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Le procès des députés communistes de mars-avril 1940 (Partie I) : La première audience

Le 20 mars 1940, jour de la démission du Gouvernement Daladier, s'ouvre devant le 3e tribunal militaire de Paris le procès de 44 députés du groupe ouvrier et paysan français anciennement groupe communiste.

Inculpés en octobre 1939, incarcérés à la même période à l'exception des neuf députés toujours en fuite, formellement déchus de leur mandat le 20 février 1940, ces anciens parlementaires seront jugés pour une double infraction au décret de dissolution du PCF.
 
Dans l'acte d'accusation, il leur reproché :

1) "d'avoir à Paris, sur le territoire français, entre le 27 septembre et le 5 octobre 1939, participé à la formation et au fonctionnement du groupement « Ouvrier et Paysan » ayant pour but de propager, directement ou indirectement, les mot d'ordre de la IIIe internationale",
2) "d'avoir participé à la publication, à la circulation et à la diffusion d'une lettre adressée au président de la Chambre des députés, ayant pour but de prôner la paix sous les auspices de l'Union soviétique". (1)

Prendront place dans le box des accusés les trente prévenus détenus à la prison de la Santé : Virgile Barel (député de Nice), Jean Bartolini (Toulon), Auguste Béchard (Alès), Charles Benoist (Corbeil), Joanny Berlioz (Saint-Ouen), François Billoux (Marseille) (membre du Bureau politique du PCF), Florimond Bonte (Paris XIe) (Comité central), Gustave Cornavin (Bourges), Emile Cossonneau (Pontoise), Alfred Costes (Boulogne-Billancourt), Jean Cristofol (Marseille), Ambroise Croizat (Paris XIVe), Antoine Demusois (Pontoise), Charles Gaou (Var), Jacques Grésa (Paris XIXe), Renaud Jean (Tarn-et-Garonne), Pierre Lareppe (Ardennes), Georges Lévy (Lyon), Henri Lozeray (Paris XIe), Henri Martel (Douai), Lucien Midol (Corbeil), Prosper Môquet (Paris XVIIe), Arthur Musmeaux (Valenciennes), Albert Petit (Sceaux), Robert Philippot (Agen), Alexandre Prachay (Pontoise), Louis Prot (Amiens), Waldeck Rochet (Sceaux), Auguste Touchard (Paris XIXe), Marius Vazeilles (Corrèze).

Cinq prévenus comparaîtront libres en raison de leur mobilisation (Etienne Fajon (Courbevoie), André Puech dit Parsal (Saint-Maur)) ou de leur état de santé (Felix Brun (Lyon), Fernand Dadot (Versailles), Jean Duclos (Versailles)). Un banc placé devant celui des avocats leur sera réservé.

Quant aux neuf inculpés en fuite (Jean Catelas (Amiens) (Comité central), Jacques Duclos (Montreuil) (Secrétaire), Emile Dutilleul (Asnières) (Comité central), Monmousseau (Noisy-le-Sec) (Bureau politique), Gabriel Péri (Argenteuil) (Comité central), Arthur Ramette (Douai) (Bureau politique), Jean Rigal (Paris IVe), Maurice Thorez (Ivry) (Secrétaire général), Charles Tillon (Aubervilliers) (Comité central)), ils seront jugés par contumace.

Signalons que Puech et Philippot ont rompu avec le PCF.

Les peines prévues par le décret de dissolution sont de 5 ans de prison et de 5000 francs d'amendes. Peine accessoire : la privation des droits civiques, civils et de famille.

En raison du nombre important de prévenus, le tribunal sera exceptionnellement installé dans la grande salle de la Cours d'assises de la Seine. Habituellement, il siège dans les locaux de la 13e Chambre du Palais de justice. Composée de 7 magistrats, cette juridiction correctionnelle est présidée par le colonel Gaffajoli.

La parole du ministère public sera portée par le colonel Loriot, commissaire du gouvernement, et son adjoint, le commandant Bruzin.

Quant à la défense, elle sera assurée par Mes Alexandre Zévaès, Marcel Willard, Albert Willm, Maurice Boitel, Robert Foissin, Léon Thoyot, Gaston Robin, Sarraute, Daude, Denise Delmont. Noireaut, et Juliette Goublet.

Signalons que Me Willard sera le relais du Parti communiste et qu'il l'informera non seulement sur l'évolution du procès mais aussi sur l'attitude des accusés.
 
Prévu initialement pour durer 8 jours avec deux audiences par jour, le procès des députés communistes s'étalera sur 27 audiences pour finir le 3 avril 1940 avec leur condamnation à 5 ans de prison ferme (36) et 4 ans de prison avec sursis (8).

Faits marquants des trois premières journées qui seront essentiellement occupées par les manœuvres dilatoires de la défense : le huis clos prononcé par le tribunal (20 mars), la lecture de l'acte d'accusation (21 mars) et le début de l'interrogatoire des accusés (22 mars). Ces interrogatoires se poursuivront du 23 au 28 mars (audience du matin) avec pour la journée du 24 mars (dimanche de Pâques) une seule audience le matin. Le tribunal auditionnera les témoins de l'accusation dans l'après-midi du 28 mars et ceux de la défense le lendemain. Le 30 mars, jour de repos avant la phase finale du procès. Le 31 mars, audition le matin d'un témoin non régulièrement cité par la défense mais autorisé par le président. Cet imprévu repousse à l'après-midi les réquisitions du ministère public. Elles seront suivies des plaidoiries des avocats de la défense. Deux journées supplémentaires seront consacrées à ces plaidoiries. Me Willard sera le dernier à prendre la parole. Le 3 avril, dans la matinée, François Billoux prononcera, au nom de ses camarades à l'exception de cinq refus, une déclaration qui aura été préparée par le Parti communiste. Décision du tribunal dans la soirée.
 
On portera un intérêt particulier à deux journées de ce procès : la première (I) et la dernière (II).

(1) L'Œuvre du 4 avril 1940.


