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Pacte germano-soviétique du 23 août 1939 (2/2)

[Pacte germano-soviétique du 23 août 1939 (2/2)]


Partie X

Procès de Nuremberg

Institué par un accord du 8 août 1945 entre les Etats-Unis, l'URSS, l'Angleterre et la France, le Tribunal Militaire International de Nuremberg a jugé du 20 novembre 1945 au 1er octobre 1946 vingt-deux dignitaires du IIIe Reich et six organisations nazies accusés de complot, crimes contre la paix, crimes de guerre et crimes contre l'Humanité.

Conséquence inattendue de ce procès, il a permis de révéler... l'existence et le contenu du Protocole secret qui avait été signé à Moscou le 23 août 1939 en complément du Pacte germano-soviétique.

Ces révélations ont été faites par Friedrich Gaus dans un affidavit en date du 15 mars 1946. Elles ont été confirmées par les déclarations de Margaret Blank, Joachim Ribbentrop et Ernst Weizsäcker aux audiences du 28 mars pour le premier, 1er avril pour le second et 21 mai pour le dernier.

C'est à la demande de l'avocat de Rudolf Hess et en dépit des objections répétées du Procureur général soviétique que cet affidavit a été admis comme preuve par le Tribunal.

Ce document devait permettre au Dr Seidl de montrer que l'Allemagne et l'URSS avaient agi de concert en Pologne.

Sur la base de ce constat, il entendait contester l'un des chefs d'accusation visant son client à savoir l'agression de la Pologne en posant l'alternative suivante : soit les interventions allemande et soviétique en Pologne étaient criminelles et dans ce cas l'URSS devait aussi être jugée, soit ces interventions ne l'étaient pas et dans ce cas ce chef d'accusation devait être abandonné.

En revanche la requête de l'avocat portant sur le texte du Protocole secret - preuve irréfutable de la collusion germano-soviétique - a été rejeté par le Tribunal avec comme motifs officiels que ce document ne présentait aucun intérêt pour la défense de Hess et que l'absence délibérée d'indication quant à sa provenance jetait le doute sur son authenticité.

Dernier élément, soumise à la censure préalable du Tribunal, la plaidoirie que le Dr Seidl a prononcé le 25 juillet en faveur de l'acquittement de son client a été expurgée d'un passage dans lequel le Protocole secret était mis en avant pour questionner la compétence d'une Cour qui comptait parmi ses membres un magistrat soviétique.


Affidavit de Friedrich Gaus

 Chef du Département juridique du ministère des Affaires étrangères allemand, Friedrich Gaus a participé aux négociations de Moscou d'août 1939 qui ont abouti à la signature d'un accord politique entre l'Allemagne et l'URSS.

Le 15 mars 1946, à la demande du Dr Seidl qui assure la défense de Rudolph Hess devant le Tribunal Militaire International de Nuremberg, il rédige un affidavit dans lequel il décrit les préparatifs ainsi que le déroulé de ces négociations.

Dans cette déclaration sous serment, il révèle qu'un Protocole secret organisant les zones d'intérêts soviétique et allemande dans les Etats baltes, en Pologne et dans l'Europe du Sud-Est a été signé le 23 août 1939 en complément du Pacte germano-soviétique.

Pour le Dr Seidl, cette révélation permet d'établir que l'URSS et l'Allemagne ont agi de concert en Pologne .

Sur la base de ce constat, il entend contester l'un des chefs d'accusation visant son client à savoir l'agression de la Pologne en posant l'alternative suivante : soit les interventions allemande et soviétique en Pologne étaient criminelles et dans ce cas l'URSS doit aussi être jugée, soit ces interventions ne l'étaient pas et dans ce cas ce chef d'accusation doit être abandonné.

Pour présenter ce moyen de défense l'avocat de Hess doit tout d'abord obtenir de la Cour que l'affidavit de Gaus soit accepté comme preuve.

C'est l'objet de la requête qu'il va formuler à l'audience du 25 mars 1946 (Document 1). Au cours de cette audience, après avoir décrit le contenu du document, il manifeste son intention d'en lire un extrait suscitant immédiatement une réaction indignée du Procureur général soviétique, le Général Rudenko :

"Monsieur le Président, je ne connaissais pas l'existence de ce document et j'élève une objection formelle contre sa lecture ici. Je souhaiterais que la procédure établie par le Tribunal fût observée par la Défense. Le Ministère Public, quand il présentait ses preuves, remettait toujours des copies des documents aux avocats. L'avocat de l'accusé Hess présente actuellement un document que nous ignorons absolument et le Ministère Public à juste raison aimerait au préalable en prendre connaissance. Je ne sais à quels secrets ou à quels accords secrets se réfère l'avocat et sur quels faits il fonde sa déclaration. Je voudrais pour le moins les déclarer dénués de tout fondement. C'est pourquoi je demande au Tribunal de ne pas autoriser la lecture de ce document."

Décision du Président : le débat sur l'admissibilité de l'affidavit est reporté. Le Dr Seidl est invité à fournir une traduction aux procureurs des quatre pays composant le Ministère public ou à solliciter les services du Tribunal qui se chargeront de cette tâche.

Se conformant à ces prescriptions, il remet plusieurs copies de l'affidavit au lieutenant Albert Schrader qui dirige le Centre d'information des accusés.

Le lendemain, aux audiences du matin (Document 2) et de l'après-midi (Document 3), il interroge le Tribunal pour savoir s'il a reçu les traductions. Réponse négative.

L'audience du 28 mars (Document 4) est marquée par les déclarations de l'ancienne secrétaire de Joachim Ribbentrop, Margaret Blank, et un débat sur l'affidavit de Gaus.

A la question de l'avocat de Ribbentrop, le Dr Horn, lui demandant, si elle savait qu'à Moscou on avait conclu autre chose qu'un Pacte de non-agression, Margaret Blank répond : " Oui, il y eut également un pacte secret".

A ces paroles, le Général Rudenko intervient pour discréditer le témoin avec un argument misogyne :

"Messieurs, il me semble que le témoin, cité en sa qualité de secrétaire de l'ancien ministre des Affaires étrangères du Reich, von Ribbentrop, ne peut témoigner que sur la personnalité de l'accusé, son genre de vie, son caractère, etc. Mais ce témoin est absolument incompétent en matière de politique étrangère, d'accords, etc. C'est pourquoi je considère que cette question est absolument inadmissible et je demande qu'elle soit retirée."

Le Président fait alors remarquer que la question posée porte sur le Protocole secret évoqué dans l'affidavit de Gaus qu'il attribue à une initiative du Dr Horn avant de se corriger. Il ajoute qu'à ce sujet il a été décidé à la demande du Procureur général soviétique qu'en attendant l'examen de l'affidavit on ne ferait pas référence à cet accord dans les débats.

Sur ce constat il demande au Dr Seidl s'il a en sa possession le texte du Protocole. Réponse négative de l'avocat de Hess qui fait toutefois remarquer que les deux originaux sont à Moscou, avec comme argument que l'URSS a déclaré qu'elle avait saisi les archives de la Wilhelmstrasse, et qu'il serait donc pertinent de solliciter... le gouvernement soviétique :

"Monsieur le Président, il n'existe que deux copies de cet accord. Le premier exemplaire est resté à Moscou le 23 août 1939 ; l'autre a été apporté à Berlin par Ribbentrop. Suivant un communiqué publié dans la presse, toutes les archives des Affaires étrangères ont été saisies par les troupes de l'Union Soviétique. Je demande donc que l'on propose au Gouvernement soviétique ou à la délégation soviétique de soumettre au Tribunal l'original de ce traité."

Nouvelle intervention du Ministère public soviétique qui déclare que seul un Pacte de non-agression a été signé le 23 août 1939 avant de demander une nouvelle fois le rejet de la requête déposée par le Dr Seidl et aussi celui de la question posée par le Dr Horn en soulignant que toute déclaration relative à un Protocole secret ne pourrait être considérée que comme un "acte de provocation" :

"Monsieur le Président, je voudrais donner l'explication suivante : je puis renvoyer maître Seidl à la presse qui a publié ce Pacte germano-russe de non-agression du 23 août 1939, quand il déclare que le texte en a été saisi par l'Armée soviétique au moment où elle s'est emparée des archives du ministère des Affaires étrangères. C'est de notoriété publique.
En ce qui concerne les autres accords, le Ministère Public soviétique estime que la requête du Dr Seidl, aux fins de mention au procès-verbal de l'affidavit du Dr Gaus, doit être rejetée pour les raisons suivantes: le témoignage du Dr Gaus sur ce pacte et sur les pourparlers précédant immédiatement la conclusion du pacte germano-soviétique de 1939 n'est pas pertinent. La présentation de telles déclarations qui, d'ailleurs, jettent une lumière absolument fausse sur les événements, ne pourrait être considérée que comme un acte de provocation. C'est confirmé clairement par le fait que Ribbentrop lui-même a refusé ce témoin alors que ses déclarations portent sur l'activité de Ribbentrop, tandis que l'avocat de Hess a accepté cet affidavit et a demandé qu'il figurât au procès-verbal, bien qu'il n'ait aucun rapport avec l'activité de Hess.
C'est pour ces motifs que je prie le Tribunal de rejeter la requête présentée par maître Seidl et de considérer la question posée par maître Horn comme étrangère aux faits qui retiennent actuellement notre attention."

Les débats étant centrés sur le témoignage de Margaret Blank, le Tribunal se retire pour délibérer uniquement sur l'objection visant le Dr Horn. A la reprise, l'avocat de Ribbentrop est autorisé à poursuivre son interrogatoire.

Concernant le Protocole spécial, il pose deux questions supplémentaires. Première question : comment a-t-elle pris connaissance de la conclusion de cet accord secret ? Réponse :

"Pour des raisons de santé, je n'ai pu accompagner M. von Ribbentrop lors de ses deux voyages en Russie. J'étais absente également lors des travaux préparatoires de ces deux traités. J'ai appris l'existence de l'accord secret par enveloppe spécialement cachetée qui, suivant les instructions, était classée séparément et qui portait la mention : « Accord germano-russe supplémentaire ou secret »."

Seconde question : était-elle responsable de la conservation des documents secrets ? Réponse en un mot : "Oui".

Si l'ancienne secrétaire de Ribbentrop apporte un témoignage crédible concernant l'existence d'un Protocole secret. Elle n'apporte aucun élément quant à son contenu.

C'est sur la base de ce constat, qu'à la fin de son interrogatoire, le Dr Seidl interviendra pour souligner l'importance de l'affidavit de Gaus et demander au Tribunal de statuer sur son admissibilité. Ce débat sera encore reporté au motif que le Ministère public n'a toujours pas reçu les traductions de ce document.

Au final c'est à l'audience du 1er avril, au cours du contre-interrogatoire de l'accusé Ribbentrop, que l'affidavit de Gaus sera admis comme preuve quand le Dr Seidl sera autorisé par le Tribunal à en lire un extrait malgré une ferme protestation de Rudenko.

Daté du 15 mars 1946, numéroté Ru/III, l'affidavit de Gaus sera enregistré par le Tribunal Militaire Internationale de Nuremberg sous la référence Hess-16.

Il sera intégralement publié en 1948 dans Nazi Conspiracy and Aggression, Supplément B avec le Protocole secret du 23 août 1939 (Document 5). Une note justifiera leur publication en soulignant leur importance sur le plan historique et en précisant que le premier document a été admis par le Tribunal Militaire Internationale et le second rejeté.


