Tribune politique
Le Parti communiste entendait faire du procès de ses députés, qui étaient formellement poursuivis pour avoir enfreint le décret de dissolution lequel interdisait toute activité ayant pour objet de propager les mots d'ordre de la IIIe Internationale, une tribune politique lui permettant de dénoncer le véritable motif de la répression qui frappait ses
militants, ses responsables et ses élus : son opposition à la guerre contre l'Allemagne d'Hitler.
Ce projet a été contrarié par le huis clos prononcé par le tribunal à la première journée.
Malgré l'absence de tout débat public, le Parti communiste n'a pas renoncé à son principal objectif : faire lire une Déclaration par l'un des accusés le dernier jour du procès.
Il a confié cette mission à François Billoux en raison de ses fonctions : le député des Bouches-du-Rhône était membre du Bureau politique, et de la fermeté de ses convictions : devant le magistrat instructeur, il avait dénoncé l'illégitimité de la guerre en affirmant qu'une victoire de l'ennemi nazi ou de l'allié anglais condamnerait indifféremment la France à la servitude :
Malgré l'absence de tout débat public, le Parti communiste n'a pas renoncé à son principal objectif : faire lire une Déclaration par l'un des accusés le dernier jour du procès.
Il a confié cette mission à François Billoux en raison de ses fonctions : le député des Bouches-du-Rhône était membre du Bureau politique, et de la fermeté de ses convictions : devant le magistrat instructeur, il avait dénoncé l'illégitimité de la guerre en affirmant qu'une victoire de l'ennemi nazi ou de l'allié anglais condamnerait indifféremment la France à la servitude :
"Cette guerre sera néfaste pour la France. Vaincus, nous serons les
esclaves d'Hitler. Vainqueurs, nous serons les domestiques de
Chamberlain." (1)
Préparée à l'avance, cette Déclaration était un virulent réquisitoire contre la guerre impérialiste et sa cause : le capitalisme. Elle était aussi un fervent témoignage de fidélité à l'IC, à l'URSS et à Staline. Par la suite, elle a été diffusée clandestinement sous différente forme pour permettre au plus grand nombre d'en connaître le contenu. Elle a été un élément prépondérant de la propagande pacifiste du PCF. Preuve supplémentaire de l'importance de ce texte, les organes de l'IC l'ont même publié.
Ayant pris connaissance du texte préparé par le Parti, cinq députés ont refusé de le signer : Béchard, Jean, Vazeilles, Puech, Philippot.
Cette dernière révolte a porté à 25 le nombre de députés ayant rompu avec le Parti communiste : Béchard, Benenson, Brout, Capron, Daul, Declerq, Dewez, Fouchard, Fourrier, Gitton, Honel Jardon, Jean, Langumier, Le Corre, Loubradou, Nicod, Philippot, Piginnier, Pillot, Puech (dit Parsal), Raux, Saussot, Valat, Vazeilles.
Cette dernière révolte a porté à 25 le nombre de députés ayant rompu avec le Parti communiste : Béchard, Benenson, Brout, Capron, Daul, Declerq, Dewez, Fouchard, Fourrier, Gitton, Honel Jardon, Jean, Langumier, Le Corre, Loubradou, Nicod, Philippot, Piginnier, Pillot, Puech (dit Parsal), Raux, Saussot, Valat, Vazeilles.
Déclaration de François Billoux
Le
3 avril 1940, dernier jour du procès, François Billoux prend la parole en début de matinée pour faire une Déclaration au nom de 29 de ses camarades :
[...] On a lancé contre nous les pires campagnes de calomnies en nous privant de tous les moyens
de nous défendre, en nous jugeant à huis clos et en faisant dire par certains
journaux que nous étions poursuivis pour intelligence avec l’ennemi. N’est-ce pas
là la preuve que les gouvernants de notre pays redoutent au plus haut point de faire
connaître la vérité sur notre procès ?
Et bien cette vérité, nous l'avons dite au cours des interrogatoires et
nous la dirons maintenant. Nos avocats ont riposté à l'acte
d'accusation et au réquisitoire. Notre tâche à nous consiste à faire le
procès de nos accusateurs, les représentants des oligarchies financières
et industrielles. [...]
[Condamnation de la guerre impérialiste]
Nous
sommes poursuivis parce que nous nous sommes dressés et que nous
dressons avec la dernière énergie contre la guerre impérialiste qui
sévit sur notre pays, parce que nous appelons le peuple à exiger qu'il y
soit mis fin par la paix, parce que nous indiquons au peuple de France
le moyen de rendre notre pays libre et heureux. [...]
