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"L'objectif immédiat est la lutte pour la légalité." (Instructions du PCF de juillet 1940)

Le 18 juin 1940, soit quatre jours après l'entrée des armées hitlériennes dans Paris, sur des instructions de l'Internationale communiste, le Parti communiste s'engage dans des négociations avec les autorités allemandes pour obtenir la légalisation de ses activités qui étaient interdites depuis septembre 1939.

Expression d'une volonté manifeste de collaborer avec l'envahisseur nazi, ces négociations débutent avant même la signature de l'armistice franco-allemand et donc l'arrêt des combats. 
 
Elle prennent fin le 27 août 1940 avec la décision des communistes de ne pas les poursuivre. Deux raisons expliquent cette décision. Tout d'abord, l'absence de résultat, à l'exception de la libération des militants communistes détenus dans la zone occupée. Ensuite une virulente critique de l'IC motivée par le comportement des communistes français qui étaient totalement sortis du cadre fixé en acceptant de discuter avec Abetz d'un gouvernement révolutionnaire à Paris.

Malgré cet échec le Parti communiste continuera de se mobiliser pour sa légalisation en appelant les masses à multiplier les démarches auprès de la puissance occupante pour qu'elle autorise ses activités.

De nombreux documents permettent de prouver la réalité de cette ligne légaliste reconnaissant les autorités allemandes comme des autorités légitimes : Instructions de l'IC, rapports de Jacques Duclos, l'Humanité du mercredi 19 juin 1940, demande de parution de l'Humanité sous censure allemande du 26 juin 1940, Ce Soir n° 1 du 8 juillet 1940, brochure Nous accusons de janvier 1941...).
 
On citera un autre document tout aussi révélateur : les Instructions du PCF de juillet 1940. (Doc. 1)
 
Texte de la direction centrale envoyée dans la deuxième semaine ou troisième de juillet aux responsables du parti avec lesquel une liaison avait pu être établi dans la région parisienne et les départements limitrophes, ces Instructions se composent de deux parties.
 
Dans la première titrée "La Situation", le Parti communiste célèbre la défaite de la France comme une "victoire" pour "la classe ouvrière française et mondiale", reconnait que dans son combat contre "l'impérialisme français" Hitler a été un "allié occasionnel", fait état de la libération de militants communistes par les autorités allemandes, rend compte de ses négociations avec la puissance occupante et enfin définit sa ligne politique à court terme : "l'objectif immédiat est la lutte pour la légalité".
 
La seconde partie détaille un ensemble de "Directives répondant à la nouvelle situation" tant en matière d'organisation que d'actions.   

Le présent texte se compose de quatre parties. La Partie I portera sur la Directive de l'IC du 22 juin 1940. 
 
La Partie II sera consacrée aux négociations de l'été 1940 entre les communistes et les nazis.
 
Dans la Partie III, on étudiera le contenu des Instructions du PCF de juillet 1940.
 
Dans la Partie IV, on montrera qu'après l'échec des négociations de l'été 1940 le  Parti communiste a maintenu une ligne légaliste en appelant les masses à se mobiliser pour obtenir des autorités allemandes la légalisation de ses activités.


PARTIE I

Directive de l'IC du 22 juin 1940

Le 22 juin 1940, à Moscou, l'Internationale communiste adopte une Directive en relation avec sa section française autrement dit le Parti communiste français.

Cette Directive est envoyée le jour même à Eugen Fried dans un télégramme signé par Georges Dimitrov, secrétaire général de l'IC, et Maurice Thorez, secrétaire général du PCF.

Signalons que le texte du télégramme présente quelques différences de rédaction avec le texte de la Directive.
 
Représentant de l'IC auprès du PCF, Eugen Fried s'est installé à Bruxelles au mois de septembre 1939. Sa mission : organiser une antenne de l'IC dans la capitale belge en vue d'assurer le contrôle des tous les partis communistes d'Europe occidentale. Il transmettra les Instuctions de Moscou à Jacques Duclos, secrétaire du PCF, qui assume à Paris la direction du Parti communiste clandestin.


Ligne légaliste
 
Texte fondamental, la Directive du 22 juin 1940 définit l'action du Parti communiste dans une France défaite et occupée par les armées du IIIe Reich.

