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Marx Dormoy répond aux attaques du Parti communiste clandestin : "Molotov, Hitler, Thorez et Cie" (15 novembre 1939) et "La trahison des communistes" (29 décembre 1939)

En novembre et en décembre 1939, dans deux articles publiés dans Le Populaire, organe de la SFIO, Max Dormoy, sénateur-maire socialiste de Montluçon, répond au Parti communiste qui dans la clandestinité accuse le Parti socialiste et plus particulièrement Léon Blum d'avoir trahi les intérêts de la classe ouvrière en apportant leur soutien à la guerre contre Hitler.

Publié le 15 novembre 1939, le premier article est intitulé "Molotov, Hitler, Thorez et Cie". (Doc. 1)

Dans ce texte, après avoir dénoncé les calomnies et les insultes propagées par le pouvoir soviétique et leurs affidés, les communistes français, Marx Dormoy affirme que les véritables traîtres sont Staline, signataire du Pacte germano-soviétique et Thorez, le déserteur.

Publié le 29 décembre 1939, le second article est intitulé "La trahison des communistes". (Doc. 2)

Ce texte est une réponse à la "Lettre ouverte d'André Marty à Monsieur Léon Blum" publiée dans le numéro du 7 octobre 1939 de l'hebdomaire Le Monde, publication belge de l'IC diffusée clandestinement en France. 

Virulent réquisitoire contre le dirigeant socialiste, cette lettre a été diffusée dans une brochure intitulée... "Pour la victoire !". Elle a aussi été reproduite dans un numéro spécial de l'Humanité de novembre 1939 et dans les Cahiers du Bolchévisme du 2e semestre 1939.
 
Membre du Bureau politique du PCF, député de Paris, André Marty est aussi secrétaire de l'IC. C'est à la demande du Komintern qu'il a quitté le territoire français vers le 15 août 1939. Cet important dirigeant de l'IC est arrivé à Moscou quelques jours avant la signature du Pacte germano-soviétique.

Dans sa réponse au dirigeant communiste, après avoir soutenu que Lénine n'aurait jamais signé le Pacte germano-soviétique et dénoncé André Marty comme "un homme qui a pris du service dans l'armée d'Hitler", Marx Dormoy montre que c'est le Parti communiste qui a trahi ses engagements en changeant radicalement de position sur la responsabilité du conflit (Hitler puis Daladier-Chamberlain), la nature de la guerre (antifasciste puis impérialiste) et enfin le soutien à la Pologne (légitime puis illégitime).

Concernant la lettre de Marty, on pourra aussi signaler la réaction de Léon Blum en reproduisant un extrait de son éditorial du 22 novembre 1939 intitulé "La désagrégation communiste". (Doc. 3)


Document 1 : 

MOLOTOV, HITLER
THOREZ ET CIE 

Ou comment nous sommes redevenus des traîtres

Par Marx DORMOY 

Léon Blum a toutes les chances. Attaqué, injurié par les hitlériens de Paris - ceux qui veulent réduire l'Angleterre en esclavage ou encore les amis d'Abetz ou du traître de Stuttgart - il ne l'est pas moins par les chefs et les domestiques du bolchevisme international. Nous ne nous en plaignons pas. C'est un honneur pour lui et pour notre Parti.
Le socialisme est resté l'ennemi n° 1 pour les staliniens.
Nos amis pourront, une fois de plus, s'en rendre compte par la lecture de textes que je m'excuse malgré tout de publier.

A tout seigneur, tout honneur ! Ecoutons d'abord le camarade Molotov, digne successeur d'Iswolsky - cette canaille d'Iswolsky, disait Jaurès pour bien marquer les responsabilités du diplomate tsariste dans la guerre qui venait. Ecoutons le Commissaire du Peuple aux Affaires Etrangères dont le dernier discours, devant le Conseil Suprême des Soviets de l'U.R.S.S., a été distribué, dans la région parisienne, par l'aviation allemande :
« Ceux, affirme cette belle conscience, qui ont déclaré autrefois que la guerre de 1914 était la dernière sont encore là avec leurs imitateurs tels que Blum et Attlee [chef des socialistes anglais]. C'est eux qui sont responsables de cette guerre puisqu'ils prétendent qu'ils luttent pour la démocratie. »
(Discours prononcé au Grand Théâtre de Moscou, à la session solennelle du soviet de cette ville.)
Le sang innocent répandu en Pologne et aussi en France n'a pas étouffé la voix du camarade Molotov! Hitler, d'après lui, n'a pas voulu la guerre, ni Staline non plus. Ils sont, l'un et l'autre, à ses yeux, de véritables petits manteaux bleus. Les coupables, ceux sur lesquels Molotov-lswolsky appelle la vindicte du peuple, se nomment: Léon Blum et Attlee !

