministre de l'Intérieur, Jules Moch, socialiste, sur les événements de la veille à Valence où une tentative de réoccupation de la gare qui avait été évacuée de ses grévistes dans la matinée a été marquée par la mort de trois manifestants selon l'interpellateur, de deux selon le gouvernement.

Dans le débat qui suit la réponse du ministre de l'Intérieur, Denise Ginollin, députée communiste de la Seine, monte à la tribune pour une intervention au cours de laquelle elle s'emporte contre "un Gouvernement qui répond par les coups et les balles lorsque les travailleurs réclament du pain". (1)

Après quelques phrases supplémentaires, une voix s'élève pour accuser l'élue du Parti communiste d'avoir été libérée par la Gestapo après son arrestation en juin 1940 par la police française.

Sur les bancs communistes on s'indigne de cette calomnie qu'on attribue au député MRP Pierre de Chevigné.

Mis en cause, le député des Basses-Pyrénées répond en indiquant qu'il n'est pas l'auteur du propos incriminé et en formulant une double question : est-il exact que Mme Ginollin a été arrêtée par la police française en juin 1940 ? et dans quelles conditions a-t-elle été libérée ?

Le président met fin à l'incident en affirmant que "si un député a déclaré que Mme Denise Ginollin avait été délivrée par la Gestapo, il a eu tort et je le rappelle à d'ordre". (2)

(1) Journal officiel du 5 décembre 1947, p. 5520.
(2) Ibid.


Séance du 6 décembre 1947

Le 6 décembre, Denise Ginollin tient dès le début de la séance à répondre aux accusations de la veille même si l'auteur supposé est absent :

"M. le président. Le procès-verbal de la séance du vendredi 5 décembre a été affiché et distribué.
Il n'y a pas d'observation.

Mme Denise Ginollin. Je demande la parole.

M. le président. La parole est à Mme Ginollin. (Applaudissements à l'extrême gauche.)

Mme Denise Ginollin. M. de Chevigné est absent et je le regrette; mais, comme il a voulu me mettre en cause hier, j'ai à répondre à l'accusation qu'il a lancée contre moi.
Il s'est, en effet, permis de poser une question qui met en cause mon honneur de française et mon honneur de communiste. Je dis bien « de Française et de communiste », car ce n'est pas sur les bancs de ce côté de l'Assemblée (l'extrême gauche) ! qu'il faut chercher les collaborateurs mal blanchis. (Applaudissements à l'extrême gauche.)
L'accusation qu'il lance n'est d'ailleurs pas très précise; je vais apporter à notre collègue les précisions qui lui manquent. M. de Chevigné indique que j'ai été libérée par la Gestapo en 1940. Il a sans doute trouvé cette accusation dans les poubelles de l'Epoque, du Figaro ou dans celles de M. Daladier, l'homme de Munich, l'homme qui a trahi la France et qui a ouvert les camps de concentration dans lesquels les Allemands ont pu trouver les patriotes et les assassiner à leur aise. (Applaudissements à l'extrême gauche.) Mais il s'agit de mes titres de résistance. Et, comme j'ai l'habitude de ne parler que de ce que je connais bien, je suis à l'aise pour les mentionner.
J'ai été arrêtée en 1940. C'est vrai je n'ai pas à en rougir aujourd'hui, je l'ai été par la police française en tant que militante communiste. (Applaudissements à l'extrême gauche.)
J'ai été relâchée en juillet 1940. C'est vrai. Je n'ai pas non plus à en rougir. J'ai été relâchée avec un groupe de femmes de la prison de la Roquette arrêtées pour propos dans les queues ou faits de ce genre sans aucune intervention de personne. Quand elle s'aperçut de son erreur, au lendemain de ma libération, la police française aux ordres des boches, se présenta à mon domicile, dans le XXe arrondissement pour m'arrêter de nouveau, définitivement cette fois, comme elle avait arrêté les militants communistes de cette époque. [Pour la cohérence du récit, on doit supposer qu'elle était absente de son domicile]
Après ma sortie, j'ai repris immédiatement contact avec mon organisation. J'ai participé - et je m'en fait gloire - à la diffusion de notre Humanité du 10 juillet 1940, dans laquelle paraissait l'appel de nos camarades Maurice Thorez et Jacques Duclos, appel à la résistance française, le premier appel lancé sur le sol de la patrie.
Je pose alors la question à M. de Chevigné, directeur du journal Le Pays, organe gaulliste comme on sait, journal qui a été donné à M. de Chevigné par le général de Gaulle au lendemain de la libération, et journal qui n'a jamais paru clandestinement sous l'occupation. (Applaudissements à l'extrême gauche.)
Je demande à M. de Chevigné s'il peut mettre en parallèle des titres de résistance équivalents." (1)

Deux remarques sur ces déclarations. Tout d'abord, le motif et la date de libération indiqués par Denise Ginollin sont faux.

Ensuite, comme preuve de sa résistance à l'été 1940, elle met en avant la diffusion de l'Humanité du 10 juillet 1940 reproduisant un Appel à la Résistance du PCF.

Ce numéro de l'Humanité est un numéro... imaginaire. D'ailleurs, quelques jours après cette déclaration, pour soutenir la députée communiste, l'Humanité du 12 décembre 1947 publiera ce numéro du 10 juillet 1940 qui s'avérera être un faux fabriqué pour la circonstance. L'Humanité du 10 juillet reproduit un extrait falsifié de l'Appel au Peuple de France de juillet 1940 pour faire de ce texte pacifiste un Appel à la Résistance.

Denise Ginollin poursuit son discours en évoquant son arrestation en janvier 1943 par la SPAC (section policière anti-communiste), sa remise à la Gestapo, sa condamnation à mort, sa déportation à la prison de Schweidnitz et son activité pendant sa détention.

(1) Journal officiel du 7 décembre 1947, pp. 5535-5536.


Partie III

Séance du 9 décembre 1947 (1/3)

Le 9 décembre, dans une séance où cette fois c'est Denise Ginollin qui est absente, Pierre de Chevigné prend la parole pour répondre lui même aux questions qu'il a posées à la députée communiste et auxquelles elle n'a pas répondu dans son intervention du 6 décembre :

"M. le président. Le procès-verbal de la séance du samedi 6 décembre a été affiché et distribué.
II n'y a pas d'observation ?

