MENU

Le Parti communiste français est "un parti nationaliste étranger" (Léon Blum, A l'échelle humaine, 1941)

A l'automne 1941, détenu à la maison d'arrêt de Bourassol dans l'attente de son procès devant la Cour suprême de justice, Léon Blum se consacre à la rédaction d'un texte : A l'échelle humaine.

Rédigé à l'attention de la jeunesse socialiste, ce texte contient une analyse de la défaite de la France décrite comme la faillite de la bourgeoisie française, et une réflexion sur l'avenir de la France et de l'Europe libérées de l'Allemagne nazie.

Dans une partie revenant sur le passé proche et plus précisément sur l'accès au pouvoir du Maréchal Pétain, il s'interroge sur les raisons pour lesquels les Français n'ont pas manifesté un intérêt particulier pour un Gouvernement socialiste.

L'incapacité des Français à faire la différence entre le Parti socialiste et le Parti communiste est l'une des explications données par l'auteur.

Jugeant que ces deux partis politiques ne devraient pas être confondus, Léon Blum s'attache à montrer leur différence fondamentale. Le premier est un parti internationaliste, le second est "un parti nationaliste étranger".

Dans l'extrait suivant, on reproduira sa démonstration :

"Mais précisément Staline avait éludé ce rapprochement [avec la France et l'Angleterre]; c'est avec Hitler qu'il avait traité en fin de compte; c'est le marché passé par lui avec Hitler qui avait permis l'invasion de la Pologne et déterminé la guerre. L'indignation publique s'était alors justement déchaînée : Staline avait trahi la Paix, et le parti communiste, en lui restant obstinément fidèle, trahissait la France.
A la lumière de cette péripétie tragique, on évoquait tout naturellement les palinodies du communisme français au cours des dernières années. Jusqu'à la veille du pacte de 1935 [Pacte franco-soviétique], il avait préconisé le «défaitisme révolutionnaire»; dès le lendemain il était devenu le champion le plus ardent de l'indépendance et de l'honneur de la patrie. Jusqu'à la veille du pacte germano-soviétique, il avait donné le ton et même le branle dans sa campagne contre le nazisme; dès le lendemain, il proclamait son inaltérable soumission à Staline, allié de Hitler contre la France.
Ces changements de front avait été exécutés d'un coup, tout d'une masse, sans autre explication convenable que le renversement des ordres venus de Moscou, lesquels ne s'expliquaient eux-mêmes que par les revirements successifs de la politique soviétique.
Ainsi, il était devenu patent que la direction du parti communiste français ne lui appartenait pas en propre, mais lui était imposée du dehors. Il obéissait aveuglément aux ordres dictés, non point par une organisation internationale, mais par une puissance, un Etat qui les transformait lui-même au gré de ses intérêts nationaux.
Il n'était donc pas un parti internationaliste, mais bien un parti nationaliste étranger.
La distinction est capitale. L'internationalisme repose sur le postulat qu'entre toutes les nations parvenues au même moment de l'évolution économique existent un certain nombre d'intérêts indivis et d'idéaux communs. Un parti ouvrier internationaliste agit dans la conviction que l'intérêt de chaque pays, s'il est pénétré assez profondément et conçu sous l'aspect de la durée, ne peut se dissocier de l'intérêt profond et permanent des autres pays de l'Europe et même de l'humanité entière. Il entend servir la cause française en servant la cause internationale; il est national tout en étant international, et parce qu'il est international.
Le Parti communiste au contraire se manifestait comme un parti nationaliste étranger, puisqu'il reposait sur le postulat que la cause des travailleurs dans les autres pays dépend de l'intérêt particulier d'un Etat unique, la République des Soviets, non pas de son intérêt idéal et permanent, mais des modalités changeantes de son intérêt temporel et politique."