Le 1er août 1940, Viatcheslav Molotov, Chef du gouvernement soviétique, prononce à la 7e session extraordinaire du Soviet suprême un discours (Document 1) dans lequel il dresse le bilan de la politique
extérieure de son gouvernement.
Situation internationale
Entre le 29 mars 1940 - discours de Molotov à la 6e session extraordinaire du Soviet suprême - et le 1er août 1940, la situation internationale a connu des bouleversements majeurs.
Tout d'abord, les succès militaires de l'Allemagne au printemps 1940 : Danemark, Norvège, Belgique Hollande, Luxembourg et France.
Ensuite, le refus de l'Angleterre d'accepter les propositions de Paix formulées par le Chancelier Hitler dans son discours du 19 juillet 1940 célébrant la victoire de
l'Allemagne sur la France. Propositions de Paix qu'il avait déjà présentées dans son allocution
prononcée le 6 octobre 1939 à la suite de la Campagne victorieuse de
Pologne. L'Angleterre reste ainsi le dernier pays engagé militairement
contre l'Allemagne nazie.
Enfin, la soviétisation des trois Etats baltes : Lituanie, Estonie et
Lettonie, et l'annexion de deux régions roumaines : la Bessarabie et la Bukovine du
Nord.
Ces annexions sont la conséquence directe du Pacte germano-soviétique et notamment de son Protocole additionnel secret
qui place ces territoires dans la sphère d'intérêts soviétiques à
l'exception de la Bukovine du Nord, nouvelle revendication territoriale
de l'URSS à laquelle l'Allemagne a répondu favorablement.
Discours de Molotov
Dans
son discours du 1er août 1940, le chef du gouvernement soviétique décrit la situation
militaire de l'Europe en guerre, explique les causes de la défaite
française et dénonce le refus de l'Angleterre d'accepter les
propositions de Paix allemandes avant de dresser un tableau des
relations bilatérales entre l'URSS et plusieurs pays et de terminer sur
l'hypothèse d'un conflit européen qui risque de dégénérer en guerre
mondiale et sur la nécessité pour l'URSS de rester vigilante.
Concernant
les causes de la défaite française Molotov avance trois arguments.
D'abord, l'impréparation militaire. Ensuite, le refus de la France, "contrairement à l'Allemagne",
de considérer l'URSS comme un partenaire à part entière. Référence
implicite aux négociations engagées entre la France, l'Angleterre et
l'URSS entre avril et août 1939 pour la signature d'un Pacte d'assistance mutuelle qui se sont
terminées par un échec que Molotov a d'ailleurs attribué aux
gouvernement français et anglais dans son discours du 31 août 1939.
Enfin, la méfiance du gouvernement français vis-à-vis de son peuple.
Mention indirecte à la répression du Parti communiste en raison de son
engagement en faveur de la Paix avec l'Allemagne nazie.
Sur le cas particulier des relations bilatérales entre l'URSS et l'Allemagne nazie, Molotov indique que l'URSS a "strictement" respecté les accords germano-soviétiques du 23 août 1939 et du 28 septembre 1939 garantissant ainsi à "l'Allemagne une certitude de calme à l'Est" autrement dit de ne faire la guerre que sur un seul front.
En
outre, le chef du gouvernement soviétique rejette les affirmations de
la presse étrangère sur l'existence de tensions entre l'URSS et
l'Allemagne en déclarant qu' "à la base des relations amicales et de bon voisinage qui se sont
établies entre l'URSS et l'Allemagne se trouvent non seulement des
éléments fortuits de conjoncture, mais des intérêts d'Etat fondamentaux
de l'Union Soviétique comme de l'Allemagne".
On retrouve la même affirmation quant à la nature des relations germano-soviétiques dans un communiqué de l'agence de presse officielle Tass diffusé en juin 1940 en URSS dans la presse et à la radio :
"Dans le
cadre de l'entrée des troupes soviétiques dans les pays baltes, des
rumeurs ont récemment encore été propagées affirmant que 100 à 150
divisions ont été concentrées à la frontière lituano-allemande, que
cette concentration des troupes soviétiques était due à l'insatisfaction
de l'Union soviétique devant les succès de l'Allemagne à l'Ouest, et
que cela révélait une détérioration des relations germano-soviétiques, et
était conçu pour exercer une pression sur l'Allemagne. Récemment,
différentes versions de ces rumeurs ont été répétées presque tous les
jours dans la presse américaine, japonaise, anglaise, française, turque
et suédoise.
