Le 8 décembre 1940, le Maréchal Pétain signe un décret aux termes duquel le Général de Gaulle est déchu de la nationalité
française à compter de la date du 2 août 1940. (Doc. 1)
Cette décision s'appuie sur la loi du 23 juillet 1940 qui stipule en son art. 1er :
"Tout Français qui à quitté le territoire français métropolitain entre
le 10 mai et le 30 juin 1940 pour se rendre à l'étranger sans ordre de
mission régulier émanant de l'autorité compétente ou sans motif légitime
sera regardé comme ayant entendu se soustraire aux charges et aux
devoirs qui incombent aux membres de la communauté nationale et par
suite avoir renoncé à la nationalité française.
Il sera, en
conséquence, déchu de cette nationalité par décret rendu sur le rapport
du garde des sceaux, ministre secrétaire d'Etat à la justice.
Cette
mesure prendra effet à partir du jour fixé par le décret et pourra être
étendue à la femme et aux enfants qui ont suivi l'intéressé."
Le Général de Gaulle est exclu de la communauté nationale à compter du 2 août 1940, date à laquelle le Chef de la France Libre a été condamné à la peine de mort par le Tribunal militaire de Clermont-Ferrand.
Pétain contre de Gaulle
Le décret du 8 décembre 1940 fait suite à plusieurs mesures prises par le Gouvernement Pétain puis le Régime de Vichy contre le Général de Gaulle en raison de son engagement à poursuivre le combat contre l'Allemagne nazie :
1) Annulation de sa promotion au grade de général de brigade à titre temporaire (décision ministérielle du 22 juin 1940).
Au début de mai 1940, le colonel de Gaulle est nommé à la tête de la 4e Division cuirassée (4e DCR). Pour exercer ce commandement, il est promu au grade de général de brigade à titre temporaire.
Le Journal officiel du 26 mai 1940 officialise cette promotion :
"Par application du décret du 4 octobre 1939 relatif aux nominations et promotions à titre temporaire pendant la durée de la guerre, ont été promus, pour prendre rang du 1er juin 1940 :
Au grade de général de brigade à titre temporaire. [...]
M. le colonel d'infanterie breveté d'état-major de Gaulle (Charles-André-Joseph-Marie)."
Le 22 juin 1940, jour de la signature de l'armistice franco-allemand, le Général Colson, ministre de la Guerre dans le Gouvernement Pétain, annule la promotion du Général de Gaulle. Il justifie sa décision en arguant d'une part que cet officier supérieur français a rejoint Londres le 17 juin 1940 sans son autorisation et d'autre part que son Appel du 18 juin 1940 est un "acte politique" de" nature à jeter le trouble dans l'armée et à gêner l'action du gouvernement français".
Le Journal officiel du 24 juin 1940 enregistre cette décision ministérielle :
"Par décision ministérielle du 22 juin 1910, la promotion au grade de général de brigade à titre temporaire de M. le colonel d'infanlerie breveté de Gaulle (Charles-André-Joseph- Marie) est annulée."
En rétrogradant le général de Gaulle au rang de colonel, le Gouvernement Pétain entend discréditer son action dans la population française en le présentant comme un officier félon et en lui retirant un grade qui donnait de la valeur à son appel du 18 juin puisqu'il avait été lancé par un homme inconnu des Français.
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2) Mise à la retraite d'office du colonel de Gaulle par mesure disciplinaire (décret du Président de la République du 23 juin 1940).
Cette seconde sanction marque la fin de la carrière militaire du Général de Gaulle... du moins officiellement.
"Par décret en date du 23 juin 1940. M. le colonel d'infanterie breveté d'état-major de Gaulle (Charles-André-Joseph-Marie) est admis d'office à la retraite, par mesure de discipline."
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3) Condamnation par contumace à 4 ans d'emprisonnement et 100 francs d'amende pour refus d'obéissance en présence de l'ennemi et provocation de militaires à la désobéissance (jugement du 4 juillet 1940 prononcé par le Tribunal militaire de la 17e Région siégeant à Toulouse).
Le Général de Gaulle est condamné pour deux motifs : son refus d'exécuter l'ordre du Général Weygand du 19 juin 1940 lui demandant de rentrer en France et ses Appels lancés à la BBC les 18 et 22 juin 1940.
On notera l'ironie d'être condamné "pour refus d'obéissance en présence de l'ennemi" quand on s'engage à poursuivre le combat contre celui-ci.
