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Bref historique du mouvement trotskyste (1930-1945)

En compléments des articles sur la Collaboration trotskyste, on apportera quelques éléments d'informations supplémentaires sur le mouvement trotskyste français en évoquant ses formations politiques, ses rapports avec la IVe Internationale et enfin son attitude au cours de la Seconde Guerre mondiale.


PARTIE I
(1930-1940)

Partis trotskystes

On fera un bref historique du mouvement bolchévik-léniniste en France. Ce courant politique se réclamait de Léon Trotsky qui avait fondé l'Opposition de gauche au sein du Parti communiste d'Union soviétique en raison de ses divergences fondamentales avec son secrétaire général incontesté : Staline.

Le premier défendait la révolution permanente. Le second, le socialisme dans un seul pays.

Cet antagonisme idéologique qui était teintée d'animosité personnelle a été réglé avec la méthode préférée des bolchéviks : la violence.

Léon Trotsky a été écarté du Bureau politique du Parti communiste en octobre 1926, évincé de son Comité central en octobre 1927, exclu du Parti communiste en novembre de la même année et enfin banni d'URSS en janvier 1929. Ses partisans ont été impitoyablement éliminés par le pouvoir soviétique.

En exil, il a continué le combat pour la Révolution mondiale en se posant comme le fidèle héritier de Lénine par opposition à Staline qui était accusé d'avoir trahi la révolution d'octobre 1917.

Ses relais en France se sont organisés autour d'un groupe : "l'Opposition communiste", et d'un hebdomadaire : La Vérité.

En avril 1930, ce groupe a fondé la Ligue communiste (LC). Première formation trotskyste créée en France, la LC a poursuivi la diffusion de La Vérité. Le n° 32 du 18 avril 1930 a publié les statuts du parti. L'article 1 fixait sans aucune ambiguïté l'objectif de la Ligue communiste (Opposition) :

"Article premier. — La Ligue communiste (Opposition) groupe les communistes qui poursuivent l'action révolutionnaire de la classe ouvrière, pour l'abolition du régime capitaliste par la dictature du prolétariat, dans la voie tracée par les quatre premiers congrès de l'Internationale communiste, selon les principes marxistes révolutionnaires."

En août 1934, à la demande de Trotsky, les membres de la LC ont adhéré à la SFIO où ils ont constitué le Groupe Bolchévik-Léniniste (GBL) et continué la publication de La Vérité.

Exclus du parti socialiste à la fin de 1935, en raison du rapprochement entre le PCF et la SFIO, les trotskystes se sont divisés en deux courants. En rupture avec le GBL, le premier a donné naissance au PCI en mars 1936. Son organe s'appelait La Commune. Incarné par le GBL, le second a fondé le Parti Ouvrier Révolutionnaire (POR) le 1er juin 1936. Le lendemain, le PCI et le POR créait ensemble le POI. L'organe du parti trotskyste unifié s'intitulait La Lutte Ouvrière. C'est la création d'un second parti trotskyste dans une période marquée par des grèves et des occupations d'usines qui a incité le PCI à accepter les conditions qu'avaient posées le GBL pour une réunification des bolchéviks-léninistes à savoir l'abandon de La Commune et du nom PCI. Au mois d'octobre 1936, en raison de différences politiques et de désaccords personnels, le PCI a rompu avec le POI (1). Conséquence, il s'est formellement reconstitué et a repris la publication de La Commune.

En septembre 1938, seul le POI a été admis à la Conférence fondant la IVe Internationale. Cette organisation internationale trotskyste succédait à la Ligue des Communistes Internationalistes (LCI) avec un objectif bien distinct. En effet, la LCI avait été crée en 1933 avec la mission de réformer la IIIe Internationale. Quant à la IVe Internationale, elle ambitionnait de la remplacer. Dans la propagande trotskyste, la formule IVe Internationale fait référence à l'organisation internationale trotskyste en général et peut donc être utilisée pour désigner la LCI.

Publié en décembre 1938, le dernier numéro de La Commune annonçait la décision du PCI, qui ne comptait alors qu'une centaine de membres, de se dissoudre et de rejoindre le Parti Socialiste Ouvrier et Paysan (PSOP).

Comptant une dizaine de milliers d'adhérents avec une forte implantation ouvrière dans le département de la Seine, le PSOP avait été fondé au mois de juillet 1938 par Marceau Pivert après sa rupture avec la SFIO au sein de laquelle il animait la tendance Gauche Révolutionnaire.

Au sein du PSOP, les anciens du PCI se sont regroupés autour de la revue La Vérité dont les deux premiers numéros avaient été publiés en janvier et juin 1938. 

Rassemblant plus de mille militants en tenant compte de son organisation de Jeunesse, le POI s'est aussi rapproché du PSOP. Dès le mois d'octobre 1938, il a proposé à sa direction de fusionner les deux organisations. Cette démarche n'a suscité aucune réponse officielle. Preuve de sa détermination, il a alors décidé d'envoyer une délégation au Conseil National du PSOP organisé les 17 et 18 décembre pour lui soumettre sa proposition de fusion. Le CN a rejeté cette proposition. En revanche, pour marquer sa volonté de rapprochement, il a indiqué qu'il permettrait aux membres du POI d'adhérer individuellement au PSOP.

Au IIIe Congrès du POI qui s'est tenu en janvier 1939, la majorité (ex : Marcel Hic) s'est prononcée contre cette entrée et a manifesté ainsi sa préférence pour la fusion. La minorité (ex : Yvan Craipeau) n'a pas accepté cette décision. Conséquence, en accord avec la IVe Internationale, elle a adhéré au Parti de Marceau Pivert où elle a formé une tendance sous le nom "Les Comités pour la IVe Internationale". Par la suite, jugeant que la division n'était pas viable pour le POI, l'IC lui a demandé de rejoindre le PSOP. Son refus a provoqué son exclusion de la IVe Internationale au mois de juin 1939 (2).

Au sein du PSOP, les anciens du POI ont mené leur action en s'appuyant sur la diffusion d'un mensuel intitulé La Voix de Lénine.

Ardents partisans de la création d'un parti regroupant toutes les forces révolutionnaires, les trotskystes français ont été incapables de surmonter leurs propres divisions. Ils ont même réussi l'exploit de se rassembler dans un parti tiers où ils ont formé deux factions distinctes et rivales.

Au final, les partis trotskystes ont prouvé que leurs principales qualités étaient d'une part leur capacité de se multiplier et d'autre part leur entrisme politique.