Cet Directive politique n'appelle pas le Parti communiste à combattre l'occupant allemand mais au contraire à tirer profit de sa présence pour reprendre une activité légale.

"Indispensable reconstituer syndicats introduisant dans directions maximum nos camarades. Obtenir avec concours masses libération militants communistes et syndicaux emprisonnés et réintégration conseillers et maires communistes à leurs postes.
[...] Utilisez moindre possibilité favorable pour faire sortir journaux syndicaux, locaux, éventuellement l'Humanité en veillant que ces journaux restent sur ligne défense intérêts sociaux et nationaux peuple et ne donnent aucune impression solidarité avec envahisseur ou leur approbation. [...]
Au cas où membres du Parti, conseillers municipaux, responsables syndicaux ou responsables comité d'aide, travailleraient légalement ou semi-légalement, éviter tout ce qui pourrait donner impression solidarité avec envahisseurs." (1)

On notera que l'IC autorise explicitement le PCF à négocier avec les Allemands sur les points suivants : reparution de sa presse et notamment de l'Humanité, libération de ses militants, reconnaissance de ses syndicats (comités populaires d'usine) ainsi que de ses comités d'aide à la population et enfin rétablissement des municipalités communistes.

Elle vient ainsi confirmer les consignes orales qu'Eugen Fried a donné à Jacques Duclos le 15 juin 1940 concernant la légalisation de l'Humanité.

L'IC fixe une seule limite : ne pas "donner impression solidarité avec envahisseurs".

La pertinence de cette limite suppose de considérer qu'en elle-même une activité autorisée par les Allemands n'est pas un soutien aux envahisseurs.

Pour souligner la justesse de cette critique on citera le numéro de février 1941 de La Penseé Libre dans lequel les intellectuels communistes posaient le principe suivant : "Aujourd'hui, en France, littérature légale veut dire : littérature de trahison".
 
 
Accord de Jacques Duclos
 
Les Instructions de Moscou seront reçues à Paris au début du mois de juillet et seront formellement approuvées par Jacques Duclos comme l'atteste son rapport du 3 juillet 1940 :
 
"Nous venons de recevoir vos indications avec lesquelles nous sommes entièrement d'accord". (2)

Les documents cités permettent de prouver l'existence non seulement de communications entre Paris et Moscou mais aussi d'un accord entre Georges Dimitrov (direction de l'IC), Maurice Thorez (direction moscovite du PCF) et Jacques Duclos (direction parisienne du PCF) pour engager des négociations avec les Allemands.

Au vu de ces éléments, on s'étonnera que des historiens puissent soutenir qu'à l'été 1940 la direction du PCF était totalement isolée et qu'elle n'avait aucun lien avec Moscou. L'étonnement disparait quand on fait le constat que leur but n'est pas d'établir la vérité mais d'écarter la responsabilité de l'IC et de Thorez dans les pourparlers de l'été 1940.

(1) B. Bayerlein, M. Narinski, B. Studer, S. Wolikow, Moscou, Paris, Berlin. Télégrammes chiffrés du Komintern, 1939-1941, 2003, pp. 241-242.
(2) Cahiers d'histoire de l'institut de recherches marxistes, Le PCF et l'Internationale de la guerre à l'effondrement de la France, n° 52-53, 1993, p. 209.


PARTIE II

Négociations de l'été 1940

A l'été 1940, dans une France occupée par les nazis, sur des Instructions de l'Internationale communiste, le Parti communiste a mené au mois trois négociations avec les autorités allemandes dans le but d'obtenir la légalisation de ses activités.

La première s'est tenue les 18, 19 et 20 juin 1940, autrement dit avant même la signature de l'armistice franco-allemand et donc l'arrêt des combats, entre une militante communiste et la Propoganda Staffel Frankreich avec pour unique objet la reparution de l'Humanité dont la publication avait été suspendue le 26 août 1939 en raison de son soutien... au Pacte germano-soviétique.

