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Déclaration franco-britannique du 28 mars 1940

Le 28 mars 1940 se tient à Londres le 6e Conseil suprême interallié auquel participent le premier ministre du Royaume uni, Neville Chamberlain, et pour la première fois Paul Reynaud qui a été nommé à la présidence du Conseil le 21 mars.

Ce Conseil adopte une Déclaration aux termes de laquelle les gouvernement français et britannique s'engagent notamment à ne pas négocier de paix ou d'armistice séparés avec l'Allemagne nazie.

On pourra lire les trois paragraphes de cette Déclaration dans le communiqué de presse franco-britannique publié le jour même :

"La sixième réunion du Conseil suprême de guerre s'est tenue à Londres aujourd'hui. Le conseil s'est réuni le matin et une seconde séance a eu lieu l'après-midi.
La Grande-Bretagne était représentée par MM. Chamberlain, le vicomte Halifax, M. Winston Churchill, M. Oliver Stanley, Sir Kingsley Wood, accompagnés de Sir Alexander Cadogan, de Sir Cyril Newall, de Sir Dudley Pound et de Sir Edmund Ironside.
La France était représentée par M. Paul Reynaud, M. Campinchi et M. Laurent-Eynac accompagnés de MM. Corbin, Alexis Léger, le général Gamelin, l'amiral Darlan, le général Vuillemin et le général Koeltz.
Le premier ministre s'est félicité d'avoir l'occasion de saluer, pour la première fois, M. Paul Reynaud, en sa qualité de président du conseil.
Le conseil suprême de guerre a passé en revue les développements survenus dans la situation stratégique depuis sa dernière réunion et a fixé la ligne d'action à suivre dans l'avenir.
A la lumière des résultats obtenus par l'accord de décembre dernier, signé entre Sir John Simon et M. Paul Reynaud [NdB : P. Reynaud est alors ministre des Finances], et dans le désir d'étendre la portée de cet accord à tous les domaines affectant les intérêts et la sécurité des deux pays, les deux gouvernements se sont mis d'accord sur la déclaration solennelle suivante :

Le gouvernement de la République française et le gouvernement du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord s'engagent mutuellement à ne négocier ni conclure d'armistice ou de traité de paix, durant la présente guerre, si ce n'est de leur commun accord.
Ils s'engagent à ne discuter les termes de la paix qu'après un complet accord entre eux sur les conditions nécessaires pour leur assurer respectivement les garanties effectives et durables de leur sécurités.
Ils s'engagent, enfin, à maintenir, après le rétablissement de la paix, leur communauté d'action, dans tous les domaines, aussi longtemps qu'elle sera nécessaire pour la sauvegarde de leur sécurité et pour la reconstruction, avec le concours des autres nations, d'un ordre international assurant en Europe la liberté des peuples, le respect du droit et le maintien de la paix."

(L'Œuvre du 29 mars 1940)


Paul Reynaud à la Chambre

Le 19 avril, à la Chambre des députés, dans une séance en Comité secret, Paul Reynaud s'exprime longuement sur la Déclaration franco-britannique du 28 mars.

Après avoir indiqué que cette Déclaration était une demande du gouvernement anglais, le président du Conseil se flatte d'avoir substantiellement modifié le texte que les Anglais proposaient et qui ne comprenait qu'un seul paragraphe.

Concernant ce premier paragraphe, il soutient qu'il a fait ajouter le cas de l'armistice. Il déclare ensuite qu'il a obtenu l'ajout de deux paragraphes supplémentaires stipulant, d'une part, que les deux parties se mettront d'accord sur le contenu du traité de paix avant d'entrer en négociation avec l'Allemagne et, d'autre part, que les deux pays seront solidaires dans l'exécution de ce traité de paix. Ce troisième paragraphe est présenté par le président du Conseil comme un "petit traité de paix à deux".