M. Pierre de Chevigné. Je demande la parole.

M. le président. La parole est à M. de Chevigné sur le procès-verbal.

M. Pierre de Chevigné. Au cours de la séance du 5 décembre, Mme Ginollin subit, étant à la tribune, un certain nombre d'interruption et l'une de ses collègues communistes, Mme Eugénie Duvernois, s'écria — je cite le texte du Journal officiel : « Il y a un monsieur qui vient de dire que Denise Ginollin a été délivrée par la Gestapo! Je voudrais que cet homme-là vienne ici s'expliquer ». Ce n'était pas moi qui avais dit cela, mais nos collègues communistes ont voulu à toute force m'attribuer ces paroles. Peut-être ne prête-t-on qu'aux riches !

M. Jacques Duclos. Et vous l'êtes !

M. Pierre de Chevigné. Oh ! Plus pour longtemps ! (Rires au centre et à droite.)

M. Jacques Duclos. Cela dépend.

M. Pierre de Chevigné. Mes collègues communistes désirant absolument connaître mon opinion, m'encourageant, me stimulant à intervenir avec leur cordialité habituelles (Sourires), Je n'ai pas voulu les décevoir.
Je me suis donc levé à mon banc pour faire une courte déclaration. J'ai simplement demandé s'il est exact que Mme Ginollin a été arrêtée par les services de M. Langeron, alors préfet de police, au moment de l'occupation de Paris par les Allemands, et dans quelles conditions elle a été libérée.
Or, en lisant au Journal officiel le compte rends de la séance de samedi matin — c'est pourquoi j'interviens sur le procès-verbal de cette séance — je me suis aperçu que Mme Ginollin, prenant la parole sur le procès-verbal de la séance du vendredi après-midi, avait répondu avec vingt-quatre heures de retard à la question que je lui avait posée à la demande de ses collègues communistes.
Mais j'ai constaté que Mme Ginollin s'était exprimée d'une façon assez ambiguë. En effet, elle n'a pas spécialement répondu à la question précise que je lui avais posée. Elle n'a pas précisé ce qu'elle avait fait en 1940; elle a parlé de ce qui lui était arrivé en 1943.
Mme Ginollin a indiqué qu'elle avait été déportée, qu'elle avait souffert. Je m'incline, je tiens à le dire, devant les souffrances de notre collègue, déportée en 1943. Je lui en donne acte et je lui rends hommage sur ce point.
Mais enfin, mes chers collègues (l'orateur s'adresse à l'extrême gauche), vous avez été les premiers à admettre que la déportation n'était pas un blanchiment automatique pour ce qui avait pu se passer auparavant. Nous avons vu ici un certain nombre de nos collègues qui avaient été déportés et à qui vous avez demandé des comptes. Il en est d'autres qui ne sont pas revenus et à qui, peut-être, vous auriez demandé des comptes. Je me permets donc de dire à Mme Ginollin...

A l'extrême gauche. Elle n'est pas là.

M. Pierre de Chevigné. Elle-même m'a mis en cause quand je n'étais pas là.
D'ailleurs, je suis certain qu'elle trouvera d'excellents avocats dans son groupe — car ce que je vais dire s'adresse, par dessus sa tête, à son groupe.

Mme Madelaine Braun. C'est bien ce que nous pensions.

M. Pierre de Chevigné. La réponse de Mme Ginollin ne s'applique pas a l'année 1940 mais à l'année 1943 pour laquelle je ne l'avait pas mise en cause.
Mme Ginollin m'a gratifié d'un certain nombre de gentillesses : par exemple, que je me fournis habituellement, parait-il dans les poubelles de mes excellents confrères du Figaro et de l'Epoque.

M. Jacques Duclos. Du Pays !

M. Pierre de Chevigné. Mes collègues communistes, quand ils parlent de poubelles, devraient être prudents, car si les poubelles de nos confrères sont pleines actuellement, ils sont peut-être pour quelque chose. (Rires au centre et à droite.)
Je ne veux pas répondre aux accusations personnelles de Mme Ginollin. Elle m'a demandé ce que je faisais entre 1939 et 1944.

M. Arthur Ramette. Vous étiez ambassadeur !

M. Pierre de Chevigné. Cela n'offre pas d'intérêt. Je dois dire que je n'ai pas eu la chance, comme d'autres, de me battre à la tête de mon parti [Référence au motif mis en avant par Thorez en octobre 1939 pour justifier sa désertion]. J'ai dû me contenter de démocratique infanterie. (Rires et applaudissements au centre et à droite.)

M. Marcel Servin. Le parti communiste était alors le seul à lutter. Vous ne pouviez évidemment pas être à sa tête. (Rires et exclamations au centre et à droite.)

M. Pierre de Chevigné. Je fais confiance à la documentation du parti communiste pour retracer les étapes de mon activité entre 1939 et 1944.
Peut-être auront-ils un peu de mal pour savoir ce que j'ai fait jusqu'au milieu de l'année 1941 car, où j'étais, ils n'étaient peut-être pas très nombreux

M. Jacques Duclos. Où étiez-vous donc ?

M. Pierre de Chevigné. Mais enfin, à partir de 1941, les communistes me suivront assez facilement.
J'en viens donc tout de suite au cas qui nous intéresse, à savoir celui de Mme Ginollin.
J'ai dit que Mme Ginollin a été arrêtée en 1940. Je me permets de donner des précisions... (Interruptions à l'extrême gauche.)

Mme Eugénie Duvernois. Vous avez dit que Mme Ginollin avait été délivrée par la Gestapo.

Pierre de Chevigné. Je vais y venir, madame.

M. Roger Roucaute. Par conséquent, vous reconnaissez l'avoir dit.

M. Pierre de Chevigné. Non, je vais me battre pour quelque chose que je n'ai pas dit, ce qui décevra peut-être quelques uns de vos collègues qui m'ont adressé les gentilles épithètes de « lâche », « canaille », etc., etc.

A l'extrême gauche. Parfaitement !

