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Discours de Viatcheslav Molotov du 31 août 1939 dans lequel il célèbre "l'amitié des peuples de l'URSS et de l'Allemagne"

Le 31 août 1939, soit une semaine après la signature du Pacte germano-soviétique, Viatcheslav Molotov, président du Conseil et commissaire du peuple aux Affaires étrangères, prononce à la 4e session extraordinaire du Soviet suprême un discours consacré à la politique extérieure de l'URSS. (Doc. 1)


Résumé

Dans la première partie de son intervention, Viatcheslav Molotov accuse les gouvernements français et anglais d'être responsables de l'échec des négociations qui se sont déroulées d'avril à août 1939 en vue de conclure un Pacte d'assistance mutuelle anglo-franco-soviétique. Dans la seconde partie, le chef du gouvernement soviétique justifie la signature d'un Pacte de non-agression entre l'URSS et l'Allemagne.

Point central de ce discours, Molotov affirme qu'en signant le Pacte germano-soviétique la Russie de Staline et l'Allemagne d'Hitler "se sont mis d'accord pour mettre fin à l'animosité qui existait entre eux, pour éliminer tout danger de guerre et pour vivre en paix."

Preuve du changement radical des relations entre les deux pays, le dirigeant soviétique va même jusqu'à plaider "pour l'amitié des peuples de l'URSS et de l'Allemagne, pour le développement et l'épanouissement de l'amitié entre les peuples de l'Union soviétique et le peuple allemand".

Pour écarter tout critique sur le plan international, Molotov soutient que l'instauration de relations pacifiques entre l'Allemagne et l'URSS sera la garantie d'une "paix générale".

L'invasion de la Pologne par les armées hitlériennes apportera un démenti formel à cette affirmation.

A la suite du discours prononcé par le Molotov, le Soviet suprême ratifiera le Pacte germano-soviétique.

Dernier élément, approuvé par les députés soviétiques, le rapport du commissaire du peuple aux Affaires étrangères le sera aussi par... le Chancelier Hitler qui déclarera dans une allocution prononcée le lendemain devant le Reichstag : "Je puis souscrire mot pour mot au discours qu'a prononcé le commissaire du peuple Molotov."


Document 1 :

Discours de Viatcheslav Molotov 
du 31 août 1939

Camarades,

Depuis la troisième session du Conseil suprême, la situation internationale ne s'est pas améliorée; elle est devenue, au contraire, plus tendue encore.

Les démarches qui ont été faites par différents gouvernements, en vue d'éliminer cette tension, ont montré toute leur inutilité. Elles se sont avérées sans résultat. Voilà donc pour l'Europe. En Asie orientale, la situation ne s'est pas améliorée davantage. Tout comme auparavant le Japon occupe avec ses troupes les principales villes et une bonne partie du territoire de la Chine, sans qu'il s'abstienne en même temps d'actes hostiles contre l'U.R.S.S. Ici encore la situation a pris une orientation plus grave.

Parmi ces événements, le pacte de non-agression entre l'U.R.S.S. et l'Allemagne, qui écarte toute menace de guerre entre l'Allemagne et l'U.R.S.S., est d'une très grande portée politique. Pour montrer toute l'importance de ce pacte, il va falloir que je m'arrête sur les négociations qui ont eu lieu ces derniers mois à Moscou avec les représentants de la France et de l'Angleterre.

[Echec des négociations portant sur la conclusion 
d'un Pacte d'assistance mutuelle anglo-franco-soviétique]

Vous savez que les pourparlers anglo-franco-soviétiques pour la conclusion d'un pacte d'assistance mutuelle contre l'agression en Europe ont commencé déjà au mois d'avril. Il est vrai que les premières propositions du gouvernement anglais étaient, comme on sait, tout à fait inacceptables. Elles ignoraient les conditions préalables de semblables négociations; elles ignoraient le principe de réciprocité et d'égalité des obligations. Malgré cela, le gouvernement soviétique ne renonça point à poursuivre les négociations et, à son tour, il présenta ses propositions. Nous estimions qu'il était difficile aux gouvernements d'Angleterre et de France de changer brusquement le cours de leur politique d'inamitié à l'égard de l'Union soviétique, comme c'était le cas tout récemment encore, lors des sérieux pourparlers avec l'U.R.S.S. sur un pied de réciprocité quant aux obligations. Cependant les négociations ultérieures ne se justifièrent point.

