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"Le Parlement français ne peut délibérer en présence de traîtres" (Edouard Daladier à la séance du 30 novembre 1939 à propos des députés communistes)

Le 30 novembre 1939, la Chambre des députés se réunit pour la première fois depuis le début de la guerre.

Particularité de cette séance qui marque l'ouverture d'une nouvelle session parlementaire : aucun député communiste n'y participera à l'exception de Gaston Cornavin. Les raisons : la mobilisation et l'affaire du groupe ouvrier et paysan français.

L'affaire du groupe ouvrier et paysan français désigne la procédure engagée par la justice militaire contre les députés communistes pour une lettre en date du 1er octobre 1939 qu'ils ont envoyée au président de la Chambre et dans laquelle ils prônaient la Paix sous les auspices de l'URSS.

Remis en liberté provisoire pour raison de santé, le député du Cher occupe seul les bancs communistes.

Ouverte à 9 h 30, la séance débute avec une allocution du président de la Chambre, Edouard Herriot, radical-socialiste. Elle se poursuit avec par une communication du président du Conseil, Edouard Daladier, radical-socialiste, qui est sa première prise de parole devant le Parlement depuis le début du conflit.

Au cours de cette intervention, Florimond Bonte fait irruption dans l'hémicycle à la stupéfaction générale. En effet, visé par un mandat d'arrêt, le député communiste de la Seine est recherché par la police. Sur le plan judiciaire, l'ouverture d'une nouvelle session du Parlement lui permet de bénéficier de nouveau de l'immunité parlementaire.

Membre du Comité central, Florimond Bonte est sorti de la clandestinité pour remplir une mission précise : lire une déclaration du Parti communiste.

Après quelques phrases prononcées, le député de Paris est saisi par les huissiers et expulsé de la salle des séance. A la sortie du Palais Bourbon, il est arrêté par la police. Dans la soirée, il rejoint ses camarades à la prison militaire de la Santé. Point particulier : la levée de son immunité parlementaire a été validée par un vote de la Chambre en début d'après-midi autrement dit après son arrestation.

Quant à Gustave Cornavin, il a profité de la confusion née de l'incident provoqué par son camarade pour quitter l'hémicycle. Privé lui aussi de son immunité parlementaire, il sera arrêté le lendemain et renvoyé en prison.

Reprenant sa communication, Edouard Daladier ajoute à son texte une référence aux deux députés communistes pour déclarer avec force que "le Parlement français ne peut délibérer en présence de traîtres" :

"Cette guerre est pour nous la guerre de notre sécurité, la guerre de notre liberté et c'est pour cela que le Parlement français ne peut délibérer en présence de traîtres. (Vifs applaudissements sur tous les bancs)".  (1)

Improvisée, cette accusation de trahison était par ailleurs prévue dans un passage de son allocution dénonçant "l'abominable trahison" "des chef communistes" qui "se sont mis à la disposition de l'Allemagne".

Accompagnée d'un hommage du Parti communiste saluant son "courage", la déclaration de Florimond Bonte sera intégralement publiée dans un numéro spécial de l'Humanité de décembre 1939.

Ce texte accuse le gouvernement Daladier de mener sur le plan intérieur une guerre de réaction et sur le plan extérieur une guerre impérialiste. Au terme de ce réquisitoire, le Parti communiste appelle, les travailleurs à s'unir dans un "Front unique d'action" pour chasser le Gouvernement Daladier, faire la Paix avec l'Allemagne et détruire le régime capitaliste, cause de toutes les guerre impérialistes.

Développant dans la longueur les positions du PCF, ce texte est de la même importance que l'Appel au Peuple de France publié au mois d'octobre 1939 et celui qui sera diffusé au mois de février 1940.

Illustration du contenu pacifiste, anglophobe et antipatriotique de la déclaration que Florimond Bonte devait lire au sein même du Parlement français, l'extrait suivant :

"On accuse aujourd'hui les communistes d'être des agents de l'étranger; c'est là l'accusation classique dirigée de tout temps contre les révolutionnaires; mais ce que les travailleurs peuvent constater c'est que le gouvernement français subordonne les intérêts français aux intérêts des banquiers de Londres et acceptent que notre pays deviennent une sorte de Dominion.
Tout cela ne peut pas durer, ne doit pas durer pense le peuple de France convaincu de la nécessité, pour mettre fin à la guerre, de chasser le gouvernement de honte, de misère, de guerre que préside M. Daladier. Contre ce gouvernement et contre tous ses soutiens, nous appelons les travailleurs à s'unir, à réaliser dans les usines, dans les villes et dans les villages le Front unique d'action.
Tous unis, démasquons les traîtres au service du capital, les Blum, les Jouaux et autres. [...]
Tous unis, luttons pour briser le joug de la dictature imposée au peuple de France par le gouvernement Daladier. [...]
A bas la guerre impérialiste source de profits pour les uns, de ruines et de souffrance pour les autre !
A la porte, le gouvernement de misère, de dictature, de guerre et d’assujettissement de la France aux banquiers de la Cité de Londres, à la finance internationale !
Vive l'union des masses laborieuses contre la guerre impérialiste et pour la paix !"

