MENU

Loi du 30 juillet 1940 relative à la Cour suprême de justice


Loi du 30 juillet 1940
relative à l'organisation, la compétence et la procédure
de la Cour suprême de justice

Nous, Maréchal de France, chef de l'Etat français,

Le conseil des ministres entendu,

Décrétons :

[Compétence]

Art. 1er. - La Cour suprême de justice instituée par l'acte constitutionnel n° 5 en date du 30 juillet 1940 est chargée de juger :
1° Les ministres, les anciens ministres ou leurs subordonnés immédiats, civils et militaires, accusés d'avoir commis des crimes ou délits dans l'exercice ou à l'occasion de leurs fonctions, ou d'avoir trahi les devoirs de leur charge;
2° Toute personne accusée d'attentat contre la sûreté de L’État et de crimes et délits connexes;
3° Tout coauteur ou complice des personnes visées aux paragraphes précédents.

[Composition]

Art. 2. - La Cour suprême de justice se compose d'un président, un vice-président, cinq conseillers titulaires et trois conseillers suppléants.
Le président de la chambre criminelle de la Cour de cassation est, de droit, président de la Cour suprême de justice.
Les autres membres sont nommés à vie par décret, en conseil des ministres et choisis dans les catégories suivantes :
Le vice-président parmi les membres et anciens membres de la Cour de cassation.
les conseillers titulaires et les conseillers suppléants parmi les magistrats ou anciens magistrats, les officiers généraux de la première ou de la deuxième section de l'état-major général, les membres du conseil de l'ordre de la Légion d'honneur; les membres ou anciens membres des corps constitués.

Art 3. - Un procureur général et deux avocats généraux exercent les fonctions du ministère public devant la Cour suprême de justice. Ils sont nommés par décret en conseil des ministres.
Le greffier en chef et les greffiers de la Cour suprême de justice sont désignés par arrêté du garde des sceaux, ministre secrétaire d’État à la justice.

[Convocation]

Art. 4. - Un décret en conseil des ministres ordonne la convocation de la Cour suprême de justice, fixe la date et le lieu de sa réunion, détermine l'objet de la convocation et charge le garde des sceaux, ministre secrétaire d’État à la justice, de prendre les mesures d'exécution.
Jusqu'à jugement ou arrêt définitif, ce décret peut déférer à la Cour suprême de justice les infractions visées à l'article 1er, même si d'autres juridictions en sont déjà saisies.
Celles-ci peuvent se déclarer incompétentes tant qu'aucun décret n'a été pris dans les conditions précisées aux paragraphes précédents.

[Procédure]

Art. 5. - L'action publique devant la Cour suprême de justice se prescrit par dix ans, à dater de la perpétration des faits, même si ceux-ci sont antérieurs à la promulgation de la présente loi.

Art. 6. - La Cour suprême de justice est saisie d'un réquisitoire du procureur général.
Elle charge un ou plusieurs de ses membres titulaires ou suppléants d'informer avec tous les pouvoirs d'exercer des instructions.
Les membres de la Cour de justice qui ont accompli des actes d'instruction peuvent concourir au jugement.

Art. 7. - La Cour suprême de justice est valablement constituée par la présence de cinq de ses membres; elle ne peut délibérer que si ceux-ci sont en nombre impair; les arrêts sont rendus à la majorité; ils sont motivés et signés du président et du greffier.

Art. 8. - L'accusé peut se faire assister par les avocats inscrits à un barreau ou, s'il y est autorisé par le président, par un défenseur de son choix.

Art. 9. - La Cour suprême de justice siège en audience publique; elle peut ordonner le huis clos chaque fois que l'intérêt public l'exige; l'arrêt est lu en audience publique.

Art. 10. - Toutes les exceptions y compris celle d'incompétence seront examinées et jugées, soit séparément du fond, soit en même temps que le fond, suivant ce que la Cour suprême de justice aura ordonné.

Art: 11. - Les pièces de procédure et mémoires peuvent être présentés sur papier libre et sont dispensés des droits d'enregistrement. Les notifications se font par la voie administrative.

Art. 12. - La Cour suprême de justice ne pourra prononcer que des peines prévues par les livres premiers du Code pénal.
Il ne pourra être fait application de la loi du 26 mars 1891.  (1)

Art. 13. - La procédure de contumace organisée par les articles 465 et suivants du code d'instruction criminelle est applicable.

Art. 14. - Aucun recours, même en cassation, n'est admis contre les arrêts de la Cour suprême de justice.

Art. 15. - Le code d'instruction criminelle est applicable aux procès jugés par la Cour suprême de justice en tant qu'ils ne sont pas contraires aux dispositions de la présente loi.

Art. 16. - Le présent décret sera publié au Journal officiel et exécuté comme loi de l’État.

Fait à Vichy, le 30 juillet 1940.

PH. PÉTAIN.

Par le Maréchal de France, Chef de l'Etat français :

Le garde des sceaux, ministre secrétaire d'Etat à la justice,
Raphaël ALIBERT.