Les négociations anglo-franco-soviétiques se poursuivirent quatre mois durant; elles eurent pour effet de tirer au clair toute une série de questions. Elles montrèrent en même temps aux représentants d'Angleterre et de France que dans les questions internationales il faut compter sérieusement avec l'Union soviétique. Mais ces négociations se heurtèrent à des difficultés insurmontables. La question, évidemment, n'est pas dans une « formule » quelconque pas plus que dans l'un ou l'autre point du projet du pacte. Non, il s'agissait de questions beaucoup plus substantielles.

La conclusion d'un pacte d'assistance mutuelle contre l'agresseur n'avait sa raison d'être que dans le cas où l'Angleterre, la France et l'Union soviétique se mettraient entièrement d'accord sur des mesures militaires déterminées contre l'agresseur. C'est pourquoi, pendant un certain temps, il y eut à Moscou non seulement des négociations politiques, mais aussi militaires avec les représentants de l'armée anglaise et française.

Cependant les pourparlers militaires ne donnèrent aucun résultat; ils se heurtèrent au refus de la Pologne d'accepter l'aide militaire de l'U.R.S.S., aide dont l'Angleterre, la France et l'U.R.S.S. proposaient la garantie. On ne parvint pas à faire tomber les objections de la Pologne. Bien mieux, les pourparlers montrèrent que l'Angleterre n'était pas disposée à surmonter les objections de la Pologne, mais que, bien au contraire, elle les appuyait. Il est évident que, en présence d'une telle attitude de la Pologne et de son principal allié sur la question d'une assistance militaire de l'Union soviétique en cas d'agression, les pourparlers anglo-franco-soviétiques ne pouvaient donner de bons résultats. Il apparut alors clairement que les pourparlers anglo-franco-soviétiques étaient voués à un échec.

Que nous ont montré les pourparlers avec l'Angleterre et la France ?

Les pourparlers anglo-franco-soviétiques ont montré que la position de l'Angleterre et de la France n'est qu'une suite de contradictions flagrantes.

Jugez-en vous-mêmes.

D'une part, l'Angleterre et la France demandaient à l'U.R.S.S. une assistance militaire à la Pologne contre l'agression. Comme on le sait, l'U.R.S.S. était prête à l'accorder, à condition d'obtenir une assistance semblable de la France et de l'Angleterre pour elle même. D'autre part, cette même Angleterre et la France faisaient aussitôt apparaître la Pologne sur la scène qui refusait catégoriquement l'assistance militaire de l'U.R.S.S. Essayez dans ces conditions de vous entendre sur l'assistance mutuelle lorsque l'aide de l'U.R.S.S. est considérée comme inutile et imposée ?

En outre, d'un côté, l'Angleterre et la France garantissaient à l'Union soviétique une assistance militaire contre l'agression, à condition qu'une assistance équivalente fût donnée par l'U.R.S.S.

D'un autre côté, elles posaient de telles conditions préalables a leur assistance en ce qui concerne l'agression indirecte qu'elles pouvaient transformer cette assistance en fiction leur réservant le droit formel et juridique de se dérober à leurs obligations et de mettre l'U.R.S.S. dans une situation d'isolement en présence de l'agresseur, Essayez donc de faire une distinction entre un pareil « pacte d'assistance mutuelle » et un pacte de tromperie plus ou moins camouflé. (Vive animation dans la salle.)

Il y a plus. D'une part, l'Angleterre et la France soulignaient l'importance et la gravité des pourparlers au sujet du pacte de non-agression, exigeant de l'U.R.S.S. qu'elle portât une attention toute particulière à cet acte et une solution des plus rapides des questions liées audit pacte. D'autre part, eux-mêmes manifestaient une extrême lenteur et un manque total de sérieux envers les pourparlers pour la conduite desquels ils avaient chargé des agents secondaires insuffisamment investis de pouvoirs. Il suffit de dire que les missions militaires d'Angleterre et de France sont venues à Moscou sans pouvoirs déterminés et sans avoir le droit de signer une convention militaire quelconque. (Animation dans la salle.) Bien plus, la mission militaire d'Angleterre est venue à Moscou sans le moindre mandat (Hilarité générale), et ce n'est qu'à la demande expresse de notre mission militaire qu'elle présenta ses pouvoirs écrits, un peu avant la rupture des pourparlers. Or, ces pouvoirs n'avaient qu'un caractère des plus vagues, c'est-à-dire incomplets. Essayez de voir, de faire une distinction entre une attitude si peu sérieuse à l'égard des pourparlers, de la part de l'Angleterre et de la France, et le jeu étourdi pratiqué dans les pourparlers, escompté pour jeter le discrédit sur ces pourparlers.

Telles sont les contradictions intérieures de la position prise par l'Angleterre et par la France dans les pourparlers avec l'U.R.S.S., et qui ont amené l'échec de ces pourparlers

Mais où est donc l'origine de ces contradictions dans la position prise par l'Angleterre et par la France ?