Organisés en Comité secret, les débats de la séance du 19 mars 1940 à la Chambre (IIIe République) seront reproduits dans le Journal officiel du 7 avril 1948 à la suite d'une résolution de l'Assemblée nationale (IVe République) autorisant leur publicité :


[Demande anglaise]

"Dans l'ordre diplomatique, messieurs, ce matin, la Chambre a écouté avec émotion le discours par lequel notre collègue M. Ybarnégaray, avec son talent habituel, a parlé de l'accord qui est intervenu à Londres le 28 mars dernier au sujet de la paix séparée.
Il a dit, et il a eu raison, que s'engager à ne pas faire de paix séparée quand on est engagé dans la même guerre, c'est une question d'honneur et qu'en réalité il n'y a pas de question.
Au surplus, l'affaire avait été juridiquement réglée indirectement par le fait que les Anglais et nous, nous étions engagés envers la Pologne, il y a quelques mois, à ne pas faire de paix séparée sans nous être mis d'accord.
Mais, messieurs, j'ai pensé — et le cabinet de guerre, qui m'en avait donné le mandat à l'unanimité, avait pensé — qu'il y avait intérêt à répondre à la demande des Anglais qui, au surplus, avait été faite à l'origine à la suite de quelques articles parus dans les journaux français disant: Comment se fait-il qu'au bout de plusieurs mois, de guerre, nous n'ayons pas encore passé cet accord que nous avons conclu le 4 septembre 1914, c'est-à-dire un mois après la déclaration de la dernière guerre ?
C'est une des questions qui ont été traitées à Londres.
Je sais que certains ont dit: Mais vous auriez dû obtenir beaucoup plus. C'est en ce moment que vous pouvez obtenir; après, quand vous serez devant une table de conférence, à la fin de la guerre, il vous arrivera la mésaventure — dont on parlait tout à l'heure — qui est survenue à M. Clemenceau se trouvant en face de M. Lloyd George.
M. Beaudoin, tout à l'heure, avec beaucoup de force a soulevé le problème.
Il a dit: Je représente un pays qui est envahi ou qui est menacé d'être envahi à chaque génération. Prenez garde! Si votre position n'est pas assez forte sur le problème de la sécurité, les populations que je représente peuvent se décourager.
C'est ainsi que j'ai interprété la déclaration de M. Beaudoin.
M. François Beaudoin. Très justement.
M. le président du conseil. C'est à cela que je veux répondre, La Chambre me fera l'honneur de penser que ce risque ne m'avait pas échappé.

[Premier paragraphe]

Le texte initial qui avait été proposé par les Anglais était purement et simplement le texte de 1914, c'est-à-dire l'engagement de ne pas conclure de paix séparée.
Sur notre observation que ce texte n'était pas suffisant, le gouvernement anglais avait proposé l'addition d'un deuxième paragraphe ainsi conçu :
« Les deux gouvernements proclament, en outre, leur intention de maintenir, après la conclusion de la paix, la coopération la plus intime dans leur politique financière, économique et militaire ».
Il s'agit là d'un engagement qui vise la période consécutive à la paix. Mais il ne s'agissait pas d'un engagement pour la rédaction du traité de paix. Et nous avons pensé que cet engagement devait être pris, non pas que nous ayons la moindre défiance à l'égard de nos alliés, qui sont les plus fermes et les plus loyaux des alliés, mais, messieurs, l'Angleterre est une démocratie où les courants d'opinion sont parfois d'une puissance irrésistible.
Vous connaissez l'état d'esprit sportif et non sans noblesse de nos alliés, qui, lorsqu'ils ont battu quelqu'un, lui tendent la main et veulent à tout prix qu'à la minute où leur adversaire est battu il acquière à titre définitif la même mentalité qu'eux.
M. Jean Ybarnégaray. Hélas!
M. le président du conseil. Malheureusement, l'expérience est contraire. C'est la raison pour laquelle nous avons demandé au Gouvernement anglais, et obtenu de lui, d'introduire une disposition qui vise non seulement le traité de paix, mais l'armistice.
Car, messieurs, le jour où l'un des deux alliés aurait signé un armistice, on peut dire que la question ne serait plus entière et que même nous serions en fait désarmés. Aussi, à mon avis, c'est un des points les plus importants de cette déclaration: nous avons introduit la notion de l'armistice.