Tass est autorisé à déclarer que toutes ces
rumeurs, dont l'absurdité est de toute façon évidente, ne correspondent
en rien à la vérité. Dans les pays baltes il n'y a, en fait, ni 100, ni
150 divisions, mais, en tout, pas plus de 18 à 20 divisions, et ces
divisions ne sont pas concentrées à la frontière lituano-allemande, mais
dans différents districts des trois républiques baltes, et leur but
n'est pas d'exercer une "pression" sur l'Allemagne, mais de fournir une
garantie pour l'exécution des pactes d'assistance mutuelle entre l'URSS
et ces pays.
Les cercles dirigeants soviétiques sont d'avis
que la propagation de ces rumeurs absurdes vise en particulier à
obscurcir les relations germano-soviétiques. Ces personnes, cependant,
prennent leurs désirs secrets pour la réalité. Apparemment, ils sont
incapables de saisir le fait évident que les relations de bon voisinage,
résultant de la conclusion du pacte de non-agression entre l'URSS et
l'Allemagne, ne peuvent pas être altérées par des rumeurs ou une insignifiante propagande empoisonnée,
parce que ces relations ne sont pas fondées sur des motifs
d'opportunisme, mais sur les intérêts fondamentaux de l'URSS et
l'Allemagne".
Diffusion
Le discours de Molotov sera célébré dans l'Humanité n° 67 du 5 août 1940 avec un article intitulé "Au soviet suprême de l'URSS un grand discours du camarade Molotov" :
"Le
1er Août, le camarade MOLOTOV, devant le Soviet suprême de l'URSS, a
prononcé un grand discours sur la politique extérieure de l'URSS. [...]
MOLOTOV
a examiné la situation internationale après la défaite et la
capitulation de la France qui a obtenu un armistice et non la paix.
Parmi les causes de cette défaite, MOLOTOV a souligné la mauvaise
préparation militaire (à quoi a-t-on dépensé nos milliards), la légèreté
avec laquelle les gouvernements français se sont comportés à l'égard
d'une puissance comme l'URSS, et la crainte inspirée à ces gouvernants
par le peuple français si justement fier de ses traditions de liberté et
de lutte révolutionnaire."
Il
sera en outre publié clandestinement par le Parti communiste sous la
forme de brochure avec à la page 8 la mention suivante : "Discours
du camarade Molotov édité illégalement par le Parti communiste
français, l'Ambassade d'Allemagne ayant refusé l'autorisation de le
faire imprimer normalement".
Jacques Duclos, responsable du Parti communiste clandestin, mentionnera d'ailleurs cette initiative dans son rapport à l'IC du 5 août 1940 : "nous somme en train d'éditer le discours du camarade Molotov et nous allons essayer de le faire vendre dans la rue". (1)
Dans un télégramme du 8 août 1940 envoyé au secrétaire général de l'IC, Georgi Dimitrov, il apportera les précisions suivantes : "Le discours de Molotov est publié légalement sans demande permission en 35 mille exemplaires et on continue". (2)
Jacques Duclos, responsable du Parti communiste clandestin, mentionnera d'ailleurs cette initiative dans son rapport à l'IC du 5 août 1940 : "nous somme en train d'éditer le discours du camarade Molotov et nous allons essayer de le faire vendre dans la rue". (1)
Dans un télégramme du 8 août 1940 envoyé au secrétaire général de l'IC, Georgi Dimitrov, il apportera les précisions suivantes : "Le discours de Molotov est publié légalement sans demande permission en 35 mille exemplaires et on continue". (2)
Enfin,
pour souligner la totale adhésion du Parti communiste à l'alliance
germano-soviétique, on citera un texte de Gabriel Péri de janvier 1941 intitulé "Au seuil de 1941" dans lequel le dirigeant communiste reprend l'affirmation de Molotov selon laquelle les relations germano-soviétiques sont fondées sur les "intérêts d'Etat fondamentaux
de l'Union Soviétique comme de l'Allemagne" :
"L'URSS a signé avec l'Allemagne un Pacte de non-agression. Ce pacte a facilité la conclusion d'accords commerciaux entre les deux pays. Dans le cadre des relations pacifiques qui se sont établies entre l'URSS et l'Allemagne se sont déroulées à la mi-novembre les entretiens Molotov-Hitler à Berlin. Enfin le 10 janvier ont tété signés entre l'Allemagne et l'URSS trois autres accords. [...] Ces conventions on le voit, correspondent à la conception souvent définie par Molotov des relations germano-soviétiques. Ces relations ne sont pas fondées — a expliqué le Président du Conseil des Commissaires du Peuple — sur des circonstances fortuites mais correspondent aux intérêts fondamentaux des deux Etats".