Déclarations de Joachim Ribbentrop

A l'audience du 1er avril 1946 (Document 6), le Dr Seidl a la possibilité d'interroger l'accusé Ribbentrop.

Après avoir obtenu la confirmation que Gaus a participé aux négociations de Moscou d'août 1939 et rédigé les projets des accords qui ont été conclus, il annonce son intention de lire un extrait de son affidavit.

Sans surprise le Général Rudenko manifeste son opposition en arguant que l'action du Dr Seidl ne vise qu'à détourner le Tribunal de sa mission à savoir "faire le procès des grands criminels de guerre" :

"Je ne sais, Monsieur le Président, quel rapport ont ces questions avec l'accusé Hess ou avec l'accusé Frank que défend le Dr Seidl. Je ne veux pas discuter le sens de cet affidavit car je n'y attache aucune importance. Je voudrais simplement attirer l'attention du Tribunal sur le fait que nous ne nous occupons pas de l'examen des questions qui se rapportent à la politique des pays alliés, mais que nous faisons le procès des grands criminels de guerre. Des questions de ce genre de la part de la Défense ne constituent que des tentatives pour distraire le Tribunal des questions qui doivent être examinées dans ce Procès. Je voudrais vous demander de mettre un terme à ces questions car elles ne nous concernent pas."

Le Tribunal délibère sur le siège et prend la décision de permettre la lecture de ce document.

Après avoir lu le paragraphe 3 du document, le Dr Seidl demande notamment si le 23 août 1939, l'Allemagne et l'URSS ont conclu un accord réglant la question de la Pologne.

Réponse affirmative de l'ancien ministre des Affaires étrangères du Reich qui en tire la conclusion évidente que l'URSS est aussi coupable que l'Allemagne dans l'agression de la Pologne :

"Oui, c'est exact. La crise germano-polonaise était déjà sérieuse, et, naturellement, cette question fut discutée. Je tiens à préciser, ici, qu'il ne faisait aucun doute, dans l'esprit du Führer comme dans celui de Staline, que si les négociations avec la Pologne échouaient, les régions qui avaient été arrachées par la force des armes à nos deux Puissances, pouvaient bien être reprises par la même méthode. C'est ainsi qu'après la victoire, les régions de l'Est furent occupées par les troupes soviétiques et les régions de l'Ouest par les troupes allemandes. Cela ne fait aucun doute que Staline, pour cette raison, ne pourra jamais faire à l'Allemagne le reproche d'une agression ou d'une guerre d'agression pour son action en Pologne. Si l'on parle ici d'agression, alors les deux pays sont coupables."


Texte du Protocole secret

A l'audience du 17 avril 1946 (Document 7), le procureur britannique, Sir David Maxwell-Fyfe, demande au Tribunal de rejeter trois requêtes qui ont été déposées dans les jours précédents par le Dr Seidl et qui sont toutes en relation avec le Protocole secret du 23 août 1939. 

La première demandait la comparution de Hilger. La seconde celle de Weizsäcker. La troisième sollicitait l'intervention du Tribunal pour obtenir du gouvernement soviétique le texte de cet accord confidentiel.

Après ce réquisitoire, le Dr Seidl intervient pour justifier la venue de ces deux témoins, rappeler qu'il a aussi demandé la comparution de Gaus et enfin indiquer que la 3e requête n'a plus d'intérêt car il a en sa possession une copie du Protocole secret et un affidavit de Gaus en date du 1er avril 1946 attestant de son authenticité. 

A ce moment du débat, le Ministère public soviétique s'exprime par la voix du colonel Fokrovsky pour indiquer qu'il a manifesté son opposition aux demandes formulées par le défense dans un écrit du Général Rudenko transmis au Tribunal et qu'il n'a rien d'autre à ajouter.

Le Dr Seidl reprend la parole pour demander au Tribunal de statuer aussi sur ses requêtes des 13 et 15 avril. 

La première portait sur la comparution de Gaus. La seconde demandait l'enregistrement sous la référence Hess-17 d'une annexe comprenant ces cinq documents :

1. Le Pacte de non-agression germano-soviétique du 23 août 1939 qui présente la particularité d'avoir été versé à la procédure à la demande du Ministère public britannique sous le numéro GB-145;
2. Le Protocole secret du 23 août 1939;
3. Le Traité d'amitié et de frontières germano-soviétique du 28 septembre 1939;
4. Le Protocole secret du 28 septembre 1939 modifiant celui du 23 août;
5. L'affidavit de Gaus du 1er avril 1946.

Figure parmi ces documents les textes des Protocoles secret d'août et de septembre 1939 qui prouvent la collusion germano-soviétique dans l'agression de la Pologne.

Ces deux requêtes seront évoquées à l'audience du 11 mai (Document 8) : le Ministère public britannique demandera au Tribunal de les rejeter. Pour justifier son opposition à la venue de Gaus, il  mettra en avant que son témoignage sur le Protocole secret était déjà contenu dans son affidavit. Quant aux pièces mentionnées, il s'opposera à leur admissibilité en arguant que "ces documents ne sont pas pertinents pour la défense de Hess". 

Le 14 mai, le Tribunal fait connaître sa décision sur plusieurs requêtes déposés par les avocats des accusés dont celle de Seidl du 15 avril  :

"La requête suivante était une demande de cinq documents au nom de l'accusé Hess. Le Tribunal a pris la décision suivante : deux des documents demandés, les documents B et D de la requête du Dr Seidl, ont déjà été publiés dans le Reichsgesetzblatt. L'un de ces documents a déjà été déposé. Ils sont, par conséquent, admis. 
Le Tribunal considère que les documents cités dans la requête du Dr Seidl sous les références C et E sont insuffisants et n'ont pas de valeur probante. Étant donné qu'il ne semble pas, d'après les commentaires donnés dans la requête du Dr Seidl, que les copies en question soient réellement des copies des documents originaux, cette requête est rejetée pour cette partie. Mais le Dr Seidl est autorisé à produire un autre affidavit de Gaus où celui-ci donnera le contenu de cet accord d'après ses souvenirs." (1)

Au vu de cette décision, le Pacte d'août 1939 et le Traité de septembre 1939 sont admis comme preuves de la défense. L'authenticité des deux documents est attestée par leur publication au Reichsgesetzblatt, le Journal officiel allemand. Autre argument, le Pacte a été admis comme preuve de l'accusation.

En revanche, les deux Protocoles secrets sont rejetés au motif qu'ils ne présentent aucun intérêt pour la défense de Hess et que l'absence délibérée de toute indication quant à leur provenance jette le doute sur leur authenticité.

Enfin, on laisse la possibilité au Dr Seidl de produire un nouvel affidavit de Gaus décrivant le contenu de ces deux accords.

(1) Procès des grands criminels de guerre devant le tribunal militaire international, Nuremberg, 20 novembre 1945 - 1er octobre 1946, Tome XIII, Nuremberg, 1947, p. 539.


Témoignage de Weizsäcker

Le 21 mai 1946 (Document 9), le Baron Ernst von Weizsäcker est appelé à témoigner devant le Tribunal Militaire Internationale à la demande du Dr Siemers, avocat de Erich Raeder.

La présence à la barre des témoins de l'ancien Secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères offre l'opportunité au Dr Seidl de l'interroger sur le Protocole secret.

Il commence par lui demander si les négociations de Moscou d'août 1939 ont abouti à d'autres accords que celui portant sur un Pacte de non-agression. Réponse... du Général Rudenko :

"Monsieur le Président, le témoin a été cité pour répondre à des questions précises, à la demande du Dr Siemers. A mon avis, la question posée maintenant par le Dr Seidl n'a rien à voir avec le cas que nous examinons, et c'est pourquoi elle devrait être rejetée."

Le Président ne tient pas compte de cette intervention et invite le témoin à répondre. Sa Réponse : "oui".

Après avoir eu confirmation du témoin que cet accord avait pris la forme d'un Protocole secret, le Dr Seidl indique son intention de lui demander si son contenu correspond au texte qu'il a entre les mains.

Etonnement du Président qui demande si c'est bien le texte qui a été rejeté par le tribunal. Réponse positive de l'avocat.

En réaction à cette tentative d'introduire dans les débats le texte du Protocole secret, le Procureur général soviétique prend la parole pour rappeler le rôle du Tribunal - juger "des Grands criminels de guerre" - et contester l'authenticité de ce document :

"Messieurs, je proteste contre cette question pour deux raisons: premièrement, nous nous occupons ici du cas des Grands Criminels de guerre, et non de la politique étrangère d'autres États. Deuxièmement, le document que le Dr Seidl essaye de présenter au témoin a déjà été rejeté par le Tribunal parce qu'il est à proprement parler, apocryphe, et qu'il n'a par conséquent aucune valeur probante."

Au terme de son échange avec le Président, le Dr Seidl est autorisé à demander au témoin s'il se souvient des termes de l'accord conclu à la condition de ne pas faire usage du texte qu'il a dans les mains.

Questionné, Weizsäcker décrit de mémoire le contenu du Protocole secret d'août 1939 et les négociations de septembre 1939 qui l'ont modifié :

"Il s'agissait d'un additif secret radical et d'une très grande portée, annexé au Pacte de non-agression, qui avait été alors conclu. La portée de ce document était considérable parce qu'il concernait le partage des zones d'influence et qu'il comportait le tracé d'une frontière entre les territoires qui, le cas échéant, devaient revenir à l'Union Soviétique, et ceux qui, dans ce cas, devaient revenir à la zone d'influence allemande. A la zone d'influence russe devaient échoir la Finlande, l'Estonie, la Lettonie, une partie orientale de la Pologne et, d'après mes souvenirs, des dispositions avaient été également prises à l'endroit de certains territoires roumains. Tout ce qui se trouvait à l'Ouest des territoires mentionnés devait appartenir à la zone d'influence allemande.
Cette convention secrète, il est vrai, n'a pas été maintenue sous cette forme. Plus tard, en septembre ou en octobre de la même année, elle subit une certaine modification, un amendement fut apporté à l'accord primordial, et la différence essentielle entre les deux documents, selon mes souvenirs, consistait en ce que la Lituanie, ou du moins la plus grande partie de la Lituanie, était attribuée à la sphère d'influence soviétique, tandis que, inversement, en territoire polonais, la ligne de démarcation entre les deux zones d'influence était notablement déplacée vers l'Ouest.
Je crois avoir ainsi donné le contenu essentiel de la convention secrète et de l'additif ultérieur."

L'interrogatoire de Weizsäcker se termine par deux questions du Présidentt. La première : a-t-il a vu l'original du Protocole secret ? Réponse positive. La seconde : est-il en mesure d'en reconnaître le texte si on lui présente celui que le Dr Seidl voulait lui soumettre ?  Nouvelle réponse positive.

Le Tribunal se retire alors pour délibérer. A son retour il annonce une décision décevante pour la défense :

"Le Tribunal a délibéré sur le point de savoir si le document en possession du Dr Seidl doit être présenté au témoin. Attendu que le contenu de ce document original a été rapporté par ce témoin et par d'autres, et attendu que l'origine du document qui se trouve entre les mains du Dr Seidl est inconnue, le Tribunal a décidé de ne pas soumettre ce document au témoin."