(Journal officiel du 31 juillet 1940)

(1) La loi du 26 mars 1891 a introduit dans le code pénal la peine avec sursis :

"Article premier. - En cas de condamnation à l’emprisonnement ou à l’amende, si l’inculpé n’a pas subi de condamnation antérieure à la prison pour crime ou délit de droit commun, les cours ou tribunaux peuvent ordonner par le même jugement et par décision motivée qu’il sera sursis à l’exécution de la peine.
Si, pendant le délai de cinq ans à dater du jugement ou de l’arrêt, le condamné n’a encouru aucune poursuite suivie de condamnation à l’emprisonnement ou à une peine plus grave pour crime ou délit de droit commun, la condamnation sera comme non avenue."
Le 30 juillet 1940 - soit un mois après la signature de l'armistice franco-allemand - le Maréchal Pétain a institué par l'Acte constitutionnel n° 5 une "Cour suprême de justice" avec un objectif précis : juger les responsables de la guerre et de la défaite.

Les compétences ainsi que l'organisation de cette Cour ont été définies par une loi adoptée le même jour.

L'article premier de la loi du 30 juillet 1940 stipulait que la Cour suprême de justice avait pour mission de juger :

"1° Les ministres, les anciens ministres ou leurs subordonnés immédiats, civils et militaires, accusés d'avoir commis des crimes ou délits dans l'exercice ou à l'occasion de leurs fonctions, ou d'avoir trahi les devoirs de leur charge;
2° Toute personne accusée d'attentat contre la sûreté de L’État et de crimes et délits connexes;
3° Tout coauteur ou complice des personnes visées aux paragraphes précédents."

Violant le principe de non-rétroactivité de loi pénale, l'article 5 lui permettait de statuer sur des faits antérieurs à sa création :

"L'action publique devant la Cour suprême de justice se prescrit par dix ans, à dater de la perpétration des faits, même si ceux-ci sont antérieurs à la promulgation de la présente loi."

La composition de cette première juridiction d'exception créée par Vichy a été fixée par un décret en date du 1er août 1940. (Document 1)

En vertu du décret de convocation, daté aussi du 1er août 1940, la première et unique session de la Cour suprême de justice s'est ouverte le 8 août 1940 dans le Palais de justice de Riom avec comme objet de rechercher et de juger :

"Toutes personnes visées à l'article premier (paragraphe 1 et 3) de la loi du 30 juillet 1940, ayant, depuis temps non prescrit, commis des crimes ou délits ou trahi les devoirs de leur charge dans les actes qui ont concouru au passage de l'état de paix à l'état de guerre, avant le 4 septembre 1939, et dans ceux qui ont ultérieurement aggravé les conséquences de la situation ainsi créée". (Document 2)

A l'audience du 13 août 1940, le Procureur général a requis l'ouverture d'une information contre X au motif que :

"1° Des crimes et délits ont été commis par des ministres, anciens ministres ou leurs subordonnés immédiats, civils ou militaires, dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de leurs fonctions, et que ceux-ci ont trahi les devoirs de leur charge dans les actes qui ont concouru au passage de l'état de paix à l'état de guerre avant le 4 septembre et dans ceux qui ont ultérieurement aggravé les conséquences de la situation ainsi créée
2° Des attentats contre la sûreté de l'Etat et des crimes et délits connexes ont été commis par des personnes qu'une enquête aura à déterminer à l'occasion des actes visés au paragraphe précédent." (Document 3)

La Cour a alors désigné trois de ses conseillers, MM. Lagarde, Tanon et Baraveau, pour procéder à l'instruction de ces faits.

Juridiction d'exception chargée de juger les responsables de la déclaration de guerre de septembre 1939 et de la défaite de juin 1940, la Cour de Riom a inculpé en septembre 1940 Edouard Daladier, président du Conseil d'avril 1938 à mars 1940, le général Maurice Gamelin, chef d'Etat-major de la Défense nationale, et deux anciens ministres de l'Air, Pierre Cot et Guy La Chambre; en octobre 1940 l'ancien président du Conseil Léon Blum et enfin en avril 1941 Robert Jacomet, ancien secrétaire général du ministère de la Guerre. Tous ces inculpés ont été incarcérés pendant la durée de l'instruction à l'exception de Pierre Cot réfugié aux Etats-Unis.

Au terme de ses investigations la Cour a ordonné le 28 octobre 1941 la mise en jugement des six accusés au motif qu'ils avaient trahi les devoirs de leurs charges par leur impéritie dans la préparation de la guerre. (Document 4)

Leur procès s'est ouvert le 19 février 1942 à Riom. Il a été suspendu le 14 avril 1942 en application de la loi du 11 avril 1942 prescrivant à la Cour de Suprême de justice de procéder à un supplément d'information (Document 5). Suspendu, ce procès n'a jamais repris.

Deux autres procédures ouvertes ont été ouvertes en octobre 1940 contre Paul Reynaud et Georges Mandel sur la base du décret du 1er août 1940 (atteinte à la sureté de l'Etat) et du décret du 24 septembre 1940 permettant à la Cour de Riom de rechercher et de juger les anciens ministres ayant commis "des actes de concussion, des détournements de fonds, ou trahi les devoirs de leur charge en spéculant sur la valeur de la monnaie nationale, ou en faisant un usage abusif des fonds soumis à leur contrôle" (Document 6).