En quelques mots, la question consiste en ceci : d'une part, les gouvernements anglais et français craignent l'agression, et c'est pourquoi ils voudraient bien avoir un pacte d'assistance mutuelle avec l'Union soviétique pour tout autant que cela les renforce, que cela renforce l'Angleterre et la France. Mais, d'autre part, les gouvernements anglais et français craignent que la conclusion d'un pacte sérieux d'assistance mutuelle avec l'U.R.S.S. est susceptible de renforcer notre pays, qu'un tel pacte peut renforcer l'U.R.S.S., ce qui, paraît-il, ne répond pas à leur position. Il faut reconnaître que ces craintes ont pris le dessus sur les autres considérations. Ce n'est qu'en liaison avec cela qu'on peut comprendre la position de la Pologne qui agit sur les indications de l'Angleterre et de la France.

[Signature du Pacte germano-soviétique]

Je passe maintenant au pacte de non-agression soviéto-allemand.

La décision de conclure un pacte de non-agression entre l'U.R.S.S. et l'Allemagne a été prise après que les pourparlers militaires avec la France et l'Angleterre sont entrés dans une impasse, du fait des divergences insurmontables dont il a été parlé. Ces pourparlers ayant montré qu'il serait vain de compter sur la conclusion d'un pacte de non-agression, nous n'avons pu ne pas poser devant nous la question de trouver d'autres possibilités d'assurer la paix et d'écarter la menace de guerre entre l'Allemagne et l'U.R.S.S. Si les gouvernements d'Angleterre et de France n'ont pas voulu compter avec cela, c'est leur affaire. Notre devoir est de penser aux intérêts du peuple soviétique, aux intérêts de l'Union des républiques soviétiques socialistes (Applaudissements prolongés), d'autant plus que nous sommes convaincus que les intérêts de l'U.R.S.S. concordent avec les intérêts propres des peuples des autres pays. (Applaudissements.)

Cependant ce n'est là qu'un côté de la question. Une autre circonstance devait survenir pour que le pacte soviéto-allemand de non-agression pût exister. Il fallait qu'un changement d'orientation dans le sens des relations de bon voisinage dans la politique extérieure de l'Allemagne intervînt par rapport à l'U.R.S.S.

Ce n'est qu'en présence de cette deuxième condition; ce n'est que lorsqu'il a été clair pour nous que le gouvernement allemand désirait changer l'orientation de sa politique étrangère dans le sens d'une amélioration des rapports avec l'U.R.S.S. qu'une base a été trouvée pour la conclusion d'un pacte d'assistance mutuelle avec l'U.R.S.S.

Nul n'ignore qu'au cours de ces six dernières années, avec la venue des nationaux-socialistes au pouvoir, les relations politiques entre l'Allemagne et l'U.R.SS. étaient tendues. On sait aussi qu'en dépit de la différence des conceptions et des systèmes politiques, le gouvernement soviétique s'efforçait de maintenir des relations d'affaires et politiques normales avec l'Allemagne. Point n'est besoin de revenir sur les différentes phases de ces rapports au cours de ces dernières années puisque, au fait, camarades députés, elles vous sont parfaitement connues. Il convient, toutefois, de rappeler les éclaircissements qui furent donnés sur notre politique étrangère, il y a quelques mois au XVIIIe Congrès du parti.

Parlant de nos buts dans le domaine de la politique extérieure, le camarade Staline définissait ainsi nos rapports avec les autres pays :

1. Continuer à poursuivre la politique de paix et d'affermissement des rapports d'affaires avec tous les pays;
2. Observer la prudence et ne pas laisser entraîner notre pays dans un conflit par des provocateurs de guerre habitués à faire tirer les marrons du feu par les autres. (Animation dans la salle.)

[NdB : Molotov fait référence au discours (Document 2) prononcé par Staline le 10 mars 1939 au 18e congrès du Parti communiste d'Union soviétique. Ce discours marque le point départ du rapprochement germano-soviétique. Sur le plan économique, Staline indique que l'URSS souhaite entretenir "des rapports d'affaires avec tous les pays". Sur le plan politique, il écarte toute guerre qui entrainerait l'URSS à "tirer les marrons du feu" au profit "des provocateurs de guerre" autrement dit le rôle de l'URSS n'est pas de faire la guerre à l'Allemagne au bénéfice de la France et de l'Angleterre bellicistes.]

Ainsi que vous le voyez dans ces conclusions, le camarade Staline disait que l'Union soviétique désirait le renforcement des rapports d'affaires avec tous les pays. Mais dans le même temps, le camarade Staline mettait en garde contre les fauteurs de guerre, désireux dans leurs intérêts d'entraîner notre pays dans un conflit avec d'autres pays.