Les
capitalistes français tentent de faire croire que les responsabilités
de la guerre unilatérales, qu'eux-mêmes n'y sont pour rien, que le
peuple de France se bat pour la justice, la liberté et l'indépendance
des peuples.
Mensonges. Mensonges que les fauteurs de guerre utilisent chaque fois qu'ils mènent les peuples au massacre. [...]
C'est cette guerre-là qui ravage aujourd'hui la malheureuse Europe.
Le responsable, c'est le régime capitaliste dont Jaurès disait « qu'il porte en lui la guerre comme la nuée porte l'orage ».
Les fauteurs de guerre veulent parer celle-ci de toutes les vertus ! Ils
masquent leurs véritables objectifs de guerre, car ils savent bien que
le peuple ne se battrait pas pour les intérêts sordides d'une minorité
d'exploiteurs.
Il s'agit bien, comme lors de la guerre de 1914-1918, d'une guerre de capitalistes.
C'est
le résultat du conflit entre groupes capitalistes pour les marchés, les
matières premières, pour la possibilité d'exploiter les peuples
coloniaux.
C'est pour la domination d'un groupe de puissances capitalistes que des millions de travailleurs se battent aujourd'hui.
Nous avons dit et nous répétons que la classe ouvrière, que
l'ensemble des travailleurs n'ont rien à gagner dans cette guerre. Ils
n'y trouveront que la mort de millions des leurs, des misères et des
ruines effroyables, la destruction de leurs libertés, pendant que les
oligarchies financières et industrielles y amasseront et y amassent déjà
d'énormes profits.
[Condamnation du Gouvernement Daladier]
Les
responsabilités de la guerre ? Nous nous refusons à nous faire les
complices de cette énorme duperie qui consiste, dans chaque pays, à les
rejeter uniquement sur les gouvernements ennemis.
Il
y en a chez nous ! En premier lieu, le gouvernement et à sa tête,
Daladier, qui dirige l'Etat contre le peuple et dans l'intérêt d'une
minorité de gros possédants. [...]
On
nous a traînés devant les tribunaux parce que, nous seuls avons eu le
courage d'appeler le peuple à chasser le gouvernement Daladier : ce
gouvernement dont les responsabilités ont été écrasantes dans la guerre,
et qui a introduit dans notre pays la réaction... et les méthodes
hitlériennes. [...]
[Appel à la formation d'un Gouvernement de Paix communiste]
Nous considérons que le salut de la France exige la formation d'un gouvernement populaire, émanation directe de la nation.
[Condamnation des socialistes]
Les
capitalistes pensent pouvoir tromper longtemps le peuple, parce qu'ils
sont soutenus par le Parti socialiste, par ses chefs, les Blum, les Paul
Faure, Zyromski, par les chefs traitres de la CGT...
Tous ces gens se sont mis à l'avant-garde du chauvinisme et de la
répression anti-ouvrière.
Les
Blum, les Paul Faure, Zyromski et autres Jouhaux, qui ont empêché
l'application du programme du Front populaire, plongés maintenant
jusqu'au cou dans l'union sacrée... pour la guerre impérialiste,
travaillent à briser les organisations prolétariennes. Ils
sont les responsables au premier chef des conditions de misère imposées
aux travailleurs français. Ils montrent bien leur véritable figure
d'ennemis du peuple. [...]
[Hommage à Staline]
Messieurs les chefs socialistes, qui ne sont que les plats valets des
capitalistes, croient nous injurier en nous traitant de « staliniens ».
Qu'est-ce à dire ? Nous avons toujours affirmé et nous répétons que
ce n'est dans aucune capitale étrangère que les travailleurs français
trouvent la solution des maux dont ils souffrent. Leur émancipation sera
leur œuvre propre. Mais il est vrai que pour nous et des millions
d'hommes et de femmes des cinq parties du monde, Staline, robuste
bâtisseur de la société socialiste, est le génial continuateur de Marx,
Engels et Lénine, dont l’œuvre immortelle a eu pour précurseurs de
grands français comme notamment : Babeuf, Fourier, Blanqui. [...]
[Projet du Parti communiste]
Communistes
français. Avec Maurice Thorez, André Marty, Jacques Duclos, et tous nos
amis co-inculpés, nous travaillons à la libération de notre pays.
Nous voulons le débarrasser de la guerre.
Nous appelons le peuple à imposer la paix.
Nous
avons confiance en notre pays, en la France de 1793, de 1830, de 1849,
de la Commune de Paris, de février 1934 et de mai 1936.