Les chef d'inculpation retenus contre Paul Reynaud, président du Conseil de mars à juin 1940, et Georges Mandel, ministre des Colonies d'avril 1938 à mai 1940 puis de l'Intérieur jusqu'en juin 1940, sont récapitulés dans cet article publié dans Le Temps du 19 novembre 1940 :

"Deux autres procédures sont parallèlement instruites par la Cour suprême : l'une, suivie en vertu des décrets des 1er août et 24 septembre 1940, embrasse les divers chefs d'inculpation relevés contre l'ancien ministre Georges Mandel : l'attentat à la sûreté extérieure de l'Etat pour ses agissements au Maroc lors de son débarquement du paquebot Massilia dans la dernière semaine de juin; des irrégularités dans la gestion des fonds dont il disposait en tant que ministre des colonies; enfin des opérations qui peuvent avoir eu le caractère de spéculations répréhensibles sur la monnaie nationale.

L'autre procédure ouverte en vertu du seul décret du 24 septembre 1940 est dirigée contre Paul Reynaud et contre ses deux anciens directeur et directeur adjoint de cabinet : Leca et Devaux. Leca et Devaux sont inculpés d'avoir emporté en Espagne à la fin du mois de juin 1940 des sommes s'élevant à plus de 10 millions que Paul Reynaud, avant sa démission le 16 juin au soir, avait eues à sa disposition au titre de fonds spéciaux de la présidence du conseil et du ministère des affaires étrangères. Leca et Devaux en fuite présumés en Angleterre, font l'objet de mandats d'arrêt. Ayant la qualité d'attaché d'intendance au moment de leur passage à l'étranger, leur fuite les a mis en état de désertion et l'on sait qu'ils viennent d'être condamnés de ce chef, par contumace, à dix années d'emprisonnement et vingt ans d'interdiction de séjour."


Document 1 :

Décret du 1 août 1940
fixant la composition de la Cour suprême de justice

Vu l'acte constitutionnel n° 5 du 30 juillet 1940;

Vu la loi relative à l'organisation, la compétence et la procédure de la Cour suprême de justice en date du 30 juillet 1940;

Le conseil des ministres entendu,

Décrétons :

Article 1er. — M. Caous, président de la Chambre criminelle de la Cour de cassation, exerce les fonctions de président de la Cour suprême de justice.

Article 2. — Sont nommés :

Vice-président de la Cour suprême de justice.

M. Lagarde, conseiller à la Cour de cassation.

Membre titulaires.

M. Tanon, conseiller de la Cour de cassation.
M. L'amiral Herr.
M. le général Watteau, membre du conseil de l'ordre de la Légion d'honneur.
M. Georges Ripert, membre de l'Institut, doyen de la Faculté de droit de Paris.
M. Jean Benoist, maître des requêtes honoraire au Conseil d'Etat.

Article 3. — Sont nommés membres suppléants de la Cour suprême de Justice :

M. Baraveau, conseiller à la Cour de cassation.
M. Lemaire, premier président de la cour d'appel de Montpellier.
M. Lesueur, président de chambre à la cour d'appel de Paris.

Article 4. — Sont nommés :

Procureur général près la Cour Suprême de justice.

M. Cassagnau, avocat général à la Cour de cassation.

Avocats généraux.

M. Gabolde, procureur général près la cour d'appel de Chambéry.
M. Bruzin, avocat général près la cour d'appel de Paris.

Art, 5. — Le garde des sceaux, ministre secrétaire d'Etat à la justice, est chargé de l'exécution du présent décret.

Fait à Vichy, le 1er août 1940.

PH. PÉTAIN.

Par le Maréchal de France, Chef de l'Etat français :

Le garde des sceaux, ministre secrétaire d'Etat à la justice,
RAPHAEL ALIBERT.

(Journal officiel du 2 août 1940)


Document 2 :

Décret du 1 août 1940
relatif à la convocation de la Cour suprême de justice

Vu l'acte constitutionnel n° 5 du 30 juillet 1940;

Vu la loi relative à l'organisation, la compétence et la procédure de la Cour suprême de justice en date du 30 juillet 1940;

Le conseil des ministres entendu,

Décrétons :

Article 1er. - La Cour suprême de justice se réunira à Riom à partir du 8 août 1940 à l'effet de rechercher et de juger :
1° Toutes personnes visées à l'article premier (§§ 1er et 3) de la loi du 30 juillet 1940, ayant, depuis temps non prescrit, commis des crimes ou délits ou trahi les devoirs de leur charge dans les actes qui ont concouru au passage de l'état de paix à l'état de guerre, avant  le 4 septembre 1939, et dans ceux qui ont ultérieurement aggravé les conséquences de la situation ainsi créée;
2° Toutes personnes coupables d'attentats contre la sûreté de l'Etat commis à l'occasion des actes visés au paragraphe précédent et de tous  crimes, délits connexes.

Article 2. - Toute juridiction déjà saisie des faits visés à l'article 1er se trouve dessaisie.

Article 3. - Le garde des sceaux, ministre secrétaire d'Etat à la justice, est chargé de l'exécution du présent décret.

Fait à Vichy, le 1er août 1940.

PH. PÉTAIN.

Par le Maréchal de France, Chef de l'Etat français :

Le garde des sceaux, ministre secrétaire d'Etat à la justice,
RAPHAEL ALIBERT.