Démasquant le bruit fait par la presse anglo-française et nord-américaine au sujet des « plans » allemands de mainmise sur l'Ukraine soviétique, le camarade Staline disait :

Il semble bien que ce tapage suspect ait eu pour but de susciter la fureur de l'Union soviétique contre l'Allemagne, d'envenimer l'atmosphère et de provoquer un conflit avec l'Allemagne, sans motifs apparents.

Comme vous voyez, le camarade Staline visait juste en démasquant les intrigues des politiciens de l'Europe occidentale qui s'efforçaient de dresser l'un contre l'autre l'Allemagne et l'Union soviétique.

Il faut reconnaître que, dans notre pays aussi, il se trouvait des gens à courte vue qui, influencés par une agitation antifasciste simplifiée, oubliaient ce travail provocateur de nos ennemis. Prenant ces circonstances en considération, le camarade Staline posa dès lors la question sur les possibilités d'autres relations non hostiles, de relations de bon voisinage entre l'Allemagne et l'U.R.S.S.

On voit maintenant qu'en Allemagne on a compris en général ces déclarations du camarade Staline et qu'on en a tiré des déductions pratiques (Rires).

La conclusion du pacte soviéto-allemand de non-agression prouve que les prévisions historiques du camarade Staline se sont brillamment justifiées. (Bruyante ovation en l'honneur du camarade Staline.)

Déjà l'été de cette année, le gouvernement allemand proposa de reprendre les pourparlers de commerce et de crédit. Ces pourparlers furent bientôt repris. Grâce à des concessions réciproques on parvint à un accord. On sait que cet accord fut signé le 19 août.

Ce n'était point le premier accord de commerce et de crédit avec l'Allemagne sous le gouvernement actuel, mais cet accord diffère dans un sens plus favorable non seulement de l'accord de 1935, mais aussi de tous les accords précédents sans parler des accords économiques avec l'Angleterre, la France ou d'autres pays qui n'ont jamais été si avantageux pour nous. L'accord est avantageux pour nous grâce à ses conditions de crédit (crédit de sept ans), et il nous donne en plus la possibilité de commander une importante quantité de matériel dont nous avons besoin. Par cet accord l'U.R.S.S. garantit à l'Allemagne la vente d'une quantité déterminée de nos matières premières en excédent pour son industrie, ce qui est entièrement dans l'intérêt de l'U.R.S.S. Pourquoi refuserions-nous un accord économique si avantageux pour nous ? Serait-ce pour faire plaisir en général à quiconque ne voudrait point que l'Union soviétique réalisât un accord économique avantageux avec d'autres pays ? Or il est clair que l'accord de commerce et de crédit avec l'Allemagne est tout entier dans l'intérêt de l'économie nationale et dans l'intérêt de la défense de l'Union soviétique. Un tel accord répond aux décisions du dix-huitième congrès de notre parti, lequel a approuvé les suggestions du camarade Staline sur la nécessité de « renforcer les relations d'affaires avec tous les pays ».

Et lorsque le gouvernement allemand exprima le désir d'améliorer aussi les relations politiques, le gouvernement soviétique n'avait aucune raison de refuser. Alors se posa la question de conclure un pacte de non-agression.

Maintenant, des voix se font entendre, à travers lesquelles apparaît l'incompréhension des bases les plus élémentaires du début de l'amélioration des relations politiques entre l'Union soviétique et l'Allemagne. C'est ainsi par exemple qu'on demande d'un air naïf : comment l'Union soviétique a pu se décider à améliorer ses relations politiques avec un Etat fasciste ? Est-ce que cela est possible ? On oublie qu'il s'agit non pas de nos rapports avec le régime intérieur d'un autre pays, mais des relations extérieures entre deux Etats. On oublie que nous sommes pour une position de non-immixtion dans les affaires intérieures d'autres Etats et que de ce fait, nous sommes résolus à empêcher toute immixtion dans nos propres affaires intérieures. On oublie aussi l'important principe de notre politique extérieure que déjà au dix-huitième congrès du parti le camarade Staline formulait ainsi :

Maintien de la paix et affermissement des relations d'affaires avec tous les pays pour tout autant que ces pays s'en tiendront à de semblables relations d'affaires, pour tout autant qu'ils n'essayeront point de porter atteinte aux intérêts de notre pays.

Le sens de ces mots est clair : avec tous les pays non soviétiques, l'Union soviétique s'efforce d'avoir des relations de bon voisinage, pour tout autant que ces pays s'en tiennent à une position semblable par rapport à l'Union soviétique.

