En complément de l'article "Quand les députés communistes écrivaient au maréchal Pétain pour demander leur libération et...", on reproduira ci-dessous la lettre de François Billoux du 19 décembre 1940 :
Le PUY, Maison d'Arrêt, le 19 décembre 1940
BILLOUX François, Député "déchu" des Bouches-du-Rhône à Monsieur le Maréchal PETAIN, chef de l'Etat Français.
Monsieur le Maréchal,
Il y a un an aujourd'hui, après une détention préventive de 40 jours, j'étais inculpé de "reconstitution de ligue communiste dissoute" par M. le capitaine de Moissac, juge d'Instruction près le 3e Tribunal militaire de Paris. Cette inculpation était basée cependant, sur un acte absolument normal pour un groupement légalement constitué et officiellement reconnu à la Chambre des Députés : une lettre adressée par le groupe parlementaire ouvrier et paysan français à M. le Président de la Chambre des Députés.
Ceux qui ont ordonné, procédé à, ou toléré notre arrestation (Daladier, général Héring, commissaire, juge d'instruction et président du 3e Tribunal militaire etc...) ont commis un acte de forfaiture. Il est vrai que la Constitution avait été déjà violée lors de la déclaration de guerre et qu'elle devait l'être encore quelques semaines plus tard par notre déchéance de députés.
Le Gouvernement choisissait ce mauvais prétexte (infraction au décret-loi du 26 septembre 1939) parce qu'il n'osait pas donner la véritable raison à nos poursuites : nous étions les seuls à nous dresser contre la guerre, nous étions les seuls pour la paix.
C'était pour mieux préparer la guerre impérialiste que les Gouvernants français avaient renforcé la répression anticommuniste. C'était pour mieux la diriger que l'on mettait en prison les représentants de 1 million et demi d'électeurs français.
Certains osent maintenant se présenter comme des hommes de paix. Parmi eux, il y a ceux qui se sont tus en septembre et octobre 1939, qui se sont tus jusqu'à la débâcle aussi bien à la Chambre des députés, au Sénat qu'au Conseil supérieur de la guerre et ailleurs. En se taisant, ils ont approuvé et ont donc leur part de responsabilités dans la débâcle, surtout que certains d'entre eux espéraient arriver au pouvoir par un écrasement de notre pays. D'autres, nous disaient : "Vous avez raison, mais nous nous taisons parce que nous ne voulons pas aller en prison ".
Et puis, il y avait surtout ceux qui hurlaient avec la meute et dans des articles ou des discours découpaient déjà l'Allemagne en petits morceaux.
Le 26 juin 1940, dans un manifeste, vous disiez, monsieur le Maréchal : "Je hais les mensonges qui vous ont fait tant de mal". Il faudrait alors pour dissiper un certain nombre de mensonges que vous fassiez connaitre à l'ensemble de la population de France :
1° La lettre du groupe ouvrier et paysan français adressée le 1er octobre 1939 au Président de la Chambre;
2° les comptes rendus des débats de notre procès et de la déclaration que j'ai lue au nom de tous mes amis au terme de ces débats. Dans cette déclaration nous disions :
"Nous sommes poursuivis parce que nous nous sommes dressés et que nous nous dresserons avec la dernière énergie contre la guerre impérialiste qui sévit sur notre pays, parce que nous appelons le peuple à exiger qu'il y soit mis fin par la paix, parce que nous indiquons au peuple de France le moyen de rendre notre pays libre et heureux."
Et, plus loin :
"Les Gouvernants français et capitalistes au nom de qui ils agissent tentent de faire croire que les responsabilités de la guerre impérialiste sont unilatérales, qu'eux-mêmes n'y sont pour rien, que le peuple de France se bat pour la justice, la liberté et l'indépendance des peuples. Mensonges... "
"Les responsables de la guerre? Nous nous refusons à nous faire les complices de cette énorme duperie qui consiste dans chaque pays à les rejeter sur les gouvernements ennemis. Il y en a chez nous. En premier lieu l'ex-Gouvernement et son Chef M. Daladier, qui a dirigé l'État contre le peuple et dans l'intérêt d'une minorité de gros possédants."
Puis encore :
"On nous a traînés devant les Tribunaux parce que nous seuls avons eu le courage d'appeler le peuple à chasser le Gouvernement Daladier dont les responsabilités dans la guerre sont écrasantes et qui a introduit dans notre pays des méthodes de réaction et de terreur. Comment osent-ils parler de la guerre pour la liberté, ceux qui la détruisent chez nous ?"
Un tel Gouvernement ne représente pas le pays. Il ne peut se maintenir que par la Dictature.
Lors de mon interrogatoire, je disais :
"Cette guerre sera néfaste pour la France. Vaincus, nous serons les esclaves d'Hitler. Vainqueurs, nous serons les domestiques de Chamberlain. Pourtant, il y avait, il y a encore une politique indépendante de la France à faire, cette politique qui a conservé la paix à l'Union soviétique."
Et comme je me dressais contre la soumission de nos gouvernants à l'impérialisme britannique, le commissaire du Gouvernement Bruzin qui est maintenant substitut à la Cour suprême de Riom me faisait interrompre violemment par le Président du tribunal, me menaçait d'exclusion des débats et d'une condamnation supplémentaire pour insulte à un pays ami.
Personne autre que nous, les communistes, n'a eu le courage de dire la vérité au pays.
Dans un article élogieux à votre égard, Monsieur Georges Suarez, dans L'Illustration du 30 novembre 1940 (le seul journal ou revue que nous pouvons lire) écrit : "La guerre était une folie; les mois d'inactivité furent un crime." Pendant ce temps, on donnait au pays l'illusion qu'il était gouverné, par les arrestations arbitraires de ceux qui avaient défendu la paix... On emprisonnait, on condamnait...
Mais qui emprisonnait-on ? Qui condamnait-on ? Sinon à quelques exceptions près, seulement les communistes qui sont d'ailleurs toujours en prison ou dans les camps de concentration lorsqu'on ne les y a pas mis depuis la fin de la guerre ?
Je me demande bien quel nouveau mauvais prétexte on a trouvé pour cela. Peut-être essaie-t-on de les présenter, eux les seuls vrais partisans de la paix comme des partisans de la guerre; eux, les seuls vrais partisans de l'indépendance de la France et de la fraternité des peuples comme des agents de l'Angleterre après les avoir présentés comme des agents de l'Allemagne.
Si vous voulez donc en finir avec les mensonges, monsieur le Maréchal, il faut aussi libérer immédiatement tous les communistes et les seuls députés qui se sont dressés contre la guerre.
En attendant cette mesure de justice, il serait au moins normal qu'ils bénéficient du régime politique, et qu'on n'use pas de mesquineries à leur égard (exemple : les deux derniers en date) :
1° suppression de l'autorisation de recevoir des colis de vivres précédemment accordée par M. le Préfet de la Haute-Loire;
2° refus de M. le ministre de l'Intérieur à ce que ma femme en résidence forcée puisse venir me voir, avec ma fillette âgée de 20 mois et que je n'ai pas revue depuis mon arrestation.
Étant donné que rien n'a été publié sur les débats en huis-clos de notre procès, où nous avions dénoncé les vrais fauteurs de guerre, je demande à être entendu comme tous mes amis, en qualité de témoin par la Cour suprême de Riom.
Veuillez agréer, monsieur le Maréchal, l'assurance de ma haute considération.
Signé : BILLOUX
Député "déchu" des Bouches-du-Rhône
Maison d'Arrêt
Le PUY (Haute-Loire)
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