(1) Cahiers d'histoire de l'institut de recherches marxistes, 1940, n° 42, 1990, p. 96 (texte intégral).
(2) B. Bayerlein, M. Narinski, B. Studer, S. Wolikow, Moscou, Paris, Berlin. Télégrammes chiffrés du Komintern, 1939-1941, 2003, p. 283.
Document 1 :
Discours de Viatcheslav Molotov
du 1er août 1940
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Camarades Députés,
Au cours des 4 mois qui se sont écoulés après la 6e session du Soviet Suprême, des événements d'une grande importance se sont déroulés en Europe.
[Défaite de la France]
A la suite des opérations militaires déployées par l'Allemagne d'abord au Danemark et en Norvège, ensuite en Belgique et en Hollande, et enfin sur le territoire de la France, la guerre en Europe a pris une grande ampleur.
Le 10 juin, l'Italie s`associait à l'Allemagne en déclarant la guerre à la France et à l'Angleterre, et de la sorte une quatrième grande puissance européenne est entrée en guerre.
Dès le printemps de cette année, la guerre se développait à une cadence accélérée. Sans s'arrêter aux événements qui ont eu lieu en Norvège, au Danemark, en Belgique et en Hollande, il convient de noter particulièrement la rapide défaite et la capitulation de la France : en un mois et demi à peine, l'armée allemande a non seulement brisé la résistance de la France, mais elle l'a contrainte à signer un armistice aux conditions duquel une grande partie du territoire français, avec Paris, continue à être occupée par les troupes allemandes. Néanmoins, la France, ayant obtenu l'armistice, n'a pas encore la paix. On ne sait encore rien, en général, des conditions de paix.
Des deux alliés adversaires de l'Allemagne et de l'Italie, il n'en reste plus qu'un, l'Angleterre, qui a décidé de continuer la guerre en bénéficiant de l'aide des Etats-Unis.
Il n'est pas nécessaire de s'arrêter ici à toutes les causes de la défaite de la France, qui a fait preuve d`une faiblesse exceptionnelle dans cette guerre. Il est clair qu'il ne s'agit pas ici seulement d'une mauvaise préparation militaire, quoique cette cause soit connue de tous. Un fait non négligeable a été le rôle joué par les cercles dirigeants français qui, agissant à l'inverse de l'Allemagne, se sont comportés trop à la légère dans la question de la place et du poids de l'URSS dans les affaires de l'Europe.
Les événements de ces derniers mois ont démontré nettement quelque chose de plus, notamment que les milieux dirigeants de la France n'étaient pas liés avec le peuple et que, loin de s'appuyer sur lui, ils le craignaient, lui qui s'était acquis la gloire méritée d'un peuple attaché en la liberté, ayant de glorieuses traditions révolutionnaires. Ceci est une des causes sérieuses de la faiblesse dont la France vient de faire preuve; maintenant, le peuple français a devant lui des tâches difficiles à remplir : il devra panser les blessures de la guerre et ensuite il lui faudra se consacrer aux tâches de régénération qui, toutefois, ne pourront plus être accomplies selon les anciennes méthodes.
[Angleterre impérialiste]
L'Allemagne a obtenu de grands succès dans la guerre contre les Alliés, mais elle n'a pas encore atteint le but fondamental, c'est-à-dire la cessation de la guerre aux conditions qu'elle désire. Le 19 juillet, le Chancelier du Reich a de nouveau adressé un appel à l'Angleterre, lui proposant de s'entendre au sujet de la Paix. Mais comme on le sait, le gouvernement anglais a repoussé ces propositions, voyant là une demande de capitulation et y a répondu en déclarant qu'il continuerait la guerre jusqu'à la victoire; il est même allé jusqu'à la rupture des rapports diplomatiques avec son alliée de la veille, la France.