Après avoir évoqué l'affaire du groupe ouvrier et paysan français (I), on apportera quelques éléments supplémentaires sur la séance du 30 novembre 1939 (II) et le contenu de la déclaration de Florimond Bonte (III).

(1) Journal officiel du 1er décembre 1939.

Partie I


Groupe ouvrier et paysan français

Le 26 septembre 1939, soit trois semaines après le début de la guerre contre l'Allemagne nazie, le Conseil des ministres adopte un décret-loi prononçant la dissolution du Parti communiste français

Nouvelle mesure visant le PCF après la suspension de sa presse consécutive à son approbation du Pacte germano-soviétique du 23 août 1939, cette décision du gouvernement dirigé par Edouard Daladier, radical-socialiste, est une réaction à l'invasion de la Pologne par l'Armée rouge le 17 septembre.

Le Parti communiste n'a pas condamné cette agression. Mieux, un communiqué de presse (censuré) de son groupe parlementaire l'a approuvée.

Le 27 septembre, jour de la publication du décret de dissolution, les députés du groupe communiste décident de former un nouveau groupe parlementaire.

Ce nouveau groupe est formellement constitué le lendemain sous le nom de groupe ouvrier et paysan français. Sa création est annoncée au Journal officiel du 29 septembre 1939. Pour marquer son absence de tout lien avec la IIIe Internationale son programme fait référence à la plateforme de 1880 du Parti ouvrier français de Jules Guesde.

Sur les 74 députés communistes issus des élections législatives de 1936 et des partielles qui les ont suivi, 53 rejoindront le GOPF. Les autres n'y adhéreront pas soit parce qu'ils sont mobilisés (18) soit parce qu'ils ont rompu avec le PCF (3).


Lettre au président Herriot

Le 28 septembre, à Moscou, l'URSS et l'Allemagne nazie signent un Traité de frontières et d'amitié qui organise le démembrement de la Pologne et fonde sur ce partage "le développement et le progrès des relations amicales entre leurs peuples".

Preuve supplémentaire de leur alliance, les deux bourreaux du peuple polonais paraphent le même jour une Déclaration conjointe.

Dans ce texte, ils appellent la France et l'Angleterre à approuver leur action en Pologne, s'engagent à faire des "efforts communs" pour "mettre fin à l'état de guerre qui existe entre l'Allemagne d'une part, la France et l'Angleterre d'autre part" et enfin affirment qu'un échec de leurs démarches pour la paix établira le fait que "l'Angleterre et la France sont responsables de la continuation de la guerre".

Une seule formation politique va apporter son soutien à cette offensive de Paix hitléro-stalinienne : le Parti communiste français. Son objectif : démontrer que sa capacité d'action en faveur de la paix n'a pas été altérée par sa dissolution. Son mode d'action : la mobilisation de sa dernière tribune légale qu'est son groupe parlementaire.

C'est dans ce contexte que le groupe ouvrier et paysan français envoie au président de la Chambre une lettre en date du 1er octobre 1939 dans laquelle il annonce l'imminence de "propositions de paix, dues aux initiatives diplomatiques de l'U.R.S.S." et demande en conséquence l'organisation d'un vote du Parlement en faveur d'une "paix juste, loyale et durable, que du fond de leur cœur souhaitent tous nos concitoyens".

Pour justifier sa démarche, le groupe parlementaire communiste accuse la France et l'Angleterre d'être les responsables de la guerre, dénonce les conséquences d'une guerre longue, condamne la presse belliciste et enfin invoque la diplomatie soviétique.

La lettre au président Herriot est signée au nom du GOPF par Arthur Ramette et Florimond Bonte, respectivement président et secrétaire général du groupe parlementaire communiste. Député du Nord, le premier est membre du Bureau politique. Député de Paris, le second est membre du Comité central.

Le Parti communiste aura la volonté de faire connaître son initiative pacifiste - qualifiée de "coup d'éclat" par Maurice Thorez, secrétaire général du PCF - non seulement à la représentation nationale mais aussi à l'ensemble de la population française. Dans ce but, des copies de la lettre seront envoyées par courrier à tous les députés et des exemplaires supplémentaires seront remis aux correspondants de la presse présents à la Chambre.