(Journal officiel du 2 août 1940)


Document 3 :

Réquisitoire à fin d'informer 
du Procureur général près la Cour suprême de justice
prononcé à l'audience du 13 août 1940

M. le Garde des Sceaux m'a fait tenir des documents. Sur le vu de ces documents je vais prendre les réquisitions suivantes :
Nous, procureur près la Cour suprême de justice;
Vu les pièces et documents, ci-annexés desquels il résulterait qu'en France ou tout autre lieu, depuis un temps non prescrit :
1° Des crimes et délits ont ont été commis par des ministres, anciens ministres ou leurs subordonnés immédiats, civils ou militaires, dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de leurs fonctions, et que ceux-ci ont trahi les devoirs de leur charge dans les actes qui ont concouru au passage de l'état de paix à l'état de guerre avant le 4 septembre et dans ceux qui ont ultérieurement aggravé les conséquences de la situation ainsi créée
2° Des attentats contre la sûreté de l'Etat et des crimes et délits connexes ont été commis par des personnes qu'une enquête aura à déterminer à l'occasion des actes visés au paragraphe précédent.
Vu les charges recueillies à raison de ces faits dont tous auteurs, co-auteurs ou complices doivent être recherchés;
Vu l'acte constitutionnel n° 5 du 30 juillet 1940, instituant la Cour suprême de justice;
Vu la loi du 30 juillet 1940 relative à l'organisation, la compétence et la procédure de ladite Cour;
Vu le décret du 1er août 1940, portant convocation de cette juridiction à Riom, à partir du 8 août 1940;
Ensemble les articles 75 et suivants (atteinte contre la sûreté extérieure de l'Etat), 87 et suivants (atteinte contre la sûreté intérieure de l'Etat), 166 à198 (forfaiture, crimes et délits de fonctionnaires dans l'exercice de leurs fonctions), 59 et 60 du code pénal (articles visant les complicités);
Requérons qu'il plaise à la Cour ordonner qu'il sera procédé à l'instruction contre X, auteurs, co-auteurs et complices des faits ci-dessus spécifiés avec tous mandats qu'il y aura lieu de décerner suivant les nécessités de la poursuite;
Requérons, en outre, qu'il plaise à la Cour nous donner acte du dépôt que nous faisons à son greffe des pièces du dossier à instruire.


Document 4 :


Arrêt de mise en jugement du 28 octobre 1941

La Cour,

Vu les réquisitoires aux fins d'informer, pris par M. le procureur général, aux dates des 13 août, 5 septembre 13 septembre, 18 octobre 1940, et 21 avril 1941. (1)
Vu l'information ouverte à la suite desdits réquisitoires, contre :
1° Edouard Daladier, ancien président du conseil des ministres, ancien ministre de la défense nationale et de la guerre, détenu;
2° Léon Blum, ancien président du conseil des ministres, détenu;
3° Maurice Gamelin, général d'armée du cadre de réserve, ancien chef d'état-major général de la défense nationale et de la guerre, ancien vice-président du conseil supérieur de la guerre, détenu;
4° Pierre, Cot, ancien ministre de l'air, en fuite;
5° Guy La Chambre, ancien ministre de l'air, détenu;
6° Robert Jacomet, contrôleur général de 1re classe de l'administration de l'armée, ancien secrétaire général du ministère de la défense nationale et de la guerre, détenu.
Sous les inculpations :
1° De trahison des devoirs de la charge, dans les termes de l'article 1er du décret du 1er août 1940;
2° D'attentats à la sûreté de l'Etat.
Vu le réquisitoire définitif de M. le procureur général, en date du 15 octobre 1941, tendant à la mise en jugement des six inculpés susnommés, vu le mémoire présenté par M. Guy La Chambre, la lettre adressée à la Cour par M. Léon Blum, la note de Me Toulouse, conseil de M. Jacomet, et le mémoire de Mes Arnal et Puntous, conseils du général Gamelin, sur la compétence en ce qui touche l'inculpation de trahison des devoirs de la charge.

[La condamnation prononcée par le Maréchal Pétain le 16 octobre 1941
ne remet pas en cause la compétence de la Cour suprême de justice]

Sur la compétence en ce qui touche l'inculpation de trahison des devoirs de la charge,

Attendu qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 30 juillet 1940, la Cour suprême de justice a compétence, lorsque ces infractions lui sont déférées par un décret rendu en conseil des ministres, pour connaître des trahisons des devoirs de leur charge, imputables à des ministres ou à leurs subordonnés immédiats.
Que le décret du 1er août 1940, rendu en conseil des ministres, a donné mission à la Cour de rechercher et de juger les trahisons des devoirs de la charge qui auraient été commises dans les actes qui ont concouru au passage de l'état de paix à l'état de guerre avant le 4 septembre 1939 et dans ceux qui ont aggravé les conséquences de la situation ainsi créée.

Attendu qu'un autre texte, l'article 2 de l'acte constitutionnel n° 7 déclare les secrétaires d'Etat, hauts dignitaires et hauts fonctionnaires personnellement responsables devant le chef de l'Etat qui, au cas de trahison par eux des devoirs de leur charge, peut leur appliquer les peines énoncées à l'article 3 dudit acte;
Que, par décision en date du 16 octobre 1941, le chef de l'Etat a déclaré Edouard Daladier, Léon Blum et le général Gamelin coupables de trahison des devoirs de leur charge et a ordonné qu'ils seraient détenus dans une enceinte fortifiée;
Que cette décision est expressément fondée sur un avis émis par le conseil de justice politique institué par le décret du 20 septembre 1941;
Qu'il est constant que la plupart des faits retenus par le conseil de justice politique se confondent, dans leur matérialité, avec des faits relevés par le réquisitoire définitif de M. le procureur général;