 Partie I

Première journée

Débutant à 9 h pour s'achever à 20 h avec une coupure de 2 heures à 12 h 45, la première journée du procès sera marqué par deux débats.

Le premier portera sur la demande de comparution du président Daladier et du ministre Bonnet formulée par la défense. Le tribunal rejettera cette demande.

Le second sera consacré à la demande de huis clos déposée par le Commissaire du gouvernement. Le conseil de guerre suivra les réquisitions du ministère public.

Les députés communistes sont intervenus dans ces deux débats soit pour se défendre soit pour accuser.

On décrira cette première journée en s'appuyant sur les compte-rendus publiés dans la presse du 21 mars 1940.

Un premier exemple, un article de La Justice dans lequel l'audience du jour est résumée avec la formule "Que de préliminaires inutiles" :

"La première journée de ce lourd procès n'aura été qu'une guérilla entre le tribunal et les avocats.
Dépôts de conclusions, rejet de conclusions, pourvois en cassation, tous ces actes coupés de harangues, tant des inculpés que des avocats, auront occupé cinq heures sans que la question du huis clos ait pu seulement être soulevée.
Me Zévaès aura déjà démontré que sa menace n'était pas vaine :
- Si le tribunal prétend nous brimer, nous exciperons de tous nos droits, il y aura trente-cinq plaidoiries et les débats dureront deux mois...
C'est, en effet, à 4 heures seulement que les incidents soulevés par la défense à propos de l'audition de MM. Daladier et Bonnet ayant été évités, M. le commissaire du gouvernement Loriot pourra se lever pour de demander le huis clos.
Ce sera le signal de toute une série de plaidoiries et de nouveaux dépôts de conclusions.
Que de préliminaires inutiles pour juger des traîtres à la patrie !"


Audience du matin

Le procès des ex-députés communistes débute le 20 mars 1940 à 9 heures du matin. Le lendemain, Le Populaire du Centre rend compte de cet événement dans un article daté de la veille :
 
"Ce matin, le troisième tribunal militaire, présidé par le colonel Gaffajoli,et siégeant dans la grande salle de la Cour d'assises de la Seine, juge les anciens députés communistes poursuivis en vertu du décret-loi du 26 septembre 1939, pour avoir participé à la reconstitution et au fonctionnement d'un groupe dissous, pour avoir rédigé et diffusé la lettre au président Herriot, prôné la paix sous les auspices de l'Union soviétique, et propagé les mots d'ordre de la IIIe Internationale.
Il y a exactement 44 anciens députés communistes qui sont poursuivis, mais neuf sont actuellement en fuite. Ces derniers seront jugés un peu plus tard, par contumace, pour infraction aux dispositions des articles 25 [75] et suivants, du Code pénal, concernant ceux qui se rendent coupables de trahison. La loi prévoit, pour ces contumaces, la peine de mort.
A 9 h. 30 exactement [sic], l'audience est ouverte.
On remarque d'abord deux députés qui sont en liberté et actuellement militaires; ce sont MM. Fajon, maréchal des logis d'artillerie, et Puech, conducteur du 15e train.
Puis, arrivent les députés en liberté provisoire, mais en civil. Ce sont les mutilés 100 % : MM Félix Brun, Pierre Dacot [Dadot] et Jean Duclos. Ils s’assoient sur les chaises réservées aux prévenus libres.
L'audience commence par la prestation de serment des nouveaux membres du troisième tribunal militaire nommés en supplément pour le cas où l'un des membres actuels serait défaillant."


"la défense est maîtresse de la durée des débats"

Après cette cérémonie, le président Gaffajoli prononce une déclaration liminaire :

"Je tiens à annoncer aux accusés et à leurs conseils que l'entière liberté de se défendre leur sera accordée. Je les invite cependant à ne pas s'égarer dans des dissertations, des déclarations ou des mises en cause de tierce personne." (1)

En protestation de ce qu'il ce qu'il juge être "un avertissement", Me Zévaès se lève pour signifier au président que "la défense est maîtresse de la durée des débats" :

"Nous, venons d'entendre avec toute l'attention et tout le respect que nous vous devons, les paroles que vous venez de prononcer à l'adresse de la défense et de l'accusation. Nous ne voulons point y voir une menace à notre adresse, mais nous y voyons un avertissement.
Et lorsque tout à l'heure vous avez, monsieur le président, dit que certaines déclarations ne seraient point tolérées, ma mémoire évoquait la fameuse séance du 23 juin 1789, où le marquis de Dreux-Brézé prononçait, au nom du roi, ses remontrances et ses avertissements aux représentants du Tiers Etats. Je ne vous ferai pas, monsieur le président, la réponse de Mirabeau.
Nous sommes ici des avocats qui comptons 15, 20, 30 et 40 ans d'exercice de notre profession et qui, dans cet exercice de notre profession, avons su, par notre loyauté, mériter l'estime de tous nos confrères sans aucune distinction.
Nous sommes de ceux qui connaissent le code d'instruction militaire, le code d'instruction criminelle, et la jurisprudence.
Nous savons les obligations et les devoirs qu'ils nous imposent, mais nous connaissons aussi toutes les garanties et les droits qu'ils nous donnent, et si vous avez la direction des débats, je tiens à dire que dans une certaine mesure, la défense est maîtresse de la durée des débats et, par conséquent, nous envisagerons toutes les questions et tous les problèmes de ce procès. C'est le droit de la défense et nous sommes très certains qu'il sera respecté.
En 1898, dans cette même salle, se déroulait un procès fameux. celui qui était à cette place était Me Labori. M. Delegorgue lui avait annoncé que les débats dureraient 48 heures. Il avait compté sans la virulence et le talent de Labori, et les débats durèrent quinze jours. Lorsque quelques années plus tard la confiance de ses confrères le porta au bâtonnat, le bâtonnier qui lui transmettait la charge, lui dit : « Labori, vous avez été la défense. »
Eh bien, nous aussi, de tous nos efforts et de tous nos moyens, nous serons dans ce procès avec toute notre énergie, je le dis, messieurs, nous serons la défense." (2)