La deuxème s'est déroulée entre le 26 juin et le 27 août 1940 entre Robert Foissin, avocat communiste, et Otto Abetz, le représetant d'Hitler en France. Deux dirigeants communistes on participé à cette négociation qui a eu pour cadre l'ambassade d'Allemagne. Elle a porté sur la reparution de l'Humanité puis de celle de Ce Soir. Autres sujets évoqués : la libération des militants communistes détenus ou internés pour avoir défendu la Paix, le retour dans leurs fonctions électives des élus communistes déchus de leur mandat et plus particulièrement le rétablissement des municipalités communistes et enfin la légalisation des comités populaires constitués dans les usines. Au cours de ces pourparlers, les deux parties ont même discuté d'un... gouvernement communiste dans la zone nord. Ce dernier point a suscité une vigoureuse réaction de l'IC qui a demandé l'arrêt immédiat des négociations avec Abetz et rappellé qu'elle n'avait autorisé que des pourparlers avec l'admnistration militaire sur des points précis et à la seule condition qu'ils ne soient menés que par des militants.

La troisième engagée à la mi-août visait à la légalisation de La Vie Ouvrière et n'a duré que quelques jours.

Le Parti communiste a mis fin aux pourparlers avec les Allemands le 27 août 1940 Deux raisons expliquent cette décision. Tout d'abord, l'absence de résultat, à l'exception de la libération des militants communistes détenus dans la zone occupée. Ensuite une virulente critique de l'IC motivée par le comportement des communistes français qui étaient totalement sortis du cadre fixé en acceptant de discuter avec Abetz d'un gouvernement révolutionnaire à Paris. Pour expier la dérive dénoncée par l'IC, le Parti communiste a exclu Robert Foissin au mois de septembre.

Les négociations de l'été 1940 constituent une preuve incontestable de... la Résistance communiste.


Partie III

Instructions du PCF de juillet 1940

Le 22 juin 1940, le Gouvernement Pétain signe avec l'Allemagne un armistice qui marque la défaite de la France.

Dans la deuxième ou troisième semaine de juillet, le Parti communiste envoie des Instructions aux cadres avec lesquel il a pu établir une liaison dans la région parisienne et les départements limitrophes afin de guider leur action dans une France défaite et occupée par les armées allemandes. 
 
Les Instructions de juillet 1940 se composent de deux parties. Dans la première partie - titrée "La Situation" - la direction du Parti communiste célèbre la défaite de la France, décrit ses rapports avec l'occupant et enfin définit sa ligne politique.

a) défaite de la France.

Dans ses Instructions de juillet 1940, le Parti communiste se félicite de la défaite historique de la France : "l'impérialisme français vient de subir sa plus grande défaite de l'Histoire".

Sur ce constat enthousiaste, il rend hommage à son engagement contre la guerre en rappelant que son ennemi dans le conflit franco-allemand n'était pas Hitler mais le gouvernement français et tous ses soutiens : "L'ennemi - qui est à l'intérieur dans toute guerre impérialiste - est par terre".
 
Considérant que par sa mobilisation il a contribué à la défaite de la France, il affirme que "la classe ouvrière française et mondiale" doit célébrer cet événement comme "une victoire" et voir dans la chute de l'impérialisme français "un ennemi de moins".
 
Il va même jusqu'à reconnaître Hitler comme un "allié occasionnel" dans ce combat contre l'impérialisme français. A ceux qui pourraient être choqués par cette alliance, il répond que quiconque la désapprouve "n'est pas révolutionnaire".

Dernier élément, il indique qu'il importe de "mettre tout en œuvre pour que la chute de l'impérialisme français soit définitive". Autrement dit même après la signature de l'armistice franco-allemand, l'ennemi est toujours l'impérialisme français.

Autre document dans lequel le Parti communiste se felicite de la défaite de la France, la "Lettre aux militants communistes" rédigée en octobre 1940 et diffusée le mois suivant dans laquelle on peut lire :

"Nous sommes au quatorzième mois de la deuxième guerre impérialiste en Europe et nous avons sous les yeux le bilan suivant : un puissant impérialisme a été abattu [La France]; ceux qui avaient l'habitude faire la guerre par procuration sont obligés de se battre directement [L'Angleterre]; ceux qui déclarèrent la guerre au dernier moment dans l'espoir qu'elle durerait quinze jours, sont obligés de continuer la lutte [L'Italie] et ceux qui comptaient sur de fulgurantes et décisives victoires doivent tout recommencer au moment où ils croyaient avoir tout fini [L'Allemagne]".

b) rapports avec l'occupant allemand.