[Deuxième paragraphe]

Aucun des deux pays n'a le droit de déposer les armes — il ne s'agit pas seulement de la rédaction du traité de paix, qui peut être postérieure de plusieurs mois, comme après la dernière guerre — aucun des deux pays n'a le droit de déposer les armes avant de s'être mis d'accord avec l'autre — je cite: « sur les conditions nécessaires pour leur assurer respectivement les garanties effectives et durables de leur sécurité ».
M. Ybarnégaray m'a dit : Vous auriez dû aller plus loin et vous auriez dû dire : Nous allons écrire dans ce texte que la France va occuper militairement la rive gauche du Rhin.
Je crois que M. Ybarnégaray se trompe, car ce texte dit tout, et en fonction de la situation qui sera celle des alliés à la fin de la guerre et que nous ignorons, ce texte permet de demander tout en matière de sécurité, puisque ce sera en face d'une situation que nous ne connaissons pas encore.
Nous pourrons, à ce moment-là, ou bien faire ce que demande M. Ybarnégaray, ou bien peut-être faire mieux, si nous avons la possibilité de faire mieux, si nous trouvons la possibilité d'obtenir, par exemple, ce que nous n'avons pas obtenu à la fin de la dernière guerre, car, ce matin, M. Ybarnégaray avait bien raison de rappeler ce qui s'est passé au moment du traité de paix.
Nous avons signé un traité de paix sous condition résolutoire : l'agrément du Sénat américain, et nous ne nous sommes pas aperçus qu'il y avait une condition résolutoire.
J'espère que, de même que nous tenons compte des leçons de la dernière guerre, nous tiendrons compte des leçons du dernier traité de paix. Elles sont nombreuses. (Applaudissements.)
Ainsi donc, messieurs, si au lendemain de la guerre un courant d'opinion en Angleterre soulevait de nouveau ce pays, où comme vous le savez le facteur religieux a une grande influence, et jouait dans un sens qui ne serait pas celui de l'accord conclu, l'Angleterre serait liée; elle ne pourrait pas nous dire au moment de l'armistice: il y a de nouveau la bonne Allemagne. C'est une notion qui n'a plus cours ! (Vifs applaudissements au centre, à droite, à gauche et sur divers bancs à l'extrême gauche.)
Je ne veux pas dire par là qu'il ne faudra pas, au lendemain de la guerre, organiser une Europe dans laquelle nous ferons une place à l'Allemagne, car je le crois profondément et je crois que ce sera la seule manière de faire une paix durable.
Je crois qu'il faudra, à ce moment, songer à l'organisation de l'Europe et mettre sur la table les moyens de transport de celle-ci: fleuves, canaux, chemins de fer, sa production en houille et en minerais métallurgiques.
Mais ce que je veux dire, c'est qu'en ce qui concerne les conditions de paix, de sécurité, l'Angleterre est liée.

[Troisième paragraphe]