Cela signifie que le gouvernement de l'Angleterre n'a pas voulu céder les colonies qu'il possède dans toutes les parties du globe, et s'est déclaré prêt à continuer la guerre pour son hégémonie mondiale, bien qu'après la défaite de la France et l'entrée en guerre de l'Italie aux côtés de l'Allemagne cette lutte soit devenue beaucoup plus difficile pour l'Angleterre.
La première année de guerre en Europe tire à sa fin, mais on n'aperçoit pas encore la fin de cette guerre. Il faut considérer actuellement comme plus probable que nous sommes à la veille d'une nouvelle étape, celle du développement des hostilités entre l'Allemagne et l'Italie, d'une part, et l'Angleterre aidée par les Etats-Unis, d'autre part.
[Relations avec l'Allemagne]
Tous les événements mentionnés n'ont pas changé la politique extérieure de l'Union Soviétique. Fidèle à sa politique de paix et de neutralité, l'Union Soviétique ne participe pas à la guerre. Nos relations avec l'Allemagne, après le tournant qui s'est opéré il y a près d'un an, continuent à se maintenir entièrement comme prévues par l'accord germano-soviétique.
Cet accord que le gouvernement soviétique a observé strictement, a écarté la possibilité de friction dans les relations germano-soviétiques, lors de l'application des mesures le long de notre frontière occidentale. En même temps, il assure à l'Allemagne une certitude de calme à l'Est. Le cours des événements en Europe non seulement n'a pas affaibli l'accord, mais au contraire, a souligné l'importance de son existence et de son développement ultérieur.
Ces derniers temps, la presse étrangère, et surtout la presse anglaise et anglophile a souvent spéculé sur la possibilité de divergences s entre l'Union Soviétique et l'Allemagne cherchant à nous effrayés par la perspective d'un renforcement de la puissance de l'Allemagne. Ces tentatives ont été plus d`une fois dénoncées et rejetées, aussi bien par nous que par l'Allemagne. Nous pouvons seulement confirmer qu'à notre avis, à la base des relations amicales et de bon voisinage qui se sont établies entre l'URSS et l'Allemagne. se trouvent non seulement des éléments fortuits de conjoncture, mais des intérêts d'Etat fondamentaux de l'Union Soviétique comme de l'Allemagne.
[Italie]
Il convient de noter également que nos relations avec l'Italie se sont améliorées dans la dernière période. Un échange de vues avec l'Italie a montré que dans le domaine de la politique extérieure, nos deux pays avaient la possibilité d'assurer une complète compréhension réciproque. L'espoir d'intensifier nos relations commerciales est aussi pleinement fondé.
[Angleterre]
En ce qui concerne les rapports anglo-soviétiques, aucun changement essentiel ne s'est produit ces derniers temps. Devant les actes inamicaux qu`il a fallu à plusieurs reprises exposer devant le Soviet Suprême, il était difficile de s'attendre à un développement favorable des rapports angle-soviétiques, bien que la nomination de M. Cripps au poste d`ambassadeur en URSS reflète probablement le désir de l'Angleterre d'améliorer à l'avenir ses relations avec l'Union Soviétique.
Permettez-moi maintenant de passer aux questions de politique extérieure dont la solution heureuse a abouti dernièrement à un agrandissement considérable de notre territoire et à un accroissement des forces de l'URSS. (Vifs applaudissements.)
[Roumanie]
Il n'est guère nécessaire de s'arrêter ici en détail aux circonstances de la réunion de la Bessarabie et de la Bukovine du Nord à 1'URSS; les documents correspondants ont été publiés intégralemcnt le 28 juin. Les représentations que j"ai faites à l'Ambassadeur de Roumanie, M. Davidescou, contenaient les propositions suivantes :
1) restituer la Bessarabie à l'URSS,
2) céder à l'URSS la partie septentrionale de la Bukovine.