La direction communiste décrit ensuite ses rapports avec l'occupant allemand. Clandestin depuis sa dissolution en septembre 1939, le Parti communiste est désormais "semi-illégal". Pour illustrer cette situation, elle fait état des libérations de militants communistes obtenues grâce à "l'intervention de la Kommandantur" et relate même les négociations menées avec les autorités allemandes "pour la parution de l'Humanité" ainsi que celles concernant Ce soir qui "doit paraître incessamment".

Les cadres communistes ont donc été informés en juillet 1940 que leur Parti s'était engagé dans des négociations avec les autorités allemandes.

c) ligne politique

Enfin, la direction du Parti communiste définit sa ligne politique à court terme : "l'objectif immédiat est la lutte pour la légalité".

L'objectif à moyen terme étant la constitution d'un gouvernement communiste qui négociera un traité de Paix avec Hitler.

La seconde partie des Instructions détaille un ensemble de "Directives répondant à la nouvelle situation" tant en matière d'organisation que d'actions.

On retiendra de cette partie que la nouvelle ligne doit être mise en œuvre "rapidement" et "intelligemment" afin de permettre au Parti communiste "d'être en mesure — dans cette période confuse et bouleversée — d'être à même de prendre la direction de la vie publique".

En d'autres termes le Parti communiste se fixe comme objectif de gouverner la France après sa légalisation par les Allemands !!!


PARTIE IV


Légalisation par l'action des masses

Malgré l'échec de ses négociations avec les Allemands, le Parti communiste continuera de se mobiliser pour sa légalisation en appelant les masses à multiplier les démarches auprès de la puissance occupante pour qu'elle autorise ses activités.

Ce mode d'action qui était complémentaire à la légalisation par la négociation est réaffirmée dans La Vie du Parti n° 9 de septembre 1940.

Dans un chapitre intitulé "LES TACHES DU PARTI", la direction centrale appelle les cadres et  les militants communistes "à agir avec audace pour reconquérir la légalité du Parti, de ses militants et de nos organes" :

"Dans les circonstances actuelles, il importe avant tout que notre parti soit à la hauteur des événements, fasse preuve du maximum d'initiative et ne reste pas recroquevillé sur lui-même. La situation évolue rapidement. Le mécontentement des masses va croissant, les conditions objectives sont favorables à une recrudescence sans pareille de notre activité. Tout dépend de notre aptitude à diriger le mouvement populaire.

1°/ Nous devons prendre la tête de la lutte ouverte pour les revendications de toutes les couches laborieuses. [...]

2° / Agir avec audace pour reconquérir la légalité du Parti, de ses militants et de nos organes.

Développer un grand courant populaire en faveur de la libération des emprisonnés pour avoir combattu la guerre et voulu la paix. Ne laisser passer aucune arrestation sans réagir victorieusement en utilisant tous les moyens (campagne publique sur le nom des militants arrêtés, délégations des femmes auprès des autorités, agitation dans la rue et dans les usines, etc...).

Organiser des actions déterminées pour la réintégration de nos municipalités, avec l'appui de délégations massives et de manifestations populaires, en réclamant "nos élus". Rassembler les travailleurs autour de leurs syndicats qui doivent développer leurs actions revendicatives sous la conduite des dirigeants authentiques, placés à leurs postes par la confiance des travailleurs et qui reprennent normalement leur tâche avec l'appui des syndiqués.

Exiger la libre parution de l'Humanité et des journaux interdits pour avoir proclamé la vérité et combattu, seuls contre tous, les fauteurs de guerre."

Evoquant, dans son livre On chantait rouge, son séjour à Paris au début d'octobre 1940, Charles Tillon, alors responsable inter-régional pour tout le Sud-Ouest, décrit sa réaction à la lecture de ce numéro de "La Vie du Parti"

"A Bordeaux, je voulais encore espérer qu'il s'agissait d'un moment de délire accidentel quand j'avais lu dans La vie du parti rédigée par Jacques Duclos pour septembre, à propos « des tâches légales » qui nous incombaient : « Agir avec audace pour reconquérir la légalité de ses militants, la réinstallation de nos municipalités... Mettre en avant nos dirigeants authentiques, exiger la parution de l'Humanité. Confiance dans le parti de Thorez, Duclos, Frachon, Marty, Ramette, Cachin. (...) Dire que la police a peur. »
J'allai recevoir la preuve charnelle qu'il s'agissait bien de la politique de l'IC traduite par Duclos pour l'imposer à tout le parti. Et apprendre dans quelles conditions L'Humanité avait failli paraître avec le label de la Gestapo, puisque Tréand m'attendait sur le boulevard Kellermann désert". (1)

Les velléités légalistes du Parti communiste prendront fin avec l'invasion de l'URSS par les armées allemandes en juin 1941. 

