Le 17 septembre 1939, à 2 heures du matin, Staline reçoit au Kremlin, en présence de Molotov, l'ambassadeur allemand pour lui annoncer que l'Armée rouge attaquera la Pologne à 6 heures.
Au cours de cette entretien, le diplomate nazi prend aussi connaissance de la note qui sera remise à l'ambassadeur polonais pour justifier l'entrée des troupes soviétiques en Pologne. En désaccord sur trois points, il demande des modifications qui sont acceptées par Staline.
A 3 heures, le vice-commissaire du peuple aux Affaires étrangères, V. Potemkine, convoque l'ambassadeur de Pologne à Moscou, W. Grzybowski, pour lui donner lecture d'une note de son gouvernement signée par V. Molotov (Doc 1). Une copie de cette note sera envoyée dans la journée à toutes les missions diplomatiques présentes à Moscou (Doc. 2). Son contenu sera en outre repris dans le discours prononcé à la radio par Molotov quelques heures après le déclenchement de l'offensive en Pologne.
Contenu
Dans sa note, le commissaire du peuple aux Affaires étrangères avance deux arguments pour justifier l'intervention soviétique en Pologne :
1) l'effondrement de l'Etat polonais. Cet argument présente l'intérêt non seulement d'écarter toute accusation d'agression contre la Pologne mais aussi de nier l'existence d'un état de guerre entre les deux pays.
2) la protection des populations Blancs-russes et Ukrainiennes. Ayant pour finalité d'apporter une aide aux populations abandonnées à leur sort en raison de la disparition de l'Etat polonais, l'intervention soviétique répond à un objectif humanitaire. Elle n'est donc pas motivée par un quelconque accord avec l'Allemagne nazie.
Signalons que dans une premier temps le gouvernement soviétique avait avancé l'argument des populations Blancs-russes et Ukrainiennes menacées par l'avancée des armées allemandes. Après consultation du gouvernement allemand, il a dû renoncé à cet argument.
Molotov précise aussi l'objectif de cette intervention légitime : libérer le peuple polonais de la guerre déclenchée par... ses propres dirigeants. Le déferlement de l'Armée rouge sur le territoire polonais n'est donc pas l'expression de l'impérialisme russe. Au contraire, il est une illustration de... la politique de Paix de Staline. Ajoutons que cette libération prendra la forme d'un traité germano-soviétique aux termes duquel la Pologne sera partagée entre ses deux agresseurs.
Ambassadeur polonais
Après avoir écouté Potemkine lui exposer le contenu de la note du gouvernement soviétique, l'ambassadeur Grzybowski refusera de l'accepter.
Dans une déclaration publiée le jour même, le Gouvernement polonais installé à Kuty approuvera la décision de son ambassadeur avant de condamner l'agression soviétique ainsi que les motifs invoqués pour la justifier. (Doc. 3)
Léon Blum
Dans son éditorial du 18 septembre 1939 condamnant l'intervention soviétique en Pologne, Léon Blum rejettera les explications données par Molotov :
"[...] La thèse de Molotov est que « l'armée rouge » vient de pénétrer sur une terre vacante, que l'Etat polonais n'existe plus, que les conventions conclues avec lui sont mises à néant, qu'en assumant la protection des races parentes - et même du « peuple polonais » tout entier ! - sur ce sol rendu à son état primitif, les Soviets n'ont donc créé un état de guerre contre personne. C'est affaire aux diplomates de se débrouiller avec ces fictions. Je me mets en face de la réalité. La réalité est qu'il existe encore une Pologne. La preuve de son existence, c'est que, avec un courage à peine concevable, l'armée polonaise, tout en résistant pied à pied à l'ennemi nazi, lutte contre le nouvel envahisseur. Il faut donc que la Pologne soit secourue, énergiquement, immédiatement, par tous les moyens dont tous ses alliés disposent encore. On ne doit plus, on ne peut plus perdre une heure."