Nous
avons confiance dans le peuple de France et nous sommes convaincus que,
très rapidement, il portera au tombeau le régime capitaliste
responsable de la misère et de la guerre.
Nous
saluons les innombrables masses du peuple travailleur qui sont en train
de mener un courageux combat pour le communisme. Sous le drapeau de
Marx, Engels, Lénine et Staline, suivant les exemples de Karl Liebknecht
et Dimitrov, sous la direction des chefs aimés du peuple français,
Thorez, Cachin, Marty et Duclos, en avant vers le communisme ! (1)
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Parfaite illustration de la position du PCF, la Déclaration de François Billoux contient les éléments suivants :
1) Condamnation de la guerre contre l'Allemagne nazie au motif qu'elle est impérialiste et donc illégitime.
2) Condamnation du capitalisme cause de la guerre impérialiste.
3) Plaidoyer pour la Paix avec l'Allemagne nazie puisque la guerre est illégitime.
4) Condamnation du Gouvernement Daladier belliciste et appel à la
formation d'un gouvernement de Paix communiste. Précisons que cette
Déclaration a été préparée avant la démission du Gouvernement Daladier
le 20 mars 1940 et que la mention du Gouvernement Reynaud est un ajout
de François Billoux.
5) Dénonciation du Parti socialiste et de la CGT parce qu'ils soutiennent l'Union sacrée.
6) Affirmation de la fidélité des accusés au PCF, à l'IC, à l'URSS et à Staline.
(1) Stéphane Courtois, Le PCF dans la guerre, 1980, p. 512-522.
Jugement
Le tribunal militaire rend son jugement le 3 avril en fin d'après-midi après quatre heures de délibération.
Concernant la première accusation (la constitution du GOPF), tous les
députés sont reconnus coupables d'avoir enfreint l'article 1 du décret
de dissolution qui proscrit toute activité ayant pour objet de propager
les mots d'ordre de la IIIe Internationale.
Quant à la seconde accusation (la lettre au président Herriot), seuls les deux signataires de la lettre - Florimond Bonte (présent) et Arthur Ramette (en fuite) - sont reconnus coupables d'avoir enfreint l'article 3 du décret de dissolution qui interdit la publication, la circulation et la distribution des écrits tendant à propager les mots d'ordre de la IIIe Internationale.
Quant à la seconde accusation (la lettre au président Herriot), seuls les deux signataires de la lettre - Florimond Bonte (présent) et Arthur Ramette (en fuite) - sont reconnus coupables d'avoir enfreint l'article 3 du décret de dissolution qui interdit la publication, la circulation et la distribution des écrits tendant à propager les mots d'ordre de la IIIe Internationale.
- 10 députés communistes à 5 ans de prison, 5 000 francs d'amende et 5 ans de privation de leurs droits civiques, civils et de famille : Bonte, Catelas, Duclos (Jacques), Dutilleul, Monmousseau, Péri, Ramette, Rigal, Thorez, Tillon.
(1) Le Figaro du 4 avril 1940
- 26 députés communistes à 5 ans de prison, 4 000 francs d'amende et 5 ans de privation de leurs droits civiques, civils et de famille :
Barel, Bartolini, Benoist, Berlioz, Billoux, Cornavin, Cossonneau,
Costes, Cristofol, Croizat, Demusois, Fajon, Gaou, Grésa, Lareppe, Lévy,
Lozeray, Martel, Midol, Moquet, Musmeaux, Petit, Prachay, Prot, Rochet,
Touchard.
- 8 députés communistes à 4 ans de prison avec sursis, 4 000 francs d'amende et 5 ans de privation de leurs droits civiques, civils et de famille : Béchard, Brun, Dadot, Duclos (Jean), Jean (Renaud), Philippot, Puech (dit Parsal), Vazeilles. (1)
La peine maximale frappe les 9 inculpés en fuite et Bonte, signataire de la lettre au président Herriot.
Dans le second groupe, seul Fajon n'a pas été incarcéré pendant l'instruction en raison de sa mobilisation.
Les 27 condamnés présents à l'audience purgeront leur peine à la prison militaire de la Santé à Paris.
Enfin, bénéficient du sursis les 3 députés (Dadot, Brun, Duclos Jean),
anciens combattants de 14-18, qui sont mutilés de guerre et les 5
députés (Béchard, Jean, Philippot, Puech, Vazeilles) qui n'ont pas signé
la Déclaration de François Billoux. Ces sursitaires ne recouvreront pas
la liberté puisqu'ils feront l'objet d'une mesure d'internement
administratif.
(1) Le Figaro du 4 avril 1940
Procès des députés communistes de mars-avril 1940 (Partie I) : La première audience