(1) Charles Tillon, On chantait rouge, 1977, pp. 318-319.


Document 1 : Instructions du Parti communiste de juillet 1940 (Fichier .zip).

PREMIÈRE PARTIE

LA SITUATION


Le peuple de français se trouve devant une situation nouvelle :
A situation nouvelle, position nouvelle et formes nouvelles d'action et d'organisation.

L'impérialisme français vient de subir sa plus grande défaite de l'Histoire.
Résultat et suite logique de Munich : trahison et politique réactionnaire.

BILAN. - L'ennemi - qui est à l'intérieur dans toute guerre impérialiste - est par terre.

La classe ouvrière française et mondiale doit retenir cet événement comme une victoire et comprendre qu'il faut voir là un ennemi de moins. Il importe donc de mettre tout en œuvre pour que la chute de l'impérialisme français soit définitive. Il ressort, à la constatation de cet état de chose, que la lutte du peuple français a eu le même objectif que la lutte de l'impérialisme allemand contre l'impérialisme français. Il est exact qu'en ce sens ce fut un allié occasionnel. 
(Lénine nous a appris qu'il nous faut pas hésiter, lorsque la situation le commande et lorsqu'il y va de l'intérêt du peuple, de s'allier - occasionnellement - même eu diable.) Se souvenir de la lettre de Lénine aux ouvriers américains (1918) et disant que quiconque ne comprend pas cela n'est pas révolutionnaire. (1)

CONSÉQUENCES. — L'hitlérisme, vainqueur du capitalisme ou impérialisme français, ne trouve pas, en France, d'organisation sous son obédience ayant une base solide chez nous. D'autre part, il est probable que des clauses secrètes du pacte germano-soviétiques lui interdisent d`installer — ouvertement — un gouvernement servile. Il est possible, aussi, qu'il ne veuille pas heurter de front le peuple français - l'opération serait, évidemment, plus commode avec un grand courant surgissant du peuple, ou ayant appui sur le peuple.
La lecture de la nouvelle presse parisienne répond, visiblement, que c'est à ce résultat que l'on veut aboutir.

COMMENT ? — En reprenant tous les desiderata du peuple, tout (sauf la lutte raciale) le programme du P.C. Tout cela est fait avec une extrême habileté démontrant une connaissance approfondie du tempérament et des aspirations du peuple français.

CECI PROUVE qu'à l'arrivée des troupes et des autorités allemandes France, celles-ci n'ont trouvé qu'une seule organisation ayant des bases solides et l'attachement du peuple : le P.C. malgré sa dissolution et les persécutions.
Ne pas oublier que le fascisme, pour accéder au pouvoir, a utilisé démagogiquement — mais habilement — les aspirations des peuples.

Exemples :
En Italie : Le plus fort courant était, sans conteste, le syndicalisme; le fascisme s'est présenté corporatif.

En Allemagne : Pays de K. Marx; le peuple avait de profondes traditions socialistes; le fascisme s'est présenté national-socialiste.

En France : Le communisme est indiscutablement le courant populaire le plus solide. Il y a eu la tentative Doriot, qui a échoué. On a voulu réserver Gitton pour tenter une nouvelle opération similaire — que le P. C. a déjouée. Et l'on constate actuellement une lutte de finesse et de grande envergure, pour soustraire P. C. l'influence qu'il a sur les masses et les canaliser vers un fascisme à façade communiste.