Mais attendu d'une part que ce réquisitoire retient aussi certains faits, non mentionnés dans l'avis du conseil de justice politique, spécialement les déclarations faites par deux des inculpés, au cours d'une réunion des chefs militaires tenue le 23 août 1939, au ministère de la défense nationale et de la guerre, en présence du ministre des affaires étrangères;
Attendu d'autre part que le domaine d'application de l'acte constitutionnel n° 7 est distinct de celui qui est déterminé par la loi du 30 juillet 1940 et le décret du 1er août suivant;
Que l'acte constitutionnel, après avoir prescrit aux secrétaires d'Etat, hauts dignitaires et hauts fonctionnaires, d'observer la fidélité à la personne du chef de l'Etat et d'exercer leur charge pour le bien de l'Etat, selon les lois de l'honneur et de la probité, attache à ces obligations des sanctions qui ne peuvent être prononcées que par le chef de l'Etat;
Qu'ainsi ce texte crée pour les secrétaires d'Etat, hauts dignitaires et hauts fonctionnaires une responsabilité en raison de la faute qu'ils ont commise envers le chef de l'Etat dont ils ont trompé la confiance.
Que cette faute est constituée par le seul fait du manquement au devoir défini par l'acte constitutionnel, en quelques circonstances que ce manquement se soit produit et abstraction faite des conséquences qui en ont pu résulter.

Attendu que le domaine d'application de la loi du 30 juillet 1940 et du décret du 1er août suivant est moins étendu;
Que les trahisons des devoirs de la charge déférés à la Cour suprême sont limités aux actes qui ont concouru au passage de l'état de paix à l'état de guerre et à ceux qui ont aggravé les conséquences de la situation ainsi créée;
Que l'infraction dont le jugement appartient à la Cour suprême n'est pas légalement constituée par le seul fait que l'inculpé a trahi les devoirs de sa charge ;
Que la loi exige un autre élément ayant trait aux effets de cette trahison;
Qu'à ce point de vue la constatation de l'infraction nécessite une appréciation des faits qui peut différer de celle que comporte l'application de l'acte constitutionnel;

Que la différence des infractions soumises au jugement, l'une du pouvoir politique, l'autre du pouvoir judiciaire, résulte encore du caractère même des sanctions encourues;
Qu'alors qu'aucune des sanctions dont dispose le chef de l'Etat ne figure, telles qu'énoncées à l'acte constitutionnel, parmi les peines qu'édicte le code pénal, la Cour suprême ne peut prononcer que des peines portées audit code pénal ;
Que la décision rendue par le chef de l'Etat ne fait donc pas obstacle à la poursuite engagée devant la Cour suprême, pas plus que la sanction prononcée par une juridiction disciplinaire répressive à raison du même fait envisagé au regard de la loi pénale;
Que, dès lors, même pour ceux des faits relevés à la fois dans l'avis du conseil de justice politique et dans le réquisitoire de M. le procureur général, les infractions sont juridiquement distinctes et susceptibles d'appréciations différentes.

D'où il suit que la décision du chef de l'Etat a laissé intacts les pouvoirs de la Cour, qu'elle ne constitue, à l'encontre des inculpés, aucun préjugé de culpabilité;
Que la Cour est donc compétente pour statuer sur les réquisitions dont elle est saisie.

[Insuffisances dans la préparation de la guerre]

Au fond,

Attendu qu'il résulte de l'information que le 3 septembre 1939, date de l'ouverture des hostilités entre la France et l'Allemagne; les armées françaises de terre et de l'air n'étaient pas prêtes à remplir la mission qui leur incombait; 
Qu'en ce qui concerne l'armée de terre, les témoignages reçus relèvent notamment : l'insuffisance de l'instruction; l'insuffisance des armements de toute sorte; l'insuffisance de matériel, d'artillerie de campagne, de l'artillerie de tranchée et des armes antichars, dont les unités n'avaient pas reçu les dotations réglementaires; l'insuffisance de l'artillerie de grosse destruction; l'insuffisance de la défense contre avions et de la défense aérienne du territoire, spécialement du matériel de tir aux basses et hautes altitudes; l'insuffisance des matériels blindés, chars de combat et autos-mitrailleuses; l'insuffisance des effets d'habillement et d'équipement; le défaut de préparation de la mobilisation industrielle, défaut dont les conséquences ont été le ralentissement de la production, au moment où un accroissement était nécessaire, et l'envoi aux armées d'un nombre considérable d'ouvriers et de spécialistes qu'il a fallu ensuite rappeler dans les usines; 
Qu'en ce qui concerne l'armée de l'air, il apparaît que la France ne disposait, le 2 septembre 1939, que d'un nombre d'avions modernes de beaucoup inférieur au nombre que le Conseil supérieur de l'air avait déclaré constituer le minimum indispensable pour la sécurité du pays, que spécialement nous ne pouvions mettre en ligne un seul avion moderne de bombardement; qu'au résultat des déclarations faites par de nombreux témoins, les déficiences qui viennent d'être signalées seraient imputables, en tout ou en partie aux inculpés impliqués dans la poursuite, auxquels il est notamment reproché :

[Edouard Daladier]

En ce qui concerne Edouard Daladier,
D'avoir fait preuve d'impéritie dans la préparation de la mobilisation nationale et plus spécialement de la mobilisation industrielle, dans l'organisation et l'instruction de l'armée, dans la fabrication des armements de toute sortie, dans la préparation de la défense contre avions et de la défense aérienne du territoire, dans l'application de la législation sur le travail, spécialement en interdisant, par une circulaire en date du 29 juillet 1936, de recourir dans les établissements de la guerre aux heures supplémentaires cependant autorisées par la loi; de n'avoir pas assuré la fabrication du matériel d'artillerie de grosse destruction; d'avoir manqué de fermeté en présence d'une propagande qui compromettait le rendement des usines travaillant pour la défense nationale; d'avoir fait aux Chambres et aux commissions parlementaires des déclarations inexactes au sujet de notre préparation militaire.

