En février 1940, le Parti communiste s'adresse directement à ses militants dans un Appel "Aux membres du Parti Communiste Français (SFIC)" signé par Maurice Thorez et Jacques Duclos. (Document 1)
Dans ce tract, il justifie son opposition à la guerre contre l'Allemagne nazie, célèbre la fidélité de ses militants et de ses élus et enfin condamne ceux qui l'ont trahi.
La diffusion de ce texte répond à un objectif précis : préserver l'unité du Parti face aux attaques de ses anciens membres qui mettent en cause la légitimité de sa ligne politique et de sa direction.
La diffusion de ce texte répond à un objectif précis : préserver l'unité du Parti face aux attaques de ses anciens membres qui mettent en cause la légitimité de sa ligne politique et de sa direction.
Genèse
L'idée d'un texte destiné spécifiquement aux militants communistes a été formulée par Benoît Frachon, responsable du Parti communiste, dans une lettre du 16 janvier 1940 adressée à Jacques Duclos, secrétaire du PCF qui s'est réfugié à Bruxelles en octobre 1939 :
"Les renégats récents posent la question de l'activité et de la politique du Parti. Ils se prétendent les meilleurs défenseurs du Parti. [...]
A propos de Gitton. Il me semble bien se confirmer qu'on le tient en réserve pour travailler le P. [Parti] de l'intérieur. Dans 2 ou 3 régions des émissaires ont tenté de le présenter comme un cam [camarade] fidèle. La réaction a été bonne. Mais nous devons continuer à dénoncer. Nous faisons passer une nouvelle note dans nos matériaux et aux régions, indiquant qu'il faut recevoir les émissaires de G.[Gitton] comme des provocateurs de la police. [...]
A propos de Gitton. Il me semble bien se confirmer qu'on le tient en réserve pour travailler le P. [Parti] de l'intérieur. Dans 2 ou 3 régions des émissaires ont tenté de le présenter comme un cam [camarade] fidèle. La réaction a été bonne. Mais nous devons continuer à dénoncer. Nous faisons passer une nouvelle note dans nos matériaux et aux régions, indiquant qu'il faut recevoir les émissaires de G.[Gitton] comme des provocateurs de la police. [...]
Quoi qu'il en soit, la grande attaque est menée contre l'unité du P[Parti] pour sa désagrégation, et il faut s'attendre à un développement de l'offensive amorcée par les nouveaux renégats. Il est probable que les salauds utiliseront l'argument : quelle est la direction ? qui est-ce ? est-ce bien les dirigeants du P. [Parti] qui orientent sa politique. M. [Thorez] et J. [Duclos] sont partis, qui est-ce qui dirige etc.. etc..
Je vous soumets l'idée suivante : vous verrez si elle est réalisable : Faire un document sur la politique du P. [Parti] assez court pour être édité et diffusé largement par moyens rudimentaires et signé de dirigeants connus du P. [Parti] pour couper court à cette campagne. Si vous jugez que d'autres signatures soient utiles, les mettre. Mais faire vite." (1)
Dans sa lettre Benoît Frachon dénonce l'activité politique de ses anciens camarades en soulignant qu'elle constitue un grave danger pour l'unité du Parti.
Il cite deux cas précis. Tout d'abord "Gitton". Membre du secrétariat chargé de l'organisation, Marcel Gitton a rompu avec le PCF en novembre 1939. L'absence de toute déclaration publique à laisser un doute quant à la réalité de cette rupture. C'est pour cette raison qu'il a pu conserver des contacts avec des militants fidèles au Parti.
Ensuite, "les récents renégats", "les nouveaux renégats". Ces deux expressions font référence à 6 députés communistes qui ont rompu publiquement avec le Parti le 11 janvier 1940 : Sulpice Dewez, André Puech (dit Parsal), Roger Benenson, André Langumier, Darius Le Corre et Maurice Honel, Cette rupture a été provoquée par le refus de quatre de leurs camarades de rendre hommage aux armées de la République à la séance du 9 janvier 1940.
Dans la déclaration qu'ils ont adressée au président Herriot, les députés démissionnaires affirment leur attachement à la défense de la France, leur fidélité à leurs devoirs de soldats et enfin leur opposition à l'invasion soviétique de la Finlande :
"Nous affirmons hautement notre attachement la France et à sa défense et notre attachement indéfectible à la cause des revendications des masses laborieuses sur le terrain de la liberté et de la démocratie.
Mobilisés depuis le début de la guerre, nous nous sommes inclinés devant la discipline et avons accompli intégralement notre devoir de soldat.
Nous sommes aujourd'hui en mesure de déclarer que nous ne pouvons que nous élever contre une politique qui a abouti à l'attaque contre la Finlande et à une menace contre la liberté du pays de France par Hitler." (1)
Tous ces éléments sont en totale contradiction avec la ligne défendue par le Parti communiste.