Plaidoiries censurées

Le 5 juillet 1946, le Dr Seidl est invité à prononcer sa plaidoirie en faveur de l'accusé Hess.

Evoquant dès le début de son intervention le Traité de Versailles avec l'objectif de montrer que ce "diktat de paix" (1) porte la responsabilité de l'accession des nazis au pouvoir, il est rapidement interrompu par le Président.

Comme à de précédentes audiences, le magistat lui rappelle que le Tribunal ne veut pas l'entendre sur la question du Traité de Versailles pour savoir s'il était injuste ou illégale et lui demande en conséquence de ne plus évoquer le sujet.

Même en supprimant des passages de sa plaidoirie, le Dr Seidl continue de mentionner le Traité de Versailles provoquant à chaque fois un avertissements du Président.

Au final, ce dernier lui retire la parole en déclarant :

"Docteur Seidl, comme vous ne semblez pas capable de refaire votre plaidoirie au fur et à mesure que vous la prononcez afin de satisfaire aux exigences du Tribunal, le Tribunal vous retire la parole et abordera le cas de l'accusé suivant. Vous aurez l'occasion de refaire votre plaidoirie et, avant de la présenter ici, vous la ferez traduire. Le Tribunal ne veut pas vous entendre à l'heure actuelle parce que vous vous occupez de questions sans importance. Si elles étaient d'une quelconque utilité pour les accusations portées contre l'accusé, nous les entendrions. Mais, selon l'avis du Tribunal, elles ne sont aucunement pertinentes pour les accusations portées contre votre client et le Tribunal ne veut pas vous entendre en ce moment. La justice et l'injustice du Traité de Versailles n'ont rien à voir avec les guerres d'agression allemandes. Cela n'a rien à voir avec les crimes de guerre reprochés aux accusés; ce n'est donc pas pertinent et nous nous proposons de ne pas vous entendre maintenant. Comme vous n'êtes pas présentement en mesure de refaire votre plaidoirie, toute facilité vous sera donnée pour la reprendre. Après quoi, vous la soumettrez à la traduction et nous la lirez." (2)

Le Dr Seidl pourra exposer sa défense de Hess à l'audience du 25 juillet.

Entre temps, conformément à une règle qu'il n'avait pas respectée précédemment, il aura remis une traduction de sa plaidoirie au Tribunal qui pourra ainsi par avance censurer les passages jugés inopportuns.

Un des passages supprimés concernera le Protocole secret du 23 août 1939.

Au cours de sa plaidoirie, le Dr Seidl soulignera ce fait en mentionnant la censure, le nombre de pages visées et le motif :

"Je vais omettre les constatations décisives qui suivent, parce qu'elles traitent des conséquences du pacte secret germano-soviétique du 23 août 1939 sur la compétence du Tribunal. Il appartient au Tribunal d'examiner d'office dans quelle mesure il peut se considérer comme compétent à propos de ce pacte secret. Je continue à la page 63.
Monsieur le Président, je me trouve dans une situation difficile, parce que, en abandonnant mes explications des pages 59 à 62, l'exposé du contenu du protocole secret germano-soviétique de 1939 pourrait être, de ce fait, mal compris dans ses conclusions juridiques. C'est pourquoi je prie le Tribunal de décider."

LE PRÉSIDENT. - Le Tribunal a examiné ce point avec attention et estime qu'il n'y a pas lieu de revenir là-dessus." (3)

Pour l'avocat de Hess, la question de la compétence du Tribunal était légitime en raison de la présence d'un magistrat soviétique et se posait en ces termes : peut-on être juge d'un crime quand on en est le complice ?

On ne connaîtra jamais la réponse...



Document 1 : Audience du lundi 25 mars 1946 (matin) / 90e jour.

"[Dr SEIDL. —] Messieurs, l'accusé Rudolf Hess est inculpé dans l'Acte d'accusation d'avoir favorisé la prise du pouvoir par les nazis, d'avoir poursuivi la préparation de la guerre du point de vue militaire, économique et psychologique, tel qu'il est indiqué au chef d'accusation n° 1 ; d'avoir pris part à l'élaboration des plans politiques et à la préparation des guerres d'agression et de guerre en violation des traités internationaux, des accords et des promesses, ainsi qu'il est précisé aux chefs d'accusation n° 1 et 2 ; d'avoir participé à la préparation et à l'élaboration des plans de politique étrangère des membres du complot nazi, indiqués dans le chef d'accusation n° 1.

C'est autour de cette accusation que se greffe l'ensemble des charges imputées à Rudolf Hess. Il est donc de mon devoir, dans la procédure en cours, de me référer brièvement aux circonstances qui, en 1939, amenèrent le déclenchement des hostilités. Voici ce que je voudrais dire: le 23 août 1939, à Moscou, entre l'Allemagne et l'Union des Républiques Socialistes Soviétiques, fut conclu un pacte de non-agression. Ce pacte a déjà été produit par le Ministère Public sous le n° GB-145. Le même jour, mais une semaine seulement avant le début des hostilités et trois jours avant l'invasion de la Pologne qui avait été prévue, un accord secret fut conclu entre ces deux pays. Cet accord secret contenait essentiellement la détermination des zones d'influence des deux États dans le territoire européen qui se trouvait entre l'Allemagne et la Russie.

LE PRÉSIDENT. — Docteur Seidl, vous n'oubliez pas, n'est-ce pas, les prescriptions du Tribunal ? Le moment n'est pas opportun pour faire un discours; vous n'avez que la possibilité de présenter des documents et des requêtes aux fins de citation de vos témoins. Vous pourrez faire votre discours plus tard.

Dr SEIDL. — Oui. Je ne veux pas faire de discours, mais je voudrais exprimer quelques remarques introductives qui concernent un document que je désire présenter au Tribunal. Dans ces documents secrets, l'Allemagne déclarait son intention de se désintéresser de la Lettonie, de la Lituanie, de l'Estonie et de la Finlande.

LE PRÉSIDENT. — Mais, Docteur Seidl, nous n'avons pas encore vu le document. Si vous voulez déposer ce document, déposez-le.

Dr SEIDL. — Oui. Je dépose immédiatement ce document. Il s'agit d'un affidavit de l'ancien ambassadeur, le Dr Friedrich Gaus, qui, en 1939, était chef des services juridiques du ministère des Affaires étrangères et qui, en qualité d'adjoint à l'ancien plénipotentiaire allemand à Moscou, participa aux négociations. Ce fut lui qui rédigea le Pacte de non-agression, qui a déjà été déposé, de même que l'accord secret que je désire maintenant soumettre au Tribunal comme preuve pertinente.

LE PRÉSIDENT. — Bien, voulez-vous présenter ce document ?

Dr SEIDL. — Certainement. Cependant, j'ai l'intention de lire des passages de ce document un peu plus tard.

LE PRÉSIDENT. — Docteur Seidl, le Tribunal ne comprend pas très bien ce que représente ce document, car il n'est pas dans votre livre de documents, et il ne semble pas que vous ayez fait une requête à son sujet, ou que vous vous y soyez reporté. En outre, c'est un document en allemand qui n'est pas traduit.

Dr SEIDL. — Monsieur le Président, lorsque j'ai préparé le livre de documents pour l'accusé Hess, je n'avais pas encore cet affidavit entre les mains. Il date du 15 mars 1946. Au moment de la discussion sur la pertinence de mes demandes de documents, je ne connaissais pas encore le texte en question, ce qui m'a empêché d'adresser une requête dans les formes. Les passages de ce document que je désire lire sont très brefs; il sera possible de les faire traduire ici, dans la salle d'audience, par les interprètes présents.

LE PRÉSIDENT. — Avez-vous un exemplaire pour le Ministère Public ?

Dr SEIDL. — Oui, une copie en allemand.

LE PRÉSIDENT. — Je crains qu'elle ne me soit d'aucune utilité; je ne sais pas s'il en est de même pour tous les membres du Ministère Public. Le Ministère Public a-t-il une objection à faire à la lecture de passages de ce document ?

GÉNÉRAL R. A. RUDENKO (Procureur Général soviétique). — Monsieur le Président, je ne connaissais pas l'existence de ce document et j'élève une objection formelle contre sa lecture ici. Je souhaiterais que la procédure établie par le Tribunal fût observée par la Défense. Le Ministère Public, quand il présentait ses preuves, remettait toujours des copies des documents aux avocats. L'avocat de l'accusé Hess présente actuellement un document que nous ignorons absolument et le Ministère Public à juste raison aimerait au préalable en prendre connaissance. Je ne sais à quels secrets ou à quels accords secrets se réfère l'avocat et sur quels faits il fonde sa déclaration. Je voudrais pour le moins les déclarer dénués de tout fondement. C'est pourquoi je demande au Tribunal de ne pas autoriser la lecture de ce document.

Dr SEIDL. — Monsieur le représentant du Ministère Public de l'Union Soviétique déclare qu'il n'a pas connaissance de l'existence de ce document secret, qui est prouvée par mon affidavit. Dans ces conditions, je me vois obligé de réclamer comme témoin le commissaire aux Affaires étrangères de l'URSS, Molotov, afin d'établir d'abord que cet accord secret fut conclu, en second lieu, quel en fut le contenu, et troisièmement...

LE PRÉSIDENT. — Docteur Seidl, la première chose à faire est d'obtenir les traductions de ce document. Tant que vous ne produirez pas un document traduit, le Tribunal ne pourra vous entendre sur ce point. Nous ne savons pas du tout ce qui figure dans ce document.

Dr SEIDL. — Quant au contenu de ce document, je désirais justement l'expliquer tout à l'heure. Il s'y trouve...

LE PRÉSIDENT. — Nous ne sommes pas prêts à vous entendre sur le contenu de ce document. Nous voulons voir le document lui-même, et le voir en langue anglaise, et aussi en langue russe. Je ne dis pas que vous deviez le faire vous-même, Docteur Seidl. Si vous voulez bien donner cet exemplaire au Ministère Public, celui-ci le fera traduire dans les différentes langues et, à ce moment-là, nous pourrons prendre cette question en considération.

Dr SEIDL. — Oui. Je passerai donc à un autre document contre la lecture duquel il n'y aura pas d'objection, car c'est un document déjà présenté par le Ministère Public."

(Procès des grands criminels de guerre devant le tribunal militaire international, Nuremberg , 24 novembre 1945 - 1er octobre 1946, Tome X, Nuremberg, 1947, p. 13-15)


Document 2 : Audience du mardi 26 mars 1946 (matin) / 91e jour.

"Dr SEIDL.—Monsieur le Président, Messieurs, je ne sais pas si la déposition sous serment de l'ambassadeur Gaus, que j'ai soumis hier, a été traduite et si le Tribunal a déjà reçu ces traductions. Hier à midi, j'ai remis six copies au bureau d'information et je n'en ai plus entendu parler.

LE PRÉSIDENT. — Le Ministère Public pourrait-il donner au Tribunal des précisions à ce sujet ?

SIR DAVID MAXWELL-FYFE. — Le Ministère Public, qui n'a pas eu de copie de cette déposition sous serment, n'en connaît pas le contenu. Je suggère que le Dr Seidl ajourne la lecture de cet affidavit jusqu'à ce que nous ayons eu l'occasion de l'examiner.

LE PRÉSIDENT. — Oui, je crains qu'il ne faille retarder cette lecture.