Après ce deuxième paragraphe, nous en avons ajouté un troisième, ce qui d'ailleurs ne nous empêche pas de causer actuellement avec l'Angleterre, maintenant qu'elle est liée, ce qui est tout de même une meilleure situation pour causer qu'avant qu'elle le fût.
En ce qui concerne la période d'après la guerre, nous avons rédigé un protocole, petit traité de paix à deux. Nous serons peut-être nombreux — nul ne sait combien nous serons — autour de la table de la conférence. Mais nous avons rédigé un traité à deux pour définir quels seront les rapports France-Angleterre après la guerre.
Vous vous rappelez que, dès le lendemain de l'armistice, la solidarité monétaire ayant été rompue par nos alliés, brutalement, sans préavis, le franc s'est mis glisser, et vous vous rappelez toute cette période douloureuse de contrôle du désarmement de l'Allemagne, où, hélas! nous n'avons pas trouvé un concours — je puis le dire à cette tribune en comité secret et les Anglais le reconnaissent aujourd'hui — un concours auquel nous étions en droit de nous attendre.
Il n'est pas douteux que les hommes politiques qui à l'époque dirigeaient l'Angleterre ont commis une erreur fondamentale. Il semble qu'ils aient pensé avec la cervelle de Pitt et qu'ils aient cru que la France, malgré sa situation démographique, constituait le péril essentiel sur le continent européen.
C'est une erreur qui ne se renouvellera pas, parce que le troisième paragraphe est ainsi conçu :
« Les deux gouvernements s'engagent à maintenir, après le rétablissement de la paix, leur communauté d'action dans tous les domaines, aussi longtemps qu'elle sera nécessaire pour la sauvegarde de leur sécurité et pour la reconstruction, avec le concours des autres nations, d'un ordre international assurant, en Europe, la liberté des peuples, le respect du droit et le maintien de la paix. »
C'est-à-dire, messieurs, qu'un concours militaire, l'Angleterre a pris l'engagement de nous le donner par ce texte.
Or, vous vous rappelez qu'au lendemain de la précédente guerre, l'Angleterre, soulevée par un courant d'oubli de la guerre, a désarmé comme aucun pays n'a jamais désarmé dans le monde. J'en suis à me demander, je l'avoue, ce qu'elle a pu faire de la quantité colossale d'armes qu'elle a laissé tomber à ses pieds, le jour où l'armistice a été signé.
Ainsi donc, en ce qui concerne nos alliés, ensemble nous avons fait la guerre, ensemble nous ferons la paix et ensemble nous nous engagerons dans la route de l'avenir.
Et, messieurs, c'est la seule possibilité pour nous. Les Anglais l'ont parfaitement compris et leur presse l'a marqué lorsque cet accord a été signé. Elle a marqué le contraste qui existe entre cet engagement et la rupture de solidarité immédiate et totale qui a suivi la dernière guerre. La seule chose que nous ayons à faire, c'est précisément de profiter de la guerre pour pousser chaque jour plus avant l'union la plus intime possible, à tous les points de vue, entre ces deux peuples, dont l'un a 46 millions et l'autre 41 millions d'habitants, et qui se trouvent en face de cette puissance colossale au point de vue démographique qu'est l'Allemagne de 80 millions d'habitants. Nous ne proposons pas au peuple français le morne idéal du statu quo d'avant-guerre. Nous lui proposons autre chose. Nous lui proposons ce qui, à mon avis, est la condition vitale de la sécurité.
Messieurs, je crois avoir montré qu'il n'a pas été question, dans les conversations de Londres, de problèmes chimériques. On à raconté, paraît-il, que nous avions envisagé la constitution d'un Parlement unique dans lequel nous aurions eu, naturellement, une situation diminuée.
Je crois avoir prouvé, par mes actes, que j'ai intention d'être et de rester un allié fidèle, mais un allié exigeant."

(Journal officiel du 7 avril 1948 p. 115 et suivantes)


Presse parisienne

La presse parisienne saluera la Déclaration franco-britannique du 28 mars comme un succès diplomatique qui marque l'unité inébranlable de la France et de l'Angleterre à la fois dans la conduite de la guerre et dans la période de paix qui suivra la victoire. Deux exemples : L'Œuvre et Le Temps.

Citons tout d'abord l'article de Geneviève Tabouis dans L'Œuvre du 29 mars 1940 :