Les attaques de la « Pravda » 

La Pravda n'est pas moins juste que le chef de la diplomatie stalinienne et secrète. Elle a publié le 11 octobre dernier un article d'une rare violence contre les socialistes français. Jugez vous- mêmes :
« Le journal le Temps, ainsi que d'autres journaux, impriment des articles appelant aux pogroms, dans lesquels ils exigent la poursuite des communistes et leur destruction sans pitié. Derrière le Temps, la gazette « socialiste » le Populaire, organe personnel du vieux traître Blum, emboîte le pas dans cette danse folle. »
Et plus loin
« Ce coquin de Blum et ses amis peuvent croire qu'après avoir asséné un coup sur l'avant-garde de la classe ouvrière française, ils ont éliminé le seul parti qui les empêche de tromper les travailleurs. Leur joie est toutefois prématurée. La classe ouvrière française se groupera plus étroitement encore autour de son parti, comprendra mieux le rôle de trahison des Blums, agents et alliés de la réaction française déchaînée.
« A mesure que l'appui accordé au gouvernement Daladier, gouvernement de la nouvelle guerre impérialiste, par les renégats comme Léon Blum, Paul Faure et Jouhaux [secrétaire général la CGT], devient plus insolent et cynique, les journaux « socialistes » comme le Populaire et le Peuple  [CGT] mentent et calomnient davantage... Le peuple français ne croit pas la bande de journalistes et politiciens vendus et ayant une réputation plus que douteuse. »

Au tour de Jouhaux 

Plus loin encore, la Pravda insiste sur le « traître Jouhaux ». A vrai dire, cette littérature nous rajeunit. Elle nous ramène à l'époque d'avant la signature du pacte d'unité d'action, où nous étions traités comme du poisson pourri par les soudoyés de Moscou.

Après les maîtres, passons aux serviteurs : la parole est au tovaritch Maurice Thorez
(Censuré)
« Les forces de réaction en France, Daladier aussi bien que les chefs qui ont trahi le Parti socialiste, expriment la même fureur devant la dénonciation que nous avons faite des buts impérialistes de la guerre imposée par ces forces et par ces hommes au peuple français. »
« Ils ont tous l'impudence de mettre en avant leurs sentiments antihitlériens pour s'en servir comme d'une excuse dans l'espoir de tromper les ouvriers.
« Entre eux, cependant, ils n'hésitent pas à dire quels sont leurs véritables buts de guerre : la destruction de la mère-patrie du socialisme, l'Union Soviétique.
« ...Et surtout la classe laborieuse, qui à vécu la dernière guerre dans l'atmosphère créée par la trahison socialiste, sait aujourd'hui que nous ne la trahirons pas. Blum, Paul Faure, Jouhaux, Belin et autres ont ajouté une trahison de plus à leurs trahisons passées... »
Ça suffit pour aujourd'hui, en attendant un article du camarade Marty venant à la rescousse du déserteur dont la tâche qu'on lui impose est, malgré son amoralité, probablement au-dessus de ses moyens.

Thorez hier...

Par ordre du Kremlin. Thorez préconise et organise le défaitisme. Comme le chien de l'Ecriture, il est revenu à ses vomissements. Il déclarait, en effet, contre Léon Blum - encore et toujours lui ! - à la tribune de la Chambre, le 15 mars 1935 :
« Les communistes ne croient pas au mensonge de la Défense Nationale. »
« Ici, je veux répondre à l'affirmation qu'on a produite à cette tribune (il s'agit d'un passage de Léon Blum) : Les travailleurs de France se lèveraient pour résister à une agression hitlérienne. Nous ne permettrons pas qu'on entraîne la classe ouvrière dans une guerre de défense de la démocratie contre le fascisme. Je déclare très nettement que les communistes ne laisseront pas propager un pareil mensonge, une telle illusion.
« L'ennemi est dans notre propre pays. »