Dr SEIDL. — Très bien. Je passe maintenant au volume 3 du livre de documents. Plaise au Tribunal. Ce volume 3 du livre de documents contient en substance des déclarations et des citations d'écrits et de discours d'hommes d'État étrangers, de diplomates et d'économistes, se rapportant à l'histoire et à l'origine du Traité de Versailles, à son contenu, aux modifications territoriales apportées par lui, telle que la question du couloir polonais, et surtout aux conséquences économiques désastreuses qu'il a entraînées pour l'Allemagne et le reste du monde."



Document 3 : Audience du 26 mars 1946 (après-midi) / 91e jour.

"LE PRÉSIDENT. — Le Tribunal a décidé que les preuves tendant à établir l'injustice du Traité de Versailles ou son imposition par la force sont inadmissibles et rejette, en conséquence, le livre de documents n° 3 de l'accusé Hess..

Dr SEIDL. — Monsieur le Président, Messieurs les juges, étant donné que le livre de documents n° 3 de l'accusé Hess s'est vu refuser valeur probatoire, j'en ai terminé en ce qui concerne la présentation des documents..

J'en viens maintenant à l'affidavit de l'ambassadeur Gaus, que, j'ai déjà présenté, et je prie le Tribunal de ne pas se prononcer sur l'admissibilité de ce document avant que je n'aie eu l'occasion de présenter des arguments tendant à établir sa pertinence ainsi que celle des clauses secrètes du Traité de Versailles. Je voudrais pourtant signaler que, seul, cet affidavit peut prouver l'existence et le contenu desdites clauses : je n'en lirai donc que des extraits, évitant ainsi d'évoquer des événements historiques antérieurs au Traité.

LE PRÉSIDENT. — Docteur Seidl, nous croyons savoir que cet affidavit est actuellement en cours de traduction et qu'il sera présenté aux différents Ministères Publics ; ceux-ci nous feront alors connaître leur point de vue et nous serons à même de nous prononcer sur son admissibilité; le Ministère Public aura également la possibilité de nous dire s'il veut qu'on fasse venir ici l'ambassadeur pour le soumettre à un contre-interrogatoire.

Dr SEIDL. — Bien..

LE PRÉSIDENT. — Nous devons donc écarter cette question jusqu'à ce que nous recevions les traductions..

Dr SEIDL. — J'avais alors l'intention de faire comparaître l'accusé à la barre des témoins. Conformément à l'opinion qu'il se fait de la compétence de ce Tribunal, il m'a cependant prié de renoncer à cette comparution. Je n'ai donc, sous ce rapport, plus de preuves à présenter."

(Procès des grands criminels de guerre devant le tribunal militaire international, Nuremberg , 24 novembre 1945 - 1er octobre 1946, Tome X, Nuremberg, 1947, p. 99)


Document 4 : Audience du jeudi 28 mars 1946 (matin) / 93e jour.

"Dr HORN. [avocat de Ribbentrop] — Quelles étaient les opinions de Ribbentrop et ses intentions vis-à-vis de la Russie ?

TÉMOIN BLANK. [secrétaire de Ribbentrop] — Les intentions de von Ribbentrop vis-à-vis de la Russie sont exprimées par le Pacte de non-agression et d'amitié conclu au mois d'août 1939 et par l'accord commercial de septembre 1939.

Dr HORN. — Saviez-vous qu'on avait conclu à Moscou autre chose qu'un pacte de non-agression et un accord commercial ?

TÉMOIN BLANK. — Oui, il y eut également un pacte secret.

GÉNÉRAL RUDENKO. [Procureur général soviétique] — Messieurs, il me semble que le témoin, cité en sa qualité de secrétaire de l'ancien ministre des Affaires étrangères du Reich, von Ribbentrop, ne peut témoigner que sur la personnalité de l'accusé, son genre de vie, son caractère, etc. Mais ce témoin est absolument incompétent en matière de politique étrangère, d'accords, etc. C'est pourquoi je considère que cette question est absolument inadmissible et je demande qu'elle soit retirée.

LE PRÉSIDENT. — Docteur Horn, la même question s'est posée au sujet de l'affidavit du Dr Gaus, n'est-ce pas ? Vous avez dit, je crois, que vous deviez produire un affidavit du Dr Gaus sur un accord secret entre... Vous ne me comprenez pas ? Je vous demande pardon, c'est le Dr Seidl qui devait produire un affidavit du Dr Gaus concernant cet accord. C'est exact, n'est-ce pas ?

Dr HORN. — Je crois que oui.

LE PRÉSIDENT. — Le Procureur Général soviétique s'est opposé à ce qu'on se référât à cet accord avant que l'affidavit, au cas où il serait admis, soit examiné. Cet accord est-il écrit ?

Dr HORN. — Non.

LE PRÉSIDENT. — Cet accord entre le Gouvernement soviétique et l'Allemagne n'a pas été rédigé ?

Dr HORN.— Parfaitement, c'est un accord écrit, mais je ne suis pas en possession d'une copie de cet accord ; je prierai donc le Tribunal, au cas où la décision dépendrait de l'affidavit du Dr Gaus, de me permettre de présenter en temps voulu un affidavit de Mademoiselle Blank qui a vu l'original. Votre Honneur accepte-t-il cette proposition ?

LE PRÉSIDENT. — Docteur Seidl, avez-vous une copie de l'accord lui-même ?

Dr SEIDL. — Monsieur le Président, il n'existe que deux copies de cet accord. Le premier exemplaire est resté à Moscou le 23 août 1939 ; l'autre a été apporté à Berlin par Ribbentrop. Suivant un communiqué publié dans la presse, toutes les archives des Affaires étrangères ont été saisies par les troupes de l'Union Soviétique. Je demande donc que l'on propose au Gouvernement soviétique ou à la délégation soviétique de soumettre au Tribunal l'original de ce traité.

LE PRÉSIDENT. — Je vous ai posé une question, Docteur Seidl, je ne vous ai pas demandé une argumentation. Je vous ai demandé si vous aviez à votre disposition une copie de cet accord.

Dr SEIDL. — Je n'ai pas de copie du traité. L'affidavit de l'ambassadeur Gaus donne seulement le contenu de ce traité secret. Il peut le faire parce que c'est lui qui a rédigé le brouillon de ce traité secret. Ce traité a été signé par le commissaire aux Affaires étrangères Molotov et par M. von Ribbentrop exactement dans la forme dans laquelle il avait été rédigé par l'ambassadeur Gaus. C'est tout ce que j'avais à dire.

LE PRÉSIDENT. — Oui, Général Rudenko ?

GÉNÉRAL RUDENKO. — Monsieur le Président, je voudrais donner l'explication suivante : je puis renvoyer maître Seidl à la presse qui a publié ce Pacte germano-russe de non-agression du 23 août 1939, quand il déclare que le texte en a été saisi par l'Armée soviétique au moment où elle s'est emparée des archives du ministère des Affaires étrangères. C'est de notoriété publique.

En ce qui concerne les autres accords, le Ministère Public soviétique estime que la requête du Dr Seidl, aux fins de mention au procès-verbal de l'affidavit du Dr Gaus, doit être rejetée pour les raisons suivantes: le témoignage du Dr Gaus sur ce pacte et sur les pourparlers précédant immédiatement la conclusion du pacte germano-soviétique de 1939 n'est pas pertinent. La présentation de telles déclarations qui, d'ailleurs, jettent une lumière absolument fausse sur les événements, ne pourrait être considérée que comme un acte de provocation. C'est confirmé clairement par le fait que Ribbentrop lui-même a refusé ce témoin alors que ses déclarations portent sur l'activité de Ribbentrop, tandis que l'avocat de Hess a accepté cet affidavit et a demandé qu'il figurât au procès-verbal, bien qu'il n'ait aucun rapport avec l'activité de Hess.

C'est pour ces motifs que je prie le Tribunal de rejeter la requête présentée par maître Seidl et de considérer la question posée par maître Horn comme étrangère aux faits qui retiennent actuellement notre attention.

LE PRÉSIDENT. — Docteur Seidl, voulez-vous dire quelque chose ?

Dr SEIDL. — Puis-je ajouter encore quelques mots ? Les déclarations du Ministère Public soviétique ne nous sont parvenues que partiellement dans la traduction. Je n'ai pas très bien compris si le général Rudenko conteste la signature de ce traité secret ou s'il prétend seulement que le contenu de ce traité n'est pas pertinent. Dans le premier cas, je réitère ma demande de citation à la barre des témoins du commissaire soviétique aux Affaires étrangères Molotov. Dans le second cas, je demande qu'on me donne la possibilité de développer maintenant mes arguments sur la pertinence de ce traité secret.

LE PRÉSIDENT. — Pour l'instant, nous allons considérer l'objection présentée contre la déposition du témoin présent. Nous ne nous occuperons pas de votre question. L'audience est suspendue.

(L'audience est suspendue.) 

LE PRÉSIDENT. — Le Tribunal désire faire remarquer à la Défense qu'on n'a pas fait mention du traité allégué dans la requête relative au témoin qui se trouve actuellement à la barre. Mais, comme le sujet a été soulevé, le Tribunal décide que le témoin peut être interrogé sur ce point.

Dr HORN. — Vous veniez de parler de ce traité secret. Comment avez-vous eu connaissance de la conclusion de ce traité ?

LE PRÉSIDENT. — On me communique que mes paroles ont été mal traduites en russe. Je ne sais pas si elles l'ont été correctement en allemand. En tout cas, j'ai dit que le témoin pouvait être interrogé, et non qu'il ne pouvait pas l'être. C'est bien clair ?

Dr HORN. — Je vous remercie, Monsieur le Président; j'avais bien compris la réponse. (Au témoin.) Puis-je maintenant vous demander, au sujet de cet accord secret, comment vous avez eu connaissance de la conclusion de ce traité ?

TÉMOIN BLANK. — Pour des raisons de santé, je n'ai pu accompagner M. von Ribbentrop lors de ses deux voyages en Russie. J'étais absente également lors des travaux préparatoires de ces deux traités. J'ai appris l'existence de l'accord secret par enveloppe spécialement cachetée qui, suivant les instructions, était classée séparément et qui portait la mention : « Accord germano-russe supplémentaire ou secret ».

Dr HORN. — Vous étiez bien responsable de la conservation des documents secrets ?

TÉMOIN BLANK. — Oui." [...]

Dr SEIDL. — Monsieur le Président, le Tribunal a autorisé la question se rapportant au traité secret. Le témoin connaissait seulement l'existence du traité, mais ne connaissait rien de son contenu. Je prie le Tribunal de me dire si, en permettant que la question soit posée au témoin, le Tribunal a également pris une décision en ce qui concerne l'admissibilité de l'affidavit de l'ambassadeur Gaus et s'il m'est possible, en conséquence, de citer un extrait de cet affidavit.


LE PRÉSIDENT. — Est-ce que l'affidavit a été soumis au Ministère Public ?

Dr SEIDL. — Lundi dernier, c'est-à-dire il y a trois jours, j'ai transmis six copies de cet affidavit à la section de traduction et au lieutenant Schrader, du centre de documentation de la Défense, et je suppose qu'après trois jours le Ministère Public en a reçu une copie.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE. — Votre Honneur, le Ministère Public n'a pas reçu les exemplaires de cette déclaration. Je ne l'ai pas encore vue, pas plus que mon ami M. Dodd, ni mes autres collègues, le général Rudenko ou M. Champetier de Ribes.