On sait que le Gouvernement de Roumanie a accepté notre proposition et que le conflit entre l'URSS et la Roumanie, après avoir duré 22 ans, a été liquidé par voie pacifique. (Applaudissements) Les habitants de la Beassarabie et de la Bukovine du Nord, principalement des Ukrainiens et des Moldaves, ont eu la possibilité de se joindre à la famille unie des peuples soviétiques et d'inaugurer une vie nouvelle, celle d'un peuple libéré du pouvoir des boyards roumains, grands propriétaires et capitalistes. Nous savons maintenant avec quelle joie les habitants de la Bessarabie et de la Bukovine du Nord ont pris place dans les rangs des citoyens soviétiques.
Par la réunion de la Bessarabie, l'URSS s'est agrandie d'un territoire de 44 500 km², avec une population de 3 millions 200 000 habitants, et par la réunion de la Bukovine au Nord un territoire de 6 000 km², avec une population de plus de 500.000 habitants. Les frontières de l'URSS ont été ainsi avancées jusqu'au Danube qui, après la Volga, est le plus grand fleuve d'Europe et une des principales voies d'échanges commerciaux entre nombre de pays européens.
Vous savez, camarades, que le peuple soviétique tout entier a appris avec une joie et une satisfaction immenses la solution heureuse et depuis longtemps attendue de la question de la Bessarabie.
D'autre part, nos rapports avec la Roumanie doivent dorénavant prendre une tournure pleinement normale.
[Lituanie, l'Estonie et Lituanie]
Je passe maintenant à la question de nos relations avec la Lithuanie, la Lettonie et l'Esthonie.
La question des rapports de l'URSS avec les pays Baltes a pris ces derniers temps un nouvel aspect étant donné que les pacte d'assistance mutuelle conclus avec ces pays n'ont pas donné les résultats attendus. La conclusion de ces pactes n'a pas abouti à un rapprochement de la Lithuanie, de la Lettonie et de l'Esthonie avec l'URSS, parce que les groupes bourgeois dirigeants de ces pays s'y opposaient. Non seulement ces groupes dirigeants n`ont pas cherché à se rapprocher de l'URSS, comme on était en droit de l'attendre, semble-t-il, après la conclusion d'un pacte d'assistance mutuelle, mais ils ont multiplié les actions hostiles à l'égard de l'URSS, actions qu'ils menaient en secret, à l'insu de l'URSS. A cette fin, ils utilisaient la soi-disant « Entente Baltes » dirigée contre 1'URSS, qui au début ne comprenait que la Lettonie et l'Esthonie et qui, à la fin de l'année passée, se convertissait en alliance militaire comprenant la Lithuanie également.
Il s'ensuit que les groupes bourgeois dirigeants de Lithuanie, de Lettonie et d'Esthonie se sont avérés incapables d'appliquer honnêtement le pacte d'assistance mutuelle conclu avec l'URSS et qu'au contraire, ils ont renforcé leur activité hostile à l'URSS. Les faits témoignant que les gouvernements de ces pays avaient grossièrement violé les pactes d'assistance mutuelle, étaient toujours plus nombreux et il devenait absolument impossible de tolérer plus longtemps un tel état de choses, surtout dans les conditions créées par la situation internationale actuelle.
C'est pourquoi le Gouvernement de l'Union Soviétique a posé les exigences que vous connaissez d'un changement de la composition des Gouvernements de Lettonie, de Lithuanie, d'Esthonie et de l'entrée sur le territoire de ces pays d'unités complémentaires de l'Armée Rouge. Vous connaissez les résultats de ces mesures de notre Gouvernement.
La mesure la plus importante prise par les Gouvernements amis de l'Union Soviétique qui se sont créés en Lettonie, Lithuanie et Esthonie, a été l'organisation d'élections libres au Parlement. En juillet, eurent lieu des élections démocratiques à la Diète lithuanienne et lettone et à la Douma d'Etat d'Esthonie. Ces élections ont montré que la clique bourgeoise dirigeante de Lettonie, de Lithuanie et d'Esthonie n'exprimait pas la volonté de leur peuple, qu'elle ne représentait qu'un groupe restreint d'exploiteurs.
Les Diètes de Lithuanie et de Lettonie et la Douma d'Etat d'Esthonie, élues au suffrage universel égal et direct et au scrutin secret, ont déjà exprimé leur opinion unanime sur les problèmes politiques fondamentaux.