Par son contenu, la lettre du GOPF provoquera une réaction indignée de la presse, suscitera une condamnation de tous les partis politiques et le plus important aura des conséquences sur le plan judiciaire.

En effet, considérant que la diffusion de cette lettre constitue une infraction au décret de dissolution la justice militaire engagera des poursuites contre tous les députés communistes. Elle cherchera aussi à déterminer si l'article 75 du code pénal qui définit la trahison peut s'appliquer à cette initiative qui invoque la diplomatie soviétique.

Dans cette procédure judiciaire, 10 députés du groupe ouvrier et paysan français échapperont à l'arrestation. Parmi eux : Florimond Bonte.


"Paix de trahison"

Le 6 octobre 1939, le chancelier Hitler célèbre la victoire allemande en Pologne dans un discours prononcé devant le Reichstag.

Formulant à la fin de son intervention des propositions de Paix, le dictateur nazi avance l'idée d'une conférence internationale sur l'organisation politique et économique du continent européen ainsi que sur... son désarmement en posant une exigence identique à celle contenue dans la déclaration germano-soviétique du 28 septembre : la France et l'Angleterre doivent approuver le partage de la Pologne entre l'Allemagne nazie et la Russie soviétique.

Dans son allocution radiodiffusée le 10 octobre, le président du Conseil, Edouard Daladier, rejettera les propositions de paix allemandes et condamnera les communistes pour leur soutien à une "paix allemande" qui n'est qu'une "paix de trahison" :

"Il y a quelques semaines à peine que les chefs communistes se présentaient à vous comme de farouches patriotes. C'étaient, à les entendre, de nouveaux Jacobins. Ils n'avaient pas de mots assez durs et même pas assez d'injures pour flétrir les efforts pacifiques du gouvernement.
Ils annonçaient dans les meetings qu'ils seraient à la pointe du combat contre Hitler et contre ses armées, pour la liberté, pour la patrie, et il a suffi que les bolchevistes trouvent leur intérêt à s'entendre avec les nazis et à partager avec eux la Pologne pour que ces mêmes grands patriotes fassent l'apologie d'une paix de trahison [Lettre du GOPF]. [...]
Ni la France ni la Grande-Bretagne, en effet, ne sont entrées en guerre pour soutenir une sorte de croisade idéologique. Ni la France ni la Grande-Bretagne ne sont davantage entrées en guerre par esprit de conquête. Elles ont été obligées de combattre parce que l'Allemagne veut leur imposer sa domination sur l'Europe. [...]
Je sais bien qu'on vous parle aujourd'hui de paix, de la paix allemande, d'une paix qui ne ferait que consacrer les conquêtes de la ruse ou de la violence et n'empêcherait nullement d'en préparer de nouvelles.
A quoi se résume en effet le dernier discours du Reichstag ? A ceci : J'ai anéanti la Pologne, je suis satisfait, arrêtons le combat, tenons une conférence pour consacrer mes conquêtes et organiser la paix. [...]
Certes, nous avons toujours désiré et nous désirons toujours qu'une collaboration sincère et une entente loyale puissent être établies entre les peuples, mais nous sommes résolus à ne pas nous soumettre aux « diktats » de la violence. Nous avons pris les armes contre l'agression; nous ne les reposerons que lorsque nous aurons des garanties certaines de sécurité, d'une sécurité qui ne soit pas mise en question tous les six mois. [...]
La France, à qui la guerre a été imposée, tient au combat le même langage qu'elle a toujours tenu. J'affirme donc, en votre nom, que nous combattons et que nous continuerons à combattre pour obtenir une garantie définitive de sécurité."
.

De même, dans son discours prononcé à la Chambre des Communes le 12 octobre, le premier ministre anglais, Neville Chamberlain, repoussera les proposition de paix du chancelier Hitler.

Le refus de la France et de l'Angleterre de reconnaître comme un fait acquis le partage de la Pologne entre l'Allemagne et l'URSS et donc d'engager des négociations de Paix avec Berlin marque l'échec à la fois de la diplomatie soviétique et de l'initiative pacifiste des députés communistes.


Partie II


Séance du 30 novembre 1939

Le 30 novembre 1939, la Chambre des députés se réunit pour la première fois depuis le début de la guerre.

Cette séance est la première de la deuxième session extraordinaire de 1939. Elle présente deux particularités. Tout d'abord, elle se tient le jour même de l'invasion de la Finlande par les armées soviétiques. Ensuite, aucun député communiste n'y participera à l'exception de Gustave Cornavin. Les raisons : la mobilisation et l'affaire du groupe ouvrier et paysan français.