NOTER qu'aucun des journaux n'attaque de front le P.C. Ils semblent même faire des concessions politiques à notre programme et par là même le justifier.
Il faut y voir un double jeu objectif : 1° compromettre le P.C. en laissant s'accréditer auprès de l'opinion qu`il a lutté à côté de l'Allemagne, contre la France, et ainsi heurter le sens national du peuple en vue de l'indisposer envers le P. C.; 2° recueillir le résultat de cette opération, et se substituer à lui pour prendre en main les soi-disant intérêts du peuple pour s`installer au pouvoir.
Voilà, en résumé, comment se présente la situation.

CE QUI EN RESULTE . — Le P.C. n'est plus tout à fait illégal. Il est semi-illégal.

Exemple : Des distributeurs de tracts, arrêtés par la police française, sont relâchés le lendemain après intervention de la Kommandantur. Les prisonniers politiques, dans les régions occupées, sauf toutefois tous les députés, sont libérés par les troupes allemandes en même temps que les membres de la cinquième colonne emprisonnés.

En Belgique, Hollande, Danemark et Norvège, le P. C. est légal. La voix du Peuple, organe belge du P.C. paraît. Les communistes se sont emparés de la direction de la ville de Liège et du bassin minier de Charleroi. D'autres communes sont sous la direction des communistes.

En France, nous devons déplorer des fautes politiques. La radio soviétique — le Komintern — avait donné aux militants parisiens le mot d'ordre suivant : Ne pas quitter Paris quoi qu'il arrive.

L'Humanité devait paraître, légalement, aussitôt l'entrée des troupes allemandes, qui se seraient trouvées devant le fait accompli. La copie était prête, mais le personnel faisait défaut.
Le Parti a, ensuite, eu des contacts avec la Kommandantur pour la parution de l'Humanité; la copie était approuvée — les journaux devant subir le visa des autorités d'occupation — mais on invita nos camarades à changer le titre du journal et à abandonner : organe central du P. C., ainsi que la faucille et le marteau, ce que nos camarades refusèrent en considérant comme impossible le fait de changer le titre, l'Humanité étant tout un programme. Les autorités allemandes répliquèrent qu'il leur était difficile d'autoriser l'Humanité sous sa forme légale, parce que Mussolini et Franco — qui ont du lutter contre le communisme — verraient cela d'un mauvais œil.
Alors se posa la question d'un organe du soir, qui fut parait-il accordé, et Ce soir doit paraître incessamment. Sa parution déjà annoncée doit rencontrer des difficultés de tous ordres.

EN RÉSUMÉ, l'objectif immédiat est la lutte pour la légalité, et cela ne sera que dans la mesure où nous serons l'imposer, par une liaison étroite avec la masse; dans la mesure où nous saurons nous organiser et organiser le peuple d'une façon pratique dans des formes appropriées à la situation.
C'est une lutte de vitesse et de finesse.

DEUXIÈME PARTIE.

DIRECTIVES RÉPONDANT
A LA NOUVELLE SITUATION


Tout d'abord réorganiser le Parti.
Aider au travail d'éclaircissement qui s'opère dans le pays.

COMMENT ? — Tenant compte de la semi-illégalité, continuer la discrétion sur les cadres et leurs liaisons.

En ce qui concerne le P.C. :

Bureau et Comité de Section, 4 membres maximum :
1234
Secrétaire.Adjoint.Trésorier.Propagande.
et réunion rapidement.

Abandonner les groupes de 3 et reprendre la forme ancienne : les cellules, mais avec une base moins large : 8 maximum; utiliser les anciens cadres pour la direction des cellules.
Faire connaître rapidement nombre de cellules et effectifs; à éviter aux postes dirigeants : bavards; se baser sur travail effectué et attitude pendant la période illégale. Laisser se manifester et observer les initiatives.

Recruter.

Efforts : Sur quartiers, questions locales et entreprises administrations qui travaillent (syndicats sans caractère politique).

Jeunes : Effort en vue de leur organisation.

LA LUTTE (Les conditions de la lutte contre le fascisme sont, en France, et dans les conditions actuelles, tout a fait nouvelles et imprévues, de façon précise, dans le rapport de Dímitrov au VIIe Congrès) (2).

Dénoncer les misères et les horreurs de la guerre, la pénurie des vivres.

Lutte d'honnêteté contre la malhonnêteté : pillage, etc, mercantilisme.

Organisations de masses, chômeurs : revendiquer du travail et non la charité; ouverture des entreprises; contrôle ouvrier (à condition qu'il n'y ait pas d'organisation fasciste), faire rendre gorge aux profiteurs.