(1) Le Petit Parisien du 21 mars 1940.
(2) L'Œuvre du 21 mars 1940


Entrée des accusés

C'est dans cette atmosphère combative que les trente prévenus extraits de la Santé font leur entrée dans la salle comme le relate Le Populaire du Centre :

"On fait entrer les accusés : Ils sont au nombre de trente cinq se trouvent déjà dans le prétoire prévenus libres. 
Ils arrivent avec leurs musettes et leurs masques à gaz.
Le greffier donne alors lecture de l'ordonnance de renvoi des accusés devant le tribunal. Puis, on fait l'appel des neuf députés qui sont en fuite et le commissaire du gouvernement, le colonel Loriot, répond : Défaillant.
L'un des greffiers fait l'appel de tous les accusés qui, chacun à leur tour, se lèvent et répondent : Présent !"

Même scène dans Le Matin :

"Les détenus pénètrent dans le box. Ils sont trente Joseph Barel. Jean-Baptiste Bartolini. Auguste Béchard, Charles Benoist, Joanny Berlioz, François Billoux, Florimond Bonte. Gustave Cornavin, Emile Cossonneau. Alfred Costes, Jean Cristofol, Ambroise Croizat, Antoine Demusois, Charles Gaou, Jacques Grésa, Renaud Jean, Pierre Lareppe, Georges Lévy, Henri Lozeray, Henri Martel, Lucien Midol, Prosper Môquet, Arthur Musmeaux, Jean Philippot, Albert Petit, Alexandre Prachay, Louis Prot, Waldeck Rochet, Auguste Touchard, Marius Vazeilles.
Ils se groupent les uns contre les autres, servent les mains de leurs défenseurs, envoient des saluts et des sourires à leurs parents et amis qui sont debout au fond de la salle.
Le greffier appelle les neuf fuyards Jean Catelas, Jacques Duclos, Emile Dutilleul, Gaston Monmousseau, Gabriel Péri, Maurice Thorez, Arthur Ramette, Jean Rigal, Charles Tillon.
Personne ne répond."


Appel des témoins

Après l'entrée des prévenus, la lecture de l'ordre d'informer et celle de l'ordonnance de renvoi, on procède à l'appel des témoins.

Sur ce point particulier on citera tout d'abord Le Petit Journal :
 
"On procède alors à l'appel des témoins.
Ceux de l'accusation sont peu nombreux. Ce sont des journalistes parlementaires qui ont reçu la copie de la lettre adressée au président Herriot. Mais ceux de la défense sont innombrables, ils forment une foule qui n'a pu trouver place dans la salle d'audience et qu'on place debout devant la balustrade de la Cour."
 
On s’appuiera ensuite sur Le Petit Parisien :

"Il est alors procédé à l'appel des témoins. Mais des ordres si stricts ont été observés que les personnes citées sont restées enfermés « dans les locaux qui leur sont réservés » et le greffier donne en vain de la voix, s'adressant aux seuls favorisés des places assises et dont bon nombre sont venus là pour des raisons toutes professionnelles. Enfin, on constate l'impair ainsi commis, qui est réparé.
Les témoins font leur entrée et l'on aperçoit deux abbés dans leurs la limite du prétoire, d'où ils assisteront, et jusqu'à la fin de la séance, à un interminable incident de procédure.
Parmi les témoins, effet, M. Queuille a été nommé. Il a fait savoir qu'il ne répondrait pas, obéissant ainsi à une consigne gouvernementale. Me Alexandre Zévaès se tourne vers le cartel louis XV et note :
— M. Queuille a été cité ici ès qualités, mais le ministère n'a plus que quelques instants d'existence. A 11 heures. Il n'y aura plus de ministre, et, par conséquent, plus de témoin.
M. Daladier et M. Georges Bonnet se sont retranchés derrière un décret de 1812, ce qui inspire à M. Zévaès cette nouvelle exclamation :
— Se croient-ils encore sous l'Empire ?
C'est comme président de la Chambre que M. Herriot a connu cette affaire et la Constitution l'autorise à ne pas déposer dans les procès où sont compromis des députés déchus."


Demande de comparution
de Daladier et Bonnet

Constatant les absences de Daladier et de Bonnet qui ont écrit au président pour indiquer qu'une décision du Conseil des ministres motivée par un décret de 1812 leur interdisait d'être témoin dans cette affaire, la défense demande au tribunal de les faire comparaître. 
 
Le tribunal se retire à 10 h 30 pour délibérer. Il revient à 11 h 30 : la demande est rejetée comme le relate Le Petit Parisien :

"Me Marcel Willard dépose alors des conclusions concernant l'absence de MM. Daladier et Bonnet :
— Le président du Conseil, développe-t-il, a qualifié publiquement nos quarante-quatre clients de traîtres et d'agent de l'ennemi. Il s'est servi de ces propos aussi bien devant le micro [Allocution du 10 octobre 1939] que dans les couloirs de la Chambre [Discours à la séance du 30 novembre 1939]. Nous disons que rien n'est plus faux.
Le défenseur évoque alors le passé politique du président du Conseil et précise que M. Georges Bonnet, d'autres part - le Livre Jaune en fait foi - avait promis, dès le début de juillet, au comte von Weltzeck, ambassadeur d'Allemagne à Paris, de « mettre les communistes à la raison ». Me Marcel Willard demande la comparution à la barre des deux ministres cités et le tribunal se retire afin d'en délibérer. Une heure plus tard les conclusions sont rejetées.

