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Missak Manouchian : un étranger mort pour la France ou un stalinien mort pour l'Union soviétique ?

Le 21 février 2024, 80 ans jour pour jour après son exécution par les Allemands, Missak Manouchian est inhumé au Panthéon.

Pour porter un jugement éclairé sur cet événement, il faut d'abord déterminer si ce résistant appartient à la catégorie des étrangers morts pour la France ou à celle des staliniens morts pour l'Union soviétique.

Dans le premier cas, il mérite l'hommage posthume de la Nation. Dans le second cas, la France ne lui doit rien du tout.

On pourra, ensuite, s'interroger sur le sens de cette panthéonisation.


Un étranger mort pour la France

Qui est Missak Manouchian ?

Pour le président de la République, Emmanuel Macron : "dans Paris occupé, Missak Manouchian rejoint la résistance communiste, au sein de la main d'œuvre immigrée, la MOI." (1)

C'est avec gravité que le Chef de l'Etat ajoute que cet étranger a accepté "de mourir pour notre Nation qui, pourtant, avait refusé de l'adopter pleinement". (2)

Pour Denis Peschanski, historien, membre du Comité pour la panthéonisation de Missak Manouchian : il est "le premier résistant étranger et le premier résistant communiste" (3) à faire son entrée au Panthéon.

Pour les journalistes, Missak Manouchian est un étranger, un Arménien, un rescapé du génocide arménien, un poète, un résistant, un communiste, un Français de préférence et d'espérance.

Pour tous, il est donc sans aucune équivoque un résistant étranger mort pour la France.

Il est pourtant un mot qui n'est jamais utilisé pour le décrire : stalinien.

Et pour cause. Ce mot nous renseigne sur son idéologie, son allégeance et les motivations qui l'ont déterminé à rejoindre la résistance communiste et plus précisément les FTP-MOI (Francs-tireurs partisans de la Main d'œuvre immigrée).

Signalons que dans son hommage le président Macron n'a pas prononcé les mots suivants : Staline, Union soviétique, Pacte germano-soviétique. Pourquoi cette gêne si on est si fier de Missak Manouchian ?


Résistance communiste

Rappelons que la résistance communiste a été consécutive à l'attaque de l'URSS par les armées allemandes le 22 juin 1941 et que son objectif était la libération de l'Union soviétique.

Son acte fondateur a été une Directive de l'Internationale communiste du 25 juin 1941 co-signée par le secrétaire général du PCF, Maurice Thorez, qui s'était réfugié en Russie après sa désertion en octobre 1939 :

"Le moment est venu rechercher et organiser contacts directs avec mouvement gaulliste, dont partisans comprennent que lutte héroïque peuple soviétique contre agression hitlérienne répond intérêts peuple français et que libération France est liée à victoire Union soviétique. Collaboration doit s'établir sur la base suivante. Lutte commune pour libération nationale. Efforts communs contre ennemi commun, le fascisme allemand". (4)

Ce télégramme a mis fin à la ligne pacifiste que défendait le PCF depuis septembre 1939. En application de la nouvelle ligne, les communistes se sont engagés dans la lutte contre "le fascisme allemand" et n'ont donc plus fait référence à la paix avec Hitler. Ensuite, suivant la recommandation "rechercher et organiser contacts direct avec mouvement gaulliste", ils se sont alliés aux gaullistes Cette alliance était jugée utile et logique : "efforts communs contre ennemi commun". Conséquence, les gaullistes n'ont plus été dénoncés comme des traîtres au service de l'impérialisme anglais. Ils ont été célébrés comme des frères d'armes dans la lutte contre les nazis.

Il est aussi à noter que la libération de la France était subordonnée à celle de l'URSS. Preuve supplémentaire que l'objectif des staliniens français était la libération de l'Union soviétique.

Un dernier commentaire : que tous ceux qui veulent honorer la mémoire des résistants communistes n'oublient jamais de remercier... Hitler. En effet, c'est Hitler qui a mis fin au Pacte germano-soviétique en attaquant l'URSS. Sans cette initiative, les communistes seraient encore alliés des nazis aujourd'hui.


Résistance française

La résistance française était fondamentalement distincte de la résistance communiste.

Tout d'abord, elle a été fondée par le général de Gaulle avec son appel du 18 juin 1940. Elle était donc antérieure à la résistance communiste qui s'est organisée à partir de juin 1941. Ensuite, son objectif était la libération de la France à laquelle ont d'ailleurs participé de nombreux étrangers.