Remis en liberté pour raison de santé, le député du Cher occupe seul les bancs communistes.

La séance débute à 9 h 30 par un hommage aux "soldats de la République" prononcé par le président de la Chambre, Edouard Herriot, radical socialiste :

"Mes chers collègues, au moment où nous reprenons nos travaux, il convient que nos premières pensées aillent aux soldats de la République (MM. les députés se lèvent), aux armées de terre, de mer et de l'air (Applaudissements unanimes.) Depuis trois mois, en étroite coopération avec nos alliés (Nouveaux applaudissements sur tous les bancs), auxquels nous unissent une volonté commune de défendre le même idéal de liberté et une commune confiance dans la victoire finale, nos forces sont en lutte dans une guerre que l'ennemi rend chaque jour plus cruelle. [...]
La Chambre unanime voudra prier le Gouvernement qui veille avec un zèle incessant aux destinées de la patrie de faire parvenir aux armées et à leurs chefs l'expression de la reconnaissance et de l'affection nationales. (Applaudissements prolongés.)
Si ces premières semaines de guerre n'ont pas provoqué de sacrifices comparables aux terribles holocaustes de 1914, elles nous ont coûté de précieuses existences. Ce n'est pas à notre pays que l'on pourra demander d'oublier ces pertes. Le courage français n'est pas fait d'inhumanité; il sait, sans faiblir, donner sa part à la douleur. Que les morts du champ de bataille reçoivent notre hommage ! Que leurs familles nous permettent de nous associer à leur glorieuse peine ! Il est, dans cette enceinte même, des collègues atteints dans leurs parentés les plus proches; ils ne douteront pas d'une sympathie qui entend s'exprimer avec pudeur mais avec sincérité. (Applaudissements.)". (1)

(1) Journal officiel du 1er décembre 1939.


Incident de séance

Après l'allocution du président de la Chambre suit une communication du président du Conseil, Edouard Daladier, radical-socialiste.

Dans cette première intervention devant le Parlement depuis le début du conflit, le président du Conseil débute en rendant hommage aux "soldats de la France" qui combattent "l'ennemi nazi depuis près de trois mois" :

"Depuis bientôt, trois mois, les soldats de la France, répondant, avec une ferme résolution, à l'appel de la Patrie, sont sur le front de bataille. Des armées de la République qui combattent à nos frontières, nous vient, aujourd'hui, le plus haut exemple. C'est là que sont les forces les plus nobles du pays qui combattent l'ennemi nazi depuis près de trois mois. Cavaliers des groupes de reconnaissance, fantassins, chasseurs, tirailleurs musulmans, fidèles à la patrie commune, soldats coloniaux qui veillent avec eux aux avant-postes, artilleurs qui les soutiennent de leurs feux; aviateurs qui les défendent dans le ciel, marins qui patrouillent sur les mers, tous luttent d'un même cœur, dans cette atmosphère de sacrifice et de fraternité, qui rend le plus humble égal au meilleur, qui fait du meilleur un héros exemplaire." (2)

Evoquant par la suite la situation militaire, il est interrompu par l'irruption dans l'hémicycle du député communiste Florimond Bonte :

"Certes, contrairement à toutes les prévisions, les opérations militaires à la fin de ce troisième mois, ne se sont pas encore développées avec cette violence, cette vaste et brutale extension à de larges fronts qu'elles semblaient devoir voir revêtir. Nous ne devions pas, quant à nous, prendre cette initiative. Cette guerre est pour nous la guerre de notre sécurité, la guerre de notre liberté...".

(A ce moment, M. Florimond Bonte prend place à son banc. — Vives interruptions et protestations.)" (3)

Sous le coup d'un mandat d'arrêt, la présence du député communiste suscite de vives protestations. On entend diverses voix crier : "Suspension !", "A la porte !". (4)

Le président Herriot manifeste aussi son indignation avec une référence à l'agression soviétique de la Finlande :

"Votre présence ici, en un pareil moment est un scandale. (Vifs applaudissements sur tous les bancs )." (5)

Membre du Comité central, Florimond Bonte est sorti de la clandestinité pour remplir une mission : lire une Déclaration du Parti communiste.

Preuve supplémentaire de l'importance de cette déclaration : elle n'a pas été préparée par la direction parisienne du Parti communiste clandestin dirigée par Benoît Frachon mais par celle qui s'est installée à Bruxelles au début du mois d'octobre avec à sa tête Jacques Duclos, n° 2 du PCF.