Le Matin reproduit en partie l'intervention Me Willard :

Me Marcel Willard dépose des conclusions. Il réclame l'audition du président conseil [Daladier] et du garde des sceaux [Bonnet. Ce dernier est passé des Affaires étrangères à la Justice le 13 septembre 1939].
Me Willard — La défense attache le plus grand intérêt à leur venue. M. Daladier a prononcé, contre les députés communistes, la plus grave des imputations : il les a qualifiés de traîtres, d'agents de l'ennemi. Sur quelles preuves reposent ses accusations ? Nous défendons ici des hommes politiques. Il faut en finir une fois pour toute.
D'autres part, M. Daladier, président du parti radical-socialiste, a signé, le 14 juillet 1935, le pacte du rassemblement populaire avec les communistes; il a même sollicité plus tard leur participation au gouvernement et, cependant, il n'ignorait pas alors les principes de la IIIe Internationale, qui sont la charte du parti communiste. L'affiliation à la IIIe Internationale n'était donc pas un obstacle à la collaboration que M. Daladier désirait avec les communistes.
En ce qui concerne M. Georges Bonnet, les conclusions de Me Willard ont pour but de l'interroger sur une de ses déclarations consignées au Livre jaune. M. Georges Bonnet ayant promis à l'ambassadeur d'Allemagne à Paris, M. Von Welczeck, deux mois avant la conclusion du pacte germano-soviétique, de « mettre les communistes à la raison ».
Me Willard  —  M. Georges Bonnet devra s'expliquer sur ce point d'histoire."


"Mettre les communistes à la raison"

Pour justifier sa demande concernant Georges Bonnet, Me Willard accuse l'ancien ministre des Affaires étrangères d'avoir promis à l'ambassadeur allemand de "mettre les communistes à la raison" au cours d'un entretien qui s'est tenu à Paris le 1er juillet 1939.

Les propos rapportés apporteraient la preuve non seulement que la répression des communistes a été décidé avant même la signature du Pacte germano-soviétique, mais en plus qu'elle visait à satisfaire une demande de Hitler.

Ces propos sont tirés d'une note de Georges Bonnet en date 1er juillet 1939. Elle a été publiée en décembre 1939 dans une publication du ministère des Affaires étrangères reproduisant des documents diplomatiques relatifs aux "événements et aux négociations qui ont précédé l'ouverture des hostilités entre l'Allemagne d'une part, et la Pologne, la Grande-Bretagne et la France d'autre part", et communément désigné comme Le Livre jaune.

Dans cette note le ministre des Affaires étrangères relatait le contenu d'un entretien qu'il avait eu le jour même avec l'ambassadeur d'Allemagne, le comte de Welczeck. Au cours de cet entretien qu'il avait sollicité, il lui avait déclaré que la France serait aux côtés de la Pologne si elle était attaquée par l'Allemagne avant d'ajouter pour souligner la détermination du gouvernement français :

"J'ai dit enfin à l'Ambassadeur qu'il pouvait constater le mouvement d'unanimité nationale qui s'était faite derrière le Gouvernement; les élections seraient suspendues, les réunions publiques arrêtées, les tentatives de propagande étrangère, quelles qu'elles soient, réprimées, les communistes mis à la raison. La discipline et l'esprit de sacrifice du peuple français ne pouvaient être mis en doute par personne."

On notera que la répression des communistes était envisagée dans la double hypothèse d'une guerre contre l'Allemagne et de leur opposition à cette guerre.

L'entretien s'était terminé avec la remise d'une note dans laquelle était formellement réaffirmée la position de la France :

"En ce qui concerne plus particulièrement la Pologne, les événements ont depuis lors provoqué un renforcement de l'alliance française. M. Daladier a nettement indiqué dans sa déclaration du 13 avril dernier la portée des engagements qui lient désormais les deux pays.
Aujourd'hui, je tiens à rappeler ces engagements à la toute particulière attention de M. de Ribbentrop, et à bien marquer l'inébranlable résolution de la France de les remplir en mettant toutes ses forces au service de la parole qu'elle a donnée. Au moment notamment où des mesures de toute sorte sont prises à Dantzig, dont il est difficile d'apprécier la portée et l'objet, il importe d'éviter tout risque de méprise sur l'étendue des obligations et sur les dispositions du Gouvernement français, méprise dont les conséquences pourraient être incalculables. Je me fais donc un devoir de bien préciser que toute entreprise, quelle qu'en soit la forme, qui, tendant à modifier le statu quo à Dantzig, provoquerait une résistance armée de la Pologne, ferait jouer l'accord franco-polonais et obligerait la France à porter immédiatement assistance à la Pologne."

L'entretien du 1er juillet 1939 était donc clairement un avertissement à l'Allemagne contre toute agression de la Pologne.

En s'appuyant sur une phrase tronquée et sortie du contexte, la défense communiste veut faire de cet entretien un acte de collusion avec Hitler !!!

Sur ce point particulier, elle ne fait que reprendre un argument déjà développé par la propagande communiste.


Grave erreur du Tribunal

Conséquence inattendue de son rejet de la demande déposée par Me Willard, le tribunal est contraint de recommencer le procès afin d'éviter un pourvoi en cassation de la défense motivé par le constat qu'il n'a pas respecté deux obligations particulières avant de se retirer pour délibérer.

En effet, non seulement il n'a pas procédé à l'interrogatoire d'identité des accusés, mais en plus il ne leur pas permis de s'exprimer sur la demande de comparution des deux ministres.

Le Petit Parisien évoque cette grave erreur du tribunal :

"[...] Une heure plus tard les conclusions [de Me Willard] sont rejetées.
Me Foissin en dépose immédiatement d'autres, faisant remarquer qu'à la suite de l'intervention de son confrère, la parole n'a pas été donné aux prévenus. C'est exact. Et c'est un cas de nullité. Très vite, on s'aigrit, et des mots de plus en plus vifs partent des deux côtés de la barre.
— Vous ne nous avez pas laissé suivre l'ordre normal des débats ! se plaint le colonel Gaffajoli; vous n'aviez pas à poser de conclusions avant que l'interrogatoire d'identité eût eu lieu.
—  Pardon, mon colonel, riposte Me Zévaès, c'est vous qui devriez présidé !
Le commandant Bruzin verse de l'huile dans les rouages :
— C'est très simple, expose-t-il : nous allons procéder à l'interrogatoire d'identité, puis nous recommencerons la cérémonie des conclusions."