En politique extérieure, avec les pays non soviétiques, nous nous en sommes tenus et nous nous en tenons sur la base du principe léninien connu de cohabitation pacifique de l'Etat soviétique avec les pays capitalistes. On pourrait montrer par de nombreux exemples comment a été appliqué ce principe dans la pratique. Je me bornerai à un petit nombre. Depuis 1933 par exemple, nous avons un traité de non-agression et de neutralité avec l'Italie fasciste. Il n'est venu, jusqu'à présent, à l'idée de personne de se prononcer contre ce traité. Et cela se conçoit. Pour autant ce traité répond aux intérêts de l'U.R.S.S., pour tout autant il est conforme à notre principe de cohabitation pacifique de l'U.R.S.S. avec les pays capitalistes. Nous avons aussi un traité de non-agression avec la Pologne et avec quelques autres pays dont nul n'ignore le régime semi-fasciste. Eh bien ! ces traités n'ont suscité aucune suspicion. Il ne sera peut-être pas superflu de rappeler que nous n'avons même pas de traité de ce genre avec d'autres pays non-fascistes, bourgeois-démocratiques, disons avec cette même Angleterre. Cependant, ce n'est pas notre faute.

Depuis 1926, la base politique de nos rapports avec l'Allemagne a été le traité de neutralité qui a été prolongé par le gouvernement allemand actuel en 1933. Ce traité de neutralité est en vigueur aujourd'hui encore.

Le gouvernement soviétique estimait, bien avant encore, qu'il était désirable de faire un pas en avant dans le sens d'une amélioration des relations politiques avec l'Allemagne, mais les circonstances ont été telles que cela n'a été possible qu'en ce moment.

Il s'agit, il est vrai, en ce moment, non pas d'un pacte d'assistance mutuelle, comme c'était le cas dans les pourparlers anglo-franco-soviétiques, mais seulement d'un pacte de non-agression. Cependant, dans les conditions actuelles il est difficile de surestimer l'importance internationale du pacte soviéto-allemand.

Voilà pourquoi nous avons accueilli favorablement la visite du ministre allemand des Affaires étrangères, von Ribbentrop, à Moscou.

Le 23 août 1939, date à laquelle a été signé le pacte de non-agression soviéto-allemand, doit être considéré comme une date d'une grande portée historique.

Le pacte de non-agression entre l'U.R.S.S. et l'Allemagne marque un tournant dans l'histoire de l'Europe, et non seulement de l'Europe.

Hier encore, les fascistes d'Allemagne appliquaient à l'égard de l'U.R.S.S. une politique étrangère qui nous était hostile. Oui, hier encore, dans le domaine des relations extérieures nous étions ennemis. Aujourd'hui, cependant, la situation a changé et nous avons cessé d'être ennemis. L'habileté politique dans le domaine des relations extérieures consiste, non pas à augmenter le nombre des ennemis pour son pays. Au contraire, l'habileté politique consiste ici à réduire le nombre de ces ennemis et à faire en sorte que les ennemis de la veille deviennent de bons voisins, ayant entre eux des relations pacifiques. (Applaudissements.)

L'histoire a montré que l'animosité et les guerres entre notre pays et l'Allemagne n'ont pas profité à nos pays, mais qu'elles ont été nuisibles pour eux. La Russie et l'Allemagne sont, d'entre tous les pays, ceux qui ont été le plus éprouvés à l'issue de la guerre de 1914-1918. (Une voix : « C'est vrai ! ») C'est pourquoi les intérêts des peuples de l'Union soviétique et de l'Allemagne ne se trouvent pas sur la voie d'une animosité entre eux. Au contraire, les peuples de l'Union soviétique et de l'Allemagne ont besoin de rapports pacifiques entre eux. Le pacte de non-agression soviéto-allemand met fin à l'animosité entre l'Allemagne et l'U.R.S.S., ce qui est dans l'intérêt des deux pays. La différence dans l'idéologie et dans les systèmes politiques ne doit et ne peut être un obstacle pour l'établissement de bons rapports politiques entre les deux Etats, de même que la même différence n'empêche point l'U.R.S.S. d'ouvrir de bons rapports politiques avec d'autres pays non-soviétiques, capitalistes. Seuls les ennemis de l'Allemagne et de l'U.R.S.S. peuvent tenter de créer et d'accroître une animosité entre les peuples de ces pays. Nous étions et nous sommes pour l'amitié des peuples de l'U.R.S.S. et de l'Allemagne, pour le développement et l'épanouissement de l'amitié entre les peuples de l'Union soviétique et le peuple allemand. (Applaudissements prolongés.)