A la contestation de la ligne politique vient s'ajouter comme l'écrit Benoît Frachon la mis en cause de la légitimité de la direction : "Il est probable que les salauds utiliseront l'argument : quelle est la direction ? qui est-ce ? est-ce bien les dirigeants du P. [Parti] qui orientent sa politique. M. [Thorez] et J. [Duclos] sont partis, qui est-ce qui dirige etc.. etc..".
Mise en cause d'autant plus dangereuse que les militants communistes sont persuadés que Maurice Thorez a déserté en octobre 1939 pour prendre la direction clandestine du Parti. Ils ne savent que leur secrétaire général s'est réfugié à Moscou en novembre 1939 après avoir séjourné quelques semaines en Belgique.
C'est donc pour préserver l'unité du Parti contre les attaques de ses anciens membres que Benoît Frachon formulent cette proposition : "Faire un document sur la politique du P. [Parti] assez court pour être édité et diffusé largement par moyens rudimentaires et signé de dirigeants connus du P. [Parti] pour couper court à cette campagne".
Ce document sera l'Appel "Aux membres du Parti Communiste Français (SFIC)" de février 1940.
Contenu
Dans son Appel "Aux membres du Parti Communiste Français (SFIC)" signé par Maurice Thorez et Jacques Duclos, le Parti communiste justifie son opposition à la guerre contre l'Allemagne nazie, célèbre la fidélité de ses militants et de ses élus et enfin condamne ceux qui l'ont trahi.
Preuve que le Parti est dirigé par Maurice Thorez, secrétaire général du PCF, et Jacques Duclos, secrétaire du PCF, le texte porte leur signature.
Ces signatures constituent un démenti formel à tous ceux qui affirment que les deux dirigeants ont quitté le territoire français et que la direction du Parti n'est donc pas légitime.
"Aux vils calomnies de l'ennemi, contre vos dirigeants, ripostez que, bien loin d'abandonner les responsabilités que vous leur avez confiées, ils sont en France, à leur poste de direction."
On rappellera que Jacques Duclos s'est réfugié à Bruxelles et Maurice Thorez à Moscou.
2) ligne politique.
Dans ce texte le Parti communiste rappelle qu'il est opposé à la guerre contre l'Allemagne nazie en raison de son caractère impérialiste et que la cause du conflit n'est le nazisme mais le capitalisme. Ses deux objectifs sont donc la Paix (libération nationale) et la Révolution socialiste (libération sociale).
Pour légitimer cette ligne politique, il précise les documents sur lesquels elle est fondée. Tout d'abord, un texte de son Comité central : la Résolution du 21 septembre 1939 intitulée "Il faut faire la Paix". Ensuite, deux textes de l'Internationale communiste : son Appel aux "Prolétaires et travailleurs du monde entier" de novembre 1939 et l'article de son secrétaire général, Georges Dimitrov, publié en novembre 1939 sous le titre "La guerre et la classe ouvrière des pays capitalistes".
Le texte célèbre "l'effort magnifique des militants innombrables, obscurs et modestes, fidèles à la classe et à leur Parti, qui diffusent l'Humanité illégale et répandent à profusion les tracts."
Il rend aussi hommage aux élus communistes "pour leurs actes courageux" et notamment aux députés "Bonte, Fajon, Raymond Guyot, Grenier, Michels, Mercier, Mouton".
Recherché par la police, Florimond Bonte a tenté de lire une déclaration du Parti communiste à la séance du 30 novembre 1939. Interrompu après quelques phrases il a été arrêté puis incarcéré.
A la séance du 9 janvier 1940 - la première de la nouvelle session parlementaire - Raymond Guyot, Fernand Grenier, André Mercier et Charles Michel, ont refusé de se lever pour applaudir l'hommage rendu aux armées de la République par le président de la Chambre. Ils ont ainsi manifesté l'opposition du Parti communiste à la guerre contre l'Allemagne nazie.
A la suite de cet incident la Chambre des députés a adopté un projet de loi aux termes duquel sont déchus de leur mandat tous les élus qui n'ont pas publiquement rompu avec le Parti communiste. Seuls ont voté contre les deux parlementaires communistes présents dans l'hémicycle : Adrien Mouton et Etienne Fajon. Cette loi a été promulguée le 20 janvier 1940.
4) Condamnation des traîtres.
Point essentiel du texte la mis en garde contre les anciens membres du Parti communiste qui sont accusés d'être des traîtres passés au service de classe bourgeoise :
"C'est pour essayer, bien en vain, d'enrayer les progrès de la propagande communiste que la réaction exploite la trahison d'une poignée de lâches renégats, passés à l'ennemi capitaliste. C'est pour essayer de jeter le trouble et la méfiance parmi nos militants et nos adhérents que la réaction a découvert ses propres agents, ses mouchards envoyés dans nos rangs, les Gitton, Vassart, Dewez. Par de tels procédés, la réaction croit pouvoir faire hésiter, voire démoraliser d'autres élus, d'autres communistes. Les militants ne seront pas dupes des méthodes policières de chantage, de corruption et de décomposition."
L'activité politique de ses démissionnaires constituant pour le Parti communiste une menace intérieure plus dangereuse que la répression policière, le texte contient ces recommandations :
"Démasquez, flétrissez les lâches, les renégats, les traîtres.