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4) Condamnation par contumace à la peine de mort, à la dégradation militaire et à la confiscation de ses biens pour trahison, atteinte à la sûreté extérieure de l'Etat et désertion à l'étranger en temps de guerre (jugement du 2 août 1940 prononcé par le Tribunal militaire de la 13e Région siégeant à Clemont-Ferrand).
Cette condamnation à la peine de mort marque le terme de la seconde procédure ouverte par la justice militaire contre le Général de Gaulle sur les instructions du Général Colson qui a conservé le ministère de la Guerre dans le premier Gouvernement de Vichy formé le 12 juillet 1940.
Le Général de Gaulle est condamné pour désertion en temps de guerre en raison de son départ pour l'Angleterre le 17 juin 1940.
"Sera coupable de trahison et puni de mort : [...]
4° Tout Français qui, en temps de guerre, provoquera des militaires ou des marins à passer au service d'une puissance étrangère, leur en facilitera les moyens [...]
5° Tout Français, qui en temps de guerre, entretiendra des intelligences avec une puissance étrangère ou avec ses agents, en vue de favoriser les entreprises de cette puissance contre la France."
Le tribunal militaire a jugé d'une part que ses Appels exhortaient les Français à rejoindre une force militaire qu'il avait constituée au profit de l'Angleterre et d'autre part qu'ils favorisaient les agissements du gouvernement anglais contre la France.
Enfin la condamnation du Général de Gaulle pour atteinte à la sûreté extérieure de l'Etat s'appuie sur l'article 79 alinéa 2 du code pénal aux termes duquel sera puni de ce crime toute personne "Qui aura, par des actes non approuvés par le Gouvernement, exposé des Français à subir des représailles".
Le conseil de guerre a estimé que ses discours à la Radio de Londres pouvaient laisser croire à l'Allemagne que les clauses de l’armistice ne seraient pas appliquées par le gouvernement français et que de ce fait ils exposaient les Français à des représailles allemandes.
A toutes ces mesures prises contre la personne du Général de Gaulle viendra s'ajouter la création le 24 septembre 1940 d'une Cour martiale chargée de juger la dissidence gaulliste. Cette juridiction d'exception sera la seconde créée par le Régime de vichy après la Cour suprême de justice de juillet 1940.
PCF contre de Gaulle
Pour comparaison, on rappellera la position du PCF sur le Général de Gaulle et ses Appels à la Résistance en citant deux numéros de l'Humanité clandestine :
1) L'Humanité n° 58 du 1 juillet 1940 :
PAS POUR L'ANGLETERRE
Le Général de Gaulle et autres agents de la finance anglaise voudraient
faire battre les Français pour la City et ils s'efforcent d'entraîner
les peuples coloniaux dans la guerre.
Les
Français répondent le mot de Cambronne à ces Messieurs; quant aux
peuples coloniaux ils pourraient bien profiter des difficultés que
connaissent leurs
oppresseurs pour se libérer. VIVE L'INDEPENDANCE DES PEUPLES COLONIAUX.
Dans son numéro du 1er juillet 1940, l'Humanité mentionne pour la première fois le Général de Gaulle.
Pour l'organe central du Parti communiste français, le chef de la France Libre n'est pas un patriote qui a créé en Angleterre une organisation ayant pour objectif de libérer la France par les armes mais un vulgaire "agent de la finance anglaise" qui par vénalité veut "faire battre les Français pour la City".
Cet argument justifiant la condamnation du mouvement gaulliste est résumé dans le titre du texte : "Pas pour l'Angleterre".
Quant aux Appels du Général de Gaulle, l'Humanité répond clairement et avec vulgarité par la négative en invoquant le "mot de Cambronne".
Dernier élément, le journal communiste plaide en faveur de "l'indépendance des peuples coloniaux" pour empêcher d'une part l'implantation de la France Libre dans les territoires de l'Empire français et d'autre part leur engagement dans la guerre contre l'Allemagne nazie
Acte de naissance de l'anti-gaullisme du Parti communiste français, l'Humanité n° 58 du 1er juillet 1940 sera suivi d'autres numéros dans lesquels le Général de Gaulle et la Résistance seront insultés et calomniés.
2) L'Humanité n° 59 du 4 juillet 1940 :
LE PEUPLE DE FRANCE VEUT LA PAIX.