"Hier soir, l'opinion des cercles informés de Paris et de Londres était qu'aucune appréciation, aucun qualificatif ne peuvent être ni assez élogieux ni assez forts pour qualifier l'importance actuelle et la valeur pour l'avenir de la conclusion de l'accord franco-britannique contenu dans le communiqué du Conseil Suprême de Londres, où s'étaient rendus Paul Reynaud et ses collaborateurs.
C'est un accord si ample et d'une telle durée qu'il est, paraît-il, sans précédent dans l'histoire diplomatique.
M. Paul Reynaud [président du Conseil et ministre des Affaires étrangères], revenu dans la soirée de Londres, était tout à fait heureux de sa journée. Notre ministre des Affaires étrangères avait persuadé nos amis britanniques de donner à cet accord franco-britannique une importance toute particulière, du fait qu'il n'avait pas été conclu dès les premiers jours de la guerre.
Les ministres français et anglais ont été alors d'accord pour penser qu'en effet il fallait, pour les deux peuples, aller plus loin que la simple décision de principe qui était intervenue, on s'en souvient, le 4 août 1914, entre les deux pays.
Il y a longtemps que nombreux étaient ceux, en France et en Angleterre, qui remarquaient que si en 1914 - quatre jours après l'entrée en guerre des alliés — la France et l'Angleterre avaient signé un accord aux termes duquel elles ne feraient jamais de paix l'une sans l'autre — jusqu'à présent rien de semblable n'avait été fait par les deux gouvernements.
Naturellement, en France et en Angleterre, personne ne pensait jamais qu'un pareil papier puisse ajouter quelque chose à l'action jointe des deux pays et personne ne pouvait concevoir que l'un ou l'autre puisse à un moment donné, se désolidariser de son partenaire.

Cinglante réponse au Führer

Mais, le désir que pouvaient avoir certains que l'accord d'aujourd'hui fût conclu de façon spectaculaire, était surtout provoqué par l'effet magistral que cet acte produirait sur le Reich.
Celui-ci a toujours gardé l'espoir — depuis le début des hostilités — de désolidariser l'Angleterre de la France et il intensifie toujours sa propagande dans ce sens.
L'absence de signature d'un tel acte permettait donc au Führer de soutenir le moral de son peuple en lui répétant qu'il lui suffirait de faire un effort massif sur l'une ou l'autre des deux démocraties pour que le partenaire se désolidarise de celle qui aurait été malmenée par les forces allemandes et qu'ainsi il obtiendrait la fin rapide des hostilités.
Le Führer ne manquait jamais d'ajouter qu'il suffirait, à son avis, de frapper un coup terrible sur l'Angleterre pour obtenir la réalisation de son plan.
Désormais, le Führer va être obligé de changer son leitmotiv.
Quel que soit l'effort qu'il fera pour dissimuler à son peuple, le plus longtemps possible, l'importance capitale de cet acte, il n'y parviendra pas.
En effet, il y a, dans cette déclaration, non seulement un accord franco- britannique pour le présent et le proche avenir, mais il y en a pour l'avenir lointain.

Communauté d'action dans la paix comme dans la guerre

Il n'y a pas à comparer les termes de l'accord en question avec celui de principe, et si bref, qui avait uni la France et l'Angleterre le 4 août 1914.
Aujourd'hui, l'accord franco-britannique comprend trois points, dont deux n'ont pas leur équivalent dans l'accord de 1914.
Le point 1 stipule simplement que les deux pays s'engagent à ne négocier aucune paix, ni aucun armistice, si ce n'est d'un commun accord.
Le point 2 stipule que les deux pays s'engagent à ne discuter les termes de la paix qu'après avoir obtenu des garanties effectives de sécurité après un complet accord entre eux sur tous les sujets.
Le point 3 décrète que les deux pays sont d'accord pour maintenir leur communauté d'action en tous domaines après la guerre et dans la paix aussi longtemps que ce sera utile, aussi longtemps que la France et l'Angleterre ne jugeront pas assurées la sécurité des peuples, la reconstruction de l'Europe, le respect du droit et l'ordre international.