M. le président. Ces épithètes sont maintenant très dévalorisées. (Très bien! très bien! et rires à gauche, au centre et a droite.)

M. Pierre de Chevigné. Nous sommes bien d'accord, monsieur le président.
Je précise que Mme Ginollin a été arrêtée le 20 juin 1940 à vingt heures trente, près de la station de métro « Saint-Martin » par l’inspecteur Clévy. Avec elle, ont été arrêtés Mme Schrodt et le nommé Tréand, âgé de trente-neuf ans, membre du comité central du parti communiste.
Tout de suite, Mmes Ginollin et Schrodt reconnaissent s'être concertées pour faire reparaître le journal l’Humanité. Tréand, qui est plus dur, se refuse à s’expliquer sur son activité.

M. Jacques Duclos. C’est un rapport de flic. Vous en êtes alors ?

A l'extrême gauche. Il était aussi du deuxième bureau !

M. Pierre de Chevigné. Non ! Mais je tiens à rendre hommage à cette police du 20 juin 1940 qui n’était pas la police de Vichy...

Mme Renée Reyraud. Vous osez le dire !

M. Pierre de Chevigné. ...et qui, les Allemands étant entrés à Paris, n’hésitait pas à surveiller les kommandantur et à arrêter les Français qui s’y présentaient. (Applaudissements au centre et à droite. - Exclamations à l'extrême gauche.)

M. Roger Roucaute. la D.G.E.R applaudit. [Direction Générale des Etudes et Recherches, service de renseignements français]

Mme Eugénie Duvernois. C'est de la provocation. (Rires à droite.)

M. Pierre de Chevigné. Je lis donc la déposition de Mme Ginollin. J'ai ici la photographie de l’original que je tiens à la disposition de ceux de nos collègues qui voudraient vérifier. Donc, dès le lendemain 21 juin, Mme Ginollin comparaît devant le commissaire de police Lafont.
Après avoir décliné son identité et précisé, entre autres, qu’elle fut sténo-dactylographe de 1935 jusqu'au début de la guerre au siège de la fédérations des jeunesses communistes, Mme Ginollin déclare - je cite textuellement :
« Il est tout à fait exact qu'avec deux camarades, Mme Schrodt et M. Tréand, j'ai songé à faire paraître régulièrement le journal l'Humanité. Nous avons eu cette idée lorsque nous avons vu publier divers journaux tels que Le Matin ou La Victoire  »
On se réclame ainsi de Bunau-Varilla ! [A la tête du journal Le Matin]
« Je me suis adressée à cet effet, il y a deux ou trois jours, au service de presse de la Kommandantur 12, boulevard de la Madeleine à Paris. (Rires au centre et à droite. - Exclamations à l'extrême gauche.)

M. André Dufour. Ne riez pas, messieurs, vous y étiez plus souvent que nous à la Kommandantur ! (Rires et exclamations à gauche, au centre et à droite.)

M. Pierre de Chevigné. « J'ai été reçue par le lieutenant Weber » - un nom que nous connaissons bien - « à qui j'ai exposé le dessein de mes camarades et le mien. Il m'a répondu qu'en principe rien, ne s'opposait à la publication d'un journal, sous réserve de se conformer aux instructions qui seraient données : interdiction d’y faire paraître des nouvelles de caractère militaire, des bulletins météorologiques, des appels à des rassemblements et, d'une façon générale, tous articles pouvant créer une certaine agitation. Il a ajouté qu’il ne pouvait se prononcer immédiatement et de son propre chef, une conférence de presse devant avoir lieu la Kommandantur.
« Je suis retournée le voir le lendemain, c’est-à-dire hier, il m’a fait attendre toute la matinée » - il n’est pas galant - « et s’est borné à m’inviter à repasser l’après midi, le résultat de la conférence de presse n'étant pas encore connu.
« Dans l'après-midi, à quatre heures environ, il m’a reçue et, après m’avoir donnée les consignes générales dont j’ai parlé, il m’a déclaré que l'Humanité pouvait paraître ajoutant même, qu’elle devait le faire le plus tôt possible... »

Voix nombreuses à l'extrême gauche. Elle n'a jamais paru !

M. Pierre de Chevigné. Vous allez voir pourquoi elle n'a jamais paru.
« Il était entendu que tous les articles devaient être préalablement soumis à la censure de la kommandantur. (Très bien ! très bien ! à droite.)
« Je précise qu’hier, avant d’être reçue par le lieutenant Weber, j’ai eu à faire à un certain Dalbiez, que je ne connaissais pas et qui m’a paru être d’origine grecque, lequel m’a lu un certain nombre d’articles, donnant à entendre le « ton convenable ».
« Pour faire paraître l’Humanité, nous nous sommes adressés mes camarades et moi, à M. Dangon, demeurant 123, rue Montmartre, ex-imprimeur de l'Humanité. C’est moi qui suis allée le voir deux ou trois fois. M. Dangon m’a déclaré qu’il était prêt à imprimer le journal dès que nous aurions l’autorisation de paraître.
« La publication devait commencer, en principe, demain à midi... »,
Elle n’a pas commencé et pour cause, puisque la police française a arrêté M. Tréand et Mme Ginollin. (Exclamations à l'extrême gauche.)

M. Fernand Grenier. Entre 1940 et 1944, les collaborateurs et rédacteurs de l'Humanité ont été fusillés par suite de l'action de ce journal et parce qu'il paraissait clandestinement. Voilà la vérité !

M. Georges Cogniot. L'Humanité clandestine a publié 317 numéros illégaux. Il n'y a pas un seul journal qui pourrait en dire autant.
Vous devriez avoir honte de la besogne que vous faites. (Applaudissements à l'extrême gauche.)

M. Pierre de Chevigné. Je sais que vous avez mis en cause le journal que j'ai l'honneur de diriger, Le Pays. On lui a reproché de n'avoir pas paru dans la clandestinité. Certes, Le Pays n'a pas été un journal clandestin, mais de cette clandestinité-là, avec imprimatur du lieutenant Weber, moi je n'en aurais jamais voulu. (Applaudissements au centre et à droite.)

Mme Madelaine Braun. C'est un roman d'Agatha Christie que vous nous racontez là.