Une autre trompette 

Depuis, l'eau avait coulé sous les ponts. Thorez avait embouché une autre trompette - toujours par ordre. Fils du peuple, il restait bien le petit-fils de Staline, père du peuple, mais en même temps il s'agenouillait devant le tombeau de Saint-Louis et priait devant celui de Napoléon; sa voix tremblait d'émotion quand il parlait de Jeanne d'Arc; il allait aussi en pèlerinage à Gergovie et à Lourdes.. Ah. ! ce n'est .pas de lui que M. Caillaux aurait dit alors qu'il n'avait pas de terre de France à ses souliers !
Pensez donc! Il s'honorait « d'avoir rendu au peuple la Marseillaise et le drapeau tricolore ». Il « aimait son pays » par-dessus tout.
Il était attaché « à tout ce qui fait la grandeur et la gloire de notre peuple, et avant tout à ses traditions séculaires ». Il n'allait pas jusqu'à répudier Rabelais, mais n'aimait pas Lamennais, sa culture s'accommodait mieux de Bossuet... pour tendre la main aux catholiques « ses frères ».
Léon Blum n'avait pas encore trahi la cause de la paix, ni les intérêts des travailleurs. Il était président du Conseil. On lui préférait sans doute Daladier ; on déclenchait bien des grèves pour l'aider à gouverner. Néanmoins. Maurice Thorez s'écriait avec une belle sincérité ; « Tout pour le Front Populaire ! » Et il dénonçait avec non moins de sincérité : « les provocations et l'insolence de Hitler... sa tentative d'isoler la France pour l'anéantir ».

Un texte à rappeler 

C'était l'époque où Gabriel Péri disait à propos de l'opération de Hitler en Bohême: « La Chambre attendra-t-elle l'installation d'un Statthalter dans tous les pays du monde pour dire que nous en avons assez? » C'était aussi l'époque où Jacques Duclos, spécialiste des affaires d'espionnage, demandait qu'on se débarrassât des agents de la Gestapo et de l'étranger opérant en France.
Les députés communistes étaient animés du même esprit français, comme en témoigne ce communiqué :
« Le groupe parlementaire communiste s'est réuni le 1er septembre, à la Chambre des députés, sous la présidence de Maurice Thorez.
« Il a proclamé la résolution inébranlable de tous les communistes de se placer au premier rang de la résistance à l'agression du fascisme hitlérien, pour la défense des libertés, de l'indépendance nationale, des principes de la démocratie et de la civilisation.
« Il a adressé un-salut fraternel à tous les travailleurs rappelés sous les drapeaux, ainsi qu'à ceux de ses membres qui, très nombreux, sont mobilisés pour la défense armée du pays, de son honneur et de sa liberté.
« ...Face à l'insolente agression du fascisme hitlérien, dont ils furent toujours et restent les adversaires clairvoyants et résolus, les communistes seront les meilleurs défenseurs de la démocratie et de l'indépendance du pays. »

Trois semaines après !...

Le texte est parfait. Trois semaines après sa publication, Maurice Thorez désertait !
Il abandonnait la France, son histoire, sa tradition, pour prendre le parti de l'Allemagne hitlérienne comme Staline l'avait fait avant lui. Car Staline, tout comme Hitler, est responsable de la guerre qui désole l'Europe. En signant le Pacte du 23 août, il a livré la Pologne à Hitler. Et après avoir énoncé devant le monde: « Les Soviets ne convoitent aucune parcelle de terre étrangère; ils ne céderont aucune parcelle de terre soviétique », Staline, pilleur d'épaves, détrousseur de cadavres, s'appropriait par la force des territoires qui ne lui appartenaient pas. Depuis, le jeu répugnant du Kremlin continue. L'ours moscovite a posé une patte sur les Etats baltes ; il se prépare à en mettre une autre sur la Finlande, malheureux pays de trois millions d'habitants à propos duquel Le Monde, journal communiste de Bruxelles, a osé écrire dans son numéro du 21 octobre dernier: « L'Union Soviétique n'a jamais donné autant de preuves de volonté de paix que devant les provocations de la Finlande »