Cet appel à poursuivre le combat contre les Allemands a été violemment condamné par le Parti communiste français. Ainsi, le premier texte communiste le condamnant a été un appel au "Peuple de Paris" du 25 juin 1940 dans lequel on pouvait lire :

"L'armistice est signé. Nos soldats ne se battent plus et, tandis qu'a cessé le bruit du canon, nos pensées vont à tous ceux qui sont restés sur les champs de bataille, aux mères, aux veuves, aux orphelins, aux mutilés, à toutes les pitoyables victimes de la guerre.
C'est en vain que les agents de l'impérialisme britannique essayent maintenant de persuader le peuple de France qu'il doit poursuivre maintenant la guerre pour le compte des financiers de la Cité et, tandis que ces messieurs tentent d'étendre le feu de la guerre aux colonies, les communistes disent aux peuples coloniaux : "Mettez à profit les difficultés de vos oppresseurs pour briser vos chaînes, pour vous libérer, pour conquérir votre indépendance.""

Aux appels à la résistance du général de Gaulle, le PCF a répondu par des appels à fraterniser avec les soldats allemands.

Un exemple, l'Humanité clandestine n° 59 du 4 juillet 1940 :

TRAVAILLEURS FRANCAIS ET SOLDATS ALLEMANDS.

Il est particulièrement réconfortant, en ces temps de malheurs, de voir de nombreux travailleurs parisiens s'entretenir amicalement avec des soldats allemands, soit sur la rue, soit au bistrot du coin.
Bravo, camarade, continuez, même si cela ne plait pas à certains bourgeois aussi stupides que malfaisants.
La fraternité des peuples ne sera pas toujours une espérance, elle deviendra une réalité vivante.

Dans son hommage, évoquant Missak Manouchian et ses camarades, le président Macron déclare :

"Parce qu'ils sont communistes, ils ne connaissent rien d'autre que la fraternité humaine". (5)

A la lecture de ce numéro de l'Humanité, on comprend mieux le sens de ces mots...


Un stalinien mort pour l'Union soviétique

Membre du Parti communiste français depuis 1934, Missak Manouchian est resté fidèle au PCF après la signature du Pacte germano-soviétique du 23 août 1939.

Il a donc approuvé la ligne défendue par son Parti de septembre 1939 à juin 1941 : la paix avec Hitler.

Comme tous les communistes - français ou étrangers - Missak Manouchian s'est engagé dans la Résistance après l'invasion de l'URSS par les armées allemandes dans le but de libérer sa patrie : l'Union soviétique dont faisait d'ailleurs partie la République Socialiste Soviétique d'Arménie.

Au vu de ce qui précède, on peut faire le constat que son "amour" de la France, qui se serait notamment matérialisé dans ses deux demandes de naturalisation en 1933 et en 1940, était subordonné aux intérêts de l'Union soviétique.

Ce fait incontestable n'empêche pas les apologistes de Missak Manouchian d'affirmer qu'il est mort pour la France.

Un exemple significatif, l'exposition du Panthéon « Vivre à en mourir. Missak Manouchian et ses camarades de Résistance au Panthéon ».

Les organisateurs la décrivent en ces termes :

"L'exposition prend place dans la crypte du Panthéon, à proximité du caveau où reposeront Missak et Mélinée Manouchian et comprend quatre sections, organisées de manière chronologique." (6)

La section III est consacrée à "La Résistance". Le texte de présentation débute par ces trois phrases :

"Missak Manouchian veut défendre la France contre le nazisme, comme nombre de militants étrangers de la main-d’œuvre immigrée. En juin 1941, la rupture par Hitler du pacte germano-soviétique, qui avait été signé en août 1939, soulage les militants communistes. La lutte armée devient une priorité pour le Parti communiste qui regroupe bientôt ses combattants au sein des Francs-Tireurs et Partisans (FTP)." (7)

Il est affirmé péremptoirement que Missak Manouchian voulait "défendre la France contre le nazisme". D'autre part, il est indiqué sans aucune explication et surtout sans aucune gêne qu'il a attendu "la fin du Pacte germano-soviétique" pour honorer cet engagement.

Doit-on rire de la contradiction ? Quel est la nature de ce patriotisme dont le facteur déclenchant est la décision d'Hitler de mettre fin au Pacte germano-soviétique ?

A la lecture de ce texte une conclusion s'impose : si Hitler n'avait pas attaqué l'URSS, on n'aurait jamais su que Missak Manouchian voulait "défendre la France contre le nazisme".

Revenons à 1941 et à son entrée dans la Résistance communiste.