[Léon Blum]

En ce qui concerne Léon Blum,
D'avoir compromis la défense nationale par l'application qu'il a faite de la législation sur le travail, spécialement en rendant pratiquement impossible le recours aux heures supplémentaires, d'avoir laissé appliquer la loi sur la nationalisation des fabrications d'armements d'une manière nuisible aux intérêts de la défense nationale; d'avoir, par sa faiblesse devant l'agitation révolutionnaire, spécialement en tolérant les occupations et les neutralisations d'usines, amené une diminution considérable de la production.

[Maurice Gamelin]

En ce qui concerne le général Gamelin,
D'avoir fait preuve d'impéritie dans l'instruction de l'armée; de n'avoir pas exercé l'action qui lui appartenait en vue d'assurer la fabrication des armements nécessaires, spécialement de l'artillerie de grosse destruction, du matériel antichars et du matériel destiné à la défense contre avions et à la défense aérienne du territoire, et la remise aux unités des dotations réglementaires; de n'avoir pas fait remédier à l'insuffisance des effets d'habillement et d'équipement; de n'avoir pas assuré la préparation de la mobilisation industrielle; d'avoir, au cours des hostilités, fait adopter une organisation défectueuse du haut commandement.

[Pierre Cot]

En ce qui concerne Pierre Cot,
D'avoir fait preuve d'impéritie dans la constitution de notre armée aérienne; d'avoir aggravé l'insuffisance de notre production par l'application qu'il a faite de la loi sur la nationalisation des fabrications d'armements et par sa faiblesse à l'égard des menées révolutionnaires, d'avoir livré au gouvernement républicain espagnol des avions destinés à l'armée de l'air française, spécialement des avions modernes.

[Guy La Chambre]

En ce qui concerne Guy La Chambre,
D'avoir, par sa faiblesse devant l'agitation révolutionnaire, aggravé l'insuffisance de la production de nos usines, d'avoir à de nombreuses reprises, par des présentations artificieuses des résultats de la production, endormi la vigilance des organismes chargés d'assurer la préparation de la défense nationale ou de contrôler l'exécution des moyens propres à la réaliser.

[Robert Jacomet]

En ce qui concerne le contrôleur général Jacomet,
D'avoir fait preuve d'impéritie dans l'exécution des marchés de guerre et la surveillance des fabrications d'armement dans la préparation de la mobilisation industrielle et dans l'application de la loi sur la nationalisation des industries de guerre; d'avoir montré une faiblesse excessive à l'égard de l'agitation révolutionnaire ; d'avoir toléré ou même favorisé l'action de syndicats illégaux et d'avoir ordonné la réintégration dans nos usines de nombreux fauteurs de troubles; d'avoir, par des renseignements fournis de manière réticente ou tendancieuse, insuffisamment éclairé son ministre et le Parlement sur l'état de notre préparation militaire.

[Réunion du 23 août 1939]

Attendu en outre qu'il résulte de l'information que le 23 août, soit onze jours avant l'ouverture des hostilités, sur la demande du ministre des affaires étrangères, une réunion des chefs militaires a été tenue au ministère de la défense nationale et de la guerre, sous la présidence d'Edouard Daladier, que les chefs militaires furent interrogés sur le point de savoir si la France pouvait assister sans réagir à la disparition de la Pologne, et si nous avions les moyens d'empêcher la réalisation d'un tel événement; que le général Gamelin, sans formuler aucune réserve et sans révéler sur aucun point l'insuffisance de notre préparation militaire, aurait répondu que l'armée était prête;  que Guy La Chambre aurait déclaré qu'en raison des progrès considérables qui avaient été réalisés la situation de notre aviation ne devait plus, ainsi qu'elle l'avait fait lors de la crise de septembre 1938, peser sur les décisions du gouvernement; enfin qu'Edouard Daladier aurait avec connaissance laissé le général Gamelin et Guy La Chambre faire ces réponses, desquelles le ministre des affaires étrangères aurait conclu qu'aucune considération tirée de nos possibilités militaires n'était de nature à influer sur notre politique extérieure.

[Mise en jugement]

Attendu que de l'ensemble de ces faits résultent contre les inculpés des présomptions suffisantes d'avoir, depuis moins de dix ans avant le premier acte d'information,
Edouard Daladier étant ministre de la défense nationale et de la guerre et président du conseil des ministres; Léon Blum étant président du conseil des ministres; Pierre Cot étant ministre de l'air; le général Gamelin étant chef d'état-major de la défense nationale et de la guerre et vice-président du conseil supérieur de la guerre; Guy La Ghambre étant ministre de l'air; le contrôleur général Jacomet étant secrétaire général du ministère de la défense nationale et de la guerre,
trahi les devoirs de leur charge dans les actes constitutifs du crime défini par l'article premier, paragraphe premier, du décret du 1er août 1940, et réprimé par l'article 12 de la loi du 30 juillet 1940.
Ordonne, en conséquence, la mise en jugement des susnommés sous l'accusation ci-dessus précisée,
Décerne contre lesdits accusés ordonnance de prise de corps,
Et, faute de charges suffisantes, dit n'y avoir lieu à suivre sur tous les autres chefs d'inculpation visés dans les réquisitoires aux fins d'informer.