Staline et Hitler 

Oui, les bolchevistes ont tué la paix. Staline ravitaille Hitler. Il a besoin de la guerre, non pour la révolution universelle, comme certains illuminés se l'imaginent encore, mais pour réaliser les plans de l'impérialisme russe. Il n'y a, pour s'en convaincre si on pouvait en douter, qu'à se reporter au discours de Molotov menaçant pour la Finlande, inquiétant pour la Turquie, maîtresse des Détroits, de tous temps convoités par la Russie. Staline a cherché la guerre, il a fini par la trouver. Il l'avait cherchée dans les affaires d'Espagne, et si le Populaire avait davantage de pages, il me serait facile de démontrer que la République Espagnole a succombé en grande partie par sa faute.
Mais il s'agit de tout autre chose.
Staline a encouragé Hitler à entrer dans la guerre. Le pacte germano-soviétique a été un arrêt de mort pour de trop nombreux ouvriers et paysans devenus soldats.
Notre pays est engagé dans une guerre qui lui a été imposée. Il défend sa sécurité; il défend aussi la liberté en Europe et la morale internationale. Dans cette lutte, dont sa propre existence est une part importante de l'enjeu, rien ne doit être négligé pour mettre l'opinion à l'abri de toute propagande défaitiste, quel que soit le masque qui en dissimule la trahison.
Il nous faut gagner la guerre.
Jacques Duclos, dans un article publié à l'occasion du 150e anniversaire de la Révolution française, demandait à la France de suivre l'exemple des Jacobins. Il réclamait l'exécution des traîtres, des espions de la Gestapo, des agents de l'étranger au nombre desquels il comptait les Cagoulards, malfaiteurs publics - assassins et voleurs - ayant ourdi un complot contre la sûreté de l'Etat et les institutions républicaines.
Duclos avait raison !

Je vais maintenant conclure. Ma conclusion sera une hypothèse absurde : si par hasard les socialistes avaient exprimé le moindre doute sur la légitimité du droit de la France au moment de la déclaration de la guerre, et si Duclos, Thorez. Bonte et Cíe avaient conservé la position de boutefeux qui était la leur lors des affaires d'Espagne, que ne diraient-ils pas ? Les staliniens hurleraient à en perdre haleine : Blum au poteau !
J'entends leurs clameurs chargées de haine proférées de la même voix que naguère quand ils lançaient : « Daladier au pouvoir ! » Je n'aurai pas la cruauté d'insister...

(Le Populaire du 15 novembre 1939)


Document 2 :

LA TRAHISON COMMUNISTE

Quand les serviteurs de Moscou dénonçaient les « crimes du fascisme, fauteur de guerre »
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« Les communistes français font et feront tout leur devoir »
Déclaration du groupe communiste à la Chambre, le 9 septembre
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Or, depuis, Thorez a déserté, Duclos a filé, Marty est en Russie...

Par MARX DORMOY


JE m'excuse de publier avec un aussi long retard l'article que j'avais annoncé. Mon dessein n'est pas de répondre aux injures de Marty dans sa lettre adressée à « M. Léon Blum, conseiller d'Etat ». Mais je crois nécessaire - et il n'y a pas pour cela forclusion - de donner des documents qui sont aussi des arguments concernant la trahison des chefs communistes. Ils ont été puisés aux meilleures sources. Je nourris l'espoir qu'ils aideront à la besogne de désintoxication entreprise auprès de travailleurs, trop longtemps abusés, et chez lesquels tout sens critique n'a pas disparu.
Je me suis astreint à rechercher et à lire les articles publiés par l'Humanité dans les quatre mois qui ont précédé l'entrée de la France dans la guerre. Il m'a fallu du temps. Il m'a fallu encore plus de courage.

LENINE ET STALINE

Avons-nous été dupes des communistes ? Je n'en suis pas sûr. Peu importe, d'ailleurs. Mais devant les crimes du bolchevisme on ne peut pas ne pas penser aux conseils donnés par Lénine dans sa « Maladie infantile du Communisme »
« Il faut savoir résister à tout cela consentir à tous les sacrifices, user de ruses.. se taire parfois, parfais voiler la vérité. »
Le bolchevisme russe a suivi cet enseignement. Il ne s'agit pas, bien entendu, des chefs communistes français, comparses et domestiques à gages qui vraisemblablement ont ignoré les projets de leurs maîtres. Et pourtant, malgré tout, je crois qu'on peut établir une différence entre Lénine et Staline. Peut-être me trompé-je ? Mais je crois que, contrairement à Staline, Lénine n'aurait jamais consenti à devenir un supertraître à la cause sacrée de la Paix, un super-renégat de la cause du peuple russe et de celle du prolétariat international. Hitler et Ribbentrop ne se sont pas mépris en adressant à Staline leurs félicitations à l'occasion de ses soixante ans [Télégrammes du 21 décembre 1939]. Ils l'ont reconnu; ils savent qu'ils sont de même race.
Certes, Lénine avait, lui aussi, le mépris des personnes et de la liberté individuelle. Je crois cependant qu'il aurait hésité à donner l'ordre de fusiller les membres de la vieille garde bolcheviste, ses amis, ses compagnons de misère et d'infortune, artisans, avec lui, de la Révolution d'octobre.
Il n'aurait probablement pas consenti, crime suprême et inexpiable, à provoquer la guerre. Il avait, c'est vrai, détruit la république géorgienne. Mais on peut exprimer le doute qu'il eût accepté d'attaquer la Finlande dont il avait· proclamé la nécessaire indépendance.