Il y a vingt-deux ans

Il faut se rappeler ce qui s'est passé alors que le canon de l'armistice du 11 novembre 1918 résonnait sur le monde pour apprécier la valeur des points 2 et 3 de l'accord franco-britannique.
Nous nous rappelons tous que la France et l'Angleterre étaient aussitôt retournées à leur politique traditionnelle. Aussitôt, les accords franco-britanniques financiers et économiques d'alors qui ressemblaient, en moins étendus et moins profonds, à ceux que nous avons aujourd'hui avec la Grande-Bretagne, avaient été rompus délibérément.
L'Angleterre avait lâché le franc ; la livre avait aussitôt monté.
Tous les engagements financiers et économiques avaient cessé pendant que la France et l'Angleterre étaient, au fond, en désaccord total sur tous les problèmes qui devaient être traités à la paix.
On doit même ajouter que si l'on pouvait encore concevoir à la rigueur que les intérêts matériels d'ordre financier et d'ordre économique aient été envisagés de part et d'autre du point de vue strictement égoïste, il semble aujourd'hui inconcevable que les notions de sécurité et de garantie de sécurité aient pu diviser les Alliés à partir de ce moment-là !
Mais ce fut pourtant vrai. L'Angleterre. après avoir [mot absent] la flotte allemande à Scapa Flow et croyant avoir ainsi assuré sa propre sécurité, avait peut-être soutenu par trop mollement les garanties de sécurité de la France, alors que la sécurité des deux pays ne se concevait plus l'une sans l'autre.

Le gage d'une paix solide

Le point 3 est une totale innovation.
Il lie la France et l'Angleterre auxquelles le rôle d'organisatrices de l'Europe est ainsi dévolu pour des années !
Il n'y a qu'à se souvenir des années qui se sont écoulées entre 1920 et 1936 pour réaliser que si la France et l'Angleterre étaient demeurées d'accord sur l'ordre européen, nous ne serions certainement pas en guerre aujourd'hui.
Il faut reconnaître que les différences de points de vue français et anglais notamment dans l'organisation de la sécurité collective, ont été vraiment le marchepied de l'Allemagne, qui lui a permis de réarmer, de reconstituer ainsi toute sa force.  C'est encore le manque de cohésion franco-britannique qui a autorisé la réoccupation de la Rhénanie :
« Je sais de source sure, écrivait von Hoesch, ambassadeur d'Allemagne à Londres, que l'Angleterre, encore heurtée par l'attitude de la France dans les incidents de la guerre d'Ethiopie, ne sera pas derrière la France si nos troupes entrent en Rhénanie. L'occasion est donc bonne pour le Reich. Tel est mon avis. »
L'opinion dans les cercles informés français et anglais était hier soir, que ce point 3 du communiqué franco-britannique est un acte diplomatique d'une rare portée.
Il est considéré par les milieux informés, comme le gage de la paix durable, et cela à juste raison, étant
donné tout ce que nous venons d'exposer.
Ce communiqué est encore considéré comme contenant l'embryon de la nouvelle Europe.
C'est évidemment autour de la France et de l'Angleterre — unies comme elles le sont aujourd'hui — que les pays d'Europe viendront se grouper et essaieront loyalement de prendre modèle sur Paris et Londres pour parvenir finalement à former la Fédération européenne."

On reproduira ensuite l'éditorial du Temps du 30 mars 1940 intitulé "La déclaration franco-britannique" :

"Les Allemands avaient annoncé au lendemain de l'entrevue du Brenner une « surprise sensationnelle », devant se produire à très bref délai, un événement de nature à placer le monde devant un fait nouveau d'une importance capitale pour l'évolution de la situation générale. Aucune manifestation spectaculaire en vue d'intimider les neutres et de les entraîner dans quelque campagne en faveur de la paix à tout prix ne s'est produite jusqu'ici. On a le sentiment que les efforts du Reich pour réaliser un accord Berlin-Rome-Moscou, un pacte dit « triangulaire » visant spécialement le Sud-Est du continent, se heurtent à de graves difficultés. Quoi qu'il en soit, aucune initiative utile n'a pu être prise jusqu'à présent par le Reich hitlérien et ses associés de l'axe Rome-Berlin et de l'axe Berlin-Moscou. Le fait nouveau, ce n'est pas l'Allemagne qui le crée : c'est la France et l'Angleterre par la déclaration commune publiée hier en conclusion de la sixième réunion du Conseil suprême.