M. Pierre de Chevigné. Non, car c'est un triste roman policier.

M. Fernand Grenier. Il est très « moche » votre roman.

M. Pierre de Chevigné. Je continue ma lecture :
« la publication devait commencer, en principe, demain à midi, M. Dangon ne pouvant réunir les moyens matériels d’exécution auparavant. Je devais lui apporté la copie hier soir. Je ne lui ai rien apporté, ayant été arrêtée avec mes camarades avant d’avoir pu faire quoi que ce soit
« L'impression du journal l'Humanité devait être, dans notre esprit, payée grâce aux fonds provenant d’une souscription que nous nous proposions de lancer dans le public avec, naturellement, l’autorisation de la Kommandantur...»

M. Marcel Servin. N'est-ce pas la Gestapo qui devait payer le journal ?

M. Pierre de Chevigné. On ! Non, la Gestapo faisait de meilleurs placements ! (Rires au centre et à droite.)

M. Fernand Grenier. Elle misait par exemple sur le gaulliste Hardy.

M. Pierre de Chevigné. « En résumé, il est parfaitement exact que nous nous proposions, mes camarades Schrodt et Tréand, de faire reparaître dès demain, si la chose avait été possible, le journal l'Humanité.
« Sur demande (1). Je devais personnellement me charger de la rédaction générale du journal. Ma camarade Schrodt devait m'aider, sans attribution définie. M. Tréand devait s'occuper, lui aussi du journal d'une façon générale. Il est vraisemblable que le gérant eût été M. Schrodt mais nous n'avons même pas eu le temps de le consulter.
« Nous devions d’abord nous installer dans un petit bureau...».
Je passe, cela ne présente pas grand intérêt et ne change rien au fond de l'histoire.
Mais il y a par la suite quelques réponses assez suggestives. A une question : « Pouvez-vous justifier d'une autorisation quelconque des autorités militaires allemandes ? », Mme Ginollin répond : « Je vous ai exposé en toute sincérité les démarches que j'avais faites. Je n'ai aucune autorisation écrite. Je vous représente toutefois un lassez-passer qui m'a été délivré par le lieutenant Weber à qui j'ai eu affaire...»

M. Marcel Servin. Quand aurez-vous fini de calomnier le parti qui à verser son sang plus que tous les autres partis réunis ! (Applaudissements à l'extrême gauche. - Protestations à gauche, au centre et à droite.)

M. Pierre Villon. Vous êtes arrivés en France après la Libération. A vingt kilomètres derrière le front, vous ne pensiez qu'à dissoudre les états-majors FFI.
Voilà l'homme qui ose attaquer le parti communiste.

M. Marcel Servin. Quand on parlait de poubelles, tout à l'heure, on était trop modeste.

M. Robert Bruyneel. Est-ce vrai ou n'est-ce pas vrai ?

M. Marcel Servin. M. de Chevigné lui-même sait que ce n'est pas vrai.

M. Pierre de Chevigné. Je suppose que vous n'avez tout de même pas peur d'écouter ce que je dis ?

M. Marcel Servin. Moins peur que vous. Je constate simplement qu'il a fallu deux ans pour forger ces documents.

M. Arthur Ramette. On a mis deux ans pour fabriquer un faux.

M. Pierre de Chevigné. Sur une autre demande : « Vous n'ignorez pas que le journal l'Humanité a été suspendu. Pourquoi dès lors avez-vous tenté de le publier à nouveau ? », Mme Ginollin répond : « J’ai agi avec bonne foi. Je me suis adressée aux autorités allemandes parce que j’avais cru que c’était ce qu'il convenait de faire. Si j’avais cru qu il était nécessaire de m’adresser aux autorités françaises, je l’aurais fait aussi bien. (Rires à droite.) Je pensais que les décrets de suspension et de dissolution dont il vient d'être question ne recevaient plus d’application. »
Après lecture Mme Ginollin ajoute : « il est exact que l'Humanité devait paraître avec l’indication « organe central du parti communiste français »[»].

M. Georges Cogniot. Signé Jules Moch.

M. Arthur Ramette. Oh oui ! c'est « moche ». Les rédacteurs manquent d'imagination.

M. Pierre de Chevigné. Mme Ginollin a été encore interrogée le même jour. Son deuxième interrogatoire n’a pas grand intérêt et, au fond, confirme le premier.

M. Jacques Duclos. Vingt-deux, v'là les flics !

M. Pierre de Chevigné. J’indique simplement qu’interrogée sur les documents trouvés en sa possession quand elle fut arrêtée, Mme Ginollin déclara qu'ils lui avaient été remis par Tréand et qu’elle se proposait de les soumettre à la censure allemande pour publication dans le premier numéro imprimé de l’Humanité.

Mme Madelaine Braun. Où étiez-vous donc pour savoir tout cela ?

M. Pierre de Chevigné. Voici la liste de ces documents : un feuillet « La cinquième colonne chante victoire », un exemplaire de l'Humanité clandestine du 19 juin, un article intitulé : « Les radotages de Gustave Hervé », enfin un tract ainsi libellé : « Assez de sang, assez de misère et de ruines ». Ce tract était probablement destiné à exalter l'esprit de la Résistance. (Applaudissements au centre, à droite et à gauche. - Exclamations à l'extrême gauche.)

M. Marcel Servin. Qui donc disait qu'il ne fallait pas tuer d'Allemands ? C'était quelqu'un que vous connaissez bien et qui parlait derrière son micro à Londres (Applaudissements à l'extrême gauche. - Protestations au centre et sur divers bancs à gauche et à droite.)

M. Pierre de Chevigné. J'ai également l'interrogatoire de M. Tréand [...]" (2)

(1) Le Journal officiel indique de manière erronée "Sur demande, je devais". Or, dans la déposition on peut lire "Sur demande. Je devais [...]". ("Sur demande." désignant une question du commissaire Lafont).
(2) Journal officiel du 10 décembre 1947, pp. 55605561 et 5562.