A peine a-t-il commencé la lecture d'un papier qu'il a sorti de sa poche que Florimond Bonte est saisi par les huissiers et expulsé de la salle des séances comme le relate le Journal officiel :

"(M. Florimond Bonte prononce des paroles qui ne parviennent pas au bureau)

M. le président. Monsieur Bonte, je vous invite à vous retirer. (Nouveaux applaudissements.)
Huissiers, faites sortir M. Bonté.

(M. Bonte est emmené hors de la salle des séances.)" (6)

A sa sortie du Palais Bourbon, Florimond Bonte est arrêté par la police. Dans la soirée, il rejoint ses camarades à la prison militaire de la Santé. Point particulier : la levée de son immunité parlementaire a été validée par un vote de la Chambre en début d'après-midi autrement dit après son arrestation.

Quant à Gustave Cornavin, il a profité de la confusion née de l'incident provoqué par son camarade pour quitter l'hémicycle. Privé lui aussi de son immunité parlementaire, il sera arrêté le lendemain et renvoyé en prison.

Reprenant sa communication, Edouard Daladier ajoute à son texte une référence aux deux députés communistes pour déclarer avec force que "le Parlement français ne peut délibérer en présence de traîtres" :

"Cette guerre est pour nous la guerre de notre sécurité, la guerre de notre liberté et c'est pour cela que le Parlement français ne peut délibérer en présence de traîtres. (Vifs applaudissements sur tous les bancs)". (7)

Improvisée, cette accusation de trahison était par ailleurs prévue dans un passage de son allocution dénonçant "l'abominable trahison" "des chef communistes" qui "se sont mis à la disposition de l'Allemagne" :

"Sur le plan international, depuis que j'ai eu, le 2 septembre dernier, l'honneur de m'adresser à cette Assemblée, une série d'événements se sont déroulés dont les répercussions sont encore imprévisibles. Six mois après la ruée sur Prague, le Reich envahissait la Pologne. Ecrasée sous la supériorité du nombre et du matériel, l'armée polonaise était sur le point d'opérer un redressement, lorsque, le 16 septembre (8), l'agression de la Russie soviétique a rendu toute résistance impossible. Dès le 28 septembre, le territoire de la Pologne a été partagé entre l'Allemagne et les Soviets, la grande majorité ethnique polonaise étant annexée par le Reich. Cette malheureuse nation a été, pour un temps, réduite à la servitude. Les meurtres et les exécutions s'abattent sur elle. Mais, sur notre sol, un nouveau gouvernement polonais et une une nouvelle armée polonaise s'apprête à combattre, jusqu'à la victoire commune, aux côtés de nos soldats et des soldats de la Grande-Bretagne. [...]
La France reposera les armes lorsqu'elle pourra traiter avec un Gouvernement dont la signature engagera les actes. Elle traitera quand pourront être réparés les torts causés à des nations plus faibles, quand une sécurité durable pourra être établie. [...]
Mais impuissante à convaincre le monde, l'Allemagne avait pensé qu'elle briserait notre résistance par nos divisions intérieures. Elle avait compté sur l'action d'un parti qui, hier encore, dénonçait en elle et dans son régime les ennemis mortels de la civilisation et qui, aujourd'hui, prêche la trahison devant l'ennemi.
Ai-je besoin de rappeler ce que disaient les chefs communistes quelques mois, quelques jours avant que l'Allemagne ne déchaîne cette guerre ?
« Si Hitler, malgré tout, déclenche la guerre, alors qu'il sache bien qu'il trouvera devant lui le peuple de France uni, les communistes au premier rang, pour défendre la sécurité du pays, la liberté et l'indépendance des peuples. C'est pourquoi notre parti communiste approuve les mesures qui ont été prises par le Gouvernement pour garantir nos frontières et apporter, le cas échéant, l'aide nécessaire à la nation qui pourrait être agressée et à laquelle nous sommes liés par un traité d'alliance. »
Ces paroles (9) sont du 25 août . [...]
Mais dès septembre, alors que tous les Français se levaient pour défendre la Patrie, alors que les communistes du rang rejoignaient leurs régiments et allaient faire front au danger, les chefs communistes ont brusquement changé de position et se sont mis à la disposition de l'Allemagne.
Quand nous avions encore la paix, ils poussaient à la guerre. Quand nos enfants tombent sous les obus et les balles, ils rejoignent le camp de l'ennemi.
Cette abominable trahison n'a pas porté les fruits que l'Allemagne en attendait. Elle s'est heurtée au clair bon sens du peuple de France. Nous la traquerons sans trêve ni merci. Nous la briserons par toutes les rigueurs de la loi, conscients d'accomplir ainsi un devoir sacré envers ceux qui combattent et qui souffrent.
Les forces morales de la France sont intactes. Mais les complices de l'ennemi et les traitres, d'où qu'ils viennent, et quel que soit le masque qu'ils mettent sur leur visage, n'ont pas droit de cité parmi nous." (10)

(1) à (7) Journal officiel du 1er décembre 1939.
(8) L'URSS a envahi la Pologne le 17 septembre 1939.
(9) Communiqué de presse du groupe parlementaire communiste.
(10) Journal officiel du 1er décembre 1939.