Nous pouvons constater avec satisfaction que les peuples letton, lithuanien et esthonien ont voté dans un même élan pour les représentants qui se sont prononcés unanimement en faveur de l'instauration du régime soviétique et de l'adhésion de la Lettonie, de la Lithuanie et de l'Esthonie à l'Union Soviétique. Par cela même les rapports entre la Lettonie, la Lithuanie et l'Esthonie et l'Union Soviétique doivent reposer sur une base nouvelle.
Le Soviet Suprême examinera la question de l'adhésion à l'Union Soviétique de la Lettonie, la Lithuanie et de Esthonie en qualité de Républiques Socialistes fédérées.
Nul doute que l'adhésion de ces républiques leur assurera un rapide essor économique et un vaste épanouissement de leur culture nationale, nul doute qu'en adhérant à l'Union Soviétique leurs forces seront considérablement multipliées, leur sécurité sera renforcée et en même temps s'accroîtra encore plus la puissance de la grande Union Soviétique. (Applaudissements prolongés.)
L'adhésion des pays haltes à l'URSS signifie que l'Union Soviétique augmente sa population de :
2 880 000 habitants de la Lithuanie,
l 950 000 habitants de la Lettonie,
1 200 000 habitants de l`Esthonie.
De la sorte, avec les populations de la Bessarabie et de la Bukovine, la population de l'Union Soviétique augmentera approximativement de 10 millions d'habitants. Si l'on y ajoute plus de 13 millions d'habitants de l'Ukraine occidentale et de la Biélorussie, il s'ensuit que l'Union Soviétique a augmenté sa population au cours de l'année écoulée de plus de 23 millions d'habitants. Il convient de noter que les 19/20 de cette population faisaient partie autrefois de l'Union Soviétique mais en avaient été arrachées de force par les puissances impérialistes occidentales à l'époque où l'URSS était faible du point de vue militaire. Aujourd'hui cette population est à nouveau réunie à l'Union Soviétique.
Après l'augmentation de sa population, l'Union Soviétique pourra maintenant parler de sa grande voix puissante au nom de ses 193 millions d'habitants sans compter l`accroissement de la population de l'Union Soviétique pour les années 1939 et 40. (Vifs applaudissements.)
Le fait que dorénavant les frontières de l'Union Soviétique seront transférées sur le littoral de la mer Baltique est d'une importance primordiale pour notre pays du fait que nous aurons des ports libres de glace sur la Baltique, ce dont nous avons grand besoin.
Les succès de la politique extérieure de l'Union Soviétique sont d'autant plus considérables que nous avons obtenu tout cela par des moyens pacifiques et que la solution pacifique de ces questions s'est déroulée avec l'appui et la participation active des grandes masses populaires de ces pays. (Applaudissements.)
Il faut dire en outre qu'une grande responsabilité incombe au gouvernement de l'URSS pour l'application juste et bien organisée des mesures pratiques pour la transformation politique et économique des nouvelles républiques soviétiques.
[Finlande]
A la dernière session du Soviet Suprême, il m'a été donné de faire un rapport sur le traité de paix conclu avec la Finlande. Un peu plus de quatre mois se sont écoulés depuis la conclusion de ce traité de paix qui, dans son ensemble, est appliqué de manière satisfaisante.
Au cours de cette période, a également été conclu un traité de commerce avec la Finlande, et les relations économiques entre nos deux pays peuvent avoir des perspectives favorables de développement. Le gouvernement finlandais a aussi accepté notre proposition sur la démilitarisation des Iles Aaland et l'établissement dans ces îles d'un consulat soviétique.
Quant au développement ultérieur des relations soviéto-finlandaises dans un sens favorable pour les deux pays, il ne dépend que de la Finlande elle-même. Il va de soi que si certains éléments des milieux dirigeants finlandais ne cessent pas leurs actes de répression contre les couches sociales de Finlande qui s'efforcent de consolider les rapports de bon voisinage avec nous, les rapports entre notre pays et la Finlande peuvent en souffrir.
[Norvège et Suède]
Nos relations avec les pays scandinaves, la Norvège et la Suède ne peuvent pas ne pas dépendre de la situation qui s'y est créée. En ce qui concerne la Norvège, on ne peut rien dire de définitif en ce moment étant donné sa situation particulière. Quant à la Suède, il faut reconnaitre que nos deux pays sont intéressés à un développement important des relations économiques et commerciales. Les pourparlers économiques qui sont actuellement menés avec la Suède, doivent aboutir à un accord offrant de grands avantages aux deux parties.