Partie IV

Séance du 9 décembre 1947 (2/3)

Pierre de Chevigné poursuit en lisant l'interrogatoire de Maurice Tréand :

"M. Pierre de Chevigné. J'ai également l'interrogatoire de M. Tréand daté du même jour par le même commissaire Lafont. Tréand, lui, avait plus de métier. Il a commencé d'abord par tout nier. Quand on lui a montré la déposition de Mme Ginollin, qu'il a vu les documents qui avaient été saisis sur elle, il a fait une deuxième déposition, d'ailleurs courageuse et dont voici des extraits.

M. Georges Cogniot. Vous étiez donc là ?

M. Pierre de Chevigné. Tréand prend ses responsabilités et déclare : « J'estime que je n’avais pas à fournir spontanément des renseignements sur mon activité politique mais dès l’instant où des documents on été trouvés, tant sur une camarade que sur moi à ce sujet, je tiens à prendre mes responsabilités.
« Depuis lundi, en effet, nous nous sommes rencontrés quotidiennement, ma camarade Ginollin et moi, et nous nous tenions au courant de ce que nous faisions dans l’ordre d’idées qui nous intéressait. Désireux de faire reparaître l’Humanité dans les circonstances actuelles où, estimions-nous, elle avait un rôle à jouer, nous nous sommes adressés à la kommandantur pour savoir dans quelles conditions notre journal pourrait paraître. Nous tenions en effet, à ce que la chose eût un caractère de régularité indiscutable. (Rires au centre et à droite.) Mes notes traduisent très bien l'état d’esprit dans lequel nous agissions et l’attitude que nous avions adoptée ».
C’est un homme régulier M. Tréand; il voulait être en règle avec la loi; c’était, certes, la loi allemande, mais enfin, la loi quand même. (Rires sur les mêmes bancs. - Protestations à l'extrême gauche.)

M. Marcel Servin. Que vous respectiez.

M. Pierre de Chevigné. Après lecture, M. Tréand ajoute : « J'insiste sur ce fait : Par là même que nous nous adressions à M. Dangon, imprimeur de l'Humanité, nous montrions que notre activité était ostensible et la publication de l'Humanité régulière, et que, dès lors, il n’y avait rien de commun avec la publication de numéros ronéotypés pouvant être diffusés de façon plus ou moins clandestine, soit maintenant, soit dans l'avenir ».
M. Tréand déclare ensuite :
« Ma camarade Ginollin n’a fait de démarches que sur mes indications. J’ai été amené à lui conseiller celles-ci dans les circonstances suivantes : Revenant de Lille, où j'ai constaté que rien ne pouvait être publié sans l'autorisation de la Kommandantur, j'y ai appris, en outre, qu'en Belgique, un journal communiste ou plus exactement plusieurs journaux communistes paraissaient régulièrement avec l'autorisation des autorités allemandes locales ».

Mme Eugénie Duvernois. Vous ne connaissez pas beaucoup la lutte dans la clandestinité pour dire de pareilles énormités.

A l'extrême gauche. Flicaille !

M. Pierre de Chevigné. Ce n'est pas moi qui le dit, c'est M. Tréand.
« J'en ai conclu...

M. Georges Cogniot. C'est absolument faux.

M. Pierre de Chevigné. «... que ce qui était fait dans un lieu devait l'être dans l'autre, ou tout au moins pouvait l'être, et c'est alors que j'ai eu l'idée des démarches dont il vient d'être question.
« J'étais de très bonne foi et j'étais convaincu que seules les autorités locales d'occupation pouvait trancher les questions relatives à la publication du journal ».

M. Georges Cogniot. Qui vous a remis ces documents ?

M. Marc Sangnier. N'interrompez pas.

M. Pierre de Chevigné. J'entends demander où j'ai eu ces documents. Mais ce sont des documents de justice parfaitement réguliers. Ils se trouvent dans les archives, où vous pouvez les consulter. (Applaudissements au centre, à droite et sur quelques bancs à gauche. Exclamations à l'extrême gauche)
Les interrogatoires sont toujours dans les dossiers des inculpés au petit Parquet. [...]" (1)

(1) Journal officiel du 10 décembre 1947, p. 5562.


Partie V

Séance du 9 décembre 1947 (3/3)

Après avoir lu des extraits des dépositions de Jeanne Schrodt et de l'imprimeur Dangon, entendu comme témoin, cité les deux lettres de l'administration pénitentiaire annonçant les libérations de Ginollin et de Tréand et mentionnant l'intervention des Allemands, et évoqué un passage du procès-verbal rédigé par la commissaire Lafont, le député des Basses-Pyrénées conclut son intervention en annonçant qu'il publiera le lendemain dans son journal tous les documents cités et en condamnant la tentative de légalisation de l'Humanité en juin 1940 : 

"M. Pierre de Chevigné. [...] J'ai également sous les yeux les interrogatoires de Mmes Schrodt et Grunenberger. Ce sont des comparses dont les interrogatoires n'ajoutent rien au fond de l'affaire. Je vous lis quelques lignes d'une déposition de Mme Schrodt, qui confirme tout simplement :
« J'ai revu Mme Ginollin hier soir, à vingt heures trente environ, au métro Saint-Martin. Elle nous a déclaré que le lieutenant Weber avait, en tant que représentant de la Kommandantur, donné son assentiment à la publication de l'Humanité et que nous pourrions paraître vingt-quatre heures après c'est-à-dire aujourd'hui même, après avoir soumis les articles au visa de la censure. Elle devait, a-t-elle ajouté, revoir le lieutenant Weber à vingt-deux heures environ ».
J'ai enfin une déposition qui peut être contrôlée, celle de M. Dangon. M. Dangon, lui, n'était pas inculpé, ni arrêté; c'était un témoin libre. Vous le connaissez bien, c'est lui qui a imprimé l'Humanité, je crois, de 1925 à 1929. [...]