Partie II


Directions clandestines du PCF

Après sa dissolution le 26 septembre 1939, le Parti communiste a poursuivi dans la clandestinité son combat pour la Paix avec Hitler. Son chef était Benoît Frachon.

Une seconde direction s'est mise en place à Bruxelles avec à sa tête Jacques Duclos, n° 2 du PCF. Avec le soutien du Parti communiste belge et de l'antenne de l'IC installée dans la capitale belge, cette direction a pu mettre en place un véritable centre d'imprimerie permettant d'imprimer tracts, numéros spéciaux de l'Humanité, brochures ou encore la revue théorique du Parti, les Cahiers du bolchévisme.

Dernier élément, Maurice Thorez, a déserté au début du mois d'octobre. Après un court séjour à Bruxelles, le secrétaire général du PCF s'est réfugié à Moscou. Par la suite, il a orienté l'action du Parti par ses lettres, ses articles et les Instructions de l'IC qu'il a co-signés.


Déclaration de Florimond Bonte

Préparée et imprimée en Belgique avant d'être diffusée clandestinement sur le territoire français, l'Humanité numéro spécial de décembre 1939 publie en première page une communication du Parti communiste titrée "Le Parti communiste salue Florimond Bonte".

Dans ce texte, le Parti adresse "son plus ardent salut" à Florimond Bonte pour avoir eu "le courage" de prendre la parole à la séance du 30 novembre 1939 :

"Le Parti Communiste adresse à Florimond Bonte son plus ardent salut.
Seul, soutenu par Cornavin, à qui le Parti adresse également sa sympathie, au milieu d'une Chambre domestiquée, Florimond Bonte a eu le courage d'élever la voix au nom des masses laborieuses de France.
Il a rempli sa tâche avec un courage digne d'un vrai communiste.
Le Parti communiste est fier de compter dans ses rangs des hommes de cette trempe qui continue la tradition glorieuse de Karl Liebknecht.
L'attitude courageuse de Florimond Bonte fait ressortir davantage encore la lâcheté des renégats qui tremblent de peur et la bassesse des chefs socialistes à genoux devant le pouvoir."

Député social-démocrate allemand, Karl Liebknecht a été un opposant déterminé à la guerre pendant le conflit de 1914-1918. Exclu du parti socialiste pour avoir refusé de voter les crédits militaires, il a participé à la fondation de ce qui deviendrait le Parti communiste allemand. Son combat pour la fin de la guerre été immortalisée par son mot d'ordre "l'ennemi est dans notre propre pays". Ce mot d'ordre été repris par le PCF pendant la guerre de 1939-1940.

Cette première page de l'Humanité reproduit en outre l'intégralité de la déclaration que Florimond Bonte a tenté de lire à la Chambre des députés.

Elle précédée d'un chapeau et d'un texte de présentation. Le chapeau indique :

"La Bourgeoisie abroge elle-même la légalité qu’elle a créée (Lenine)
Florimond BONTE expulsé de la Chambre et ensuite arrêté
ne peut lire la déclaration communiste. L'immunité parlementaire des Députés
Communistes est levée avec le concours des Députés Socialistes."

Titré "Il n'y a plus de Parlement", le texte de présentation dénonce notamment "le gouvernement de dictature militaire" qui "a fait arrêter Florimond Bonte, pourtant couvert par l'immunité parlementaire, en pleine Chambre des députés". Il se termine sur cette annonce :

"Voici la déclaration que Florimond Bonte aurait faite à la Chambre s'il en avait été arraché par la violence, et illégalement".

La "déclaration communiste" peut être décomposée en trois parties.

Dans la première partie, le Parti communiste accuse le gouvernement Daladier de mener, sur le plan intérieur, une guerre de réaction avec comme exemple significatif la répression des actions communistes en faveur pour la Paix en utilisant de surcroît des méthodes fascistes.

Sa conclusion : l'ennemi n'est pas l'Allemagne mais la France. Il justifie ainsi l'un de ses mots d'ordre : "l'ennemi est dans notre propre pays".

Dans la deuxième partie, il accuse le gouvernement Daladier de mener, sur le plan extérieur, une guerre impérialiste qui s'explique par sa volonté de servir les intérêts des banquiers de Londres.