Dénoncer : les spéculateurs et les affameurs; la baisse des salaires là où le travail a repris; l'exploitation honteuse des entreprises agricoles; faire rendre gorge aux profiteurs de guerre qui doivent payer.

Réclamer : la démobilisation immédiate; la parution légale des journaux du peuple.

Moyens : en plus de l'Humanité clandestine — que nous nous efforcerons provisoirement de vous transmettre — éditer les tracts locaux à grand tirage, ronéotypés ou polycopiés à la main si besoin est.

Organisations de masse, à côté du Parti.
Syndicats, Comités (ou autre) de chômeurs, groupes d'achats en commun.
Toute initiative s'adaptant aux conditions locales est laissée aux organismes et organisations.
Il est même recommande de les développer.
Tout cela doit tendre à constituer des organisations représentatives et reconnues par les autorités, cela doit être fait rapidement, intelligemment, avec objectif et en vue d'être en mesure  —   dans cette période confuse et bouleversée — d'être à même de prendre la direction de la vie publique (à l'instar des exemples, cités plus haut, en Belgique).

Fraternellement.

FAUTES A NE PAS COMMETTRE. — Il apparait que le conflit impérialiste franco-allemand n'est pas terminé. On peut constater que, dans la partie non occupée, on empêche les capitalistes de revenir, ou ceux-ci désirent ne pas rentrer; on gêne aussi le rapatriement des réfugies vers les régions occupées. Tout cela semble être une réaction de l'impérialisme français poursuivant deux objectifs : 1° mécontenter la population en vue d'un soulèvement révolutionnaire qui se doublerait d'une lutte pour l'indépendance nationale et contre l'occupation. Ce qui n'est pas à écarter du domaine des possibilités. Nos capitalistes pensent ainsi provoquer l'intervention de l'URSS, qui, selon ses traditions politiques, soutiendrait tout mouvement révolutionnaire et d'indépendance nationale, et ainsi, avec l'impérialisme anglais, américain, etc., renverser la situation pour leurs propres intérêts. Ce qui n'a rien à voir avec la propre lutte du peuple.
Il faut s'écarter des excès. La classe ouvrière n'est forte que liée aux masses. Le mot d'ordre actuel n'est pas le peuple au pouvoir », mais « la légalité des organisations et de la presse du peuple ».
Ne pas mettre à découvert les organismes de direction du Parti. S'entourer de camarades discrets, et même éviter de les informer des directions. Il est évident qu'il ne peut être question, en ce qui concerne le Parti, d'élire les dirigeants, qui doivent être choisis pour l'attachement qu`ils montrent et ont montré au Parti et pour l'autorité qu'ils ont sur les camarades et les masses. Pas de Centralisme-Démocratique, comme dans la légalité, conserver uniquement et comme depuis la dissolution : le Centralisme.
Recopiez si vous jugez utile, mais vous comprendrez aisément que ce petit rapport doit être détruit.

HEN.


[Notes de A. Rossi]

(1) Il s'agit de la lettre écrite par Lénine en août 1918 pour justifier la ligne de conduite suivie par les bolcheviks à l'égard des deux groupes de belligérants, c'est-à-dire des « deux groupes de brigands, allemands comme anglais ». La conclusion de la paix de Brest-Litovsk avait rencontré en Russie même de fortes oppositions (dissidence d'une minorité du Comité central du central du parti bolchevik, assassinat de l'ambassadeur allemand Mirbach à Moscou par les S. R. de gauche) et donné lieu, dans tous les pays de l'Entente, à une violente campagne contre le nouveau pouvoir soviétique, accusé de prolonger la guerre par son attitude et de s'être fait le complice des Allemands.