LE PRÉSIDENT. — Je pense qu'il vaut mieux alors attendre que le document soit entre les mains du Ministère Public. A ce moment, nous considérerons la question.

Dr SEIDL. — Monsieur le Président, je crois avoir fait tout ce qui était en mon pouvoir pour faire remettre cet affidavit au Ministère Public. Je ne puis exercer aucune influence sur le fonctionnement des services du Secrétariat général, et je demanderai l'aide du Tribunal.

LE PRÉSIDENT. — Personne n'a dit que vous aviez tort en la matière, Docteur Seidl."



Document 5 : Affidavit de F. Gauss et Protocole secret du 23 août 1939

AFFIDAVIT of Friedrich Gaus and Secret Additional Protocol [The following documents were offered in evidence as part of Hess' case and are published here because of their unique historic interest. The former was admitted, the latter rejected by the Tribunal.-Ed.]

[AFFIDAVIT de Friedrich Gaus (Note du blog)

Instructed as to the consequences of making a false sworn state meant, I declare for the purpose of submittal to the International Military Tribunal in Nurenberg under oath the following, after having been requested to do so by Attorney at Law, Dr. Alfred Seidl, and it has been pointed out to me by him that according to the rules of procedure of this Military Tribunal, I, as a witness, am in duty bound to make such an affidavit as well as verbal testimony under oath.

I. Personal Data: My name is Friedrich Gaus, born on 26 February 1881 in Mahlum, District of Gandersheim, Evangelical-Lutheran religion, Dr. of Law, until the end of the war legal advisor, at the Foreign Office in Berlin and that finally with the title of "Ambassador for special duty" [Botschafter zur besonderen Verwen-dung] :

II. Facts : The preliminary history and the course of the negotiations for the political treaty of the Reich Government [Reichsregierung] with the Soviet Government in the fall of 1939 about which I, as a witness, have been asked by Attorney Dr. Alfred Seidl, as far as I personally participated as legal advisor, and as far as I remember at present, may be described as follows :

1. In the early summer of 1939 - it must have been in the last half of June - the Reich Minister for Foreign Affairs at that time, von Ribbentrop, asked the then Secretary of State of the Foreign Office, von Weiszaecker, and me to come to his estate of Sonnenburg near Freienwalde on the Oder, and told us that Adolf Hitler had been considering for some time making an attempt to create more tolerable relations between Germany and the Soviet Union. For this reason, as we probably had noticed already, for some time the extremely sharp controversy of the German press against the Soviet Union has been greatly toned down. An attempt was first of all to be made to sound the Soviet government by ordinary diplomatic methods by a simple question to the point, in order to ascertain whether the latter would agree to hold a practical conversation with the Reich Government. If so, extensive political discussions could be entered on after such a conversation in order to see whether a modus vivendi for the two countries could be brought about. If I remember correctly, the first subject of conversation was to be the not very important question of the consular representation of the Soviet Union in Prague. Herr von Ribbentrop gave the order to the Secretary of State and me to draft appropriate instructions for the German ambassador in Moscow, for which he also gave a series of detailed directions. The Secretary of State and I then immediately dictated in Sonneburg an appropriate draft, which was then changed by Herr von Ribbentrop at various points, and what the latter wanted to submit to Hitler for approval. But I heard shortly afterwards - I no longer remember whether it was from the Reich Foreign Minister himself or from the Secretary of State - that the instructions dictated by us in Sonneburg, were not sent because Hitler found them "too plain- spoken". For the time being, I did not learn anything more about the intentions of making a change in German-Russian relations.

2. At the end of June or the beginning of July, I went for a holiday to Garmisch-Partenkirchen, however, already toward the middle of July I was called by the Reich Foreign Minister to his summer residence at Fuschl in the vicinity of Salzburg for a special official reason, not connected with Russia, and had to remain until further notice at the disposal of the Reich Foreign Minister in Salzburg. After some time, Herr von Ribbentrop gave me one day in Fuschl, to my surprise, a document to read which contained the draft of a special message from the Reich Government to the Soviet government, and which ended in the proposal to begin negotiations for a political treaty. After introductory statements about the development of German-Russian relations hitherto and the contrast in the systems of the two states, the idea was emphasized that the interests of the two states lay very close to each other but did not overlap. I did not learn by whom his draft was written; judging from its style, it did not originate, or at least not alone, from the pen of the Reich Foreign Minister. The telegram to the German ambassador in Moscow to deliver the message was sent, and not long afterwards the answer to the Soviet government arrived, which did not reject in principle the idea of placing German-Russian relations on a new basis, but stated that before the start of direct negotiations, longer examination and diplomatic preparation were required. Very quickly after, a second message was sent to Moscow in which the urgent German desire for the immediate start of negotiations was expressed. I also did not learn who was the author of this second German message. In this second message, but maybe already in the first one, the early sending of the Reich Foreign Minister to Moscow was offered for the purpose of starting political discussions. After that - I believe it was on 21 August - the content of the Soviet government arrived which, as I was able to observe personally by chance, caused great joy to Hitler and his entourage. If my memory does not deceive me, the two German messages had the outward form of a direct personal communication from Hitler to Stalin, and the preparatory correspondence was limited to the two exchanges of these messages.

3. On 23 August toward noon, the plane of the Reich Foreign Minister whom I had to accompany as legal advisor because of the planned treaty negotiations, arrived in Moscow. In the afternoon of the same day, the first conversation between Herr von Ribbentrop and Stalin took place in which on the German side besides the Reich Foreign Minister, only Botschaftsrat Hilger as interpreter and perhaps also ambassador Count Schulenburg participated. I myself, however, did not. The Reich Foreign Minister returned from this lengthy' conversation very satisfied and said in effect that it was as good as certain that the agreements, which the Germans had endeavored to obtain, would be concluded. The continuation of the discussions, during which the documents to be signed were to be thoroughly discussed and completed, was contemplated for the later evening. I participated in this second conversation personally, also the ambassador Count Schulenburg and Botschaftsrat Hilger. On the part of the Russians, the negotiations were led by Messrs. Stalin and Molotov who were assisted by Mr. Pavlov as interpreter. Rapidly and without difficulty the text of the German-Soviet Non-aggression Pact was agreed upon. Herr von Ribbentrop had personally added to the preamble of the draft of the treaty drawn up by me a rather extensive change concerning the friendly form of German-Russian relations, which Mr. Stalin objected to with the remark that the Soviet government, after having had "buckets of swipes" thrown over it by the National Socialist Reich Government for 6 years, could not all of a sudden come out into the open with German-Russian assurances of friendship. The passage of the preamble concerned was then deleted or changed. Besides the Non-Aggression Pact, a special secret document was discussed for a long time which, as far as I can remember, was given the designation "Secret Protocol" or "Secret Supplementary Protocol", and the contents of which amounted to a limitation of the spheres of interests of both parties in the European territories situated between the two states. I no longer know whether the expression "spheres of interests" or other expressions were used. In this document, Germany declared herself disinterested politically in Latvia, Estonia and Finland, on the other hand considered Lithuania within her sphere of interest. With reference to the political disinterest of Germany in the two Baltic countries mentioned, it came at first to a controversy insofar as the Reich Foreign Minister, by reason of his instructions, wanted a certain part of the Baltic territories exempted, which however was not agreed to by the Soviet side, especially because of the ice-free harbors located in just that part of the territory. Because of this point, which obviously had already been discussed in the first conversation, the Reich Foreign Minister applied for a telephone connection with Hitler which did not take place until during the second discussion and during which he was then authorized by Hitler in a direct conversation with him to accept the Soviet point of view. A demarcation line was established for the Polish territory; I do not remember whether it was exactly drawn on a map appended to the document, or whether it was only described in the document in words. In addition, an agreement was made with regard to Poland, the approximate contents of which were that the two powers would act in mutual agreement in the final settlement of the questions concerning that country. However, it is possible that this latter agreement concerning Poland was only made at the time of the later changes of the secret document mentioned under No. 5 below. As to the Balkan countries, it was confirmed that Germany only had economic interests there. The Non-Aggression Pact and the secret document were signed the same night at a rather advanced hour.

4. Supplementing the above statements I add to No. 3, asked about this point especially, that Herr von Ribbentrop, during a light meal while the final copies of the documents were being made, related in the course of conversation that a public speech by Stalin which he made in the spring, contained a sentence which, although Germany was not mentioned in it, was interpreted by Hitler to mean that Mr. Stalin wanted to imply that the Soviet government considered it possible and desirable to reach a better understanding with Germany as well. Mr. Stalin made a short remark in reply to that which the interpreter Pavlov translated as : "That was the intention". In this connection, Herr von Ribbentrop mentioned also that a short time ago Hitler had a motion picture shown to him which had been taken during one of the larger public celebrations in Moscow, and that he, Hitler found this film with the Soviet personalities appearing therein to be "very congenial". In addition, it deserves to be mentioned, since I have been asked about it, that during those conversations as well as during the actual negotiations, the Reich Foreign Minister regulated his words in such a manner that he let a warlike conflict of Germany with Poland appear not as a matter already finally decided on, but only as an imminent possibility. No statements which could have included the approval or encouragement for such a conflict, were made by the Soviet statesmen on this point. Rather, the Soviet representatives limited themselves in this respect simply to taking cognizance of the explanations of the German representatives.

5. During the negotiations concerning the second German-Soviet political treaty, which took place about a month later, the secret document, mentioned above under No. 3, in accordance with a suggestion already previously communicated to Berlin by the Soviet government was altered to the extent that Lithuania as well, with the exception of a small "corner" bordering on East Prussia, was taken out of the German sphere of interest, but in place of that, however, the demarcation line on Polish territory was placed further to the East. In later negotiations carried on through diplomatic channels, as far as I remember during the end of 1940 or the beginning of 1941, this "Lithuanian corner" was also subsequently relinquished on the part of Germany.

Nuremberg 15 March 1946                                                                              [s] FRIEDRICH GAUS
RU/3


Secret Additional Protocol Russo-German Non-Aggression Pact

On the occasion of the signing of the non-aggression pact be- tween Germany and the USSR the signatory delegates of the two parties have discussed in a strictly confidential meeting the ques- tion of the limits of each party's sphere of influence in Eastern Europe. This discussion has led to the following conclusions:

1. In the event of a territorial political change in the area of the Baltic states (Finland, Estonia, Latvia, Lithuania) the north- ern border of Lithuania forms at the same time the demarcation of the spheres of interest of Germany and the USSR. At the same time Lithuania's right to the area of Vilna is hereby recognized by both parties.

2. In the event of a territorial political change in the territory belonging to the Polish state the spheres of interest of Germany and the USSR shall be divided roughly by the line of the rivers Narew, Vistula, and San.

The question, whether the interest of the two parties desires the maintaining of an independent Polish state and what the borders of this state would be can only be cleared up as a result of further political developments.
In any case the two governments will solve these problems by way of friendly negotiation.

3. Regarding South East Europe the USSR stresses her interest in Besserabia. Complete political disinterest regarding this area is stated on the part of Germany.

4. This protocol will be treated by both parties as strictly secret. 
MOSCOW, 23rd August 1939 

For the German Government [signed] RIBBENTROP

Plenipotentiary of the government of the USSR [signed] V. MOLOTOV



Document 6 : Audience du lundi 1er avril 1946 (matin) / 96e jour

LE PRÉSIDENT. — Les avocats ont-ils des questions à poser à l'accusé ?