M. Pierre de Chevigné. M. Dangon reconnait avoir reçu la visite de Mme Ginollin, le 20 juin 1940, eu vue de la reparution de l'Humanité.
Dans la soirée, il lui fut remis une somme de 50.000 francs pour couvrir les premiers frais de remise en route — à ce moment-là, l'impression des journaux copiait moins cher qu'aujourd'hui... [...]
M. Pierre da Chevigné. Je ne vous lis pas la fin de la déposition de M. Dangon. Elle fait que confirmer les précédentes.
Mais l'intention de faire reparaître l'Humanité avec la bénédiction de la kommandantur était si claire que le commissaire Lafont prit la décision suivante — celle-là, je vous la lis :
« ...Vu ce qui précède :
« Attendu que la nommée Reydet, femme Ginollin, la nommée Lacloche, femme Schrodt, le nommé Tréand Maurice, la nommée Roux, femme Grunenberger, sont inculpés :
1° D'infraction au décret du 26 septembre 1939, portant dissolution des organisations communistes;
« 2° D'infraction au décret du 24 août 1939, autorisant la saisie et la suspension de certaines publications, décret en vertu duquel le journal l'Humanité a été suspendu suivant arrêté du ministre de l'intérieur du 26 août 1939, régulièrement notifié le même jour;
« Mettons les quatre personnes ci-dessus à la disposition de M. le procureur de la République, à qui nous transmettons la présente procédure avec les trois scellés dont il a été ci-dessus question. »
Cas quatre inculpés sont donc maintenus en prison; Mmes Ginollin, Schrodt et Grunenberger à la Petite-Roquette, et M. Tréand  à la Santé.
Ils en sortiront tous les quatre, non pas en juillet, comme l'a dit Mme Ginollln au cours de la dernière séance, mais quatre jours après, c'est-à-dire le 25 juin.
C'est très utile d'avoir des amis. Cela permet de sortir par la grande porte !
Les amis de Mme Ginollln et de M. Tréand, vous allez les connaître par la courte lettre que vais vous lire, adressée par le directeur de la maison d'arrêt de la Petite-Roquette à M. le procureur général près la cour d'appel de Paris :
« J'ai l'honneur de vous rendre compte qu'au cours d'une visite des autorités allemandes, hier 25 juin, à la prison de la Roquette, la détenue désignée ci-après a été libérée sur ordre de M. la docteur Fritz, conseiller supérieur près le chef de l'administration supérieure allemande à la Chambre des députés :
« Reydet Eglantine Denise, femme Ginollln, âgée de trente-deux ans, inculpée d'infraction au décret du 26 septembre 1939 et publication irrégulière d'un périodique, mandat de dépôt de M. le juge d'instruction Pihier du 22 juin 1940. » (Interruptions à l'extrême gauche.)

M. Pierre July. Voilà de la résistance, ou je n'y connais rien.

M. Fernand Grenier. Si vous nous parliez des rapports de Passy et de la France libre de Londres, avec la cagoule, pendant l'occupation ? (Exclamations au centre et à droite)

M. Pierre da Chevigné. Une lettre analogue a été adressés presque dans les mêmes termes par la directeur de la prison de la Santé à M. Pihier, juge d'instruction.

M. Georges Cogniot. C'est un vrai répertoire de police !

M. Pierre de Chevigné. Ce ne sont pas des rapports de police, Il s'agit d'une lettre adressée au juge d'instruction :
« J'ai l'honneur de vous rendre compte que le nommé Tréand Maurice Joseph, écroué le 22 juin 1940 en vertu d'un mandat de dépôt de votre cabinet pour l'infraction au décret-loi du 26 septembre 1999 et fabrication irrégulière d'un périodique supprimé, a été mis en liberté ce jour par ordre verbal de M. Fritz, conseiller supérieur de l'administration militaire allemande »
Si vous considérez que ces pièces sont des faux, je vous réponds d'abord que vous pouvez les consulter, ensuite — je vais vous rendra la partie belle — que je vais les publier demain matin et vous pourrez ainsi très facilement me poursuivre en diffamation. (Applaudissements à droite et au centre.)

Mme Engénie Duvernois. Ce n'est pas avec cela que vous salirez la Résistance.

M. Roger Roucaute. Ce sont des rapports de « flics ».

M. Pierre de Chevigné. Je referme ce dossier. Je crois que la cause est entendue.
Avant l'armistice, c'est ce qui est le plus grave, alors que le feu n'avait pas cessé, alors que des Français mouraient encore, alors que déjà, dans l'Empire et les territoires alliés, des hommes reprenaient la lutte, d'autres Français pensaient à s'arranger avec les autorités allemandes pour reprendre leur activité partisane. (Protestation à l'extrême gauche.)

Mme Engénie Duvernois. C'est une insulte à nos morts ! [...]

M. Robert Bruyneel. Oui ou non, Mme Ginollin a-t-elle fait les démarches dont on a parlé ?

M. Marcel Servin. Non, vous le savez bien.

Mme Eugénie Duvernois. C'est du roman policier !

M. Georges Cogniot. C'est du Jules Moch !" (1)

(1) Journal officiel du 10 décembre 1947, pp. 5562, 5563 et 5564.


Partie VI

Denise Ginollin

La polémique entre Denise Ginollin et Pierre de Chevigné prend fin à la séance du 11 décembre avec un dernier échange entre les deux protagonistes.

Au début de cette séance, sous le prétexte d'un rappel au règlement, la député communiste prend la parole pour dénoncer les propos que ce dernier a tenus dans l'hémicycle le 9 décembre :

"Mme Denise Ginollin. Mesdames, messieurs, j'ai été mise en cause M. de Chevigné dans des termes qu'il ne m'est pas possible de laisser sans réponse.
J'ai, d'abord, quelques remarques à faire sur la façon de procéder de M. de Chevigné. [...]
J'en arrive au fait lui-même. (Mouvements divers au centre et à droite.)
Soyez tranquilles ! Vous allez être servis. (Applaudissements à l'extrême gauche.)
Vous avez fait état, monsieur de Chevlgné, de documents qui, je l'affirme, ne sont autre chose que des faux qui déshonorent ceux qui les utilisent et ceux qui les répandent. (Applaudissements à l'extrême gauche.)

[Juin 1940]

Vous avez prétendu que je ne m'étais pas expliquée sur mon activité en 1940. Permettez-moi de vous répondre, monsieur de Chevigné, que vous ne savez pas lire. Mais je vais vous y aider. [...]
En juin 1940, lors de la débâcle, j'étais à Paris. Alors que la radio semait la panique, appelait à la fuite, j'ai considéré que mon devoir était de rester dans ma ville. Car je savais que rien n'était fini. Les Boches arrivaient à la porte de Montreuil. Je les ai vus camper place de Clichy. Mais, je savais qu'un jour ils fuiraient et je suis restée a Paris, dans mon pays, pour aider, dans la mesure de mes moyens, à leur défaite. (Applaudissements à l'extrême gauche.)