[Yougoslavie]
Pour les pays balkaniques, il convient de noter le fait de l'établissement de relations diplomatiques avec la Yougoslavie. Si d'une part il est vrai que nous n'étions nullement responsables de l'absence de relations diplomatiques entre la Yougoslavie et l'URSS, d'autre part l'établissement de ces relations vient d'avoir lieu sur la proposition du gouvernement yougoslave, proposition qui a été volontiers acceptée par nous.
On peut également espérer que nos relations économiques avec ce pays se développeront progressivement,
[Bulgarie]
Nos rapports avec la Bulgarie peuvent être considérés comme normaux. Entre ce pays nous il n'existe pas de contradiction susceptible d'empêcher l'amélioration ultérieure de ces relations.
[Turquie]
Dans nos rapports avec la Turquie, il n'a à noter aucune modification essentielle. Il convient seulement de dire que les document publiés dernièrement dans le « Livre Blanc » allemand jettent une lumière désagréable sur certains aspects de l'activité développée en Turquie. Les explications données ensuite par l'Ambassadeur de France en Turquie, Massigli, n'ont rien pu changer au caractère de ces documents.
Je dois dire que dès le début du mois d'avril, l'Union Soviétique avait fait une déclaration au sujet d'un fait inadmissible.
Il s'agissait du fait qu'au début d'avril, un avion étranger venant du territoire de Turquie, avait survolé la région de Batoum où se trouvent d'importants puits de pétrole. Tout d'abord, la Turquie essaya de présenter l'affaire comme si aucun avion n'était sorti du territoire turc, et ensuite elle promit de prendre des mesures. (Rires.) Après la publication par l'Allemagne des documents sus-dits, on voit de quel avion il s'agissait et que nos représentations au gouvernement turc étaient, en effet, pleinement fondées.
[Iran]
Quant à l'Iran, il n'y a à signaler aucun événement important. Cependant, on ne saurait passer sous silence le fait que la région de Bakou, comme celle de Batoum, a reçu, dans le courant du mois de mars, la visite de deux avions étrangers venant du côté de l'Iran. Le gouvernement iranien crut nécessaire de nier ce fait, mais dans ce cas aussi, les documents susmentionnés du « Livre Blanc » jettent une lumière suffisante sur le fait en question.
Il convient de remarquer que les envois répétés d'avions de reconnaissance étrangers, ne pouvaient aboutir à autre chose qu'à compliquer nos relations avec ces pays. Ces visites indésirables ont été interprétées par nous dans ce sens, qu'à l'avenir il était également nécessaire d'intensifier notre vigilance sur les frontières soviétiques du Sud. (Applaudissements.)
[Japon]
En ce qui concerne le Japon, on peut dire que, ces derniers temps, nos rapports ont tendance à se normaliser dans une certaine mesure. Le 9 juin, un accord est intervenu sur la délimitation des frontières dans les régions faisant l'objet du conflit de l'année dernière. Ce fait a d'autant plus d'importance que les atermoiements prolongés du Japon dans la solution de cette question ont eu une influence négative jusqu'à ces derniers temps sur le règlement des relations mutuelles entre l'URSS et le Japon, ainsi qu'entre la République Populaire de Mongolie et le Mandchoukouo. Une commission mixte procédera prochainement sur place à l'établissement de la frontière. Certains indices témoignent du côté japonais du désir d'améliorer ses rapports avec l'Union Soviétique. A condition que les deux parties reconnaissent leurs intérêts réciproques, une telle amélioration est réalisable. Il faut également remarquer que dans le programme du nouveau gouvernement japonais au sujet de la « nouvelle structure politique » beaucoup de points restent obscurs. Il est visible que l'expansion vers le sud, autour de laquelle les journaux japonais mènent grand bruit, attire de plus en plus l'attention des milieux dirigeants du Japon, surtout du fait que les changements survenus en Europe ne peuvent rester sans répercussion dans ces milieux. Toutefois leurs aspirations politiques restent encore obscures.
