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Le procès des députés communistes de mars-avril 1940 (Partie II) : La dernière audience

Partie II

Tribune politique

Le Parti communiste entendait faire du procès de ses députés, qui étaient formellement poursuivis pour avoir enfreint le décret de dissolution lequel interdisait toute activité ayant pour objet de propager les mots d'ordre de la IIIe Internationale, une tribune politique lui permettant de dénoncer le véritable motif de la répression qui frappait ses militants, ses responsables et ses élus : son opposition à la guerre contre l'Allemagne d'Hitler.

Ce projet a été contrarié par le huis clos prononcé par le tribunal à la première journée.

Malgré l'absence de tout débat public, le Parti communiste n'a pas renoncé à son principal objectif : faire lire une Déclaration par l'un des accusés le dernier jour du procès.

Il a confié cette mission à François Billoux en raison de ses fonctions : le député des Bouches-du-Rhône était membre du Bureau politique, et de la fermeté de ses convictions : devant le magistrat instructeur, il avait dénoncé l'illégitimité de la guerre en affirmant qu'une victoire de l'ennemi nazi ou de l'allié anglais condamnerait indifféremment la France à la servitude :

"Cette guerre sera néfaste pour la France. Vaincus, nous serons les esclaves d'Hitler. Vainqueurs, nous serons les domestiques de Chamberlain." (1)

Préparée à l'avance, cette Déclaration était un virulent réquisitoire contre la guerre impérialiste et sa cause : le capitalisme. Elle était aussi un fervent témoignage de fidélité à l'IC, à l'URSS et à Staline. Par la suite, elle a été diffusée clandestinement sous différente forme pour permettre au plus grand nombre d'en connaître le contenu. Elle a été un élément prépondérant de la propagande pacifiste du PCF. Preuve supplémentaire de l'importance de ce texte, les organes de l'IC l'ont même publié.

Ayant pris connaissance du texte préparé par le Parti, cinq députés ont refusé de le signer : Béchard, Jean, Vazeilles, Puech, Philippot.

Cette dernière révolte a porté à 25 le nombre de députés ayant rompu avec le Parti communiste : Béchard, Benenson, Brout, Capron, Daul, Declerq, Dewez, Fouchard, Fourrier, Gitton, Honel Jardon, Jean, Langumier, Le Corre, Loubradou, Nicod, Philippot, Piginnier, Pillot, Puech (dit Parsal), Raux, Saussot, Valat, Vazeilles.



Déclaration de François Billoux

Le 3 avril 1940, dernier jour du procès, François Billoux prend la parole en début de matinée pour faire une Déclaration au nom de 29 de ses camarades : 

[...] On a lancé contre nous les pires campagnes de calomnies en nous privant de tous les moyens de nous défendre, en nous jugeant à huis clos et en faisant dire par certains journaux que nous étions poursuivis pour intelligence avec l’ennemi. N’est-ce pas là la preuve que les gouvernants de notre pays redoutent au plus haut point de faire connaître la vérité sur notre procès ?
Et bien cette vérité, nous l'avons dite au cours des interrogatoires et nous la dirons maintenant. Nos avocats ont riposté à l'acte d'accusation et au réquisitoire. Notre tâche à nous consiste à faire le procès de nos accusateurs, les représentants des oligarchies financières et industrielles. [...]

[Condamnation de la guerre impérialiste]