(1) Lire "La vie du Parti Communiste Internationaliste" dans La Commune du 23 octobre 1936.
(2) Lire la Déclaration du Comité central du POI du 20 juin 1939 publiée dans La Lutte Ouvrière du 10 juillet 1939.


PARTIE II
(1940-1945)

La Vérité du 30 août 1940

Au cours de l'occupation allemande, le journal La Vérité a été le fil conducteur de la réunification du mouvement trotskyste en France.

Le 31 aout 1940, deux mois après la signature de l'armistice franco-allemand, un premier numéro de La Vérité clandestine était diffusé à l'initiative de Marcel Hic et d'Yvan Craipeau, deux anciens membres du POI qui s'étaient séparés au moment de l'entrée dans le PSOP.

Le titre du journal reprenait celui de l'organe de la Ligue Communiste qui fut la première organisation trotskyste en France. Quant à la mention "Organe Bolchevik-Leniniste", elle indiquait le contenu idéologique du journal et ne faisait aucune référence à un ancien parti trotskyste.

Le premier numéro de La Vérité était composé de quatre pages et comprenait cinq articles. On mentionnera trois de ces cinq articles.

Tout d'abord, dans un texte titré "Paris-Vichy", après avoir condamné le Gouvernement Pétain et les collaborationnistes de Paris, La Vérité clandestine exigeait la "conclusion immédiate de la Paix entre la France et l'Allemagne" :

"A BAS LA DIPLOMATIE SECRETE DE WIESBADEN [siège de la commission d'armistice] ! Nous réclamons la conclusion immédiate de la Paix entre la France et l'Allemagne, d'une Paix sans annexions ni indemnités !!!"

Une pointe d'humour : la page Wikipédia consacrée à La Vérité affirme que ce journal a été... "le premier journal de la Résistance".

Signalons que l'on peut aussi lire cette affirmation péremptoire dans... La Vérité n° 74 du 30 septembre 1944 qui s'indigne dans un texte titré "Liberté de la presse !" que le journal n'ait toujours pas reçu d'autorisation de paraître au motif qu'il n'aurait pas apporté les preuves de sa résistance à l'occupant allemand. On reproduira ci-après le paragraphe "Le premier organe qui « résistait » à Hitler" :

Le premier organe
qui « résistait » à Hitler

On nous demande si La Vérité a été un organe « résistant » depuis quatre ans ? Le premier numéro de La Vérité parut ronéoté, dans la clandestinité, dès le mois d’août 1940. Il existait alors un autre organe clandestin : l’Humanité, mais tous les parisiens se souviennent que l'Humanité était alors distribué dans les rues avec le consentement tacite de l'occupant et qu’elle fit du reste une demande officielle pour paraître légalement. Elle paraissait alors sans une seule ligne contre l'occupation allemande en vertu des accords germano-russes qu'elle défendait chaudement. Au contraire, La Vérité qui portait en manchette : « Ni Pétain, ni Hitler, gouvernement ouvrier et paysan » attaquait violemment le nazisme, dénonçait la razzia des marchandises, appelait au regroupement contre le fascisme des deux côtes de la ligne de démarcation, etc... A notre connaissance, LA VERITE ETAIT LE PREMIER ORGANE RESISTANT.

La Résistance se définissait avant tout comme le combat de ceux qui avaient refusé l'armistice franco-allemand et qui s'étaient donc engagés dans la lutte contre les Allemands pour la libérer la France. Sur le plan politique, La Vérité du 30 août 1940 plaidait pour "la conclusion immédiate de la Paix entre la France et l'Allemagne" comme... le Maréchal Pétain. Autre preuve de son imposture, l'organe du PCI a condamné à de nombreuses reprises la Résistance. Sur ce point particulier, on citera... le numéro précédent de celui dans lequel il affirmait être le premier organe Résistant : le n° 73 du 21 août 1944.

Ce numéro était entièrement consacrée à la publication d'une "Lettre ouverte au Parti Communiste Français et au Parti socialiste pour l'unité d'action ouvrière". On lira avec intérêt le passage titré... "Pourquoi nous n'avons pas adhéré à la Résistance" :

Pourquoi nous n'avons pas
adhéré à la Résistance

Nous savons que ce programme n'est pas le vôtre. Vous croyez devoir maintenir votre Union Sacrée avec les partis de la bourgeoisie et prendre à votre compte leurs buts de guerre. Nous croyons qu'une telle politique creuse le fossé entre les ouvriers français et allemands, qu'elle a, entre autres résultats, celui de souder les travailleurs allemands autour de leur propre bourgeoisie, de prolonger par là l’existence de Hitler, de paralyser la révolution en Allemagne et en Europe.
C’est pourquoi il ne pourrait être question pour notre Parti de se faire représenter dans les organismes communs qui vous lient à ces organisations bourgeoises, y compris les plus réactionnaires comme l'O.C.M. (que l’on dénonce comme « fasciste » dans les rangs du Parti Communiste Français).

Ce texte publié pendant la Libération de Paris prouve que les trotskystes français sont restés fidèles à leur délire pro-allemand jusqu'à la défaite de l'Allemagne.

La Vérité du 30 août 1940 contenait en outre une condamnation marxiste de l'antisémitisme qui était dénoncé comme une pratique des capitalistes, et notamment des capitalistes... juifs, visant à diviser la classe ouvrière. Conséquence, les prolétaires devaient s'unir pour combattre tous les capitalistes et notamment les capitalistes... juifs.  

Titré "A bas l'antisémitisme !!!", l'article présentait le contenu suivant :

A BAS L'ANTISEMISITISME !!!