Au terme de ce réquisitoire, le Parti communiste appelle, dans une troisième partie, les travailleurs à s'unir dans un "Front unique d'action" pour chasser le Gouvernement Daladier, faire la Paix avec l'Allemagne et détruire le régime capitaliste, cause de toutes les guerre impérialistes.

En suivant ce découpage, on reproduira un extrait de la déclaration que Florimond Bonte devait lire au sein même du Parlement français :

[Guerre de réaction]

"Au moment où la Chambre se réunit, trois mois après le commencement de la guerre, il est nécessaire de rappeler tout d'abord que 34 députés sont emprisonnés et 10 autres traqués par la police parce qu'ils ont défendu la cause de la paix.
Les élus communistes, que le gouvernement emprisonne et persécute au mépris de sa propre légalité, ont eu raison de demander que les les représentants de la Nation soient appelés à prendre leurs responsabilités sur les problèmes de la paix, au lieu de laisser une presse vénale et des gouvernants aux ordres des 200 familles, exalter et poursuivre une politique de guerre contraire aux intérêts du peuple de France. [...]
Le gouvernement du capitalisme français ose dire qu'il défend la démocratie, mais il a détruit toutes les libertés et il fait peser sur la France une dictature militaire qui laisse loin derrière elle les périodes les plus sombres du Second Empire et de l'ordre moral.
Jaloux des lauriers de Napoléon III et des ministres de Mac-Mahon qui poursuivirent la section française de la Première Internationale, M. Daladier a dissous la section française de la Troisième Internationale (1), imitant en cela les gouvernements de fascisme et d'oppression dont le méthodes de violence et de terreur sont importées en France à la faveur de la guerre. 
Les communistes qui dénoncent la malfaisance des 200 familles, des oligarchies financières internationales coupables de lancer les peuples dans la guerre pour réaliser de monstrueux profits sont persécutés, et 150 ans après la Révolution Française, la France, terre de liberté, devient terre de camps de concentration. [...]
Il y avait aussi des camps de concentration pour les étrangers, mais il n'y en avait pas encore pour les Français. Désormais, cette lacune est comblée puisque par décret (2) le gouvernement vient de remette en vigueur la lettre de cachet de l'ancien régime, en même temps qu'il s'est arrogé le droit d'imposer à des innocents, considérés comme suspects, la résidence forcée dans un camp de concentration, et le travail forcé.
Ainsi le peuple de France qui fit le Front Populaire contre le fascisme se voit désormais appliquer les méthodes fascistes. [...]
C'est là une politique odieuse de réaction dont se dégage une vérité essentielle, c'est que nos libertés sont menacées de l'intérieur, ce qui revient à dire que les ennemis du peuple de France sont en France même. [...]
On veut réduire le peuple français à l'esclavage le plus honteux et, pour atteindre cet objectif, on a voulu briser par avance toutes les bases de résistance à l'oppression. [...]
Mais toutes ces mesures de dissolution d'organisations ouvrières et de confiscation de leurs biens n'ont pu être prises que grâce à la complicité honteuse du Parti Socialiste, dont les chefs se sont fait les fourriers de la répression, et grâce à l'attitude des dirigeants de la CGT, qui, tenue en laisse par la bourgeoisie, ont tout fait pour aboutir à la domestication des syndicats et à l'élimination de tout contrôle des masses ouvrières.

[Guerre impérialiste]