C'est là un acte de la plus grande importance, et qui marque effectivement le début d'une nouvelle phase de la guerre européenne. Toutes les informations que l'on possède s'accordent à constater que la sixième réunion du, Conseil suprême, tenue à Londres, a abouti à des décisions capitales, non seulement pour la conduite de la guerre, mais également pour l'organisation de la paix lorsque celle-ci aura été rétablie par la victoire des alliés. Le communiqué souligne que le Conseil suprême a passé en revue les développements survenus dans la situation stratégique, depuis sa dernière réunion, et qu'il a fixé la ligne d'action à suivre dans l'avenir. Le Times en dégage ce matin que les chefs, des deux grandes démocraties alliées se sont réunis pour contrecarrer, et, chose plus importante encore, pour devancer tout mouvement des Allemands. Mais le fait à retenir tout particulièrement, c'est la déclaration solennelle aux termes de laquelle le gouvernement de la République française et le gouvernement du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord s'engagent mutuellement à « ne négocier ni conclure d'armistice ou de traité de paix, durant la présente guerre, si ce n'est de leur commun accord », qu'ils s'engagent « à ne discuter les termes de la paix qu'après un complet accord entre eux sur les conditions nécessaires pour leur assurer respectivement les garanties effectives et durables de leur sécurité », et, enfin, qu'ils s'engagent « à maintenir, après le rétablissement de la paix, leur communauté d'action dans tous les domaines aussi longtemps qu'elle sera nécessaire pour la sauvegarde de leur sécurité et pour la reconstruction, avec le concours des autres nations, d'un ordre international assurant en Europe la. liberté des peuples, le respect du droit et le maintien de la paix ».

Voilà, qui est clair, net, précis. Il ne s'agit pas ici de quelque pacte triangulaire ou autre, prêtant à équivoque, dissimulant sous des formules de facilité d'irréductibles oppositions de doctrines et l'impossibilité dé concilier des intérêts qui s'excluent par définition; il s'agit de l'union étroite et parfaite dans tous les domaines de la France et de l'Angleterre, de la mise en commun, pour l’œuvre de paix comme pour la conduite de la guerre, de toutes les forces, de toutes les ressources et de tous les moyens des deux plus grands empires du monde. La solennelle déclaration franco-britannique coupe court à toute manœuvre, d'où qu'elle puisse venir, en faveur d'une médiation ou d'une paix de compromis. Elle coupe court à toute tentative qui pourrait encore être faite de dissocier les deux grandes démocraties occidentales. Que l'on entende bien, là où l'on hésiterait encore à se rendre compte des réalités de l'heure et où le « neutralisme » - qu'il ne faut pas confondre avec la saine neutralité - conduit parfois à s'abandonner à de singulières illusions, tout ce que signifie l'engagement mutuel de la France et de la Grande-Bretagne de ne négocier ni conclure d'armistice ou de traité de paix si ce n'est en plein accord, de ne discuter les termes de la paix qu'en complète entente entre elles sur des garanties effectives et durables pour leur sécurité. On connaît maintenant à Berlin, à Moscou, à Rome et dans les pays neutres la résolution inébranlable de l'Angleterre et de la France de poursuivre la guerre jusqu'au triomphe de la juste cause pour laquelle elles ont pris les armes.

De même, le grand principe du maintien de l'union étroite des deux empires au lendemain de la guerre et en vue de la reconstruction d'un ordre international fondé sur la liberté des peuples, le respect du droit et le maintien de la paix se trouve affirmé de nouveau solennellement dans la déclaration du Conseil suprême. Les accords franco-britanniques tels qu'on les connaît servant de base à cet ordre international, l'appel au concours de toutes les nations de bonne foi et de bonne volonté, tout y est. Rien n'est laissé dans l'ombré. Les deux grandes démocraties occidentales qui connaissent la mesure exacte de leurs forces, de leurs ressources, de leur puissance militaire, économique et financière, agissent en pleine clarté. Il appartient maintenant aux autres peuples, dans la pleine conscience de leurs responsabilités envers eux-mêmes, de choisir entre la liberté et la servitude. Tel est le seul fait nouveau qui compte réellement; car il marque un tournant dans l'histoire de l'Europe, puisque l'Angleterre, pour la première fois, renonce définitivement à sa politique traditionnelle pour s'unir effectivement à la France dans la paix comme dans la guerre, et constituer avec elle la plus vaste et la plus complète union de deux grands peuples guidés par un idéal commun, animés d'une commune volonté et résolus à agir dans toutes les circonstances, avec tous leurs moyens, en pleine solidarité."