Quelques fiers-à-bras, dont on sait trop qui les paye; et quelques suiveurs imbéciles ,essayent de vendre dans les quartiers ouvriers l'infâme torchon antisémite "Au Pilori", et de briser les vitrines de gros commerçants juifs.
Le rôle de ces Messieurs est d'essayer de détourner la colère populaire des vrais responsables des maux de la défaite et de l'occupation : capitalistes, juifs et non juifs, français et allemands.
Les ouvriers de France n'ont pas de tendresse pour Rothschild ou Lévitan; mais ils savent qu'il y a des milliers d'ouvriers et d'artisans juifs qui, comme eux peinent, triment. Ils savent que des milliers de Juifs se sont battus, sont morts pour les capitalistes de ce pays. Ils savent que des centaines de savants, professeurs, médecins juifs apportent leur part à la culture contemporaine. Ils constatent que toutes les tentatives soi-disant scientifiques (comme celles du Professeur Montandon. dans la "France au Travail"), de démontrer l'infériorité raciale des Juifs aboutissent piteusement à montrer que les Juifs sont, au même titre que toutes les races d'Europe, une race mêlée.
Les ouvriers doivent comprendre aussi ceci : l'expropriation des capitalistes Juifs, c'est le premier acte de l'expropriation des capitalistes français en général, c'est-à-dire la destruction commencée de l''industrie française, le chômage et la famine instaurée en permanence. C'est pourquoi il faut mener implacablement la lutte contre les bandes antisémites.
Il faut :
Organiser des groupes de défense ouvrière contre les bandes antisémites.
Empêcher la désorganisation de la production française par la prise en main de toutes les grandes usines et entreprises, juives ou non, par des coopératives de production.

Cette condamnation de l'antisémitisme était donc fondée sur une discrimination sociale des juifs qui étaient répartis en deux catégories opposées : les prolétaires et les capitalistes.

Autre exemple de cette discrimination sociales des juifs, la réaction de La Vérité à l'ordonnance allemande du 27 septembre 1940 imposant aux commerçants juifs de se signaler comme tels par une affiche :

"Les petits commerçants et les petits artisans juifs auront leur pancarte, Mais les financiers juifs continueront à empocher des dividendes. Quant aux financiers chrétiens, ils continueront à détrousser l'Etat".

Même réaction dans La Vérité du n° 5 du 1er novembre 1940 qui consacrait un article à cette ordonnance allemande et au statut des Juifs adopté par le régime de Vichy le 3 octobre. Dans ce texte plaidant pour un statut des capitalistes comme l'indiquait le titre ("Un statut des juifs ? Non ! Un Statut des capitalistes"), le journal trotskyste s'indignait que les mesures prises par les Allemands ne visassent pas les "capitalistes juifs" et affirmait que ce privilège s'expliquait par la solidarité de classe des capitalistes français :

"Les boutiquiers juifs auront une pancarte, mais les gros spéculateurs français seront décorés. Quant aux spéculateurs, banquiers et capitalistes juifs on ne pourra pas toucher à leur fortune parce que leurs affaires sont étroitement liées à celles des spéculateurs, des banquiers et des capitalistes français."

Enfin, La Vérité du 30 août 1940 rendait hommage à Léon Trotsky assassiné le 20 août 1940 à Mexico par un agent de Staline. Pas de chance.


Août 1940 - Août 1941

"Organe Bolchevik-Leniniste" entre août 1940 et février 1941, puis "Organe communiste révolutionnaire" entre mars 1941 et août 1941, La Vérité était ronéotée et bénéficiait, sauf exception, d'une diffusion mensuelle.


Comités Français de la IVe Internationale
(Septembre 1941- Décembre 1942)

A partir du 15 septembre 1941, le journal a été imprimé et s'est défini comme l' "Organe Central des Comités Français pour la IVe Internationale".

Dans ce numéro (n° 20) on peut notamment lire les notes "dictées par Léon Trotsky le 20 août 1940 quelques heures avant son assassinat, sans qu'il ait pu les compléter et en faire un article achevé".

On retiendra des dernières réflexions du chef de la IVe Internationale, l'affirmation que le régime du Maréchal Pétain n'était pas... "un régime fasciste" :

"En France, ce n'est le fascisme au véritable sens du mot. Le régime du sénile maréchal Pétain représente une forme sénile du bonapartisme de l'époque de déclin de l'impérialisme. [...]
Précisément parce que le régime de Pétain est un bonapartisme sénile, il ne renferme aucune stabilité et peut être renversé par une insurrection révolutionnaire des masses bien plus facilement qu'un régime fasciste."

Signalons que cette grande révélation est un cruel démenti aux discours de ses propres militants qui depuis la fin de la guerre accusent le Maréchal Pétain d'être un fasciste et ce dans le but inavoué de faire oublier leurs propres compromissions avec les nazis.

Le numéro suivant (n° 21) était daté de septembre 1941. Il était dédié à la publication d'un texte titré "Où va l'Europe ?" dans lequel on pouvait lire une condamnation de la Résistance gaulliste :

"L’oppression nationale a fait entrer dans l'arène politique de larges couches de la petite bourgeoisie. Laissée à elle-même, elle est bien impuissante d’assurer le renversement du régime nazi. Actuellement, dans sa grande majorité, elle se tourne du côté de l'impérialisme britannique. En France, ce mouvement appuie le général De Gaulle, lequel n'a pas d’autre programme que la lutte militaire contre l'Allemagne aux côtés de l'Angleterre. L'activité de ses partisans en France, c'est avant tout l’espionnage en faveur de l'Angleterre et le recrutement de jeunes gens pour les forces françaises « libres », le parti marxiste n'a rien de commun avec un tel programme et de telles méthodes. Pour nous le succès de la révolution ne dépend pas de la victoire ou de la défaite de tel ou tel camp impérialiste (quelle illusion !), mais de l'éducation révolutionnaire de lutteurs éprouvés, de la formation des cadres d'un parti intransigeant. C'est là la tâche fondamentale. Les sympathies pour l'Angleterre qui se répandent maintenant dans les pays occupés sont la première forme élémentaire de résistance à l'oppression nazie (et aussi à la bourgeoisie nationale, en France). La tâche, des marxistes n'est pas de s’adapter à ce sentiment (complètement stérile), mais de prévoir les autres formes ultérieures de résistance et de s'y préparer".