« J'INSULTE, DONC J'EXISTE »

L'Histoire se chargera sans doute d'établir des rapprochements et des comparaisons. Pour moi, mon dessein est autre. J'ai seulement l'intention de montrer les contradictions dans lesquelles se débattent ceux qui, comme ce Marty, sont chargés d'expliquer et de justifier les apostasies criminelles de Staline-le-Judas.
On peut appliquer à Marty cette parole de Tomsky, une des nombreuses victimes de Staline, que m'a rappelée le citoyen Rappoport : « J'insulte, donc j'existe. » Marty existe. Il insulte bassement, servilement. La lettre qu'il a adressée à Léon Blum est un monstrueux monument d'amoralité, d'hypocrisie, de haine... de bassesse aussi à l'égard de maîtres qui veulent en avoir pour leur argent.
Marty n'est qu'un ilote. Après Staline, il dénonce la guerre comme « une deuxième guerre impérialiste »... « par conséquent, assure-t-il, les ouvriers, les paysans, n'ont rien à voir dans cette affaire ».
La France et la Grande-Bretagne sont entrées en guerre pour tenir les engagements qu'elles avaient solennellement pris à la face du monde. Leur attitude fournit à Marty l'occasion d'injurier, dans un immonde placard, la Pologne martyre, dépecée par Hitler et par Staline - le tout truffé des plus viles calomnies à l'adresse de Léon Blum.
« Ah ça, Monsieur le Ministre, écrit l'ilote, prenez-vous les ouvriers et les paysans pour des imbéciles,vous qui, comme Daladier, avez lancé le peuple français dans la guerre actuelle avec ses horreurs et ses souffrances et - déjà - avec ses nouvelles fortunes scandaleuses ? »
Pour prendre les autres pour des imbéciles, il faut l'être soi-même et la bêtise rejoint presque toujours la canaillerie chez les individus dégradés.
Marty, qui est orfèvre, accuse Léon Blum de trahison. C'est assez plaisant de la part d'un homme qui a pris du service dans l'armée d'Hitler. Je le renvoie au jugement porté par le citoyen Gayman, conseiller municipal du 11e, rédacteur à l'Humanité, un des organisateurs des brigades internationales qui, pour expliquer son refus de s'associer au pacte germano-soviétique [Lettre du 6 octobre 1939], écrivait : « je trahirais mes camarades qui dorment leur dernier sommeil sur la terre d'Espagne, à l'ombre des oliviers » !

QUAND MARTY
DENONÇAIT HITLER

Il y a sans doute du cynisme chez Marty. Il y a aussi une bonne part d'inconscience. Il a dû oublier son discours du 16 mars dernier à la Chambre des députés dans lequel il dénonçait avec fureur « Hitler, assassin du peuple allemand ». Il y fustigeait ceux qu'il appelait les « hitlériens » de l'Assemblée : « Messieurs, s'écriait-il, Hitler sera content de vous demain ! ». Il se préoccupait aussi - tout arrive, du moins en paroles - de la sécurité de la France : « Tout à l'heure, avant d'entrée dans la salle des séances, le service de la poste m'a remis ces deux enveloppes. Voilà l'opinion des volontaires : voilà 3 500 cartes postales que ces hommes m'envoient des camps de concentration, en Français, en Espagnol, en Polonais, en Allemand, dans toutes les langues du monde, tous se déclarent solidaires de moi, tous me disent nous serons toujours avec toi et si, demain, la France est attaquée par le fascisme, avec toi nous la défendrons. »
Aujourd'hui, Marty n'est plus enroulé dans un péplum tricolore. Il défend la France à sa manière : celle du traître Ferdonnet.