Autre source citant les propos du Commandant Bruzin, L'Ouest-Eclair :

"Me Foissin dépose alors des conclusions tendant à obtenir acte de ce que le Tribunal n'a pas donné la parole aux accusés avant de se retirer pour délibérer sur les conclusions de Me Willard.
Le Commandait Bruzin. C'est exact, il nous faut donc rouvrir le débat pour réparer les nullités. Je demande au Conseil de retirer le jugement qu'il vient de prononcer et de donner la parole aux accusés, après avoir complété l'interrogatoire d'identité."


Interrogatoire d'identité

Comme convenu, le tribunal procède à l'interrogatoire d'identité des accusés qui se saisissent de cette opportunité pour rappeler leur statut d'élu du peuple.

Pour connaître le contenu de ces interventions ont citera quatre sources. Tout d'abord, Le Petit Parisien :

"Dès le premier nom prononcé, celui de M. Barrel [Barel], un incident s'élève :
— Votre profession ?
— Député déchu.
— Ce n'est pas une profession.
— C'est un état...
M. Billoux s'insurge lui aussi :
— Votre profession ?
— Je suis député. Je représente au Parlement des travailleurs qui ne m'ont pas déchu. Et vous n'y changerez rien !
M. Florimond Bonte se déclare député déchu du glorieux faubourg Saint-Antoine."

Ensuite, Le Matin :

"Le camarade Billoux, avec un authentique accent marseillais, affirme qu'il est toujours député.
Florimond Bonte déclare qu'on a violé la Constitution en prononçant sa déchéance :
— Je suis député du faubourg Saint-Antoine et je reste...
Florimond se met à crier.
Le président. — Vous n'êtes pas dans une réunion publique. Soyez correcte, sinon..."

Un troisième quotidien, Le Petit journal :

"La liste monotone de noms quasi inconnus est épelée par le président. Chacun répond à son prénom, à sa profession. Au tour de Billoux, celui-ci répond d'une voix de stentor :
— Député de Toulon.
— Vous n'êtes plus député, vous êtes déchu, s'écrie avec force le colonel Gaffajoli.
— Je suis député, je suis député, répète scandaleusement Billoux pendant trois minutes en élevant la voix et scandant les syllabes.
Dès lors le pli est pris, tous les inculpés ajoutent à leur profession, celle, de député, de maire, de conseiller général, etc. Le président hausse les épaules :
— Manifestation platonique, déclare-t-il."

Enfin, Le Figaro :

"Cet interrogatoire d'identité permet aux communistes de se livrer à leurs premières facéties. Comme profession, les uns déclarent « député déchu », tandis que d'autres protestent contre cette déchéance. « Mes électeurs ne m'ont pas retiré mon mandat », dit l'un. « On a violé la Constitution dans ma personne », dit l'autre, le corps électoral ne m'a pas déchu ». A la fin l'indignation est monotone. Ils acceptent le qualificatif déchus tandis que le président, un peu las, les laisse se dire encore « députés ».


2ème demande de comparution
de Daladier et Bonnet

L'audience se poursuit avec le dépôt à nouveau des conclusions tendant à faire comparaitre Daladier et Bonnet.

Le Petit Parisien rapporte les propos des députés communistes qui sont intervenus pour soutenir cette demande :

"Une fois terminé l'interrogatoire d'identité, on en revient aux conclusions qui sont déposées en seconde lecture, mais dans le respect des formes légales. Et la parole est donnée aux prévenus qui ont sollicité la venue de M. Daladier à la barre. On entend tour à tour Barel, Demusois, Renaud Jean et Florimond Bonte.
M. Barel parle d'un homme qui a sciemment violé la constitution. M. Demusois s'indigne :
— Je ne permets pas qu'on accuse un père de trahison, alors que ses fils offrent leur poitrines !
M. Renaud Jean évoque son passé d'honnête homme, de travailleur de la terre, et il s'écrie lui aussi :
— S'il y a des traitres ici, qu'on nous l'explique, qu'on le prouve et qu'on nous fusille. Mais si nous n'avons pas trahi, qu'on lave notre honneur !
M. Florimond Bonte évoque les trois générations de sa famille qui, toutes trois, ont subi la guerre. Son père lui-même ont été de vaillants officiers et le prévenu a commandé une compagnie. Il parle longtemps et souvent s'égare loin de son sujet, en des digressions peut-être heureuses dans des meetings, mais déplacées dans un procès.
Avec le maréchal des logis Fajon, les visages se dérident :
— Je remplis aux armées les fonctions d'instructeur, et j'ai la confiance de mes chefs et de mes élèves. Ils ont beau lire, chaque matin, que je suis un traître, ils ne veulent pas le croire !
Ces fameuses conclusions, peu après, sont rejetées pour la seconde fois. Mais on est parti loin à la dérive. Il n'a jamais été question, dans ce procès, de trahison, mais d'une infraction seulement de la reconstitution du parti communiste. Ni plus ni moins..."

Même scène dans Le Matin :

"On entend ensuite Joseph Barel, Renaud Jean, encore Florimond Bonte, Waldeck Rochet, Pierre Lareppe.
Tous s'indigne qu'on les ait appelé traîtres. Mais ils font l'éloge de l'URSS.
Renaud Jean. — Je tiens à mon honneur. Si nous sommes des traîtres, qu'on nous fusille ! Mais nos calomniateurs doivent venir ici pour s'expliquer contradictoirement avec vous.
Waldeck Rochet met en cause les gouvernements de Paris et de Londres qu'il accuse d'avoir été les meilleurs auxiliaires du pacte germano-soviétique.
A la demande du colonel Loriot, commissaire du gouvernement, le président lui retire la parole.
Le président. — Tout cela ce sont des manifestations oratoires.
Me Zévaès. — Bien sûr : ce qui distingue l'homme de l'animal, c'est le langage articulé."