Dans un article "Le combat pour la liberté" publié dans le n° 22 du 1er octobre 1941, La Vérité s'attaquait à la Résistance gaulliste et concluait par un appel à l'union s'adressant d'une part "aux ouvriers et aux paysans allemands sous l'uniforme", et d'autre part aux ouvriers qu'ils soient "français ou étrangers, juifs ou aryens" :

"Depuis plusieurs semaines, Radio-Londres (France libre) appelle tous les partis français, réactionnaires ou marxistes, doriotistes ou stalinistes, fascistes ou trotskystes, à constituer un parti unique, « le Parti de la Libération Nationale » .
« Toutes les querelles partisanes doivent s'effacer, nous dit-on, devant la tâche plus urgente : libérer la France du joug hitlérien ».
Ni Londres, ni New-York n'agissent par pure bonté d'âme, et cet appel à l'union contre l'oppresseur n'est, en réalité, qu'un aspect de la lutte militaire que l'impérialisme anglo-saxon a entreprise pour maintenir sa domination mondiale contre son rival : l'impérialisme nazi. [...]
L'Europe d'Hitler, comme celle de Churchill-Roosevelt, c'est l'oppression et la misère généralisées, c'est la guerre permanente. Nous en somme sûrs : ni les ouvriers gaullistes, ni les paysan, les artistes, les petits commerçants gaullistes ne veulent d'un pareil retour à l'ancien ordre des choses encore aggravé. La lutte que le peuple français mène ici, la lutte que de Gaulle mène en Angleterre ont au moins un but commun : celui d'abattre Hitler. Mais leur but final n'est pas le même car le  peuple n'entend par satisfaire les appétits impérialistes de Churchill, Roosevelt, de Gaulle.
Il y a une profonde différence entre la lutte du général réactionnaire de Gaulle et celle des ouvriers et paysans gaullistes en France. D'un côté, il s'agit d'une guerre impérialiste. De l'autre, il s'agit de la lutte pour les libertés. Et cette lutte a une réelle signification. Il s'agit de la libération des prisonniers politiques, syndicalistes communistes eu trotskystes. Il s'agit de la libération des juifs enfermés dans les camps. Il s'agit des luttes pour un meilleur ravitaillement.

Ouvrez les portes des prisons et des camps de concentration ! Donnez-nous à manger ! Nourrissez nos enfants ! Laissez les ouvriers, les paysans, les petits commerçants organiser eux-mêmes le ravitaillement !
Augmentez les salaires !
Confisquez les bénéfices de guerre ! Supprimez l'Indemnité d'occupation !
Le peuple français ne veut plus aider l'impérialisme nazi à poursuivre sa guerre.
Evacuez le territoire ! Libérez les prisonniers de guerre !

Tels sont nos mots d'ordre et ceux de chaque peuple en Europe. Pour réaliser ce programme nous ne cesseront pas de tendre la main aux ouvriers et aux paysans allemands sous l'uniforme. Nous ne cesserons pas d'appeler tous les ouvriers, tous les paysans, tout les artisans, tous les petits commerçants, tous les jeunes de France, français ou étranger, aryens ou juifs, à le réaliser avec nous."


Parti Ouvrier Internationaliste
(Janvier 1943 - Janvier 1944)

Dans son numéro du 15 janvier 1943La Vérité indiquait la mention suivante : "Organe du Parti Ouvrier Internationaliste (IVe Internationale)".

Dans un article consacré à "La Conférence Nationale du Parti Ouvrier Internationaliste", le journal annonçait que le Conseil National (CN) avait décidé que l'organisation poursuivrait son action sous le nom de "Parti Ouvrier Internationaliste" :

"C'est pourquoi le C.N. a décidé de rendre à l'organisation le nom sous lequel elle a combattu en juin 1936 : la section de la IVe Internationale en France portera désormais de nouveau le nom de Parti Ouvrier Internationaliste. En prenant cette décision, le Conseil National n’a aucunement entendu affirmer que l’organisation, dans son état actuel, représente le parti de la révolution définitivement constitué. Le P.O.I., au contraire, ne constitue actuellement qu'une forme vide, à peine ébauchée, du parti bolchevik, forme qu'il faut emplir, développer, nourrir, en rassemblant sous le drapeau de la IVe Internationale tous les combattants sincères de la la Résolution prolétarienne. Aussi le C N., après s'être félicité des premiers pas réalisés par le C.C. dans la vie [voie] du regroupement révolutionnaire, a-t-il incité celui-ci à redoubler d'efforts dans ce sens et à s'efforcer, en renforçant les liens de l’avant-garde ouvrière, de permettre au prolétariat tout entier de s’engager victorieusement dans la voie de la lutte pour les Etats-Unis Socialistes d'Europe et du Monde."


Parti Communiste Internationaliste
(Février 1944 - Fin de la guerre)

Enfin, en février 1944, la constitution du Parti Communiste Internationaliste a marqué la dernière étape dans l'unification du mouvement trotskyste.

Le PCI était né de la fusion de trois organisations trotskystes clandestines :

1) Le Parti Ouvrier Internationaliste,
2) Le Comité Communiste Internationaliste crée en mars 1943 par d'anciens membres du PCI.
3) Le groupe « Octobre » créé au début de 1943 par Henri Molinier, ancien membre du PCI.

Seul restait à l'écart, le minuscule groupuscule de quelques individus formé autour de David Korner (Barta). 

Le nombre de structures se regroupant dans le PCI ne doit pas masquer l'extrême faiblesse de ce parti en termes d'effectifs.

Dans son numéro du 17 février 1944La Vérité clandestine, organe du Parti Ouvrier Internationaliste (POI), annonçait le regroupement de trois organisations trotskystes dans un seul Parti :

"Quelque part, en Europe occupée vient de se tenir la Conférence européenne de la IVe Internationale. Cette conférence a pris d'importantes décisions politiques. Elle a notamment décidé d'unifier dans un seul parti les organisations qui se réclament en France de la IVe Internationale (P.O.I, CCI, « Octobre »).

A ses importants travaux nous consacrerons l’essentiel du prochain numéro de « LA VERITE ».

« LA IVe INTERNATIONALE », le premier numéro imprimé de la Revue du Secrétariat Européen est paru sur 21 pages."

Le numéro suivant de La Vérité était daté du 25 mars 1944. Faits significatifs, ce numéro portait les mentions "Nouvelle série N° 1" et "Organe central du Parti Communiste Internationaliste (Section française de la IVe Internationale)".

Sa manchette indiquait :

"« LA VÉRITÉ » (nouvelle série), organe du Parti Communiste Internationaliste, remplace « LA VÉRITÉ » publiée jusqu'ici par le P.O.I.« LE SOVIET » publié par le C.C.I."

Sa première page mentionnait la formation du Parti Communiste Internationaliste sous la forme d'une "Déclaration d'unité" signée par le POI, le CCI et le Groupe « Octobre » :

DECLARATION D'UNITE

Depuis près de cinq ans, la guerre impérialiste accumule des ruines et des cadavres. Aux cours de la guerre, les groupements de l’avant-garde révolutionnaire se réclamant du programme internationaliste de la IVe Internationale (le Parti Ouvrier Internationaliste, le Comité Communiste Internationaliste, le groupe « Octobre ») n'ont cessé de dénoncer cette guerre comme une guerre impérialiste dont le but est un nouveau partage du monde. Ces organisations ont développé en conséquence une politique et une action internationalistes, dénonçant comme premier ennemi « notre propre bourgeoisie », l'impérialisme français, et tendant une main fraternelle à l'ouvrier allemand contre l'impérialisme allemand, le maître actuel de l’Europe.