Lénine répond en justifiant, au nom des intérêts de la révolution, « l''entente avec la bourgeoisie d'une cocarde contre la bourgeoisie d'une autre cocarde, pour l'utilisation, en faveur du prolétariat, des différends existant entre les divers gouvernements bourgeois ». Il rappelle qu'en février 1918, au moment de l'offensive allemande sur Riga, il n'avait pas hésité a s'entendre avec l'officier français de Lubersac : « J'ai serré la main du monarchiste français et nous savions fort bien, pendant ce temps, que chacun de nous eût volontiers fait pendre son partenaire. Mais nos intérêts coïncidaient pour l'instant. Contre l'offensive des rapaces allemands, nous avons utilisé dans l'intérêt de la révolution sociale russe et internationale, les contre-intérêts tout aussi rapace des impérialistes adverses. » Cette tactique « allégera l'œuvre de la révolution sociale, hâtera sa venue, affaiblira la bourgeoisie internationale, renforcera les positions de la classe ouvrière victorieuse ». Celui qui ne comprend pas le caractère nécessairement sinueux de cette tactique, « cet homme n'est pas un révolutionnaire, il n'est pas délivré du pédantisme des intellectuels bourgeois ».

Il est assez curieux de remarquer qu'à trois reprises cette lettre de Lénine a été employée en France au service du « défaitisme révolutionnaire ». Elle a été diffusée en une petite plaquette, vers octobre 1918, trop tard désormais pour qu'elle pût jouer un rôle dans les événements qui se précipitaient. Exactement vingt et un an après, le P. C. F. reproduisait, dans un tract qui fut diffusé parmi les soldats au front et à l'arrière, la partie la plus virulente de cette lettre. C'est encore par le rappel des arguments employés en 1918 par Lénine qu'à la  fin de juin 1940, au moment même de l'armistice, le P. C. F. justifiait, dans la circulaire que nous reproduisons, ses tentatives de collaboration avec l'occupant.


(2), Il s'agit du rapport de Georges Dimitrov au VIIe congrès de l'Internationale communiste (1935), où, le secrétaire général de cette organisation avait fait l'éloge de la tactique du « Front populaire » adoptée par le P. C. F. Après la conclusion du pacte germano-soviétique et le déclenchement de l'offensive allemande, cette tactique est abandonnée. Georges Dimitrov lui-même l'avait affirmé en octobre 1939, dans un article auquel le P. C. F. a donné une large diffusion, en le publiant, entre autres, dans une petite brochure qui portait sur sa couverture, pour mieux tromper a la fois la police et ses lecteurs, le titre : La Vérité sur la guerre. Comment la gagner. Dimitrov y écrit notamment : « De nouvelles tâches se posent devant la classe ouvrière. En cette situation modifiée, les tâches de la classe ouvrière se posent d'une façon nouvelle. Si, auparavant, il s'agissait de concentrer les forces dans la lutte pour conjurer la guerre impérialiste, pour mater ses incendiaires, aujourd'hui, la tâche principale de l'heure est de mobiliser les grandes masses pour la lutte contre la guerre en cours, pour y mettre fin. » Ainsi, il est devenu impossible de collaborer avec le parti socialiste. En général, « les milieux dirigeants de la deuxième Internationale jouent le rôle le plus sordide et le plus criminel dans le hachoir sanglant de la guerre. Ils trompent les masses en prêchant le caractère antifasciste de la guerre et aident la bourgeoisie à pousser les peuples à l'abattoir ». Le nouveau devoir des communistes est tout tracé : « Il faut concentrer le feu contre l'opportunisme qui glisse vers les positions de la « défense nationale », qui soutient la légende du caractère antifasciste de la guerre. » La nouvelle tactique à appliquer est désormais le « défaitisme révolutionnaire », tels que les bolchéviks l'ont pratiqué en 1914-1918.


[Source : Angelo Rossi, Physiologie du Parti communiste français, 1949 pp. 395-402.]
 
(L'auteur date ces Instructions de "la seconde quinzaine de juin 1940". Or Le texte fait référence aux négociations concernant la reparution de Ce Soir qui ont débuté le 3 juillet. 
 
Ajoutons que le 6 juillet, le premier numéro de Ce Soir daté du 8 juillet a été soumis à la censure allemande laissant supposer aux communistes que le journal était autorisé. Sans réponse de l'admnistration militaire, les communistes ont sollicité l'ambassade d'Allemagne pour obtenir la légalisation de leur journal. C'est le 19 juillet, qu'un représentant de la Propaganda Staffel a indiqué au communistes que leur journal était autorisé.
 
Sur la base de cette chronologie, on peut supposer que les Instructions du PCF ont été diffusées dans la deuxième ou troisième semaine de juillet 1940.)