[Publicité des débats]

Sur la forme des débats,

Attendu qu'aux termes de l'article 9 de la loi du 30 juillet 1940 les débats devant la Cour suprême sont publics, mais que la Cour peut ordonner le huis clos chaque fois que l'intérêt public l'exige;
Attendu que si aucun des chefs d'accusation retenus par la Cour n'a trait ni aux relations diplomatiques de la France, ni à la conduite des opérations militaires, certains témoins ont cependant été amenés, au cours de l'information, et pourront être amenés à l'audience à s'expliquer accessoirement sur ces deux ordres de faits, que les considérations impérieuses de sécurité nationale s'opposent à la publicité de tout débat sur les questions d'ordre diplomatique;
Attendu d'autre part que la Cour n'a reçu de la loi compétence qu'en ce qui concerne les actes reprochés à des ministres ou à leurs subordonnés immédiats; qu'aux armées les seuls subordonnés immédiats des ministres de la guerre et de l'air étaient le chef d'état-major général de la défense nationale et de la guerre et le chef d'état-major général de l'armée de l'air; qu'il suit de là que la Cour, si elle eût examiné la conduite des opérations militaires, n'eût pu mettre en cause que ces deux officiers généraux; alors que l'application desdites opérations comportait l'examen d'un ensemble indivisible de faits pouvant éventuellement être imputés en tout ou en partie à d'autres chefs militaires; qu'aucune inculpation ne pouvait être formulée  relativement à la conduite des opérations militaires; que dès lors un débat public, susceptible, du reste, de nuire aux intérêts du pays, ne saurait être institué sur ce point devant la Cour;

Dit que les débats seront publics.
Que, toutefois, seront entendus à huis clos les témoins qui pourraient être amenés à s'expliquer sur des questions d'ordre diplomatique ou relatives à la conduite des opérations militaires.

[Ouverture des débats]

Sur l'ouverture des débats, 

Dit que les les débats s'ouvriront au palais de justice de Riom, le 15 janvier 1942 (2), à 13 heures trente.

Ainsi jugé par la Cour suprême de justice délibérant et statuant en Chambre du Conseil, le vingt-huit octobre mil neuf cent quarante et un, présents et opinants : 

MM. Lagarde, président; Maillefaud, vice-président; Tanon, Herr, Watteau, Devémy, et Olivier-Martin, conseillers.

(signé) : H. LAGARDE  (3)    (signé) : E. PAULIN (4)

(Journal des débats du 20 février 1942)
(1) Dans ses réquisitoires des 13 août 1940, 5 septembre 1940, 13 septembre 1940, 18 octobre 1940 et 21 avril 1941 le Procureur général Cassagnau a requis successivement l'ouverture d'une information contre X, les inculpations de Pierre Cot et Guy La Chambre, celles d'Edouard Daladier et Maurice Gamelin, celle de Léon Blum et enfin celle de Robert Jacomet.

(2) Prévu pour le 15 janvier 1942, le Procès de Riom s'est ouvert le 19 février 1942. Ce report a été imposé par le départ du Président Lagarde au début de janvier 1942 pour des raisons de santé. Il a été remplacé par Pierre Caous, Procureur général près la Cour de cassation 

(3) L'arrêt de mise en jugement est signé par le président de la Cour suprême de justice, Henri Lagarde. Vice-président de la Cour suprême de justice à sa constitution en août 1940, il en a pris la présidence en décembre 1940 à la suite de la nomination de Pierre Caous au poste de Procureur général près la Cour de cassation. Il a quitté ses fonctions en janvier 1942 pour des raisons de santé.

(4) Emile Paulin, greffier en chef à la Cour suprême de justice.


Document 5 :

Loi du 11 avril 1942
modifiant et complétant la loi du 30 juillet 1940
relative à l'organisation, la compétence et la procédure
de la Cour suprême de Justice

Nous, Maréchal de France, Chef de l'Etat français,

Le conseil des ministres entendu,

Décrétons :

Article Premier. Les débats actuellement en cours devant la Cour suprême de justice, instituée par l'acte constitutionnel n° 5 en date du 30 juillet 1940, sont suspendus à compter de la publication du présent décret au Journal Officiel.

Article 2. La Cour complétera son information à l'effet de rechercher et de juger toutes les responsabilités, quelles qu'elles soient, encourues par les personnes visées à l'article 1er de la loi du 30 juillet 1940 dans les actes qui ont concouru au passage de l'état de paix à l'état de guerre avant le 4 septembre 1939, et dans ceux qui, commis avant ou après cette date, ont aggravé les conséquences de la situation ainsi créée.

Article 3. L'article 38 (alinéa 1er) de la loi du 21 juillet 1881, n'est pas applicable aux procès soumis à la Cour suprême.

Article 4. Le présent décret sera publié au Journal officiel et exécuté comme loi d'Etat.

Fait à Vichy, le 11 avril 1942.

Philippe PETAIN.

Par le Maréchal de France, Chef de l'Etat français :

L'amiral de la flotte, ministre, vice-président du conseil, 
François Darlan.

Le garde des sceaux, ministre secrétaire d'Etat à la justice,
Joseph Barthélémy.