Citons aussi L'époque :

"Successivement, Barel, Demusois, Renaud Jean, Florimond Bonte, Petit, Lareppe, Fajon, en tenue de maréchal des logis, Cornavin, Martel, se dressent et expriment leur indignation.
Quelques-uns ne sont pas dénués de dons oratoires développés dans les assemblées populaires. Ils sont d'anciens combattants; les fils de plusieurs d'entre eux sont au front. Comment ose-t-on les accuser de trahison. C'est là le leitmotiv de leurs discours qui constituent autant de profession de foi et, aussi, de fougueuses attaques contre la politique de MM. Daladier et Georges Bonnet.
Ici, le terrain devient brûlant.
Munich, l'abandon de la Tchécoslovaquie, la collusion germano-russe (ils disent le « traité ») sont fréquemment évoqués.
L'accent est maintenant âpre, dur, la violence de l'expression masque à peine la faiblesse de l'argumentation. Les gouvernements français et britanniques sont pris à partie.
Le colonel Loriot intervient mais tout doucement."

On poursuivra avec L'Œuvre :

"Renaud Jean interviendra, ainsi que Florimond Bonte, Demusois, Costes, d'autres encore, arguant de leur qualité de Français, de patriotes ayant fait l'autre guerre ; l'un d'eux expose même que son père était combattant en 1870 sous les ordres du général Faidherbe, que lui-même a fait la Marne, Craonne, le fort de la Pompelle, que ses fils sont en ligne. Si je suis un traître, si nous sommes des traîtres, alors qu'on le prouve et qu'on nous fusille.
Tous protestent avec fougue, avec émotion, avec virulence contre l'appellation de traître dont le président Daladier les a flétris, hors de leur présence, du haut de la tribune de la Chambre.
Frachon [Fajon] est en uniforme. Il dit simplement :
— Je suis maréchal des logis. Je suis chargé d'enseigner à des soldats la manière de servir le pays. Ils peuvent lire dans tous les journaux que je suis un traître. En ce qui les concerne, ce n'est pas grave, car les soldats et, je dois le dire, les officiers qui sont au-dessus de moi ne croient plus, après quelques semaines de contact personnel avec moi, que les calomnies lancées contre moi sont fondées. Il faut que nous puissions nous expliquer devant vous, messieurs, avec, nos accusateurs. C'est pourquoi je m'associe à la demande de mes camarades pour la présence à la barre des témoins de MM Edouard Daladier et Georges Bonnet.
Le tribunal s'est retiré à nouveau pour une délibération dont le jugement était déjà rendu, car il est le même que tout à l'heure.
MM. Daladier et Bonnet ne comparaîtront pas.


"Les députés anciens communistes demandent la parole et se lèvent aussitôt pour demander pourquoi on les accuse de trahison.
Nous ne sommes pas des traîtres, disent-ils. Si c'est vrai, que l'on s'explique ici, qu'on le prouve et qu'on nous fusille.
M. Florimond Bonte rappelle comment il fut arrêté à la Chambre. Or, dit-il, j'ai fait la guerre, mon père a fait la guerre, mes fils sont mobilisés aux armées. On nous a accusé d'avoir fait une politique de guerre pendant la paix et une politique de paix pendant la guerre.
M. Florimand Bonte a toujours la parole. Il déclare — sur un ton de réunion publique car l'audience maintenant prend l'allure des débats de meeting — : quand ce procès sera terminé, je pense que l'honorabilité des députés communistes sera prouvée et qu'on saura qu'ils ont bien mérité de la patrie.
M. Petit lui aussi a quelques mots à dire. Il lève le doigt et le président lui accorde la parole : La déclaration provoque une protestation du commissaire du gouvernement à laquelle les avocats répliquent qu'ils se trouvent dans un procès politique et qui touche à la politique étrangère. Ne pas parler de politique étrangère ne nous est pas possible, affirment-ils.
Un autre député, M. Lareppe, maire frontalier, tient à dire que dans l'acte d'accusation il y a des erreurs en ce qui le concerne.
M. Fajon prend la parole : Finissons-en, dit-il, avec toutes les histoires de trahison, moi, je suis mobilisé, j'instruis 70 soldats, qui, tous les jours, peuvent lire dans les journaux que leur instructeur est un traître.
M. Cornavin et M. Martel s'associent aux déclarations de M. Fajon : Finissons-en, disent-ils, avec ces accusations, et que M. Daladier soit entendu ici.
Enfin, le tribunal déclare que, tous les députés ayant eu la parole, il va se retirer pour délibérer.
A midi 40, il revient pour donner lecture de son jugement. Il n'y a pas lieu, dit-il, d'ordonner la comparution, ni l'audition à cette audience de M. Daladier.
Aussitôt, tous les avocats, en chœur, déclarent : nous nous pourvoyons en Cassation.
Une courte discussion quant à l'heure de la reprise, car on va continuer cet après-midi. Elle est fixée à 14 heures 45."

Enfin du Jour, on retiendra le passage concernant Petit :

"Albert Petit, après lui, se montre tellement violent à l'égard de la politque extérieure pratiquée par les Alliés que le colonel Loriot se décide à intervenir :
— Je ne puis laisser dire que le gouvernement anglais et le gouvernement français ont fait tout leur possible pour empêcher la paix, alors qu'une guerre douloureuse nous a été imposée par la force.
Paroles auxquelles s'associe le président, en demandant aux accusés de couper court à ces manifestations oratoires."

L'audience est suspendue à 12 h 45. Elle reprendra à 14h 45.


Audience de l'après-midi

Dès la reprise de l'audience, les avocats déposent de nouvelles conclusions pour demander que les débats soient suspendus dans l'attente de la décision du tribunal militaire de cassation sur le pourvoi qu'ils ont formé contre le jugement rejetant la demande concernant Daladier et Bonnet.