[Arrestation puis libération]

J'ai été arrêtée en 1940, je le répète, comme militante communiste pour mon activité illégale au service de mon pays depuis 1939, activité que j'ai reconnue avec fierté devant le juge d'instruction. (Applaudissements sur les mêmes bancs.) La police allemande, vous le savez bien ! à cette époque, n'opérait pas elle-même. Elle faisait agir la police française, et certains policiers — je dis bien : certains — qu'on retrouve dans le syndicat des épurés, déployaient à cette besogne un zèle méritoire.
J'ai été arrêtée en 1940 par la police française. J'ai été libérée de la prison de la Roquette avec d'autres détenues, arrêtées pour propos dans les queues ou pour faits de ce genre. Vous auriez sans doute voulu, monsieur de Chevigné, que je refuse de quitter la prison de la Roquette et que les Boches me trouvent dans quelque camp de concentration, d'où ils auraient pu m'envoyer au poteau d'exécution ? Libérée par la Gestapo, avez-vous dit ! Le mensonge est un peu gros. Il vous est facile de vérifier.
J'habitais alors 87, rue des Orteaux, dans le 20e arrondissement, et vingt-quatre heures après ma libération de la Petite Roquette la police se représentait à mon domicile pour m’arrêter à nouveau. Vous pouvez vérifier, si vous le voulez. [...]

[Résistance]

Dès que j'ai été libre, j'ai repris mon activité de militante. Vous ne semblez pas goûter beaucoup cette autre époque de mon activité de résistante, monsieur de Chevigné ! Je m'en excuse, mais je renouvelle mes déclarations. J'ai échappé encore à la police, en 1942, à Troyes, où je n'ai dû ma liberté qu'à la fuite, en abandonnant entre les mains des policiers de Pétain mes papiers d'identité, mon argent et mes vêlements.
Quant à mon arrestation en 1943, je rappelle que j'ai été arrêtée par la S.P.A.C. et livrée par elle à la Gestapo, condamnée à mort par le tribunal allemand de Nantes pour aide aux francs-tireurs et partisans, puis déportée à Ravensbruck et Mauthausen (Applaudissements à l'extrême gauche) [...]

Mme Denise Ginollin. Mon attitude au camp a été celle d'une Française qui considérait que la Résistance n'était pas terminée pour elle.

[L'Humanité]

J'ai relevé dans l'intervention de M. de Chevigné parlant du journal qu'il dirige, cette remarque : « Le Pays n'a pas été un journal clandestin. Mais de cette clandestinité-là, avec l'imprimatur du lieutenant Weber, moi, je n'en aurais pas voulu » Eh bien ! monsieur de Chevigné, je vous demande d'amener un seul numéro de « l'Huma » qui ait paru avec l'approbation de la kommandantur. (Applaudissements à l'extrême gauche. Exclamations au centre et à droite.) Pas un seul numéro de l'Humanité n'a paru avec l'autorisation de cette kommandantur et vous savez bien que l'Humanité a été le seul organe clandestin à cette époque. (Protestations au centre et à droite. —Applaudissements à l'extrême gauche.) [...]

Mme Denise Ginollin. C'est l'honneur de notre « Humanité », c'est l'honneur de notre comité central et de tous nos militants communistes d'avoir été les premiers à braver la Gestapo et la police de Pétain pour ranimer l'espoir des Français et pour appeler les patriotes à la Résistance, et vos faux et vos injures n'effaceront jamais cela. Vous le savez et c'est ce qui vous enrage. (Applaudissements à l'extrême gauche.)

[Références de M. de Chevigné]

Voilà mes références. Mais maintenant, je veux citer les références de M. de Chevigné.
J'affirme que les basses calomnies et les faux dont il a fait usage, il est allé les chercher, je le répète, dans les poubelles de journaux comme l'Epoque, qui compte parmi ses collaborateurs un certain Picard, lequel a été, sous l'occupation, le chef des indicateurs envoyés par les Boches dans les organisation de résistance, ce M. Picard blanchi maintenant comme tant d'autres et qui a été arrêté, il y a quelque temps, pour une affaire liée au plan bleu. (Exclamations au centre et à droite.)
Ces gens-là, convaincus de trahison, ne sont pas à un faux près, n'est-ce pas ? [...]
Je pourrais ajouter d'autres noms à cette liste, car j'en ai beaucoup. M. de Chevigné est bien en cour, comme vous le voyez. On a les amis qu'on mérite. (Applaudissements à l'extrême gauche.)

[faux dignes des officines de la Gestapo]

Mme Denise Ginollin. [...] Mais je répète que les documents que vous utilisez, monsieur de Chevigné, sont des faux dignes des officines de la Gestapo (Applaudissements à l'extrême gauche.)
Tous ont été fabriqués pour la mauvaise cause que vous servez aujourd'hui et qui n'est pas celle de la République.
Si vous saviez que j'ai été, à un moment quelconque, libérée par la Gestapo et compromise par elle, vous vous garderiez bien de le dire aujourd'hui, vous vous garderiez bien de me démasquer. Vous feriez avec moi comme vous avez fait avec d'autres. pour que je continue, au sein de mon parti, la sale besogne que faisaient ces traîtres, que nous avons chassés de nos rangs et qui ont trouvé la mort qu'ils méritaient, la mort des lâches. (Applaudissements à l'extrême gauche.)
Si j'avais été libérée par la Gestapo, compromise par elle, je n'aurais pas été condamné à mort par un tribunal militaire allemand et déportée à Ravensbruck et à Mauthausen. (Applaudissements à l'extrême gauche.) Je n aurais pas sur moi les traces des violences que j'ai subies. La Gestapo aurait simulé une évasion, comme elle a fait pour d'autres, et j'aurais pu faire, au sein de la Résistance, le travail de traîtres comme Hardy, pour lequel vous réclamez [pitié ?] et qu'on retrouve parmi les hommes du plan bleu. (Applaudissements à l'extrême gauche.)