« HITLER, CHEF DE BANDE »,
DISAIT JACQUES DUCLOS A LA CHAMBRE...

Naturellement, il n'était pas seul à donner de la... voix contre Hitler. Il trouvait une aide précieuse en Jacques Duclos qui, le 18 mars dernier, toujours à la tribune de la Chambre, s'écriait [Discours du 18 mars 1939] :
« Hitler se conduit comme un chef de bande, comme un chef de tribu. Il vient là. il réquisitionne les vivres, il vole l'or, il répartit le butin...
S'il y a des hommes, ajoutait-il, qui fondent la sauvegarde de la Paix sur leurs croyances en la parole de M. Hitler, qu'ils viennent, qu'ils s'expliquent. Je suis convaincu qu'ils ne trouveront pas un seul argument pour expliquer les raisons de leur position. » Et Duclos s'indignait qu'on pût suspecter son patriotisme : « le fantassin que je suis, lançait-il comme un défi, n'a pas de leçon à recevoir de vous » ! Il continuait :
Nous ne voulons pas que Hitler puisse absorber notre pays. Nous voulons que la France reste Française et ne devienne pas une colonie hitlérienne. On parle beaucoup du saint-empire romain-germanique... Reconstituer le saint-empire romain-germanique c'est le retour de l'Alsace-Lorraine à l'Allemagne, le démembrement de la France. Ainsi le problème est posé c'est Hitler qui menace la France.
Les hitlériens - les gens de Hitler en France - ont fait de notre idéal pacifiste une œuvre antifrançaise. Ils développent la philosophie de la lâcheté, la philosophie de la résignation. Ni la lâcheté, ni la résignation, n'ont rien de commun avec l'esprit français. »
ENTRAINER L'EUROPE
DANS LA GUERRE

Le morceau valait la peine d'être cité. Mais le même Duclos et le même Marty sont convaincus aujourd'hui de l'innocence d'Hitler dans le déclenchement de la guerre !
Les chefs communistes avaient aussi grande confiance en la Pologne. Ils comptaient beaucoup sur elle - puisque l'affaire d'Espagne avait échoué - pour entraîner l'Europe dans la guerre. Ils excitaient le colonel Beck contre Hitler, du geste et de la voix comme les « populaires » du Vel d'Hiv' qui, dans les combats de boxe ou de catch, hurlent des encouragements à leurs favoris : « Vas-y ! Tue-le ! Descends-le ! »
« De quoi s'agit-il, demande l'Humanité dans les commentaires qu'elle donne du discours d'Hitler au Reichstag; quel est donc le véritable objectif du Reich ? Il veut dominer la Baltique... il veut tailler dans le territoire polonais pour passer la corde au cou de la Pologne.
Si la Pologne cède pour Dantzig et le corridor, l'Humanité l'avertit que Hitler réclamera la ville de Bromberg, Posen, et la rectification des frontières de la Haute-Silésie. » Et Gabriel Péri rappelle le sort de la Tchécoslovaquie : « Tel serait le sort de la malheureuse Pologne si elle ne profitait pas de ce terrible enseignement. »
Le colonel Beck a entendu les encouragements. Il répond au début de mai à Hitler. L'Humanité l'approuve et le complimente :
« L'Etat polonais, écrit-elle, ne se refuse pas à une négociation, mais il n'accepte pas les bases de discussion proposées par le chancelier Hitler. La Pologne est attachée à la paix, mais elle ne connaît pas la condition de la paix à tout prix. »
Cette politique de M. Beck « est claire et nette », dit encore l'organe communiste qui interroge avec sévérité M. Georges Bonnet, ministre des Affaires étrangères : « Préparez-vous, lui demande-t-il, un Munich pour la Pologne ? »
L'Humanité fait l'éloge du maréchal Smigly Ridz dont le discours de Cracovie l'a ravie :
« Son langage n'a rien de belliqueux. La Pologne n'entend nullement que ce soit sous la menace de la force ou de la ruse d'un Munich N° 2 se laisser arracher « le poumon » que constitue Dantzig dans l'organisation économique du pays. »
« LA POLOGNE SERA-T-ELLE TRAHIE ? »
INTERROGEAIT L'HUMANITE...