Pendant près de cinq ans, malgré toutes les fautes épisodiques de tel ou tel groupement, l'action des organisations se réclamant de la plateforme de la IVe Internationale, a été menée sur la base de la lutte contre l’impérialisme mondial (américain, anglais, allemand), pour la défense de l’Union Soviétique malgré sa bureaucratisation, pour la reconstruction du front de la classe ouvrière, pour la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile.

Aujourd’hui, nous arrivons devant le tournant décisif de la guerre : l'avance de l’Armée Rouge et la révolution italienne sont les signes avant-coureurs de la formidable crise révolutionnaire qui se prépare en Europe et qui prendra toute son ampleur dès l’écroulement de l’impérialisme allemand. C'est pour ce moment que l’impérialisme anglais et l’impérialisme américain préparent leurs armes — qu'ils n’ont pas voulu utilisé contre Hitler — mais qu'ils s'apprêtent à jeter contre la révolution et contre le prolétariat.

Les contradictions qui rongent l'Europe « unifiée » par l'impérialisme allemand et la crise révolutionnaire qui monte posent devant l’avant-garde révolutionnaire comme une tâche brûlante la question de la construction du parti révolutionnaire. Les Bolcheviks-Léninistes ne pouvaient ni aborder la crise révolutionnaire en rangs dispersés, ni entrer désarmés politiquement dans le tournant décisif de la guerre. Pour l'armement politique de notre organisation, une Conférence Européenne vient de se tenir, qui a défini, après de longues journées de discussion les tâches de l’organisation européenne devant la crise révolutionnaire montante. Sur la base politique de la ligne tracée par la Conférence Européenne, les trois organisations bolchévik-léninistes de France ont décide de ne former désormais qu'une seule organisation qui prend le nom de Parti Communiste Internationaliste, soulignant ainsi son attachement, aussi bien au véritable communisme révolutionnaire, le communise de Lénine et de Trotsky, qu'à la tradition politique internationaliste de toute l'Opposition de Gauche de l'I.C. [Internationale Communiste]

Un pas en avant est ainsi fait vers la formation du véritable parti révolutionnaire qui puisse mener le combat victorieux pour la Révolution prolétarienne, pour les Etats-Unis Socialistes Soviétiques de l'Europe. La section française de la IVe Internationale affirme ainsi sa volonté de constituer le ferment révolutionnaire de la crise qui vient, et de devenir le pôle d’attraction de tous les éléments révolutionnaires de l'avant-garde.

En ce moment décisif, la IVe Internationale regroupe ses forces, corrige ses fautes à travers une autocritique bolchévique, retrempe ses cadres, et affirme dans l'action sa présence et son unité politique.

En ce moment décisif, la section française de la IVe Internationale appelle les ouvriers avancés à rejoindre ses rangs et à participer coude à coude à la formation d'un véritable parti bolchevik :

Contre l'impérialisme fasciste ou « démocratique »,
Pour le triomphe de la révolution socialiste,

Vive le Parti Communiste Internationaliste !
Vive la IVe Internationale !

Le Parti Ouvrier Internationaliste,
Le Comité Communiste Internationaliste,
Le groupe « Octobre ».

Février-Mars 1944.


IVe Internationale

En février 1944, une Conférence Européenne de la IVe Internationale est organisée clandestinement en France à Saint-Germain-la-Poterie près de Beauvais (Oise).

Les participants sont moins d'une dizaine et sont principalement Français et Belges.

La Vérité du 29 avril 1944 souligne l'importance de cet événement pour le mouvement trotskyste :

A la veille du tournant décisif de la deuxième guerre impérialiste,
une Conférence Européenne de la IVe Internationale vient de se réunir

La IVe Internationale vient de donner en pleine guerre impérialiste la preuve de sa vitalité. Pendant plusieurs jours s'est tenue, quelque part en Europe, une conférence de ses sections européennes. Le but de cette conférence était de tirer les leçons de la dernière époque — depuis septembre 1939 — de définir, à la veille du tournant décisif de la deuxième guerre impérialiste, d’une façon claire et précise la ligne politique générale des bolchéviks-léninistes, de donner à l'avant-garde révolutionnaire les armes politiques qui lui permettront d'accomplir sa mission dans les gigantesques combats de demain.

EN SEPTEMBRE 1938, devant la menace grandissante de la guerre impérialiste, eut lieu le CONGRES CONSTITUTIF DE LA IVe INTERNATIONALE. Ce congrès s'adressa à la classe ouvrière pour l'avertir du danger imminent d’une nouvelle guerre impérialiste de brigandage et de rapines, et pour dénoncer la trahison des partis socialiste et stalinien de la IIe et IIIe Internationales, « sergents recruteurs de l'impérialisme » (Manifeste du Congrès de 1938).

EN MAI 1940, à la veille de l’effondrement de l’impérialisme français, la IVe Internationale fut à nouveau la seule organisation prolétarienne qui, par sa CONFERENCE INTERNATIONALE, s'adressa aux travailleurs du monde dans un langage révolutionnaire et internationaliste fidèle à l'exemple de Lénine :

« Indépendamment du cours de la guerre, nous remplissons notre tâche fondamentale : nous expliquons aux ouvriers l'opposition inconciliable de leurs intérêts et des intérêts du capitalisme assoiffé de sang ; nous mobilisons les exploités contre l'impérialisme; nous travaillons à l’union des ouvriers de tous les pays belligérants et neutres ; nous appelons à la fraternisation des ouvriers et des soldats dans chaque pays, ainsi qu'à la fraternisation des soldats allemands avec les soldats du côté opposé du front. Nous mobilisons les femmes et les Jeunes contre la guerre, nous poursuivons une préparation constante, persistante, infatigable de la révolution dans les usines, dans les villages, dans les casernes, au front et sur la flotte ». (Manifeste de la conférence internationale de 1940).