Suite de la précédente citation tirée du Populaire du Centre :

"A 3 heures de l'après-midi, après un intermède pour le déjeuner, les débats de l'affaire du procès des communistes devant le troisième tribunal militaire continuent.
C'est Me Thoyot, un des défenseurs des députés inculpés, bâtonnier d'Amiens, qui dépose de nouvelles conclusions.
Mes clients, dit-il, se sont pourvus devant le tribunal de cassation contre l'arrêt du tribunal militaire, rejetant les conclusions. Donc, en droit, on doit surseoir à statuer et, en somme, remettre les débats.
Le commissaire du gouvernement, le commandant Bruzin, déclare que ces conclusions sont irrecevables.
Le tribunal se retire de nouveau, selon la formule, pour délibérer à huis clos.
Ce n'est qu'à 4 heures de l'après-midi qu'il revient pour rendre le jugement, disant qu'il n'y a pas lieu de donner acte à ces conclusions, que le tribunal passe outre et qu'on va commencer les débats.
Me Thoyot annonce alors que ses clients vont se poursuivre contre ce nouvel arrêt du tribunal militaire."


Huis clos

A 16 heures, la question du huis clos est enfin abordée.

L'Œuvre rapporte les réquisitions du Commissaire du gouvernement sur le sujet, les plaidoiries des avocats et notamment celle Me Zévaès affirmant que le refus de tout débat public prouve "la banqueroute de l'accusation", les interventions des députés communistes en marquant les passages de l'article qui ont été censurés et enfin la décision du tribunal qui a été rendue à 8 heures et qui a marqué la fin de cette première journée :

"L'audience était reprise à trois heure moins le quart. [...]
La matinée, ou ce qu'il en restait après la reprise à zéro, après le « pouce » qui indiquait que ce qui s'était passé avant 11 h 30 ne comptait pas, avait été consacrée à la discussion, par la défense et les accusés, de l'éventualité de faire venir à la barre MM. Daladier et Bonnet.

[Demande de Huis clos] (Note du Blog)

Et voici la minute attendue depuis neuf heures du matin, vous savez, cette minute qu'on attend parce qu'on soit qu'elle doit venir, qu'elle est inscrite au programme :
M. Loriot demande que le tribunal ordonne que les débats se poursuivent à huis clos, conformément à l'article 72 du Code de justice militaire.

[Plaidoirie de la défense]

C'est la proie que la défense attendait. C'est, cela va être le grand morceau d'éloquence de Me Alexandre Zévaès :
— Le huis clos ne peut être prononcé que dans les cas prévus par la loi, quand les débats sont de nature à porter atteinte à la morale ou aux bonnes mœurs, ou dans le cas où ils entraînent la divulgation de faits concernant la défense du pays. Rien de cela ne saurait se dégager du procès que nous plaidons. Il s'agit simplement de savoir si ce groupe ouvrier et paysan reconstitué par nos clients était ou n'était pas légal. Il y a aussi une lettre que les inculpés ont adressée à M. le président Herriot. lettre adressée en session parlementaire, couverte par l'immunité.
Il n'y a pas d'exemple d'un procès politique qui se soit déroulé à huis clos. Remontons à quelques années en arrière. Remontons à un siècle. Il y a eu une époque qui s'appelait la Convention. Le Tiers Etat exerçait une dictature révolutionnaire. De nombreux procès eurent lieu. A huis clos ? Non. A huis clos le procès de Louis XVI, celui de Danton ? Non, messieurs, ces procès furent publics. Lorsque sous le Directoire, sous ce régime de réaction politique et sociale, lorsque Babeuf et ses complices, précurseurs du communisme sont jugés. Le sont-ils à huis clos ? Non, messieurs. En audience publique. Quand Babeuf a été jugé, procès qui dura de février à mai 1797, c'est la première fois que la sténographie a fait son apparition. Les 92 audiences ont été relevées in extenso.
Blanqui lui aussi est jugé au grand jour. Et. en 1870, les jugements qui ont lieu au lendemain de la répression de Versailles, ont lieu également au grand jour. Sous la Troisième République, au grand jour les procès Lafarge Judet, Deville Louise Michel, au grand jour les procès des syndicats révolutionnaires à l'époque héroïque de la C.G.T.
J'entends bien que le commissaire du gouvernement dira : Nous sommes en guerre. Mais nous étions en guerre il y a 25 ans, pour les procès du Bonnet Rouge, pour les procès Caillaux et Malvy en Haute Cour, pour le procès Bolo. Il ne s'agissait pas alors d'un groupe parlementaire reconstitué, pas d'une lettre à M. Antonin Dubost au Sénat ou à M. Paul Deschanel à la Chambre, il s'agissait de rapports entre certaines personnalités politiques françaises et étrangères, d'intelligence avec l'ennemi, et cependant vous avez jugé toutes portes ouvertes et tout le-monde a pu suivre les débats. Et nous étions en guerre. Il y a eu déjà, d'un bout à l'autre du pays, depuis cette guerre, cent procès contre les communistes sans qu'on ait songé à faire le huis clos.
Un seul procès a été jugé à huis clos, le 22 décembre 1894. Celui du capitaine Dreyfus. Hélas, à la faveur de ce huis clos tant d'irrégularités et de fautes furent commises que le jugement du Cherche-Midi a dû être cassé par la Cour de cassation. Quand le procès revient devant la Cour de Rennes, la salle étant trop petite au Palais de justice, on siège dans la salle des fêtes du lycée devant 450 journalistes venus du monde entier.
Ni la loi, ni la jurisprudence, ni l'histoire ne justifient le huis clos que vous demandez. Vous le demandez parce que vous redoutez le retentissement que pourraient avoir certaines déclarations, parce que vous redoutez que ces barres ne se transforment en tribune. Etes-vous encore inquiets du programme communiste que vous vous reculez devant votre propre ouvrage ? Le huis clos, c'est au seuil de cette première audience votre impuissance à faire la preuve, c'est la banqueroute de l'accusation.

[On notera que Me Zévaès évoque la figure du Capitaine Dreyfus pour défendre des communistes qui appellent la France à faire la Paix avec Hitler !!!]