M. Burckhard, commissaire de la S.D.N. à Dantzig, est appelé chez le Führer « avec l'approbation, assure l'Humanité, de Londres et de Paris ».
Elle affirme que « M. Burckhard essaie de refaire contre la Pologne le coup de Runciman contre la Tchécoslovaquie. La Pologne sera-t-elle trahie ? Burckhard est en train de chercher à entraîner Varsovie dans l'engrenage des négociations frauduleuses devant se terminer par la capitulation de la Pologne ».
Le Parti communiste voit venir la guerre. Sans attendre davantage, il situe ainsi les responsabilités :
« Des Polonais sont tués ou arrêtés aux frontières allemandes ou dantzicoises. Des incidents sont créés à la frontière de Slovaquie. Les Polonais de Silésie allemande sont en butte à des provocations et à des brimades multipliées et croissantes, mais la Pologne peut compter sur la Russie. La journée d'aviation soviétique aura encore renforcé la résistance des peuples menacés du chantage fasciste et munichois. La Pologne y aura puisé une nouvelle énergie à défendre sa vie, son indépendance contre les provocations et les pressions. »
Chacun sait que le « père des peuples », Staline, a une manière bien à lui de les défendre !
Mais que va penser Marty de ce passage d'un article de l'Humanité du 10 août 1930 ?
« Les insultes les plus basses voisinent, dans les feuilles nazies. avec les menaces catégoriques d'employer la force et lancent l'accusation persistante que c'est la Pologne qui veut la guerre et que le Reich, encerclé, devra répondre par les armes aux agresseurs anglo-polonais.
Mais Varsovie se refuse à subir le sort tragique de Prague. Les déclarations du maréchal Smigly Ridz ont été un avertissement préliminaire aux prétendus apaiseurs impénitents, une affirmation catégorique que la Pologne se refuse à tout fléchissement, à toute atteinte à ses droits, à sa sécurité, à son indépendance. »
ALORS, LA « GUERRE IMPERIALISTE » ?...

Après avoir tenu ce langage, il serait difficile de dénoncer la « guerre impérialiste » voulue par le capitalisme franco-britannique si l'on avait un minimum de loyauté. La loyauté, l'honnêteté, la bonne foi ne se trouvent pas au « rayon » communiste !
L'Humanité ne ménage pas les hommes qui ne veulent pas entendre parler de guerre. Elle s'étonne que Déat, « Déat-Abetz », comme elle écrit. « ne soit pas encore en prison ». Il a osé dire qu'il ne voulait « pas mourir pour Dantzig ». Il fait ainsi le « jeu de Paris et de Londres, et aussi celui de Berlin ». il aura « droit à une manchette de six colonnes dans le Volkischer Beobachter, organe officiel du parti nazi ». Et elle accuse M. Déat de s'être mis d'accord avec Goebbels qui, dans un tract, demande également aux Français : « Voulez-vous mourir pour Dantzig ? »
L'Humanité est de plus en plus implacable pour M. Georges Bonnet. Elle parle de lui en ces termes : « ministre français des Affaires étrangères ou ministre étranger des Affaires françaises » qui fait avec Chamberlain le jeu de l'Allemagne hitlérienne laquelle, « mettant à profit leurs manœuvres dilatoires, multiplie les provocations à Dantzig ».
Malgré tout la guerre ne vient pas. Péri est inquiet. Il écrit le 6 juillet [L'Humanité du 6 juillet 1939] :
« Paris et Londres ont-ils indiqué à Hitler les voies et moyens pour faire disparaître la Pologne dans le silence et l'indifférence complices de la France et de la Grande-Bretagne » ?
Les chefs communistes estiment alors, eux aussi, que le capitalisme ne porte pas en lui fatalement la guerre. Il ne leur vient pas à l'idée de comprendre les 200 familles parmi les fauteurs de guerre. Que Marty consulte, d'ailleurs l'Humanité du 20 juillet. Il y trouvera un discours de Duclos dans lequel il est dit :