AUJOURD’HUI, au moment où la monstrueuse boucherie impérialiste entre dans sa dernière phase, où les Etats-Majors des brigands dressent leurs plans contre-révolutionnaires, où les diplomates complotent en grand secret pour imposer aux masses de nouvelles chaînes et pour tenter d'étouffer la révolution prolétarienne qui monte en Europe et dans le monde, seule la IVe Internationale indique clairement à la classe ouvrière ses objectifs révolutionnaires :

« La IVe Internationale s'efforce partout, dès maintenant, autour de chaque revendication immédiate, et si humble soit-elle, de mobiliser et d’organiser la classe ouvrière, de surmonter son émiettement organisationnel, sa dispersion politique en vue des gigantesques combats de classes qui approchent. Elle met au premier plan de ses préoccupations immédiates de recréer le FRONT OUVRIER...
...Chaque jour, dans chaque pays, modifie le rapport de forces entre la bourgeoisie et le prolétariat, sape les fondements du pouvoir bourgeois...
...Dans la grande crise qui s'ouvre, le triomphe du prolétariat est certain : s'il sait peser froidement les forces de l'adversaire et les siennes, s'il a une conscience de classe aiguë, une organisation de combat solide et une audace à toute épreuve...
...Il doit opposer aux formations de la bourgeoisie ses propres formations, aux plans de l'impérialisme ses propres plans, à l'Etat-Major de la réaction son propre Etat-Major. Pour vaincre, le prolétariat mondial a besoin d'un parti mondial inébranlablement fidèle à ses intérêts de classe et à son programme, un parti qui n'a jamais pactisé, qui ne pactisera jamais avec son ennemi de classe... ». (Thèses de la Conférence Européenne).
LISEZ, DISCUTEZ ET FAITES CONNAITRE DANS LA CLASSE OUVRIERE LES DOCUMENTS DE LA CONFERENCE EUROPEENNE PUBLIES DANS « QUATRIEME INTERNATIONALE » Revue du Comité Exécutif Européen, N° 4-5 de Février-Mars 1944.

Constitué à la fin de 1942 par les trotskystes français, le Secrétariat Européen de la IVe Internationale,  qui a pris le nom de Comité Exécutif Européen l'année suivante, diffuse une revue théorique clandestine sous le titre : Quatrième Internationale.

Premier numéro imprimé, l'édition n° 4-5 de février-mars 1944 est consacrée à la Conférence Européenne de la IVe Internationale de février 1944.

Ce double numéro reproduit la "Déclaration d'unité" du PCI avec trois différences : elle est titrée "Appel aux travailleurs de France", elle s'ouvre par une adresse aux "Travailleurs" et elle est datée de "mars 1944".

Il publie en outre un texte de référence de 13 pages définissant la ligne politique de la IVe Internationale (section européenne) pour la période à venir : "Thèses sur la liquidation de la deuxième guerre impérialiste et la montée révolutionnaire".

La partie III titrée "La révolution prolétarienne et les tâches de la IVe Internationale en Europe" fixe notamment les tâches que doivent accomplir les bolchéviks-léninistes (BL) - c'est-à-dire les militants trotskystes - dans les pays européens occupés par les Allemands :

"Ainsi les B.L. ne peuvent pas se contenter aujourd’hui de dénoncer ces organisations [Les groupes de partisans] comme travaillant au service de l'impérialisme. Ils ne se contenteront pas de rappeler aux prolétaires la primauté du travail d'usine et à faire tous les efforts possibles pour les retenir dans le cycle de la production. Ils s'efforceront, en même temps, de faire pénétrer leur politique dans les rangs des partisans, en vue de regrouper les forces révolutionnaires latentes qui s'y trouvent sur une base politique et organisationnelle de classe.

Dans ce but, ils développent le programme suivant : [...]

3) Se constituer dans les rangs des organisations militaires contrôlée par l'Union Sacrée de la bourgeoisie anti-allemande et les staliniens, en fraction camouflée, ayant sa propre discipline, et orientée résolument vers la rupture avec ces organisations à chaque moment où cela devient avantageux ou nécessaire.

4) Repousser toute politique d'assassinat des soldats allemands, toute action de sabotage, même militaire, qui creuserait le fossé entre travailleurs indigènes [1] et soldats allemands. [...]

7) Organiser la propagande de fraternisation avec les troupes d'occupation, et ouvrir leurs rangs aux déserteurs allemands."

[1] Le mot "indigènes" désigne les populations des pays européens occupés.

Formalisant à l'échelon européen la ligne des trotskystes français qui viennent de s'unifier, la Section européenne de la IVe Internationale appelle ses militants à s'engager dans les organisations de la Résistance pour les détruire de l'intérieur !!!, condamne l'assassinat de soldats allemands et le sabotage !!!, et enfin défend la fraternisation avec les nazis !!!

Une remarque essentielle sur la première prescription : elle explique la présence de trotskystes dans ces organisations et surtout révèle leurs motivations...  

Enfin, concernant le contenu de ces trois recommandations, on notera l'amnésie qui frappe les trotskystes depuis la fin de la guerre.  En effet, lorsqu'ils évoquent le passé, les bolchéviks-léninistes préfèrent le récit fictif de leurs combats héroïques contre l'occupant allemand à la réalité historique peu glorieuse de s'être déshonorés par leurs actions au nom d'objectifs fondamentalement pro-allemands.


Projet du PCI

Structure clandestine rassemblant un faible nombre de militants, le PCI s'est constitué en février 1944 par le regroupement de trois organisations trotskystes : le Parti Ouvrier Internationaliste (POI), le Comité Communiste Internationaliste (CCI) et le groupe « Octobre ». Il était affilié à la IVe Internationale comme l'était pour la période antérieure le POI.

Exprimant donc sans aucune équivoque la position du mouvement trotskyste, le projet politique du PCI était totalement... délirant.

Il reposait sur la thèse que tous les belligérants - à l'exception de... l'URSS - menaient une guerre impérialiste qui était contraire aux intérêts de la classe ouvrière. Concrètement, il appelait les Français à se rassembler dans un Front ouvrier qui devait en outre s'ouvrir aux... soldats allemands. Ces derniers n'étant pas des nazis qu'il fallait combattre mais des prolétaires avec lesquels il fallait fraterniser. En effet, grande révélation trotskyste : sous l'uniforme nazi se cachait un ouvrier. A l'inverse, le général de Gaulle, Jean Moulin et tous leurs frères d'armes n'étaient pas des Résistants mais des réactionnaires et donc des ennemis de classe qu'il fallait abattre. A ce Front ouvrier étaient fixés deux objectifs qui marquaient sa différence radicale avec le Front national contrôlé par les communistes : renverser le régime capitaliste incarné par le Maréchal Pétain, autrement dit transformer la guerre impérialiste en guerre civile, et instaurer un régime de type soviétique qui négocierait la paix avec Hitler voire - ajoutons au délire le délire - un gouvernement allemand dirigé par... des trotskystes.