Le principal sens du pacte de non-agression soviéto-allemand réside dans le fait que deux des plus grands Etats d'Europe se sont mis d'accord pour mettre fin à l'animosité qui existait entre eux, pour éliminer tout danger de guerre et pour vivre en paix. Pour ce même fait, le champ des conflits militaires éventuels en Europe se rétrécit. Même si on n'arrivait pas à éviter les conflits militaires en Europe, l'envergure de ces opérations militaires serait désormais limitée. Seuls les instigateurs de la guerre mondiale en Europe, seuls ceux qui, sous le masque du pacifisme veulent allumer l'incendie d'une guerre pan-européenne, peuvent ne pas être satisfaits d'une telle situation.

Le pacte soviéto-allemand a subi de nombreuses attaques dans la presse anglo-française et américaine. Ce sont surtout certains journaux « socialistes » servant « leur » capitalisme national, servant ceux des patrons qui les paye convenablement, qui font montre de zèle à cet égard. (Rires.) Il est évident qu'on ne peut attendre de ces messieurs l'exacte vérité.

On s'efforce de répandre le mensonge que la conclusion du pacte de non-agression soviéto-allemand a empêché l'aboutissement des pourparlers avec l'Angleterre et la France au sujet du pacte d'assistance mutuelle. Ce mensonge est déjà flétri dans l'interview avec le camarade Vorochilov. En réalité, comme l'on sait, il en est tout autrement. L'Union soviétique a conclu un pacte de non-agression avec l'Allemagne pour cette raison encore que les pourparlers avec la France et l'Angleterre se sont heurtés à des controverses insurmontables et qu'ils ont échoué par la faute des milieux dirigeants anglo-français.

On va jusqu'à nous accuser du fait, voyez-vous, que le pacte ne contient pas de point précisant qu'il peut être dénoncé dans le cas où l'une des parties contractantes se trouverait entraînée dans une guerre dans des conditions telles qu'elles peuvent donner prétexte à un tiers de la qualifier comme étant l'agresseur.

Mais en même temps on oublie, on ne sait trop pourquoi, qu'un tel point et une telle réserve manquent également dans le pacte germano-polonais de non-agression, signé en 1934 et annulé par l'Allemagne en 1939 en dépit du désir de la Pologne, aussi bien que dans la déclaration anglo-allemande de non-agression signée il y a quelques mois à peine. On se demande : Pourquoi l'U.R.S.S. ne peut se permettre ce que la Pologne et l'Angleterre se sont permis depuis longtemps déjà ?

Enfin, il y a des amateurs qui lisent dans le pacte bien plus que ce qu'il contient. (Rire.) A cette fin on a recours à toutes sortes de conjectures et d'allusions pour susciter la méfiance envers le pacte dans l'un ou l'autre pays. Mais tout cela ne prouve que l'impuissance désespérée des ennemis du pacte, qui se démasquent de plus en plus en tant qu'ennemis de l'Union soviétique et de l'Allemagne à la fois, s'efforçant de provoquer une guerre entre ces pays.

Dans tout cela nous constatons une nouvelle confirmation de la justesse des indications du camarade Staline au sujet de la nécessité d'observer une prudence toute particulière envers les provocateurs de guerre, habitués à faire tirer les marrons du feu par les autres. Nous devons être en garde contre ceux qui voient un avantage dans les mauvais rapports entre l'U.R.S.S. et l'Allemagne, dans l'animosité régnant entre elles, qui ne veulent pas que la paix et des rapports de bon voisinage soient établis entre l'Allemagne et l'Union soviétique.

Nous comprenons qu'une telle ligne soit suivie par des impérialistes fieffés. Mais on ne saurait passer sous silence le fait que dernièrement ce sont surtout certains leaders des partis socialistes français et anglais qui se sont distingués par leur zèle dans cette affaire. Ces messieurs, en effet, se sont agités au point de sortir de leur propre peau. (Rires.) Ces gens exigent que l'U.R.S.S. entre absolument en guerre à côté de l'Angleterre contre l'Allemagne. Ne sont-ils pas devenus fous, ces instigateurs de guerre si zélés ? (Rires.) Est-il si difficile pour ces messieurs de comprendre le sens du pacte de non-agression soviéto-allemand, en vertu duquel l'U.R.S.S. n'est pas obligée d'entrer en guerre pas plus aux côtés de l'Angleterre contre l'Allemagne qu'aux côtés de l'Allemagne contre l'Angleterre ? Est-il difficile de comprendre que l'U.R.S.S. poursuit et poursuivra sa propre politique, indépendante, s'orientant sur les intérêts du peuple de l'U.R.S.S. et rien que sur ses intérêts ? (Applaudissements prolongés.) Si ces messieurs ont un désir irrésistible de faire la guerre, qu'ils la fassent eux-mêmes, sans l'Union soviétique. (Rires, applaudissements.) Nous verrions quel genre de soldats ils sont. (Rires. Applaudissements.)