(Journal officiel du 14 avril 1942)


RAPPORT
AU MARÉCHAL DE FRANCE
CHEF DE L'ÉTAT FRANÇAIS


Vichy, le 11 avril 1942.


                         Monsieur, le Maréchal.
 
La Cour suprême de justice a été convoquée, par décret du 1er août 1940, à l'effet de rechercher et de juger notamment certaines catégories de personnes ayant commis des crimes ou délits ou trahi les devoirs de leur charge dans les actes qui ont concouru au passage de l'état de paix à l'état de guerre avant le 4 septembre 1939.

L'arrêt de mise en jugement rendu le 28 octobre 1941 par la Cour a constaté qu'il y avait contre les accusés des présomptions suffisantes d'avoir trahi les devoir de leur charge dans les actes visés par l'article 1er du décret du 1er août 1940.

Dans ce même arrêt, la Cour a déclaré qu'aucun des chefs d'accusation retenus par elle n'avait trait ni aux relations diplomatiques de la France ni à la conduite des opérations militaires. 

Par les attendus de l'arrêt de mise en jugement qui ne retiennent, en bref, contre les accusés que d'avoir compromis, par impéritie, la défense nationale, la Cour a limité sa connaissance à l'examen des faits qui constituent en eux-mêmes, de par leur matérialité, des fautes plus facilement contrôlables dans les circonstances présentes.

Elle a, en conséquence, ordonné la mise en jugement des six personnes qui, au regard du domaine soumis aux investigations de la Cour, assumaient des fonctions de chefs et qui, en cette qualité, avaient à répondre de leurs actes devant le pays, encore que beaucoup d'autres puissent porter leur part de responsabilité dans les événements qui nous ont conduits à la guerre d'abord, au désastre ensuite.

Les responsabilités encourues du fait des insuffisances de notre défense nationale et des fautes politiques et militaires qui ont conduit à la guerre et à la défaite sont indivisibles puisqu'elles ont concouru au même désastre.

Pour que la pleine lumière soit faite sur l'impéritie reprochée aux accusés, il faut donc qu'elle soit également faite sur ceux de leurs actes politiques ou militaires qui auraient constitué un manquement criminel aux devoirs de leur charge.

Ainsi que vous l'avez écrit vous-même dans votre message du 16 octobre 1941 : « Un pays qui s'est senti trahi a droit à la vérité, à toute la vérité ».

Il est donc nécessaire que, pour rendre l'arrêt qui satisfera la justice et amènera le calme dans les esprits, la Cour procède à un supplément d'information sur toutes les responsabilités encourues par les personnes visées à l'article 1er de la loi du 30 juillet 1940 dans les actes qui ont concouru au passage de l'état de paix à l'état de guerre.

Cette recherche de la vérité complète mettra enfin un terme aux campagnes pernicieuses qui, amplifiant ou déformant les allégations des accusés, tentent de diviser à nouveau notre opinion publique et vont, par leur déchaînement, jusqu'à menacer notre sécurité extérieure en compromettant nos relations internationales.

En conséquence, la Cour, investie de tous les pouvoirs nécessaires, reprendra et étendra son information. Cette mesure, que nous vous proposons, ne comporte aucune réserve à l'égard de la Cour, des grands magistrats qui la composent et de son parquet; personne ne met en doute leur haute impartialité, leur compétence et leur sentiment du devoir, auxquels il est nécessaire et juste de rendre hommage.

La situation des accusés restera fixée par la décision que vous avez prise en application de l'acte constitutionnel n° 7.

C'est dans cet esprit que nous vous prions de revêtir de votre signature, le projet de loi dont la teneur suit.

L'amiral de la flotte, ministre, vice-président du conseil,
François DARLAN.

Le garde des sceaux, ministre secrétaire d'Etat à la justice ,
Joseph BARTHELEMY.
 
(Journal officiel du 14 avril 1942)


Document 6 :

Décret du 24 septembre 1940
complétant le décret du 1er août 1940
portant convocation de la Cour suprême de justice

Nous, Maréchal de France, chef de l'Etat français,

Vu l'acte constitutionnel n° 5 du 30 juillet 1940:

Vu la loi relative à l'organisation, la compétence et la procédure de la cour suprême de justice, en date du 30 juillet 1940;

Vu le décret du 1er août 1940;

Le conseil des ministres entendu,

Décrétons :

Art. 1er. — La cour suprême de justice réunie à Riom est également chargée de rechercher et de juger :

1° Les ministres, anciens ministres ou leurs subordonnés immédiats ayant, depuis temps non prescrit, commis des actes de concussion, des détournements de fonds, ou trahi les devoirs de leur charge en spéculant sur la valeur de la monnaie nationale, ou en faisant un usage abusif des fonds soumis à leur contrôle;
2° Tous coauteurs ou complices des personnes visées au paragraphe précédent.

Art. 2. — Toute juridiction déjà saisie des faits visés à l'article 1er se trouve dessaisie.

Art. 3. — Le garde des sceaux, ministre secrétaire d'Etat à la justice, est chargé de l'exécution du présent décret.

Fait à Vichy, le 24 septembre 1940.

PH. PÉTAIN.

Par le Maréchal de France, chef de l'Etat français :

Le garde des sceaux,
ministre secrétaire d'Etat à la justice,
RAPHAËL ALIBERT.

(Journal officiel du 25 septembre 1940)