Nous sommes poursuivis parce que nous nous sommes dressés et que nous dressons avec la dernière énergie contre la guerre impérialiste qui sévit sur notre pays, parce que nous appelons le peuple à exiger qu'il y soit mis fin par la paix, parce que nous indiquons au peuple de France le moyen de rendre notre pays libre et heureux. [...]
Les capitalistes français tentent de faire croire que les responsabilités de la guerre unilatérales, qu'eux-mêmes n'y sont pour rien, que le peuple de France se bat pour la justice, la liberté et l'indépendance des peuples.
Mensonges. Mensonges que les fauteurs de guerre utilisent chaque fois qu'ils mènent les peuples au massacre. [...]
C'est cette guerre-là qui ravage aujourd'hui la malheureuse Europe.
Le responsable, c'est le régime capitaliste dont Jaurès disait « qu'il porte en lui la guerre comme la nuée porte l'orage ».
Les fauteurs de guerre veulent parer celle-ci de toutes les vertus ! Ils masquent leurs véritables objectifs de guerre, car ils savent bien que le peuple ne se battrait pas pour les intérêts sordides d'une minorité d'exploiteurs.
Il s'agit bien, comme lors de la guerre de 1914-1918, d'une guerre de capitalistes.
C'est le résultat du conflit entre groupes capitalistes pour les marchés, les matières premières, pour la possibilité d'exploiter les peuples coloniaux.
C'est pour la domination d'un groupe de puissances capitalistes que des millions de travailleurs se battent aujourd'hui.
Nous avons dit et nous répétons que la classe ouvrière, que l'ensemble des travailleurs n'ont rien à gagner dans cette guerre. Ils n'y trouveront que la mort de millions des leurs, des misères et des ruines effroyables, la destruction de leurs libertés, pendant que les oligarchies financières et industrielles y amasseront et y amassent déjà d'énormes profits.

[Condamnation du Gouvernement Daladier]

Les responsabilités de la guerre ? Nous nous refusons à nous faire les complices de cette énorme duperie qui consiste, dans chaque pays, à les rejeter uniquement sur les gouvernements ennemis.
Il y en a chez nous ! En premier lieu, le gouvernement et à sa tête, Daladier, qui dirige l'Etat contre le peuple et dans l'intérêt d'une minorité de gros possédants. [...]
On nous a traînés devant les tribunaux parce que, nous seuls avons eu le courage d'appeler le peuple à chasser le gouvernement Daladier : ce gouvernement dont les responsabilités ont été écrasantes dans la guerre, et qui a introduit dans notre pays la réaction... et les méthodes hitlériennes. [...]

 [Appel à la formation d'un Gouvernement de Paix communiste]

Nous considérons que le salut de la France exige la formation d'un gouvernement populaire, émanation directe de la nation.

[Condamnation des socialistes]

Les capitalistes pensent pouvoir tromper longtemps le peuple, parce qu'ils sont soutenus par le Parti socialiste, par ses chefs, les Blum, les Paul Faure, Zyromski, par les chefs traitres de la CGT... Tous ces gens se sont mis à l'avant-garde du chauvinisme et de la répression anti-ouvrière.
Les Blum, les Paul Faure, Zyromski et autres Jouhaux, qui ont empêché l'application du programme du Front populaire, plongés maintenant jusqu'au cou dans l'union sacrée... pour la guerre impérialiste, travaillent à briser les organisations prolétariennes. Ils sont les responsables au premier chef des conditions de misère imposées aux travailleurs français. Ils montrent bien leur véritable figure d'ennemis du peuple. [...]

[Hommage à Staline]

Messieurs les chefs socialistes, qui ne sont que les plats valets des capitalistes, croient nous injurier en nous traitant de « staliniens ».
Qu'est-ce à dire ? Nous avons toujours affirmé et nous répétons que ce n'est dans aucune capitale étrangère que les travailleurs français trouvent la solution des maux dont ils souffrent. Leur émancipation sera leur œuvre propre. Mais il est vrai que pour nous et des millions d'hommes et de femmes des cinq parties du monde, Staline, robuste bâtisseur de la société socialiste, est le génial continuateur de Marx, Engels et Lénine, dont l’œuvre immortelle a eu pour précurseurs de grands français comme notamment : Babeuf, Fourier, Blanqui. [...]