Dr SEIDL. — Oui, Monsieur le Président.
Témoin, le 23 août 1939 fut signé le Pacte secret entre l'URSS et l'Allemagne. Le préambule était à peu près ainsi rédigé : « En considération de la tension existant actuellement entre l'Allemagne et la Pologne, au cas où un conflit éclaterait, il est convenu ce qui suit ... »
Vous souvenez-vous si ce préambule avait à peu près cette teneur?

ACCUSÉ VON RIBBENTROP. — Je ne me rappelle pas la teneur exacte de ce préambule, mais l'idée était celle que vous venez d'exprimer.

Dr SEIDL. — Est-il exact que pendant les négociations à Moscou, le 23 août 1939, le chef du Service juridique des Affaires étrangères, le Dr Gaus, ait pris part, en tant que conseiller juridique, aux discussions et ait rédigé les projets des accords ?

ACCUSÉ VON RIBBENTROP. — L'ambassadeur Gaus a partiellement collaboré aux négociations et a, en effet, rédigé avec moi les projets des traités.

Dr SEIDL. — Je vais vous lire un passage contenant les paroles du Dr Gaus et vais vous poser quelques questions à la suite de ce texte.

LE PRÉSIDENT. — Docteur Seidl, quel document allez-vous lire

Dr SEIDL. — Je lirai une partie d'une déclaration de l'ambassadeur Gaus qui figure sous le chiffre III et à la suite de cela je poserai quelques questions au témoin, parce qu'il y a des points de ce traité qui n'ont pas encore été suffisamment éclaircis.

LE PRÉSIDENT. — Oui, général Rudenko.

GÉNÉRAL RUDENKO. — Je ne sais, Monsieur le Président, quel rapport ont ces questions avec l'accusé Hess ou avec l'accusé Frank que défend le Dr Seidl. Je ne veux pas discuter le sens de cet affidavit car je n'y attache aucune importance. Je voudrais simplement attirer l'attention du Tribunal sur le fait que nous ne nous occupons pas de l'examen des questions qui se rapportent à la politique des pays alliés, mais que nous faisons le procès des grands criminels de guerre. Des questions de ce genre de la part de la Défense ne constituent que des tentatives pour distraire le Tribunal des questions qui doivent être examinées dans ce Procès. Je voudrais vous demander de mettre un terme à ces questions car elles ne nous concernent pas.

(Le Tribunal délibère sur le siège.)

LE PRÉSIDENT. — Docteur Seidl, vous pouvez poser vos questions.

Dr SEIDL. — L'ambassadeur Gaus a déclaré dans son affidavit (numéro III) : « Le 23 août 1939 à midi arriva l'avion du ministre des Affaires étrangères du Reich que j'accompagnais en qualité de conseiller juridique dans les négociations projetées. L'après-midi du même jour, les premières discussions eurent lieu entre M. Ribbentrop et M. Staline. Du côté allemand, il y avait encore M. Hilger, conseiller d'ambassade, qui faisait fonction d'interprète et peut-être aussi le comte Schulenburg, mais moi-même je n'y ai pas pris part.

« Le ministre des Affaires étrangères revint très satisfait de ce long entretien et déclara qu'il était à peu près certain que l'on en viendrait à la signature du traité désiré par l'Allemagne. La continuation des pourparlers, ainsi que la signature des documents, étaient envisagées pour le soir même. J'ai pris part moi-même à ces discussions, l'ambassadeur comte Schulenburg y a pris part également, ainsi que le conseiller d'ambassade Hilger. Du côté russe, les négociations furent conduites par MM. Staline et Molotov, qui avaient pour interprète M. Pavlov. Il n'y eut aucune difficulté à nous mettre d'accord sur la teneur du texte du Pacte de non-agression germano-soviétique. M. von Ribbentrop avait inséré lui-même dans le préambule aux accords que j'avais préparés, une phrase à portée lointaine concernant la formation de liens amicaux dans les rapports des deux pays. M. Staline s'y opposa en faisant remarquer que le Gouvernement soviétique ne pouvait pas présenter tout à coup au public allemand et soviétique des assurances d'amitié, après avoir été pendant six ans couvert d'injures nauséabondes par le Gouvernement nazi. Là-dessus, cette phrase du préambule en question fut rayée ou modifiée.

« A côté du Pacte de non-agression, on parla longuement d'un document secret séparé qui reçut le nom de « Protocole secret » ou de « Protocole additionnel secret » et qui prévoyait une délimitation de sphères respectives d'intérêts en Europe. Je ne me souviens plus exactement si l'on a employé l'expression « sphère d'intérêts » ou une autre expression similaire. Dans ce document, l'Allemagne déclarait se désintéresser politiquement de la Lettonie, de la Finlande et de l'Esthonie, mais revendiquait la Lituanie comme faisant partie de sa sphère d'influence. Au sujet de l'abandon par l'Allemagne des deux pays baltes, une controverse s'éleva quand le ministre allemand, se conformant à ses instructions, réclama une option sur une certaine partie du territoire balte. Cette proposition fut rejetée par les Soviets, surtout à cause des ports libres de glace de ce territoire. Le ministre des Affaires étrangères du Reich avait déjà discuté ce point au cours de sa première conversation. Il avait appelé Hitler et ne put l'obtenir qu'au cours de la seconde discussion; il parla alors directement avec Hitler qui lui donna l'autorisation d'accepter le point de vue soviétique.

« Quant au territoire polonais, on se mit d'accord sur une ligne de démarcation. Je ne peux me rappeler si elle figura sur la carte jointe au document ou si elle a seulement été décrite dans ce dernier. En outre, un arrangement fut conclu au sujet de la Pologne, établissant approximativement que les deux Puissances procéderaient d'un commun accord au règlement définitif des questions concernant ce pays. Il serait cependant possible que ces derniers accords concernant la Pologne n'aient été conclus que lorsque les changements indiqués plus loin dans le paragraphe 5 des clauses secrètes ont été introduits.

« Quant aux pays balkaniques, il fut confirmé que l'Allemagne y avait seulement des intérêts économiques. Le Pacte de non-agression et les clauses secrètes furent signés à une heure avancée de la même nuit. »

Témoin, l'affidavit de l'ambassadeur Gaus fait mention d'une convention suivant laquelle les deux Puissances régleraient en accord l'une avec l'autre la question de la Pologne. Cet accord était-il déjà conclu le 23 août  ?

ACCUSE VON RIBBENTROP. — Oui, c'est exact. La crise germano-polonaise était déjà sérieuse, et, naturellement, cette question fut discutée. Je tiens à préciser, ici, qu'il ne faisait aucun doute, dans l'esprit du Führer comme dans celui de Staline, que si les négociations avec la Pologne échouaient, les régions qui avaient été arrachées par la force des armes à nos deux Puissances, pouvaient bien être reprises par la même méthode. C'est ainsi qu'après la victoire, les régions de l'Est furent occupées par les troupes soviétiques et les régions de l'Ouest par les troupes allemandes. Cela ne fait aucun doute que Staline, pour cette raison, ne pourra jamais faire à l'Allemagne le reproche d'une agression ou d'une guerre d'agression pour son action en Pologne. Si l'on parle ici d'agression, alors les deux pays sont coupables.

Dr SEIDL. — Est-ce que la ligne de démarcation prévue par ces clauses secrètes a été seulement décrite ou bien a-t-elle été tracée sur une carte jointe au Protocole secret ?

ACCUSÉ VON RIBBENTROP. — La ligne de démarcation fut dessinée approximativement sur une carte. Dans ses grandes lignes, elle passait le long des rivières Rysia, Bug, Narev et San. Je me souviens très bien de ces cours d'eau. C'était cette ligne de démarcation qui devait être adoptée en cas de conflit armé avec la Pologne.

Dr SEIDL. — Est-il exact que, d'après ce traité, la plus grande partie de la Pologne revenait, non pas à l'Allemagne, mais à l'Union Soviétique ?

ACCUSÉ VON RIBBENTROP. — Je ne connais plus maintenant les proportions exactes, mais en tout cas, l'accord spécifiait que les territoires situés à l'est de ces rivières seraient occupés par l'Union Soviétique, et ceux situés à l'ouest par les troupes allemandes, à un moment où l'organisation de ces territoires, telle qu'elle fut entreprise par l'Allemagne, n'avait pas encore été prévue et n'avait pas été discutée entre Hitler et moi-même. Par la suite, le Gouvernement Général fut formé, quand les régions perdues par l'Allemagne après la première guerre mondiale lui furent de nouveau incorporées.  [...]

[Le Président demande à Ribbentrop si, comme l'indique l'affidavit de Gaus, le 23 août 1939 il a indiqué aux dirigeants soviétiques qu'une guerre germano-polonaise n'était qu'une possibilité et que rien n'avait encore été décidé. Sa réponse confuse provoque l'intervention de Seidl.]

Dr SEIDL.— Monsieur le Président, puis-je dire quelques mots à ce sujet ? Le témoin Gaus n'était présent qu'au second entretien. Il n'a pas assisté à la très longue première conversation qui a eu lieu entre le témoin Ribbentrop, d'une part, et MM. Molotov et Staline d'autre part. A cette conversation, précisément, assistait le conseiller d'ambassade Hilger et je prie le Tribunal, étant donné l'importance de ce sujet, de bien vouloir entendre le témoin Hilger dont l'audition a été admise.

LE PRÉSIDENT. — Docteur Seidl, vous savez que vous pouvez faire par écrit toutes les demandes de comparution de témoins que vous voulez. En outre, je tiens à faire remarquer, selon le désir du Tribunal, que le témoin Gaus est à la disposition du Ministère Public.

Dr SEIDL. — Je me réfère à l'attestation sous la foi du serment faite par le témoin Gaus et je la dépose sous le numéro Rudolf Hess-16.

LE PRÉSIDENT. — Oui, très bien.



Document 7 : Audience du lundi 17 avril 1946 (après-midi) / 110e jour.

"SIR DAVID MAXWELL-FYFE. — Plaise à Votre Honneur. La première requête du Dr Seidl est relative à deux témoins. Tout d’abord, le témoin Hilger, qui avait déjà été accordé à l’accusé von Ribbentrop, mais auquel son avocat a renoncé le 2 avril. Je crois que ce témoin est aux États-Unis et qu’il serait trop malade pour voyager. Votre Honneur, la citation de ce témoin a pour but les discussions et négociations qui eurent lieu au Kremlin à Moscou en vue de l’accord germano-soviétique du 23 août 1939, et la conclusion du prétendu accord secret auquel il est fait allusion dans l’affidavit du témoin Gaus.

L’autre requête a trait au témoin von Weizsäcker, qui traitera du même sujet.

Le Ministère Public accepte la décision du Tribunal sur l’admissibilité de l’affidavit de Gaus, mais il se permet de faire remarquer que cela ne concerne pas ce point. On désire avant tout citer des témoins qui déposent sur le cours des négociations avant la signature de ces traités, et c’est une question qui a été soulevée à plusieurs reprises. Autant que je sache, bien que chaque cas présente naturellement un ensemble de circonstances légèrement différentes, le Tribunal a néanmoins toujours décidé jusqu’à présent qu’il ne s’occuperait pas de négociations précédant des accords. Il y a aussi le fait que, naturellement, le Dr Seidl a présenté l’affidavit de Gaus, et qu’il a eu l’occasion d’interroger l’accusé von Ribbentrop. Le Ministère Public fait respectueusement remarquer que citer deux témoins d’importance secondaire — sans méconnaître leur position dans le ministère des Affaires étrangères du Reich, mais ils sont pourtant d’importance secondaire en comparaison de l’accusé von Ribbentrop — pour la seule discussion de ces négociations, lui semble être hors de propos et inutile pour les besoins qui nous occupent.