Si les Français s'étaient ralliés à la bannière du trotskysme et du défaitisme révolutionnaire, les nazis seraient toujours dans les rues de Paris aujourd'hui.


Condamnation de la Résistance communiste 

Ligne politique suivie par le pouvoir bolchévique pour mettre fin à la guerre avec l'Allemagne en 1918 (traité de Brest-Litovsk), la paix par la révolution socialiste a été défendue par le Parti Communiste Français (PCF) jusqu'en juin 1941 et de nouvelles instructions de Moscou consécutives à l'invasion allemande. Après cette date les staliniens français ont appelé à la lutte armée contre les... boches qui n'étaient plus célébrés comme des frères prolétaires.

Ce changement d'attitude vis-à-vis de l'occupant nazi a suscité l'indignation des trotskystes français. Un exemple, La Vérité du 25 mars 1944 accuse le PCF d'être à "l'avant-garde du chauvinisme" - aujourd'hui les trotskystes utiliseraient le mot racisme - et d'avoir de ce fait renier son "internationalisme prolétarien" :

« Les Cahiers (ex) Communistes »... à l'avant-garde du chauvinisme

A l'heure où la IVe Internationale affirme par des actes sa volonté révolutionnaire et son internationalisme, le Parti qui, par dérision s'appelle encore Communiste, s'enfonce de plus en plus dans la boue du chauvinisme. Les Cahiers du Communisme, organe théorique du P. C. français, (premier trimestre 1944, Nouvelle Série n° 1) constituent un véritable monument digne de Déroulède.

« 30.000 soldats en Corse, ça fait environ un boche pour dix français, écrit le chauvin en délire, Maurice Thorez. Pour obtenir une proportion analogue sur le sol métropolitain, il faudrait supposer qu’il [y] ait 4 millions d’ennemis en France. Or il n’y a même pas une dizaine de ces effectifs, à peine compte-t-on 200.000 boches en France ».

La classe ouvrière ne connaît pas des « boches » : son premier allié dans la lutte contre les brigands hitlériens, ce sont les travailleurs allemands en uniformes. A l'hystérie chauvine, la classe ouvrière oppose la fraternisation avec les travailleurs de tous les pays. C'est lorsqu'on trahit la classe ouvrière qu'on découvre les boches et la patrie. « Il était courant, écrit perfidement Benoit Frachon, de présenter la classe ouvrière comme insensible à l’idée de Patrie... Le patriotisme de la classe ouvrière est pur comme son courage ... aucun égoïsme ne vient ternir le sentiment qu'elle a de la Patrie. »

Les faussaires et les traîtres renient ainsi la devise du mouvement ouvrier qui est celle lancée par le Manifeste Communiste de Karl Marx : « Les prolétaires n’ont pas de patrie ».

De la reconnaissance du sentiment patriotique, les chauvins passent à la justification de la guerre impérialiste d'aujourd’hui et par la même occasion, de celle de 14 : « Par milliers, les jeunes gens, écrit Raymond Guyot, manifestèrent dans les rues de leurs villages et de leurs villes, drapeau tricolore déployé et tambours battants, allant déposer des gerbes tricolores devant les monuments aux morts, ces monuments portant les noms de leurs pères tombés en héros, pour que le même prussien ne passe pas ».

Là les faussaires et les traîtres sont pris sur le fait : on a beau tromper et falsifier la doctrine révolutionnaire, on a beau tronquer et mutiler la pensée de Lénine, on ne pourra arracher de la mémoire de l'avant-garde les pages de « Contre le courant » écrites par Lénine pendant la guerre impérialiste de 14 : « La politique réelle ces héros social-chauvins de LONDRES et de VIENNE, écrit Lénine en 1916, consiste à justifier la participation à la guerre impérialiste à justifier le massacre des ouvriers allemands par les ouvriers français et vice-versa, pour qu’une bourgeoisie nationale prenne finalement l'hégémonie dans le pillage des autres pays ».

Et voilà le vrai langage internationaliste, celui qui se détourne avec dégoût du langage des chauvins « anti-boches » :

« Vous autres bourgeois, vous guerroyez pour des buts de spoliation ; nous autres, OUVRIERS DE TOUTES LES NATIONS BELLIGERANTES, nous vous déclarons la guerre pour le socialisme ».

Mais les « Cahiers du Communisme » se sont détournés de Lénine et ne sont devenus qu'un cloaque du chauvinisme français, qui se cache sous une enseigne grossièrement barbouillée : « L’exemple de Jeanne d’Arc, écrit le chauvin Guyot, qui à 17ans prit l’épée pour bouter l'envahisseur hors du sol national, enflamme toute la jeune génération. La grandiose bataille est commencée. Tout pour la gagner ! ».

Le Parti (ex) Communiste a renié avec l’internationalisme prolétarien, toute lutte véritable contre l'impérialisme, et est devenu son laquais auquel seuls les Galiffets d’Alger, les généraux de Gaulle et Giraud, peuvent encore « rendre hommage » [1], comme l'impriment avec fierté ces mêmes Cahiers, à l'endroit, où autrefois, figurait la devise : [«] Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! »

[1] L'éditorial des Cahiers du Communisme intitulé "Notre politique" s'ouvre sur une citation du général de Gaulle : « Les communistes jouent un rôle énorme dans la Résistance. Ils s'opposent à l'ennemi avec un dynamisme auquel il me plait de rendre hommage. »

Un autre exemple, une "Lettre à un ouvrier communiste" publiée dans le numéro spécial de La Vérité du 30 juillet 1943.

Dans cette lettre, les trotskystes justifient leur démarche en ces termes :

"Nous ne voulons pas te débaucher, te dresser contre ton organisation, ou contre tes chefs, mais seulement travailler avec toi. De cela tu ressens certainement autant le besoin que nous. Tu sais combien peu nombreux sont les vrais militants. Tu sais combien faibles sont les cadres. Alors, nous te proposons de commencer à travailler ensemble tout de suite. La confiance dans les uns et les autres elle viendra en marchant. Celui qui fera la meilleure besogne sera aussi celui qui aura le droit de parler."