Ainsi les travailleurs mobilisés, ceux qui sont au front et à qui on dit qu'ils défendent la liberté, peuvent voir que c'est un mensonge éhonté. La guerre qu'on fait faire au peuple de France poursuit à l'extérieur des objectifs impérialistes, en même temps qu'elle permet à l'intérieur d'imposer un odieux régime de dictature militaire et de terreur au peuple de France. [...]
On ose cyniquement prétendre que la cause de la Pologne est la cause de la liberté. C'est là un mensonge abominable. Ce qui est vrai, c'est que le gouvernement polonais, qui s'effondra au bout de quinze jours de guerre, après avoir multiplié les provocations destinées à empêcher la formation d'un front de la paix, était un gouvernement d'oppression et de fascisme, qui prit de force Wilna à la Lithuanie et s'appropria des territoires de la Tchécoslovaquie.
Aujourd'hui, le gouvernement français accorde à un gouvernement polonais, qui ne représente rien, des privilèges d’extraterritorialité qui furent refusés au gouvernement de la République Espagnole, alors que la zone du centre, de Madrid à Valence, résistait encore. [...]
Comme de 1914 à 1918, ce qui est en jeu dans cette guerre, c'est la possession des matières premières, la domination des marchés, l'hégémonie impérialiste, et tandis que le régime capitaliste, avant de disparaître, fait à nouveau couler le sang des travailleurs, nous rappellerons ce que disait Jaurès de ce régime fondé sur l'exploitation de l'homme par l'homme :
« Le capitalisme porte la guerre en lui comme la nuée porte l'orage. » [...]
Pendant des années, les impérialistes anglo-français et leurs agents avaient accusé l'URSS et les communistes de vouloir une guerre idéologique contre le fascisme, alors que toujours les communistes avaient affirmé leur volonté de dresser le barrage de la paix, considérant qu'il appartient à chaque peuple de se libérer lui-même et conquérir sa liberté.
La signature du pacte germano-soviétique aurait dû être saluée comme une contribution heureuse à la pacification du monde, mais au lieu de cela les impérialistes franco-anglais se livrèrent à d'ignobles attaques contre l'URSS, contre les communistes et poussèrent le Pologne à refuser un règlement à l'amiable concernant le couloir de Dantzig, alors qu'en septembre 1938 ils avaient contraint la Tchécoslovaquie à céder sur toute la ligne.
De même que le grand socialiste allemand Karl Liebknecht se dressa courageusement contre la guerre (3) en proclamant à la face de l'Allemagne et de l'univers : « L'ennemi est dans notre propre pays », de même nous, communistes français, que rien ne pourra empêcher de rester fidèles à nos conceptions du progrès humain, à notre idéal d'affranchissement social et à notre foi inébranlable dans l'avenir du communisme, nous dénonçons et combattons les fauteurs de guerre qui sont en France, tandis que les communistes anglais luttent en Angleterre contre les ennemis du peuple anglais et que les communistes allemands mènent le combat en Allemagne contre les ennemis du peuple allemand.

[Paix par la Révolution socialiste]

La guerre actuelle provoque une crise qui fixe des tâches nouvelles aux masses ouvrières. Durant toute la période qui a précédé la guerre, les ouvriers ne pouvaient se fixer comme objectif prochain la disparition de l'esclavage capitaliste, ils luttaient pour améliorer leurs conditions d'existence, et la politique du Front Populaire, dont le Parti Communiste Français fut l'initiateur, donna de substantiels résultats; mais aujourd'hui, devant les misères et les souffrances accumulées à nouveau par le régime capitaliste, le grand problème de la disparition des causes des impérialistes et de l'exploitation des masses laborieuses va se poser avec chaque jour plus de force devant la consciences des travailleurs.
Les capitalistes ont voulu une nouvelle guerre, une nouvelle saignée des peuples, pour en faire sortir d'immenses bénéfices, en même temps qu'une vague de réaction politique et de régression sociale, mais les travailleurs voient désormais d'où vient le mal, et ils voient aussi comment il faut le conjurer. [...]
On accuse aujourd'hui les communistes d'être des agents de l'étranger; c'est là l'accusation classique dirigée de tout temps contre les révolutionnaires; mais ce que les travailleurs peuvent constater c'est que le gouvernement français subordonne les intérêts français aux intérêts des banquiers de Londres et acceptent que notre pays deviennent une sorte de Dominion.
Tout cela ne peut pas durer, ne doit pas durer pense le peuple de France convaincu de la nécessité, pour mettre fin à la guerre, de chasser le gouvernement de honte, de misère, de guerre que préside M. Daladier. Contre ce gouvernement et contre tous ses soutiens, nous appelons les travailleurs à s'unir, à réaliser dans les usines, dans les villes et dans les villages le Front unique d'action. 
Tous unis, démasquons les traitres au service du capital, les Blum, les Jouaux et autres. [...]
Tous unis, luttons pour briser le joug de la dictature imposée au peuple de France par le gouvernement Daladier. [...]
A bas la guerre impérialiste source de profits pour les uns, de ruines et de souffrance pour les autre !
A la porte, le gouvernement de misère, de dictature, de guerre et d’assujettissement de la France aux banquiers de la Cité de Londres, à la finance internationale !
Vive l'union des masses laborieuses contre la guerre impérialiste et pour la paix !"

Par son contenu, ce texte illustre la ligne pacifiste, anglophobe et antipatriotique défendue par le PCF depuis le début du conflit.

Développant dans la longueur les positions du PCF, la déclaration communiste de novembre 1939 est de la même importance que l'Appel au Peuple de France publié au mois d'octobre 1939 et celui qui sera diffusé au mois de février 1940, deux textes rédigés par... Jacques Duclos.

(1) Décret-loi du 26 septembre 1939 prononçant la dissolution des organisations communistes.
(2) Décret-loi du 18 novembre 1939 relatif aux mesures à prendre à l'égard des individus dangereux pour la défense nationale ou la sécurité publique
(3) Première guerre mondiale.