[Etats-Unis]
Je ne m'attarderais pas sur nos rapports avec les Etats-Unis, ne fût-ce que pour la seule raison qu'il est impossible d'en rien dire de bon. Il est arrivé à notre connaissance que les succès de la politique extérieure de l'Union Soviétique dans les pays baltes ne sont pas du goût de certaines personnes aux Etats-Unis, mais à vrai dire cela nous intéresse peu, étant donné que nous nous acquittons de nos tâches sans l'aide de ces messieurs mécontents. Cependant, le fait que les autorités des Etats-Unis retiennent illégalement l'or acheté tout dernièrement par la Banque d'Etat de l'URSS aux banques de Lithuanie, de Lettonie et d'Esthonie, élève de notre part la protestation la plus énergique. Nous ne pouvons que rappeler au Gouvernement des Etats-Unis ainsi qu'au Gouvernement anglais qu'ils portent la responsabilité de ces actes illégaux.
[Chine]
Quant à nos rapports avec la Grande Chine Nationale qui lutte pour son existence, ils ont conservé le caractère amical et de bon voisinage découlant du pacte de non-agression soviéto-chinois.
Permettez-moi de terminer là-dessus les observations concernant nos rapports avec certains pays.
[Risque de guerre mondiale]
Il me reste à dire quelques mots sur les perspectives générales du développement des événements internationaux.
Les changements qui se sont produits en Europe en raison des grands succès remportés par les armées allemandes ne peuvent être considérés comme permettant une prochaine liquidation de la guerre. Les événements ont abouti à ce qu'une des parties, et plus spécialement l'Allemagne, s'est considérablement renforcée par suite de ses succès utilitaires, tandis que l'autre partie cesse déjà de représenter un tout homogène.
Pendant que l'Angleterre éprouve de nouvelles et graves difficultés à continuer la guerre, la France, actuellement sortie de la guerre, traverse une crise pénible après la défaite. Le renforcement d'une partie belligérante et l'affaiblissement de l'autre ont de sérieuses répercussions non seulement en Europe mais dans les autres parties du monde.
Parmi les pays qui, outre la France, ont subi la défaite, la Belgique et la Hollande possèdent de grandes colonies qu'elles ne peuvent plus défendre avec la même force que par le passé. Il en résulte que la question d'un nouveau partage des colonies prend toujours plus d'acuité. Les appétits impérialistes s'aiguisent, non pas seulement dans le lointain Japon mais aussi aux Etats-Unis où il n'y a pas mal d'amateurs qui cherchent à dissimuler leurs plans impérialistes en étalant leur « souci » des intérêts de « l'hémisphère occidentale ». Ces Messieurs sont prêts à s'approprier les nombreuses possessions coloniales d'autrui dans les îles voisines du continent américain.
Tout cela menace de prolonger la guerre en la convertissant en guerre impérialiste mondiale.
[Vigilance de l'URSS]
Dans ces conditions, l'Union Soviétique doit faire preuve d'une vigilance extrême quant à sa sécurité extérieure et le renforcement de toutes ses positions intérieures et extérieures.
Aussi sommes-nous passés de la journée de travail de 7 heures à celle de 8 heures et avons-nous pris d'autres mesures, considérant que nous avons le devoir d'élever encore la puissance défensive et économique du pays, d'assurer le renforcement sérieux de la discipline parmi tous les travailleurs, de nous attacher encore plus à augmenter le rendement du travail dans notre pays.
Nous comptons de nouveaux et grands succès, mais nous ne pensons nullement nous contenter de ce qui est atteint. Afin d'assurer à l'URSS les nouveaux succès qui lui sont nécessaires, nous devons toujours nous remémorer les paroles de notre camarade Staline : « Il faut tenir tout notre peuple en état de mobilisation, pour qu'il soit prêt à faire face aux dangers d'une agression militaire, pour qu'aucun hasard, aucune manœuvre de nos ennemis extérieurs ne puisse jamais nous prendre au dépourvu. (Vifs applaudissements.)
Si nous nous souvenons tous de ce devoir sacré pour nous, aucun événement ne nous prendra au dépourvu et nous remporterons de nouveaux et encore plus glorieux succès.
(Les députés se lèvent et ovationnent longuement le camarade Molotov)
(Cahiers du Bolchévisme du 3e trimestre 1940) |