Criez-leur votre mépris et votre dégoût."
Document 1 : Appel "Aux membres du Parti communiste Français (SFIC)" de février 1940 (Tract).
Aux membres
du Parti Communiste Français (SFIC)
Chers Camarades,
Voici cinq mois déjà que les capitalistes ont déclenché la guerre. Les travailleurs peuvent constater, à la lumière des faits que notre Parti Communiste, une fois de plus, leur avait dit la vérité. La guerre est menée pour la défense des intérêts des exploiteurs. La réaction ne cache plus que le véritable ennemi contre lequel elle voudrait orienter la guerre, c'est l'Union Soviétique, le grand pays du socialisme. Et il est de plus en plus clair que c'est avant tout à l'intérieur, contre la classe ouvrière, contre les masses laborieuses, que les Daladier et les Reynaud, soutenus par les Blum et les Jouhaux, ont mené jusqu'alors la guerre.
C'était pour empêcher ces vérités d'éclater que notre Humanité fut interdite, que notre grand Parti, plus vivant que jamais, fut officiellement dissous, que les syndicats ouvriers ont été détruits, que des milliers et des milliers de combattant révolutionnaires ont été jetés dans les prisons et les camps de concentration.
Mais, sous les coups de la répression, le Parti tient ferme et son activité se développe. Ses mots d'ordre de lutte contre la guerre impérialiste, pour la paix, pénètrent dans toutes les couches de la population laborieuse, à l'usine, à la campagne, jusque dans les tranchées. C'est le résultat de l'effort magnifique des militants innombrables, obscurs et modestes, fidèles à la classe et à leur Parti, qui diffusent l'Humanité illégale et répandent à profusion les tracts. C'est le résultat de votre dévouement à tous, camarades du Parti, chers compagnons de lutte, des plus humbles aux plus justement admirés pour leurs actes courageux, Bonte, Fajon, Raymond Guyot, Grenier, Michels, Mercier, Mouton et autres qui continuent et renouvellent la glorieuse tradition de Liebknecht pendant la première guerre impérialiste.
C'est pour essayer, bien en vain, d'enrayer les progrès de la propagande communiste que la réaction exploite la trahison d'une poignée de lâches renégats, passés à l'ennemi capitaliste. C'est pour essayer de jeter le trouble et la méfiance parmi nos militants et nos adhérents que la réaction a découvert ses propres agents, ses mouchards envoyés dans nos rangs, les Gitton, Vassart, Dewez. Par de tels procédés, la réaction croit pouvoir faire hésiter, voire démoraliser d'autres élus, d'autres communistes. Les militants ne seront pas dupes des méthodes policières de chantage, de corruption et de décomposition.
Le Parti est fort. Il applique une ligne claire, nette conforme à l'orientation fondamentale du mouvement ouvrier international. Cette ligne a été fixée, précisée dans la résolution de notre Comité Central, dans l'appel du Comité Exécutif de l'Internationale, dans l'article de son secrétaire générale, Georges Dimitrov, le héros du procès de Leipzig.
Chers camarades, pour le succès de la causes de la classe ouvrière, du socialisme et de la paix, luttez avec toujours plus de confiance et d'ardeur. Soyez, toujours plus fermes, plus disciplinés, plus unis. Qu'à tous, l'unité du Parti soit plus chère que la prunelle de nos yeux. Déjouez les provocations de la police. Ne vous laissez pas imposez par les mensonges et les calomnies. N'accordez pas le moindre crédit aux feuilles de la bourgeoisie et de ses valets socialistes.
Aux vils calomnies de l'ennemi, contre vos dirigeants, ripostez que, bien loin d'abandonner les responsabilités que vous leur avez confiées, ils sont en France, à leur poste de direction.
La direction du Parti, avec tout le Parti, avec toute la classe ouvrière, accomplira jusqu'au bout son devoir révolutionnaire.
Développez toujours et toujours plus cet esprit d'initiative et d'audace que Marx a admiré chez nos grands-pères de 1871.
Serrez les rangs autour des militants dont la classe ouvrière peut être fiers
Luttez pour unir les masses laborieuses de France contre la guerre impérialiste, contre les exploiteurs capitalistes, contre les assassins des meilleurs fils de notre peuple.
Démasquez, flétrissez les lâches, les renégats, les traîtres.
Criez-leur votre mépris et votre dégoût.
Manifestez dans l'action votre fidélité au Parti, à l'Internationale Communiste, au Chef génial des travailleurs de tous les pays, à notre cher et grand Staline.
Camarades du Parti, levez haut et ferme le drapeau du Communisme, le drapeau de la lutte contre la guerre impérialiste.
Levez haut et ferme le drapeau de l'Internationale Communiste de Lénine et de Staline.
Vive le Parti Communiste Français !
Au nom du Comité Central du Parti Communiste Français (S.F.I.C) :
Maurice THOREZ
Jacques DUCLOS
Secrétaire général
Secrétaire
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