Document 1 :
Note du 17 septembre 1939
de V. Molotov, commissaire du peuple aux Affaires étrangères,
à W. Grzybowski, ambassadeur de Pologne à Moscou
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Monsieur l'ambassadeur,
La guerre germano-polonaise a montré l'incapacité intérieure de l'Etat polonais. Au cours de dix jours d'opérations militaires, la Pologne a perdu tous ses rayons industriels et ses centres culturels. Varsovie, en tant que capitale de la Pologne, n'existe plus. Le gouvernement polonais s'est effondré et ne manifeste aucun indice de vie. Cela signifie que l'Etat polonais et son gouvernement ont, de fait, cessé d'exister. Par cela même, les traités conclus entre l'U.R.S.S. et la Pologne ont perdu leur valeur. Abandonnée à son propre sort et privée de ses dirigeants, la Pologne est devenue un champ d'action facile pour toutes sortes d'attaques et de surprises susceptibles de devenir une menace pour l'U.R.S.S. C'est pourquoi ayant observé la neutralité jusqu'à présent, le gouvernement soviétique ne peut plus rester neutre en présence de ces faits.
Le gouvernement soviétique ne peut pas non plus rester indifférent alors que ses frères de sang Ukrainiens et Blancs-Russiens, habitant le territoire de la Pologne, abandonnés à leur sort, sont restés sans défense.
Prenant cette situation en considération, le gouvernement soviétique a donné des instructions au commandement suprême de l'Armée rouge d'ordonner aux troupes de franchir la frontière et de prendre sous leur protection, la vie et les biens de la population de l'Ukraine et de la Russie-Blanche occidentales.
Dans le même temps, le gouvernement soviétique a l'intention de faire tous ses efforts pour libérer le peuple polonais de la malheureuse guerre où l'ont jeté ses insensés dirigeants et pour lui donner la possibilité de vivre d'une vie paisible.
Recevez, monsieur l'ambassadeur...
V. MOLOTOV.
(Bulletin périodique de la presse russe n° 289 du 25 septembre 1939) |
Document 2 :
Note du 17 septembre 1939
de V. Molotov, commissaire du peuple aux Affaires étrangères, aux ambassadeurs et ministres des puissances ayant des relations diplomatiques avec l'U.R.S.S. |
Monsieur l'ambassadeur,
En vous adressant la note ci-incluse du gouvernement de l'U.R.S.S. en date du 17 septembre, à l'ambassadeur polonais à Moscou, j'ai l'honneur de vous informer au nom du gouvernement que l'U.R.S.S. maintient sa politique de neutralité dans les relations entre l'U.R.S.S. et ... (suit le nom du pays) (1).
Recevez, monsieur l'ambassadeur.
Le commissaire du peuple aux Affaires étrangères de l'U.R.S.S.,
V. MOLOTOV.
(1) Ce texte a été envoyé aux représentants diplomatiques d'Allemagne, d'Italie, d'Iran, de Chine, du Japon, de Grande-Bretagne, de France, d'Afghanistan, des Etats-Unis, de Turquie, de Finlande, de Bulgarie, de Lettonie, de la République du peuple de Mongolie, du Danemark, d'Estonie, de Suède, de Grèce, de Belgique, de Roumanie, de la République du peuple de Touva, de Lituanie, de Norvège, de Hongrie.
(Bulletin périodique de la presse russe n° 289 du 25 septembre 1939) |
Document 3 :
Protestation solennelle du Gouvernement polonais
du 17 septembre 1939 |
L'ambassadeur de Pologne à Moscou a refusé de recevoir la note soviétique qui lui fut remise aujourd'hui par le gouvernement soviétique.
Le gouvernement polonais a approuvé cette conduite de son ambassadeur, qui réclama ses passeports au gouvernement soviétique.
Le gouvernement polonais proteste solennellement contre la rupture unilatérale du pacte de non-agression par la Russie, ainsi que contre l'envahissement du territoire de la Pologne, qui fut entrepris au moment où toute la nation lutte, au prix de mille efforts, contre l'agresseur allemand.
Le gouvernement polonais proteste contre les motifs invoqués dans la note soviétique, car le gouvernement polonais exerce ses fonctions normalement et l'armée polonaise lutte avec succès contre l'ennemi.
(Le Temps du 19 septembre 1939) |