LA CULPABILITE
DE HITLER
« Il est indiscutable que la paix est menacée et personne ne peut désormais avoir le moindre doute en ce qui concerne l'identité des fauteurs de guerre... Ce sont ceux qui ont rayé de la carte du monde l'Autriche et la Tchécoslovaquie. Nous n'acceptons pas qu'on essaye de généraliser les responsabilités comme pour excuser, aux yeux de l'opinion publique, les crimes du fascisme, fauteur de guerre. »
Moscou a donné le la. Péri embouche la même trompette que Duclos. Il n'a aucun doute sur la culpabilité d'Hitler. Il en est tellement convaincu qu'il ne veut même pas prendre la peine de discuter. Ecoutez-le :
« La controverse qui est question de savoir qui a commencé est une controverse grotesque. L'Allemagne veut s'emparer de Dantzig pour être maîtresse de la Pologne, comme elle voulait s'emparer des Sudètes pour être maîtresse de la Tchécoslovaquie. L'agression nazie a commencé. La Pologne est en état de légitime défense. Qu'elle y prenne garde : La Pologne commencerait à perdre son indépendance si elle permettait et si des garants permettaient avec elle que se poursuive la conquête par le dedans de Dantzig. »
Et Péri donne cet avertissement :
« ...A l'heure si dramatique où nous sommes arrivés, la paix ne sera sauvée que dans la mesure où cette résolution demeurera inflexible. L'épreuve de force ne sera conjurée que dans la mesure où la Pologne et les pays qui ont garanti son intégrité, seront victorieux dans l'épreuve de volonté. L'audace fasciste, et par conséquent le risque de guerre, a grandi lorsque, sans fixer la moindre flétrissure officielle, un député français, secrétaire d'un Parti représenté par deux ou trois ministres au gouvernement, a lancé le mot d'ordre : pas pour Dantzig... La paix peut être sauvée encore si les hommes d'Etat les plus responsables des démocraties occidentales cessent de se comporter comme si le 30 septembre 1938 ou le 5 mars 1939 n'étaient pas écrits au calendrier de l'Histoire. »
Contre la propagande étrangère, l'Humanité exige une action énergique du gouvernement Daladier : « Fera-t-on taire les munichois qui font le jeu de Hitler contre la France et contre la Paix ? »

L'« HITLERISME AGRESSEUR »

Bien d'autres documents communistes seraient à citer : la mine en est, en effet, inépuisable. Pour terminer, je rappellerai les proclamations du groupe communiste qui offrait le concours de tous les communistes « pour battre Hitler », et qui affirmait « la volonté du Parti de défendre notre pays contre l'hitlérisme agresseur ». « De toutes nos forces, dit le texte, nous entendons servir la cause de la liberté, la cause de la paix et la cause de la France que nous ne séparons pas et dont nous sommes sûrs qu'elles triompheront, car l'avenir n'est pas aux représentants de la barbarie, l'avenir est aux forces populaires sans lesquelles rien de durable et rien de grand ne peut se faire.
« C'est avec la certitude de défendre leur idéal en défendant leur pays que les communistes français font et feront tout leur devoir. »
Ce document est du 9 septembre [Déclaration du groupe parlementaire communiste du 9 septembre 1939]. Le Parti communiste n'avait pas encore digéré le pacte germano-soviétique. Depuis, des ordres sont venus de Moscou. C'est pour les exécuter que Thorez a déserté, que le « fantassin » Duclos a filé, que Marty est en Russie, et que Cachin se cache, sous un dolmen, quelque part, en Bretagne.

(Le Populaire du 29 décembre 1939)


Document 3 :

"Je n'éprouve pas moins d'étonnement quand j'entends attribuer mes articles à je ne sais quelle indulgence incorrigible vis-à-vis du Parti communiste, à je ne sais quelle magnanimité intempestive, à je ne sais quel abus du pardon évangélique. J'ai dénoncé sans merci le crime inexpiable de Staline. J'ai combattu sans merci les communistes français chez qui le dogme et la pratique de « l'omni-obéissance » avaient aboli toute capacité d'observation et toute faculté de jugement. Je continue cette lutte avec les armes qui me sont propres, et que j'ai lieu de croire efficaces si j'en juge à la violence des outrages dont le Communisme m'accable et des haines qu'il s'efforce de susciter contre moi. La campagne que signalait l'autre jour Marx Dormoy ne s'est ni ralentie ni modérée. A l'interview de Thorez publiée en Angleterre, je pourrais ajouter aujourd'hui l'article que m'a tout spécialement consacré Marty dans un magazine communiste qui paraît en Belgique. Je pourrais reproduire également le texte des derniers tracts qu'on s'est efforcé tout récemment de répandre dans les usines. On pourrait juger si je ne suis pas redevenu « une cible » comme autrefois et si mes articles d'il y a dix jours, où je servais pourtant, paraît-il, leurs desseins secrets, m'ont attiré de la part des Staliniens plus de bienveillance".