J’avoue que je ne vois pas, personnellement, quel rapport particulier ces témoins pourraient avoir avec les charges retenues contre Hess, mais je ne le souligne pas ; la raison principale de l’objection du Ministère Public est celle que je viens d’exposer au Tribunal.
Quant à la troisième requête du Dr Seidl, je ne suis pas certain s’il veut dire qu’il désirerait que le Ministère Public lui fournisse l’original ou une copie certifiée conforme de l’accord secret, ou s’il a l’intention d’en présenter une copie lui-même. Mais, encore une fois, le Ministère Public est d’avis que cette question qui, après tout, n’est qu’une infime partie d’un seul aspect de l’ensemble de ce cas, est suffisamment couverte par les preuves déjà fournies au Tribunal par l’affidavit de l’ambassadeur Gaus et par la déposition de l’accusé Ribbentrop.
Voilà la position du Ministère Public sur ce point.

LE PRÉSIDENT. — Oui, Docteur Seidl ?

Dr SEIDL. — Monsieur le Président, la déposition écrite de l’ambassadeur Dr Gaus, qui a déjà été acceptée par le Tribunal sous le numéro Hess-16, ne décrit qu’une partie des négociations. L’ambassadeur Dr Gaus n’a pas assisté aux négociations qui précédèrent la signature des pactes, c’est pourquoi je me proposais de citer le conseiller d’ambassade Hilger comme témoin, puisqu'il a déjà été accordé comme témoin à l’accusé von Ribbentrop. J’ai demandé, en outre, que le Tribunal se procurât le texte du Pacte secret. Je dois dire, cependant, que cette dernière requête n’a plus l’importance qu’elle avait au moment où je l’ai faite car, entre temps, nous avons reçu la copie de ce Pacte secret. De plus, j’ai la copie de l’additif secret au Pacte frontalier germano-soviétique du 28 septembre 1939 ; j’ai également la déposition sous serment de l’ambassadeur Gaus datant du 1er avril de cette année et qui certifie ces copies conformes aux textes des accords secrets établis le 23 août et le 28 septembre 1939.

LE PRÉSIDENT. — Sir David, avez-vous quelque objection à ce que ces documents soient soumis au Tribunal ?

SIR DAVID MAXWELL-FYFE. — Aucune, Votre Honneur. Comme je l’ai indiqué, le Tribunal a entendu notre objection sur la pertinence de ces documents et a passé outre ; par conséquent, je n’ai plus qualité pour discuter de la pertinence du document, étant donné la décision du Tribunal. Ma seule remarque est la suivante : si le Dr Seidl produit une prétendue copie du traité avec un affidavit de l’ambassadeur Gaus à l’appui, il me semble qu’à plus forte raison il n’y aurait pas lieu de l’autoriser à citer le témoin.

COLONEL POKROVSKY. — Sur la question actuellement en discussion devant le Tribunal, le Ministère Public soviétique a soumis aujourd’hui un document au Secrétariat général. Si ce document est déjà entre vos mains, il n’est pas nécessaire que je m’étende. Mais si vous le désirez, Messieurs, je puis en parler ici. Nous soulevons une objection pour les raisons qui sont exposées dans ce document qui est signé par le général Rudenko.

LE PRÉSIDENT. — Est-ce un document ou un argument que vous présentez ?

COLONEL POKROVSKY. — Non, je n’ai pas l’intention d’en discuter si vous avez déjà ce document en mains.

LE PRÉSIDENT. — Il y a un malentendu. Vous avez mentionné un document qui, selon vous, serait entre les mains du Tribunal. Je n’ai pas été informé que nous ayons un document déposé par le Ministère Public soviétique. Il se peut qu’il ait été reçu et, dans ce cas, nous le prendrons certainement en considération. Ce que je voulais savoir, c’est s’il s’agit d’un renseignement ou d’un document original quelconque.

COLONEL POKROVSKY. — Il s’agit ici de la réponse officielle du Ministère Public soviétique à la question de savoir si nous jugeons utile de faire droit à la requête du Dr Seidl concernant un groupe de questions relatives au Pacte germano-soviétique de 1939.

LE PRÉSIDENT. —Nous examinerons le document.

COLONEL POKROVSKY. — Pensez-vous que nous puissions nous en tenir au document qui vous a été remis ?

LE PRÉSIDENT. — Oui, certainement, à moins que vous ne désiriez ajouter quelque chose; nous examinerons votre document.

COLONEL FOKROVSKY. — Nous n’avons rien à ajouter sur ce point. Notre position est exposée en détail dans ce document signé du général Rudenko et, si vous l’avez maintenant sous les yeux, je n’ai rien de plus à dire sur ce sujet. 

Dr SEIDL. — Monsieur le Président, le 13 avril j’ai fait une requête écrite pour qu’on m’autorise à soumettre une annexe sous le numéro Hess-17. J’ai fourni ces documents en six exemplaires, afin qu’ils soient traduits. Ce sont les documents suivants : 1. Le Pacte de non-agression germano-soviétique du 23 août 1939, qui a été versé au dossier par le Ministère Public sous le numéro GB-145; 2. Le Pacte secret de la même date; 3. Le Pacte d’amitié germano-soviétique et l’accord frontalier du 28 septembre 1939; 4. L’additif secret de la même date qui l’accompagne; 5. Et le second affidavit de l’ambassadeur Gaus, que j’ai déjà mentionné. En outre, le 15 avril, j’ai demandé que le témoin Dr Gaus, qui se trouve ici à Nuremberg, soit cité devant ce Tribunal, si le Tribunal ne juge pas son affidavit suffisant. Je demande au Tribunal de bien vouloir se prononcer sur ces requêtes.

LE PRÉSIDENT. — Le Tribunal examinera la question. Passons maintenant à l’accusé von Neurath."



Document 8 : Audience du samedi 11 mai 1946 (matin) / 127e jour.

"LE PRÉSIDENT. — Très bien. Le Tribunal va maintenant s'occuper des requêtes. Êtes-vous d'accord, Sir David?

SIR DAVID MAXWELL-FYFE. — Plaise au Tribunal. [...]
Ensuite, Votre Honneur, vient une requête du Dr Seidl au nom de l'accusé Hess. Il demande cinq documents sur le Pacte germano-soviétique d'août et septembre 1939, et aussi la citation de l'ambassadeur Gaus comme témoin. Cela nous entraînerait trop loin de nous reporter à toutes les requêtes antérieures. Sans entrer dans les détails, je dirai pourtant au Tribunal que cette affaire a déjà été évoquée six fois à d'autres occasions. Mais je peux en donner les détails si le Tribunal le désire.

LE PRÉSIDENT. — Non, car le Tribunal a ordonné la traduction de ces documents, n'est-ce pas?

SIR DAVID MAXWELL-FYFE. — Oui, Monsieur le Président.

LE PRÉSIDENT. — Et nous avons décidé d'en délibérer après cette traduction.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE. — Oui, Votre Honneur, le Tribunal a donné ordre le 25 mars que les documents soient traduits. Je veux seulement rappeler que, le 28 mars, la demoiselle Blank, secrétaire privée de l'accusé von Ribbentrop, a été interrogée sur cette convention, et Votre Honneur se rappellera sans doute que mon ami, le général Rudenko, avait soulevé une objection. Mais le Tribunal a décidé que ces questions étaient recevables et le témoin a déclaré qu'il connaissait l'existence du pacte secret, mais n'a donné aucun détail.

Le 1er avril, au cours du contre-interrogatoire de l'accusé Ribbentrop par le Dr Seidl, l'affidavit Gaus a été lu, et le 3 avril, le Dr Seidl a demandé la citation des témoins Hilger et Weizsäcker. Le 15 avril enfin, celle de l'ambassadeur Gaus.

Le 17 avril, Votre Honneur, le Tribunal en a délibéré. J'ai déclaré, considérant la décision déjà prononcée par le Tribunal, que je ne pouvais attaquer la question de cet accord, mais j'ai soulevé une objection contre les témoins. Le général Rudenko, je crois, a déclaré qu'il avait formulé sa réclamation par écrit, et le Tribunal a répondu qu'il en délibérerait. En ce qui concerne les cinq documents, Votre Honneur, il semble que l'affidavit du Dr Gaus soit déjà déposé comme preuve. C'est le premier affidavit, Votre Honneur. Le deuxième affidavit du Dr Gaus n'a pas été déposé comme preuve.

Le Pacte de non-agression entre l'Allemagne et l'Union Soviétique est déposé. En ce qui concerne l'additif secret au Pacte de non-agression entre l'Allemagne et l'Union Soviétique, le texte en a été déposé; il figure dans l'affidavit Gaus. Ensuite, Votre Honneur, nous avons le Pacte d'amitié germano-soviétique du 28 septembre 1939 concernant les frontières et l'additif secret à ce pacte. Le Ministère Public estime que ces documents ne sont pas pertinents pour la défense de l'accusé Hess, et ne voit pas pour quelle raison ils sont demandés. Si c'est nécessaire, mon collègue soviétique peut prendre position à ce sujet; nous exposons en outre que le deuxième affidavit de l'ambassadeur Gaus, en présence du précédent, est superflu. Sans même avoir besoin de donner de nouvelles explications, je réitère mes objections contre l'audition des témoins des négociations qui ont mené à la conclusion de ce traité. Il est exposé que ce n'est, en vérité, nullement pertinent et que, pour cette raison, il n'est pas nécessaire de faire perdre du temps au Tribunal. Je ne sais, Votre Honneur, s'il serait opportun ...

LE PRÉSIDENT. — Sir David, le Tribunal, comme je l'ai déjà dit en délibérera. Il n'a pas encore eu le loisir de délibérer sur ces documents, mais je voudrais vous demander s'il y a une raison quelconque pour citer l'ambassadeur Gaus comme témoin.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE. — Aucune, Votre Honneur.

LE PRÉSIDENT. — Il a déjà exposé la teneur de ce document, de même que l'accusé Ribbentrop. Si ces documents sont déposés maintenant — à supposer que le Tribunal soit d'avis de les admettre — il serait absolument superflu de citer Gaus comme témoin.

SIR DAVID MAXWELL-FYFE. — Oui, c'est aussi mon opinion, Votre Honneur.

LE PRÉSIDENT. — Je crois que le Tribunal ferait mieux d'examiner ces documents, comme il en avait déjà décidé, aussitôt qu'ils auront été déposés.

[La suite de l'audience est marquée par une intervention du Dr Seidl qui donne lieu à ce court échange avec le Président]

LE PRÉSIDENT. — Cela aussi, je l'ai admis. J'ai encore une autre question à poser. Ces traités ou pactes qui, d'après vous, existaient entre l'Union Soviétique et l'Allemagne, ont-ils été imprimés et publiés ? Tous ces documents, que vous désirez utiliser, ont-ils été ronéotypés pour être distribués aux membres du Tribunal?