A nos yeux, aux yeux du peuple soviétique tout entier, ce sont les mêmes ennemis de la paix que tous les autres instigateurs de guerre en Europe. Ceux-là seuls qui veulent une nouvelle et grande effusion de sang, une nouvelle tuerie des peuples, tiennent à ce que l'Union soviétique et l'Allemagne se heurtent de front; eux seuls veulent saboter le début du rétablissement des rapports de bon voisinage entre les peuples de l'U.R.S.S. et l'Allemagne.

L'Union soviétique en est venue à conclure un pacte avec l'Allemagne, sûre qu'elle était que la paix entre les peuples de l'Union soviétique et de l'Allemagne répond aux intérêts de tous les peuples, aux intérêts de la paix générale. Chaque sincère partisan de la paix en conviendra.

Ce pacte répond aux intérêts vitaux des travailleurs de l'Union soviétique sans qu'il puisse affaiblir notre vigilance dans la défense de ces intérêts. Ce pacte est renforcé par une assurance ferme de notre force réelle, par sa pleine capacité en cas d'une agression quelconque contre l'U.R.S.S. (Applaudissements frénétiques.)

Ce pacte (aussi bien que les négociations anglo-franco-soviétiques qui viennent d'échouer) montre qu'aujourd'hui on ne peut résoudre les problèmes importants touchant aux relations internationales — à plus forte raison les problèmes de l'Europe orientale — sans une participation active de l'Union soviétique; il montre encore que toutes les tentatives tendant à se passer de l'Union soviétique et à résoudre ces questions en dehors de l'Union soviétique sont vouées à un échec. (Applaudissements.)

Le pacte de non-agression soviéto-allemand constitue un tournant dans le développement de l'Europe, tournant vers une amélioration des relations entre deux Etats des plus grands d'Europe. Non seulement ce pacte élimine tout danger de guerre avec l'Allemagne, rétrécit le champ des conflits militaires éventuels en Europe et sert, conséquemment, la cause de la paix générale, mais il doit nous assurer de nouvelles possibilités d'accroissement des forces, la consolidation de nos positions, l'accroissement de l'influence de l'Union soviétique sur le développement international.

Point n'est besoin de s'arrêter sur les différents points de ce Pacte. Le conseil des commissaires du peuple a quelque raison d'espérer que le pacte obtiendra votre approbation, en tant que l'un des documents politiques les plus importants de l'U.R.S.S. (Applaudissements.)

Le conseil des commissaires du peuple soumet le pacte de non-agression soviéto-allemand à l'examen du Conseil suprême, et il propose de le ratifier. (Tempête d'applaudissements prolongés. Toute l'assistance se lève.)



Document 2 :

L’Union soviétique et les pays capitalistes 
[Extrait du discours prononcé par Staline le 10 mars 1939]

La guerre a créé une nouvelle situation dans les rapports entre les pays. Elle a introduit une atmosphère d’alarme et d'incertitude. Après avoir ébranlé les fondements du régime de paix d’après-guerre, et renversé les notions élémentaires du droit international, la guerre a mis en question la valeur des traités et engagements internationaux. Le pacifisme et les projets de désarmement ont été enterrés. Ils ont été remplacés par la fièvre des armements. Tous ont commencé à s’armer, les petits Etats comme les grands, y compris et avant tout ceux qui pratiquent entre eux la politique de non-intervention.

Personne n’a plus foi dans les discours onctueux prétendant que les concessions munichoises aux agresseurs et l’accord de Munich auraient inauguré une nouvelle ère de « pacification ». Les participants de l’accord munichois eux-mêmes, l’Angleterre et la France, n’y croient pas davantage et ne renforcent pas moins que les autres leurs armements. On comprend que l’URSS n’ait pu rester indifférente à ces événements menaçants.

Il est certain qu’une guerre, même peu étendue, commencée par les agresseurs sur quelque point perdu du globe, représente un danger pour les pays pacifiques. D’autant plus sérieux est le danger que représente la nouvelle guerre impérialiste qui a déjà entraîné dans son orbite plus de 500 millions d’hommes en Asie, en Afrique et en Europe. Aussi notre pays, tout en pratiquant sans dévier sa politique de maintien de la paix, a en même temps développé un travail important en vue de renforcer la valeur combative de notre armée et de notre marine militaire rouges.