Après Me Zévaès, Me Willm dira : "Le huis clos serait un assassinat juridique".
Et Me Willard :
Le huis clos ce serait trop commode; il ne suffit pas d'inscrire les mots ordre public ou moralité publique. Ces trente citoyens français sont murés depuis plus de six mois, trente députés représentant un million d'électeurs, c'est-à-dire quatre à cinq millions de Français. Un huis clos serait contraire à l'esprit de la Constitution républicaine.
Même sous la monarchie, même sous l'Empire les procès politiques se déroulaient en audience publique. Il faut aller jusque chez Hitler pour trouver une justice bâillonnée. Encore le procès de Leipzig de l'incendie du Reichstag a-t-il eu lieu en public et Dimitrof a pu accuser ses accusateurs.
Si vous prononcez le huis clos les lecteurs des journaux de demain matin, 150 ans après la prise de la Bastille, pourront se demander, comme se le demandait M. Bonnevay : « Sommes-nous encore en démocratie ? »
Me Thoyot et après lui Me Fonteyne, du barreau de Bruxelles, demandent l'audience publique.
On n'a pas l'impression, et c'est une impression qui ne devait pas nous tromper, que toute l'évocation historique faite pour lui changera rien à la décision finale du tribunal militaire.

[Interventions des députés communistes]

[passage censuré]
Barel dira ce qu'il a fait, ce qu'il a été chargé de faire pour que 180 députés adhèrent au Comité de l'intégrité du territoire. Ce qu'il a fait pour défense passive dans les Alpes-Maritimes, comment il enseigna la manière de s'équiper et de se défendre aux maires des communes.
Enfin Georges Lévy, le doyen, il a plus plus de soixante ans, parle, ou plutôt clame son passé intègre, ses 43 ans de vie politique, sa vie de médecin dévoué à ses malades.
— J'ai été 43 ans au service de mes idées, je ne m'en suis pas servi.
Un autre vient dire qu'il a donné un fils à la France en 1914, un enfant de vingt ans.
Et Bonte retrace les faits qui entourèrent la rédaction de la lettre au président Herriot, lettre qu'il a rédigée.
[passage censuré]
Et après que Billoux dont la manière rappelle un peu celle de Vaillant-Couturier a pris la parole à son tour pour dire qu'ils ne sont pas des traîtres, après que certains ont exposé des considérations politiques qui nous éloignent un peu du huis clos, devant un Commissaire du Gouvernement muet, un Président très peu à l'aise devant la responsabilité qui lui incombe, des soldats aux armes, certains écoutant bouches bée ce qui se dit, l'audience est levée.
 
[décision du tribunal]
 
Une demi-heure de délibération.
Les conclusions tendant à ce que le huis clos soit rejeté sont rejetées à leur tout
Après douze heures de débat public, le Président ordonne que la salle devra être évacuée et que les débats reprendront demain matin à neuf heures, toutes portes closes.
On sort de l'audience avec l'impression assez poignante qu'on vient de vivre une page d'histoire

Autre quotidien rapportant les propos des députés communistes, L'Epoque :

"L'après-midi, après le rejet des conclusions déposées par les défenseurs et une série d'incidents de procédure, il [le colonel Loriot] risque pourtant, en vertu de l'article 72 du Code de justice militaire, « et dans l'intérêt de l'ordre et de la défense nationale » à requérir le « huis-clos » pour la suite des débats.
Et Mes Zévaès, Albert Wilm, Thoyot, du barreau d'Amiens, Willard, de s`opposer vigoureusement à cette réquisition.
Puis, leurs clients —  ils en ont le droit dont ils usent avec... prodigalité — exposent les raisons pour lesquelles ils repoussent la perspective d'avoir pour unique auditoire les juges et les avocats.
Accusés publiquement, ils entendent se défendre publiquement aussi.
L'argument, certes, est plausible.
Mais cette défense tourne rapidement au plus virulent réquisitoire.
Florimond Bonte se plaint que la lettre à M. Herriot, dont il est le rédacteur ait été, dans l'acte d'accusation, amputée d'un passage capital.
En chœur, ses amis s'écrient :
— C'est un faux !
— Le docteur Georges Lévy, à tue-tête, clame :
Nous avons été déchus sans être entendus, par une loi d'exception
Ambroise Croizat oppose des chiffres :
— Qu'importe que 492 voix m'aient déchu à la Chambre puisque 11.000 électeurs m'y avaient envoyé !
Barrel [Barel] a quelques phrases émouvantes pour dire qu'il y a juste vingt-cinq ans, une balle lui cassait la jambe, sur le champ de bataille :
— Et on m'a traité de traître !
Pourquoi faut-il qu'il ajoute :
— Ce que nous voulons faire dans cette enceinte, c'est le procès d'une classe !
Cornavin joue le paradoxe. Sans rire, frappant du poing le bord de la stalle, il lance :
— En matière de défense nationale, c'est nous seuls, les communistes, qui avons vu clair !!!
D`autres affirmations sont plus graves. Et l'on éprouve une pénible surprise de voir le commissaire du gouvernement rester impassible alors que la Finlande et ses héroïques défenseurs font l'objet d'odieuses imputations :
[passage censuré]
Cornavin jette encore :
— Il y a, à la Chambre, des députés qui ont assisté au congrès nazi de Nuremberg et qui sont encore députés.
Les panégyriques de la politique stalinienne se succèdent et se ressemblent.
A croire ces extravagants orateurs, l`U. R. S. S, n`a jamais voulu que la paix. Et l'un d'eux, Billoux, de Marseille il est vrai, mais non sur un ton de galéjade, raconte :
— Le gouvernement français préparait la guerre, une guerre impérialiste (sic)... Le communisme, lui, n'admet qu'une seule forme de guerre : la guerre libératrice !
Les malheureux habitants de Viborg, de Petsamo ou d'Helsinki en savent quelque chose.
Enfin, le tribunal décide, à huit heures du soir, de délibérer sur la demande de  « huis-clos » et le colonel Gaffajoli donne lecture d'un jugement par lequel la publicité des débats est, désormais, interdite.
Il n'était que temps..."