Démission du Gouvernement Reynaud

Le cas de l'armistice a été introduit dans la Déclaration du 28 mars 1940 à la demande de Paul Reynaud. Cette clause sera la cause de la démission de son gouvernement le 16 juin 1940.

Rappelons les circonstances de cette démission. Le 12 juin, un Conseil des ministres est organisé au Château de Cangé dans la banlieue de Tours.

Il débute par un exposé du commandant en chef des armées françaises, le général Weygand. Ce dernier affirme qu'il n'est pas en mesure d'établir une ligne de défense continue face à l'avancée des armées allemandes. Il souligne aussi que la destruction totale des armées françaises conduiraient à l'effondrement de l'Etat et au chaos. Sur la base de ces éléments, il recommande d'entrer rapidement en pourparlers avec l'Allemagne pour négocier un armistice. Il reçoit le soutien du vice-président du Conseil : le Maréchal Pétain. 

Dans le débat qui suit, le président du Conseil, Paul Reynaud, s'oppose à cette proposition en arguant qu'on ne peut négocier avec le pouvoir nazi compte tenu de sa nature, que la France peut continuer la guerre si le gouvernement se réfugie en Afrique du Nord et enfin que les accords franco-anglais interdisent aux deux parties de conclure un armistice séparé.

Divisé, le Conseil des ministres ne prend aucune décision concernant la proposition de Weygand : ni rejet, ni approbation.

Il s'accorde un délai en décidant de consulter l'Angleterre afin de connaître sa position sur une éventuelle demande d'armistice du gouvernement français.

Le 13 juin se tient à la préfecture de Tours, un Conseil suprême interallié auquel participent, du côté français, Paul Reynaud et Paul Baudoin et, du côté britannique, Winston Churchill, lord Halifax, lord Beaverbrook et le général Spears.

Evoquant l'hypothèse d'une demande d'armistice française Paul Reynaud demande à Winston Churchill si l'Angleterre accepterait de libérer la France de l'Accord du 28 mars.

Opposé à tout armistice franco-allemand, le premier ministre britannique convainc le président du Conseil de solliciter l'intervention des Etats-Unis en arguant qu'une réponse favorable donnera à la France un motif légitime pour continuer la guerre et que le cabinet anglais s'engage dans le cas contraire à étudier la question posée par le gouvernement français.

A 23 heures 30, dans un discours radiodiffusé, le président du Conseil affirme que seule une entrée en guerre des Etats-Unis empêchera la défaite de la France.

Le 14 juin, avant de quitter Tours pour Bordeaux, il adresse un message au Président Roosevelt dans lequel il renouvelle sa demande.

Le 15 juin, le président Roosevelt donne sa réponse dans un télégramme. Dans ce texte, il rend hommage au courage des armées françaises, promet de nouvelles livraisons d'armes, s'engage à ne reconnaître aucune annexion portant atteinte à l'intégrité du territoire français mais il écarte toute idée de déclarer la guerre à l'Allemagne au motif que cette décision appartient au Congrès.

Le 16 juin, pour maintenir la France dans la guerre, le cabinet anglais propose une Union franco-britannique dans tous les domaines. Cette proposition est rejeté par le Conseil des ministres organisé dans l'après-midi. Confronté à la double impossibilité de poursuivre la guerre (refus de la proposition anglaise) et de demander l'armistice (accord du 28 mars), Paul Reynaud démissionne en fin de soirée. Dans la nuit, le Maréchal Pétain est nommé à la présidence du Conseil.

Le 17 juin, estimant qu'il n'est lié par la Déclaration du 28 mars au motif qu'en limitant volontairement son intervention sur le continent et notamment l'engagement de son aviation, le Royaume-Uni a manifesté sa volonté de consacrer son effort de guerre à la seule défense de son territoire, le nouveau président du Conseil entre en contact avec le gouvernement allemand pour négocier un armistice.