[Calomnies du PCF]

Tout cela, vous le savez. Mais vous mentez parce que le parti communiste apparaît de jour en jour davantage comme le seul décidé défendre les institutions républicaines et l'indépendance français contre vous, comme il les a défendues contre l'occupant. (Applaudissements à l'extrême gauche. — Exclamations et rires au centre et à droite.)
Vous en êtes réduit à l'insulte et à l'utilisation de faux policiers parce que vous ne pouvez plus, parce que vous ne pourrez plus renouveler ce que vous avez fait contre le parti communiste : l'emprisonnement des militants, la destitution des élus et l'assassinat des communistes, malgré ce que souhaite le rassemblement du peuple français, auquel vous appartenez. (Exclamations au centre et à droite) — (Applaudissements à l'extrême gauche.)
Votre haine anticommuniste vous conduit déjà loin. Mais vos insultes et vos faux policiers me montrent que j'ai bien fait de choisir le chemin qui est le mien, et je veux vous dire, du haut de cette tribune, ma fierté d'appartenir au parti que vous attaquez avec de telles armes.
De ce côté de l'Assemblée (l'extrême (fauche) nous nous appuyons sur quelque chose de solide. Ce quelque chose, c'est le peuple, et contre cela vous ne pourrez jamais rien faire. C'est tout ce que j'ai à vous dire.  (Applaudissements prolongés à l'extrême gauche.)". (1)

Denise Ginollin maintient sa position en arguant que les accusations de Pierre de Chevigné ne sont que des calomnies, des mensonges et des insultes visant à discréditer le Parti communiste avec des documents qui ne sont que des "faux dignes des officines de la Gestapo".

(1) Journal officiel du 12 décembre 1947, pp. 5622-5623.


Le Président

Avant de donner la parole à Pierre de Chevigné, le président fait été de sa lassitude en soulignant que cette polémique n'a que trop duré :

M. Pierre de Chevigné. Je demande la parole. [...]

M. le président. Il faut en finir avec cet incident.

M. Pierre de Chevigné. Je suis entièrement d'accord avec vous, monsieur le président.

M. le président. Il est exact qu'à deux reprises cet incident a été évoqué ici; la première fois, l'un des interlocuteurs manquait; la seconde fois, c'était l'autre.
Nous ne pouvons admettre que, de ce fait, de tels incidents ne cessent de rebondir. Je viens de donner la parole à Mme Ginollin par une interprétation, je crois, libérale du règlement (Approbations au centre et à droite), comme je l'ai fait avec vous, monsieur de Chevigné. (Rire à l'extrême gauche.)
Je vous demande, monsieur de Chévigné, de comprendre qu'il faut en finir. Cependant, puisque vous avez été mis en cause, je veux bien vous autoriser à dire quelques mots, mais quelques mots seulement, et l'incident sera clos. (Très bien ! très bien ! sur de nombreux bancs.)". (1)

(1) Journal officiel du 12 décembre 1947, p 5623.


Pierre de Chevigné

Accusé d'être un menteur et un falsificateur, Pierre de Chevigné propose à Denise Ginollin de régler leur différent devant la justice en précisant que si les faits qu'il dénonce sont exacts alors une instruction pour intelligence avec l'ennemi devra être ouverte contre PCF, et fait cette proposition en lui rappelant à demi-mot sa présence dans la délégation communiste reçue à l'ambassade d'Allemagne le 26 juin 1940 :

"M. Pierre de Cheyigné. C'est entendu monsieur le président. Je vous remercie. Je ne garderai pas la parole plus d'une minute.
Je comprends très bien l'émotion de Mme Ginollin et celle de son parti. (Rires et exclamations à l'extrême gauche.) J'ai apporté, à la tribune de cette Assemblée,...

M. Arthur Ramette. Mouchard !

M. Pierre de Chevigné. ...des documents, des faits...

A l'extrême gauche. Des calomnies.

M. Pierre de Chevigné. ...qui, s'ils sont exacts, sont, en effet, très graves, accablants, car, s'ils sont exacts, ils constituent un crime d'intelligences avec l'ennemi ! (Très bien ! très bien ! au centre à droite. — Exclamations à l'extrême gauche.) [...]

M. Pierre de Chevigné. Je partage l'opinion de M. le président de cette Assemblée; cette affaire ne doit plus être évoquée dans cette enceinte.
Il y a quelques jours, j'ai proposé au parti communiste de la transporter dans une autre enceinte, dans une enceinte de justice. Dans cette enceinte de justice, si les faits ne sont pas reconnus exacts, c'est moi qui serai condamné; s'ils sont reconnus exacts, nul doute qu'il sera ouvert une instruction pour intelligences avec l'ennemi contre Mme Ginollin et contre son parti nom duquel elle a agi. (Applaudissements sur de nombreux bancs au centre, à gauche et à à droite. — Vives protestations à l'extrême gauche.) [...]

M. Pierre de Chevigné. Je demande donc à Mme Ginollin de venir avec moi devant la justice. [...]

M. Pierre de Chevigné. Je tiens en passant à l'informer — car elle n'a pas l'air de le savoir — que si Le Pays n'a pas paru sous l'occupation, c'est parce que j'avais quitté la France et que j'étais... [...]

M. Pierre de Chevigné. J'étais alors, depuis juin 1940, dans les forces françaises combattantes. (Applaudissements au centre.) Je suis certain que, de son côté, Mme Denise Ginollin justifiera sa conduite du 20 juin et qu'elle justifiera aussi sa conduite au lendemain de sa libération, quand elle est allée faire quelques autres visites dont nous pourrons reparler un jour ou l'autre.

A l'extrême gauche. Calomniateur !

M. Pierre de Chevigné. Je donne rendez-vous maintenant à Mme Ginollin et surtout au parti communiste, qui se solidarise avec elle, devant la justice. (Applaudissements sur de nombreux bancs au centre, à gauche et à droite.) [...]

M. le président. L'incident est clos." (1)

(1) Journal officiel du 12 décembre 1947, pp. 5623-5624.