(Source : https://www.cermtri.com/system/files/Adherents/V1943_sp%C3%A9cial_30_juillet_0.pdf)

Ils dénoncent ensuite l'action du PCF et notamment son choix de la lutte armée :

"Dans ton parti, tu te heurtent à de graves difficultés de travail parce que les militants ne sont pas toujours nombreux, que la répression a frappé très dur, et qu'elle continue de décimer tes rangs, parce qu'aussi beaucoup d'ouvriers restent encore à l'écart, n'ayant pas encore assez confiance ni assez d'espoir pour reprendre la lutte. Aussi lorsque ta direction exige encore que plusieurs membre de ta cellule ou de ta région quittent le parti pour aller dans les groupes militaires des francs-tireurs, tu n'es pas d'accord.

Tu n'est pas d'accord, d'abord, parce que tu sais bien que si ces copains s'en vont, cela va paralyser dans ton quartier, dans ta localité, le travail du Parti, et que tu as le sentiment que c'est le travail du parti qui est le plus urgent dans le moment présent. Tu n'es pas d'accord ensuite parce que tu ne vois pas où mène toute cette action terroriste et ce qu'elle peut produire de bien pour les ouvriers français. Non parce que tu es lâche, non parce que qu'on pourra tout résoudre sans se battre, non parce que tu es un mauvais communiste, mais parce qu'étant tous les jours dans ton usine au contact avec tes copains ouvriers, tu sais bien qu'ils ne sont encore prêts à entreprendre une lutte militaire. Et puis parce que tous ces discours, tous ces tracts, tous ces articles sur la France, sur l'indépendance de la France, sur la lutte contre les "boches", ça te gêne ; en gros, cette propagande ne te dit rien qui vaille. Elle ressemble trop à ce que les bourgeois ont toujours dit pour duper les ouvriers et les amener à se battre pour le plus grand profit des privilégiés. En somme, cette affaire-là ne colle pas. Tu veux bien croire qu'il y a une manœuvre derrière tout cela, des combinaisons, et que tes chefs sont plus au courant que toi : ça ne fait rien, tu ne te laisses pas prendre sans résistance.

Tu t'aperçois par ailleurs que si les milices de ceci ou les milices de cela, de Vichy et des collaborateurs, ce n'est pas grand chose, l'armée allemande, par contre, c'est quelque chose de sérieux capable de ruiner dans le sang un soulèvement ouvrier. Alors tu comprends qu'il faut travailler les ouvriers en uniforme, qu'il faut les amener à ne pas tirer sur tes camarades et sur toi-même. Mais comment t'y prendre ? Tu constates avec inquiétude que dans les tracts de ton parti on ne parle d'eux qu'avec le plus grand mépris, qu'on fait de n'importe quel Allemand un nazi, qu'en conséquence on les menace de tous les châtiments. Tu te rends compte que ce n'est pas là le bon moyen de travailler le moral des soldats allemands. Si tu étais à leur place et que tu lises de telles affirmations, même fatigué, même mécontent, même opposé au régime, verrais-tu d'autre solution que de continuer à te battre pour éviter le sort dont on te menace ?"

(Source : https://www.cermtri.com/system/files/Adherents/V1943_sp%C3%A9cial_30_juillet_0.pdf)

Enfin, les bolchéviks-léninistes formulent un programme d'actions en commun dans lequel ils plaident pour "la collaboration" avec les soldats allemands :

"3) S'adresser en commun aux ouvriers allemands en uniforme qui occupent le pays. Expliquer aux ouvriers français qu'on ne peut rien faire sans leur collaboration. Que pour obtenir cette collaboration, il faut d'abord les convaincre des bonnes intentions des ouvriers français à leur égard. Il faut réaliser dans les faits la collaboration ouvrière franco-allemande contre la bourgeoisie franco-allemande. Pour cela, il faut leur expliquer quelle paix nous voulons. Que nous ne voulons pas l'écrasement des ouvriers allemands. Que nous voulons au contraire que l'Allemagne ouvrière vive dans le cadre d'une Europe socialiste."

(Source : https://www.cermtri.com/system/files/Adherents/V1943_sp%C3%A9cial_30_juillet_0.pdf)

Au vu de ce qui précède, on soulignera la terrible et cruelle tragédie qu'ont vécu tous ces trotskystes français qui étaient animés par le désir sincère de préserver la vie des nazis et qui ont été fusillés par... les Allemands en représailles des actions meurtrières menées par... les Résistants communistes contre... "les travailleurs allemands en uniformes".


Trotskysme et fanatisme

Avec un article tiré de La Vérité du 15 octobre 1943, on pourra illustrer le fanatisme des trotskystes français pour lesquels la réalité n'existait pas dans la mesure où elle était totalement subordonnée à leur idéologie : le marxisme-léninisme.

Dans "La Gestapo pourchasse nos militants", l'organe du POI affirme que la répression menée par la Gestapo contre les militants trotskystes et leur propagande de fraternisation prouve que cette politique de fraternisation ébranle l'édifice nazi et qu'elle est donc préférable à la lutte armée qui est jugée inefficace !!! :

Devant notre propagande de fraternisation

LA GESTAPO POURCHASSE NOS MILITANTS

Depuis 15 jours, la Gestapo est sur les dents. Essayant de parer au coup mortel que notre propagande de fraternisation porte au régime nazi, elle pourchasse nos militants, aidée en cela par les rapports de la Préfecture.
Dans son aveuglement, la Gestapo recherche et arrête également de prétendus trotskystes, anciens militants politiques ou syndicaux, et qui avaient cessé depuis la guerre toute activité réelle. Tous ceux qui, de près ou de loin, nous ont approchés sont visés. Tous doivent se tenir sur leurs gardes.
Quant à nous, rien ne nous arrêtera, ni les provocations policières et les tortures qui nous sont promises.
Nous savons qu'en tendant la main à l'ouvrier allemand sous l'uniforme, nous frappons l'hitlérisme avec plus d'efficacité que ne sauraient le faire des assassinats terroristes. Que la Gestapo s'en aperçoive - un peu tard - n'est pour nous qu'une raison de plus de persévérer.

Les trotskystes français étaient donc persuadés que le recrutement de quelques soldats allemands, convaincus par leurs discours célébrant la collaboration ouvrière franco-allemande, allait ébranler la machine de guerre nazie qui, à titre de comparaison, perdait mensuellement près de 60 000 hommes sur le front de l'Est. Fondée sur le marxisme-léninisme, cette croyance témoigne d'un degré de fanatisme qui ne sera jamais égalé.