Après avoir mené une activité clandestine au sein de la section arménienne de la MOI (Main d'œuvre immigré), Missak Manouchian a intégré en février 1943 un détachement des FTP-MOI avant de rejoindre la direction de cette organisation au mois d'août.

C'est en novembre 1943 qu'il a été arrêté par des policiers français.

Avec 23 de ses camarades des FTP-MOI, il a été jugé par le tribunal militaire allemand du Grand Paris du 15 au 18 février 1944.

Sur ces 24 accusés, 23 ont été condamnés à mort. Ils ont été exécutés le 21 février au Mont-Valérien, près de Paris, à l'exception de la seule femme du groupe : Olga Bancic. Cette dernière a été transférée à Stuttgart où elle a été une nouvelle fois jugée, condamnée à mort et guillotinée le 10 mai.

Ce procès a fait l'objet d'une médiatisation particulière. Aux comptes-rendus vindicatifs publiés dans la presse autorisée s'est ajoutée la diffusion d'une affiche à laquelle ont été associés un tract et une brochure.

A la question "Des libérateurs ?", l'affiche répondait : "La libération ! par l'armée du crime". Entre ces deux phrases un triangle rouge regroupait les photographies de dix des vingt-trois condamnés à morts. Chaque photographie était accompagnée d'un texte indiquant le nom de la personne, son origine étrangère et les crimes dont on l'accusait. Celle de Manouchian précisait qu'il était le chef du groupe. Elle était placée dans la pointe du triangle qui orientait le regard vers le bas en direction de six photographies illustrant leurs crimes : corps d'une victime (x 2), déraillement de train (x 3), armes et explosifs (x 1). Après-guerre, ce document a été désigné comme l'Affiche rouge.

Au final, Missak Manouchian est un stalinien qui est mort pour l'Union soviétique. La France ne lui doit rien du tout.

Qu'aurait fait ce stalinien à la fin de guerre s'il n'avait pas été assassiné par les Allemands ?

On peut répondre avec les exemples d'un responsable des FTP-MOI, Adam Rayski, et de sa compagne, Mélinée Manouchian.

Juif polonais, Adam Rayski est rentré en Pologne pour occuper des fonctions officielles au sein du gouvernement communiste installé par Staline. Quant à Mélinée Manouchian, convaincu par la propagande soviétique encourageant la diaspora arménienne à rentrer au pays, elle est repartie en Arménie.

Dans son livre "Anatomie de l'Affiche rouge", évoquant d'une phrase ces deux cas ainsi que ceux de deux de leurs camarades, Annette Wieviorka écrit qu'ils sont rentrés dans leurs pays "pour construire le socialisme" (6) !!! Aucune référence à la nature des régimes polonais et soviétique que ces communistes défendaient.


Premier stalinien au Panthéon

Pour paraphraser Denis Peschanski, Missak Manouchian est le premier stalinien à faire son entrée au Panthéon.

Dans le cortège qui le suit, on peut voir non seulement le Pacte germano-soviétique c'est-à-dire Hitler et Staline main dans la main (peut-on rêver d'un plus beau symbole du "en même temps" macronien ?) mais aussi les millions de morts du stalinisme.

Cette panthéonisation est en outre une insulte à la mémoire de tous les Français et de tous les volontaires étrangers qui ont combattu les Allemands entre septembre 1939 et juin 1941 quand les staliniens étaient alliés des nazis.

Enfin, on notera le paradoxe de faire les honneurs du Panthéon au fronton duquel il est inscrit "Aux Grands Hommes la Patrie reconnaissante" à un communiste qui a adhéré au principe marxiste suivant : les prolétaires n'ont pas de patrie.


(1) Déclaration de M. Emmanuel Macron, président de la République, en hommage à Missak Manouchian, pour son entrée au Panthéon.
(2) Ibid.
(3) Qui étaient Missak Manouchian et les FTP-MOI ? Interview de Denis Peschanski au Panthéon.
(4) B. Bayerlein, M. Narinski, B. Studer, S. Wolikow, Moscou, Paris, Berlin. Télégrammes chiffrés du Komintern, 1939-1941, 2003, pp. 441-442.
(5) Déclaration de M. Emmanuel Macron, président de la République, en hommage à Missak Manouchian, pour son entrée au Panthéon.
(6) Vivre à en mourir. Missak Manouchian et ses camarades de Résistance au Panthéon.
(7) Ibid.
(8) Annette Wieviorka, Anatomie de l'Affiche rouge, 2024, p. 38.