En même temps, l’Union soviétique a entrepris certaines mesures en vue de consolider ses positions internationales. Vers la fin de 1934, notre pays est entré à la Société des nations, estimant que, malgré la faiblesse de cette dernière, elle pourrait cependant servir de tribune pour démasquer l’agresseur et aussi d’instrument de paix qui, bien que faible, permettrait de freiner le déclenchement de la guerre. L’Union soviétique estime qu’en un temps aussi agité même une organisation internationale aussi faible que la SdN n’est pas à dédaigner.

En mai 1935, un pacte d’assistance mutuelle contre une attaque éventuelle des agresseurs a été conclu entre la France et l’Union soviétique. En même temps, un pacte analogue a été conclu avec la Tchécoslovaquie. En mars 1936, l’Union soviétique a conclu un pacte d’assistance mutuelle avec la République populaire de Mongolie. En août 1937, un pacte de non-agression a été signé entre l’Union soviétique et la République de Chine. C’est dans ces conditions internationales difficiles que l’Union soviétique a mené sa politique extérieure défendant la cause de la paix.

La politique extérieure de l’Union soviétique est claire et compréhensible :
1 - Nous sommes pour la paix et la consolidation de nos relations et de nos affaires avec tous les pays; nous nous en tenons, et continuerons à nous en tenir à cette position pour autant que ces pays cultiveront les mêmes relations avec l’Union soviétique, pour autant qu’ils ne chercheront pas à porter atteinte aux intérêts de notre pays;
2 - Nous sommes pour des relations pacifiques étroites et de bon voisinage avec tous les pays avoisinants qui ont une frontière commune avec l’URSS; nous nous en tenons et nous nous en tiendrons à cette position pour autant que ces pays cultiveront les mêmes relations avec l’Union soviétique, pour autant qu’ils ne chercheront pas à porter atteinte directement ou indirectement à l’intégrité et à l'inviolabilité des frontières de l’Etat soviétique;
3 - Nous sommes pour le soutien des peuples victimes d’une agression qui luttent pour l’indépendance de leur patrie;
4 - Nous ne craignons pas les menaces des agresseurs et sommes prêts à répondre par un coup double au coup des fauteurs de guerre qui cherchent à violer les frontières soviétiques.
Telle est la politique extérieure de l’Union soviétique. ( Vifs applaudissements prolongés).
Dans sa politique extérieure, l’Union soviétique s'appuie :
1 - Sur sa puissance économique, politique et culturelle grandissante;
2 - Sur l’unité morale et politique de notre société soviétique;
3 - Sur l’amitié qui unit les peuples de notre pays;
4 - Sur son armée et sa marine militaire rouges;
5 - Sur sa politique de paix;
6 - Sur l’appui moral des travailleurs de tous les pays qui ont un intérêt vital au maintien de la paix;
7 - Sur la sagesse des pays qui n’ont pas intérêt, pour une raison ou pour une autre, à voir violer la paix.

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Les tâches du parti en matière de politique extérieure sont :
1 - Continuer la politique de paix et de consolidation des relations d’affaires avec tous les pays;
2 - Etre prudent et ne pas permettre aux provocateurs de guerre habitués à faire tirer les marrons du feu par d’autres d’entraîner notre pays dans des conflits;
3 - Consolider par tous les moyens la puissance combative de notre armée et de notre marine militaire rouges;
4 - Consolider les liens internationaux d’amitié avec les travailleurs de tous les pays qui ont intérêt à conserver la paix et l'amitié entre les peuples.

(La Correspondance Internationale du 19 mars 1939)
Sous le titre "L’Union soviétique et les pays capitalistes", La Correspondance Internationale, revue de l'Internationale communiste, publie dans son numéro du 19 mars 1939 un extrait du discours prononcé par Staline le 10 mars 1939 au XVIIIe Congrès du Parti communiste de l'Union soviétique. Dans cet extrait, Staline, après avoir décrit une situation internationale marquée par la guerre, expose les principes, les moyens et les tâches de la politique extérieure de URSS.

En affirmant notamment qu'il souhaite développer "des relations d’affaires avec tous les pays" et qu'il ne permettra pas "aux provocateurs de guerre [La France et l'Angleterre] habitués à faire tirer les marrons du feu par d’autres d’entraîner notre pays dans des conflits", Staline ouvre la possibilité d'un rapprochement économique et politique avec l'Allemagne nazie. Ce rapprochement se concrétisera avec la signature à Berlin d'un accord commercial et de crédit le 19 août 1939 et la conclusion à Moscou d'un pacte de non-agression le 23 août 1939.