[Projet du Parti communiste]

Communistes français. Avec Maurice Thorez, André Marty, Jacques Duclos, et tous nos amis co-inculpés, nous travaillons à la libération de notre pays.
Nous voulons le débarrasser de la guerre.
Nous appelons le peuple à imposer la paix.
Nous avons confiance en notre pays, en la France de 1793, de 1830, de 1849, de la Commune de Paris, de février 1934 et de mai 1936.
Nous avons confiance dans le peuple de France et nous sommes convaincus que, très rapidement, il portera au tombeau le régime capitaliste responsable de la misère et de la guerre.
Nous saluons les innombrables masses du peuple travailleur qui sont en train de mener un courageux combat pour le communisme. Sous le drapeau de Marx, Engels, Lénine et Staline, suivant les exemples de Karl Liebknecht et Dimitrov, sous la direction des chefs aimés du peuple français, Thorez, Cachin, Marty et Duclos, en avant vers le communisme ! (1)

Parfaite illustration de la position du PCF, la Déclaration de François Billoux contient les éléments suivants :

1) Condamnation de la guerre contre l'Allemagne nazie au motif qu'elle est impérialiste et donc illégitime.
2) Condamnation du capitalisme cause de la guerre impérialiste.
3) Plaidoyer pour la Paix avec l'Allemagne nazie puisque la guerre est illégitime.
4) Condamnation du Gouvernement Daladier belliciste et appel à la formation d'un gouvernement de Paix communiste. Précisons que cette Déclaration a été préparée avant la démission du Gouvernement Daladier le 20 mars 1940 et que la mention du Gouvernement Reynaud est un ajout de François Billoux.
5) Dénonciation du Parti socialiste et de la CGT parce qu'ils soutiennent l'Union sacrée.
6) Affirmation de la fidélité des accusés au PCF, à l'IC, à l'URSS et à Staline. 

(1) Stéphane Courtois, Le PCF dans la guerre, 1980, p. 512-522.


Jugement

Le tribunal militaire rend son jugement le 3 avril en fin d'après-midi après quatre heures de délibération.

Concernant la première accusation (la constitution du GOPF), tous les députés sont reconnus coupables d'avoir enfreint l'article 1 du décret de dissolution qui proscrit toute activité ayant pour objet de propager les mots d'ordre de la IIIe Internationale.

Quant à la seconde accusation (la lettre au président Herriot), seuls les deux signataires de la lettre - Florimond Bonte (présent) et Arthur Ramette (en fuite) - sont reconnus coupables d'avoir enfreint l'article 3 du décret de dissolution qui interdit la publication, la circulation et la distribution des écrits tendant à propager les mots d'ordre de la IIIe Internationale.

Au vu de ces éléments et de la situation de chaque accusé, le tribunal condamne :

- 10 députés communistes à 5 ans de prison, 5 000 francs d'amende et 5 ans de privation de leurs droits civiques, civils et de famille : Bonte, Catelas, Duclos (Jacques), Dutilleul, Monmousseau, Péri, Ramette, Rigal, Thorez, Tillon.

- 26 députés communistes à 5 ans de prison, 4 000 francs d'amende et 5 ans de privation de leurs droits civiques, civils et de famille : Barel, Bartolini, Benoist, Berlioz, Billoux, Cornavin, Cossonneau, Costes, Cristofol, Croizat, Demusois, Fajon, Gaou, Grésa, Lareppe, Lévy, Lozeray, Martel, Midol, Moquet, Musmeaux, Petit, Prachay, Prot, Rochet, Touchard.

 - 8 députés communistes à 4 ans de prison avec sursis, 4 000 francs d'amende et 5 ans de privation de leurs droits civiques, civils et de famille : Béchard, Brun, Dadot, Duclos (Jean), Jean (Renaud), Philippot, Puech (dit Parsal), Vazeilles. (1)

La peine maximale frappe les 9 inculpés en fuite et Bonte, signataire de la lettre au président Herriot.

Dans le second groupe, seul Fajon n'a pas été incarcéré pendant l'instruction en raison de sa mobilisation. 

Les 27 condamnés présents à l'audience purgeront leur peine à la prison militaire de la Santé à Paris.

Enfin, bénéficient du sursis les 3 députés (Dadot, Brun, Duclos Jean), anciens combattants de 14-18, qui sont mutilés de guerre et les 5 députés (Béchard, Jean, Philippot, Puech, Vazeilles) qui n'ont pas signé la Déclaration de François Billoux. Ces sursitaires ne recouvreront pas la liberté puisqu'ils feront l'objet d'une mesure d'internement administratif.

(1) Le Figaro du 4 avril 1940


Procès des députés communistes de mars-avril 1940 (Partie I) : La première audience