Dr SEIDL. — Monsieur le Président, le 13 avril de cette année, j'ai remis six copies de ces cinq documents à M. le Secrétaire général et, de plus, j'ai également transmis un nombre correspondant de documents au Ministère Public. Tous ces documents sont tapés à la machine ou ronéotypés.

LE PRÉSIDENT. — Très bien.

Dr SEIDL. — Puis-je me permettre d'ajouter quelque chose? A l'occasion d'une affaire précédente, le Tribunal a admis comme preuve la déclaration sous serment de l'ambassadeur Gaus. Cette première déclaration sous serment est un résumé de ces accords secrets. Je suis donc d'avis ...

LE PRÉSIDENT. — Je le sais, oui.

Dr SEIDL. —... que si l'on est en possession des traités eux-mêmes, on devrait recourir à ces traités et ne pas se contenter d'un simple résumé. Si le Tribunal le désire et si l'on considère que c'est indispensable, alors je serais prêt, au point actuel des débats ou à une phase ultérieure, à discuter la pertinence de ces traités. Je n'ai noté que huit points qui me semblent donner à ces accords un caractère pertinent et je me permettrai peut-être encore de dire que ces traités supplémentaires ...

LE PRÉSIDENT. — Le Tribunal a déjà décidé que ces documents lui seraient soumis, et il les étudiera. C'est donc bien notre intention et il n'est pas nécessaire d'entrer maintenant dans les détails. Nous en délibérerons.



Document 9 : Audience du mardi 21 mai 1946 (après-midi) / 135e jour.

LE PRÉSIDENT. — Un avocat désire-t-il encore poser des questions ?

Dr ALFRED SEIDL (avocat des accusés Hess et Frank). — Témoin, le 23 août 1939, un Pacte de non-agression a été signé entre rallemagne et l'Union Soviétique. Est-ce que, en dehors de ce Pacte de non-agression, d'autres conventions ont été conclues ce même jour entre ces deux Gouvernements ?

GÉNÉRAL R. A. RUDENKO (Procureur Général soviétique). — Monsieur le Président, le témoin a été cité pour répondre à des questions précises, à la demande du Dr Siemers. A mon avis, la question posée maintenant par le Dr Seidl n'a rien à voir avec le cas que nous examinons, et c'est pourquoi elle devrait être rejetée.

LE PRÉSIDENT. — Vous pouvez poser votre question, Docteur Seidl.

Dr SEIDL. — Je vous demande à nouveau, Monsieur von Weizsacker, si, le 23 août 1939, d'autres conventions ont été conclues entre les deux Gouvernements qui n'étaient pas contenues dans le Pacte de non-agression?

TÉMOIN VON WEIZSÂCKER. — Oui.

Dr SEIDL. — Dans quel document étaient contenues ces conventions ?

TÉMOIN VON WEIZSÂCKER. — Ces conventions étaient contenues dans un protocole secret.

Dr SEIDL. — En votre qualité de secrétaire d'État au ministère des Affaires étrangères, avez-vous lu ce protocole secret ?

TÉMOIN VON WEIZSÂCKER. — Oui.

Dr SEIDL. — J'ai entre les mains un texte au sujet duquel l'ambassadeur Gaus n'a élevé aucun doute sur la reproduction exacte de ces conventions. Je vais vous présenter ce texte...

LE PRÉSIDENT. — Un instant. Quel document lui présentez vous ?

Dr SEIDL. — Il s'agit du protocole additionnel secret du 23 août 1939.

LE PRÉSIDENT. — N'est-ce pas un document que vous avez déjà produit au Tribunal et qui a été rejeté? Est-ce le même document ?

Dr SEIDL. — C'est le document que j'ai présenté au Tribunal avec l'ensemble des preuves et qui a été rejeté par le Tribunal manifestement — du moins je le suppose — parce que je m'étais refusé à en indiquer la provenance. Mais le Tribunal m'avait autorisé à produire un nouvel affidavit de l'ambassadeur Gaus, à ce même sujet.

LE PRÉSIDENT. — Vous ne l'avez pas fait ?

Dr SEIDL. — Non, mais je voudrais maintenant, pour aider la mémoire du témoin, donner lecture de ce texte au cours de mon interrogatoire et demander ensuite au témoin si, d'après ses souvenirs, cet écrit reproduit fidèlement ces conventions secrètes.

GÉNÉRAL RUDENKO. — Messieurs, je proteste contre cette question pour deux raisons: premièrement, nous nous occupons ici du cas des Grands Criminels de guerre, et non de la politique étrangère d'autres États. Deuxièmement, le document que le Dr Seidl essaye de présenter au témoin a déjà été rejeté par le Tribunal parce qu'il est à proprement parler, apocryphe, et qu'il n'a par conséquent aucune valeur probante.

Dr SEIDL. — Me permettez-vous de répondre, Monsieur le Président? Ce document est un fragment essentiel du Pacte de non-agression, qui a déjà été versé comme preuve par l'Accusation sous le numéro GB-145. Or, si je présente le texte au témoin ...

LE PRÉSIDENT. — L'unique question est de savoir si c'est le document qui a été rejeté par le Tribunal. Est-ce celui-là ?

Dr SEIDL. — Ce document n'a pas été admis comme preuve dans le dossier des preuves

LE PRÉSIDENT. — Bien, alors la réponse est oui.

Dr SEIDL. — Mais il me semble qu'il y a une différence avec la question de savoir si, au cours de l'interrogatoire, il est possible de présenter ce document au témoin. En ce qui me concerne, je répondrai à cette question par l'affirmative, parce que, au cours de l'interrogatoire contradictoire, le Ministère Public, de son côté, a la possibilité de présenter au témoin le document qu'il a entre les mains; et c'est alors, au vu des déclarations du témoin, qu'il est constaté quel est le véritable texte ou si les deux textes coïncident.

LE PRÉSIDENT. — D'où provient le document que vous voulez présenter au témoin ?

Dr SEIDL. — J'ai reçu ce document il y a quelques semaines, d'un homme qui me semble digne de foi, d'un allié. Je ne l'ai eu qu'à condition de ne pas en dévoiler la provenance exacte, et cela me semble parfaitement compréhensible.

LE PRÉSIDENT. — Vous avez dit que vous l'avez reçu il y a quelques instants ?

Dr SEIDL. — Il y a quelques semaines.

LE PRÉSIDENT. — C'est le même document dont vous avez dit tout à l'heure que vous l'aviez déposé et que le Tribunal a rejeté ?

Dr SEIDL. — Oui, mais le Tribunal a également décidé que je pouvais à ce sujet présenter un nouvel affidavit de l'ambassadeur Gaus, et cette décision n'a de sens que si...

LE PRÉSIDENT. — Oui, je sais, mais vous ne l'avez pas fait. Nous ne savons pas quel affidavit a donné le Dr Gaus.

Dr SEIDL. — Je possède déjà le nouvel affidavit de l'ambassadeur Gaus, mais il n'est pas encore traduit.

M. DODD. — Monsieur le Président, je suis tout à fait d'accord avec le général Rudenko quand il élève des objections contre l'utilisation de ce document. Nous en ignorons totalement la source. En tout cas, il n'est pas dit que ce témoin ne se souvienne pas lui-même de ce soi-disant traité. Je ne vois pas pourquoi il ne pourrait pas l'interroger s'il veut le faire.

LE PRÉSIDENT. — Docteur Seidl, vous pouvez demander au témoin jusqu'à quel point il peut encore s'en souvenir, sans lui présenter le document. Demandez-lui s'il se rappelle ce traité ou ce protocole.

Dr SEIDL. — Témoin, veuillez alors donner un aperçu sur cette convention, telle qu'elle est encore présente à votre mémoire.

TÉMOIN VON WEIZSÂCKER.—Il s'agissait d'un additif secret radical et d'une très grande portée, annexé au Pacte de non-agression, qui avait été alors conclu. La portée de ce document était considérable parce qu'il concernait le partage des zones d'influence et qu'il comportait le tracé d'une frontière entre les territoires qui, le cas échéant, devaient revenir à l'Union Soviétique, et ceux qui, dans ce cas, devaient revenir à la zone d'influence allemande. A la zone d'influence russe devaient échoir la Finlande, l'Estonie, la Lettonie, une partie orientale de la Pologne et, d'après mes souvenirs, des dispositions avaient été également prises à l'endroit de certains territoires roumains. Tout ce qui se trouvait à l'Ouest des territoires mentionnés devait appartenir à la zone d'influence allemande.
Cette convention secrète, il est vrai, n'a pas été maintenue sous cette forme. Plus tard, en septembre ou en octobre de la même année, elle subit une certaine modification, un amendement fut apporté à l'accord primordial, et la différence essentielle entre les deux documents, selon mes souvenirs, consistait en ce que la Lituanie, ou du moins la plus grande partie de la Lituanie, était attribuée à la sphère d'influence soviétique, tandis que, inversement, en territoire polonais, la ligne de démarcation entre les deux zones d'influence était notablement déplacée vers l'Ouest.
Je crois avoir ainsi donné le contenu essentiel de la convention secrète et de l'additif ultérieur.

Dr SEIDL. — Est-il exact qu'en cas de modification territoriale le tracé d'une ligne de démarcation avait été décidé en territoire polonais ?

TÉMOIN VON WEIZSACKER. — Je ne peux plus préciser si, dans ces protocoles, le terme de ligne de démarcation était mentionné ou s'il s'agissait d'une ligne de séparation des zones d'influence, dans le texte même.

Dr SEIDL. — Une ligne, a, en tout cas, été définie ?

TÉMOIN VON WEIZSACKER. — Justement, la ligne dont je viens de parler, et je crois me rappeler également que plus tard, lors de la réalisation de cet accord, cette ligne a été maintenue dans son ensemble, sinon dans ses détails.

Dr SEIDL. — Et voici ma dernière question : vous rappelez-vous si ce protocole additionnel du 23 août 1939 contenait également un accord relatif au sort futur de la Pologne ?

TÉMOIN VON WEIZSÂCKER. — Cette convention secrète impliquait certes une réglementation totalement nouvelle du sort futur de la Pologne. Il est donc tout à fait plausible qu'explicitement ou implicitement une telle réglementation eût été prévue par cette convention, mais je ne peux répondre du texte précis de l'accord.

Dr SEIDL. — Monsieur le Président, je n'ai pas d'autres questions à poser.

LE PRÉSIDENT. — Témoin, avez-vous vu l'original de l'accord secret ?

TÉMOIN VON WEIZSACKER. — J'en ai vu une photocopie, peut être aussi l'original. En tout cas, j'ai vu la photocopie et l 'ai eue en main, à plusieurs reprises. J'en avais un exemplaire, enfermé dans mon coffre-fort.

LE PRÉSIDENT. — En reconnaîtriez-vous une photocopie si on vous la montrait ?

TÉMOIN VON WEIZSACKER. — Oh, j'en suis sûr. Les signatures originales s'y trouvaient également, et cela aussi permettrait de la reconnaître.

LE PRESIDENT.—Le Tribunal se retire pour délibérer.

(L'audience est suspendue.)

LE PRÉSIDENT. — Le Tribunal a délibéré sur le point de savoir si le document en possession du Dr Seidl doit être présenté au témoin. Attendu que le contenu de ce document original a été rapporté par ce témoin et par d'autres, et attendu que l'origine du document qui se trouve entre les mains du Dr Seidl est inconnue, le Tribunal a décidé de ne pas soumettre ce document au témoin.
L'audience est levée.