Il demande d'énergiques mesures contre tous ceux, qui par ordre de
l'Angleterre impérialiste, voudraient entraîner à nouveau les français
dans la guerre.
Il
demande la conclusion d'un pacte d'amitié franco-soviétique qui
compléterait le pacte germano-soviétique et serait la garantie de la
paix en Europe.
Il demande la conclusion d'un accord commercial avec l'URSS en vue
d'aider notre pays à surmonter ses difficultés de ravitaillement.
Dans son numéro du 4 juillet 1940, l'Humanité affirme que "le peuple de France veut la paix" avec l'Allemagne nazie et qu'en conséquence il exige "d'énergiques mesures" contre le Général de Gaulle qui est non seulement un belliciste puisqu'il veut "entraîner à nouveau les Français dans la guerre" mais en plus un traître puisqu'il agit sur "ordre de l'Angleterre impérialiste".
En d'autres termes, l'organe central du PCF encourage les autorités allemandes et le Gouvernement Pétain à réprimer le mouvement gaulliste qui constitue en juillet 1940 l'embryon de la Résistance !!!
Outre la condamnation de la Résistance ce journal pro-allemand plaide pour la signature "d'un pacte d'amitié franco-soviétique qui compléterait le pacte germano-soviétique et serait la garantie de la paix en Europe".
En clair, la signature d'un Pacte d'amitié entre la France et l'URSS serait non seulement conforme aux intérêts de l'Allemagne mais en plus inciterait l'Angleterre à faire la Paix.
En d'autres termes, l'organe central du PCF encourage les autorités allemandes et le Gouvernement Pétain à réprimer le mouvement gaulliste qui constitue en juillet 1940 l'embryon de la Résistance !!!
Outre la condamnation de la Résistance ce journal pro-allemand plaide pour la signature "d'un pacte d'amitié franco-soviétique qui compléterait le pacte germano-soviétique et serait la garantie de la paix en Europe".
En clair, la signature d'un Pacte d'amitié entre la France et l'URSS serait non seulement conforme aux intérêts de l'Allemagne mais en plus inciterait l'Angleterre à faire la Paix.
André Marty et Maurice Thorez
Dernier élément, on fera remarquer que le Général de Gaulle est déchu de la nationalité française par le Régime de Vichy parce qu'il incarne la Résistance à l'occupation allemande alors que André Marty, membre du Bureau politique du PCF, et Maurice Thorez, secrétaire général du PCF, ont été déchus de la nationalité française par le gouvernement de la République en janvier et février 1940 parce qu'ils avaient manifesté leur soutien à la Paix avec l'Allemagne nazie : le premier en publiant un pamphlet accusant Léon Blum d'avoir trahi la classe ouvrière en soutenant la guerre, le second en désertant.
Document 1 :
Décret du 8 décembre 1940 prononçant la déchéance de la nationalité française de Charles de Gaulle |
Nous, Maréchal de France, chef de l'Etat français,
Sur le rapport du garde des sceaux, ministre secrétaire d'Etat à la justice.
Vu l'article 1er de la loi du 23 juillet 1940 portant que tout Français qui à quitté le territoire français métropolitain entre
le 10 mai et le 30 juin 1940 pour se rendre à l'étranger sans ordre de
mission régulier émanant de l'autorité compétente ou sans motif légitime
sera regardé comme ayant entendu se soustraire aux charges et aux
devoirs qui incombent aux membres de la communauté nationale et, par
suite, avoir renoncé à la nationalité française, qu'il sera, en conséquence, déchu de cette nationalité par décret rendu sur le
rapport du garde des sceaux, ministre secrétaire d’état à la justice, et que cette mesure prendra effet à partir du jour fixé par le décret,
Décrétons :
Art 1er. — Est déchu de la nationalité française, à dater du 2 août 1940 :
M. de Gaulle (Charles André Joseph Marie) né le 22 novembre 1890 à Lille (Nord).
Art. 2. — Le garde des sceaux, ministre secrétaire d'Etat à la justice, est chargé de l'exécution du présent décret, qui sera publié au Journal officiel.
Fait à Vichy, le 8 décembre 1940.
PH. PETAIN.
Par le Maréchal de France, chef de l'Etat français :
Le garde des sceaux, ministre secrétaire d'Etat à la justice, RAPHAEL ALIBERT. (Journal officiel du 10 décembre 1940) |