Sur le site Retronews, "le site de presse de la BnF", on peut consulter les numéros du journal Aujourd'hui, quotidien qui a paru avec l'autorisation de l'occupant allemand de 1940 à 1944.
Ce journal autorisé par les nazis présente la particularité d'avoir été fondé par un homme de gauche et même d'extrême gauche : le journaliste Henri Jeanson.
Compte tenu de ces éléments, on lira avec intérêt la fiche de présentation proposée par le site :
Compte tenu de ces éléments, on lira avec intérêt la fiche de présentation proposée par le site :
"Aujourd’hui est un quotidien français ayant paru entre 1940 et 1944. À son départ, la publication se veut indépendante du régime de Vichy et la rédaction est composée de personnes issues de la gauche. Néanmoins, le contexte politique ne favorise pas la pérennité d’un tel projet : le journaliste Henri Jeanson, fondateur du périodique, doit quitter son poste de directeur lorsqu’il refuse de se montrer hostile aux Juifs et est remplacé par le futur collaborateur Georges Suarez qui réorientera la publication vers une ligne favorable au pouvoir en place. Le journal cesse de paraître le 16 août 1944, quelques jours avant la libération de Paris, et Suarez sera exécuté le 9 novembre 1944 suivant. Parmi les nombreux collaborateurs de renom qui ont participé aux premiers numéros, on trouve Jean Anouilh, Henry Troyat, les dessinateurs Bécan et Raoul Guérin ou le poète Robert Desnos."
Après avoir indiqué que le journal Aujourd'hui rassemblait des "personnes issues de la gauche", Retronews affirme d'une part que cette publication se voulait "indépendante du régime de Vichy" et d'autre part que Henri Jeanson a quitté ses fonctions parce qu'il "refusait de se montrer hostile aux Juifs".
Vraiment ???
Est-ce que Retronews a lu les numéros qu'il a mis en ligne ?
On pourra pallier à cette défaillance en portant à sa connaissance les numéros des 12 octobre 1940, 28 octobre 1940 et 6 novembre 1940. Les éditoriaux de ces trois numéros constitueront une parfaite illustration de la ligne politique du journal Aujourd'hui.
Par ailleurs, on reproduira un extrait d'un texte publié dans La Pensée libre clandestine n° 1 de février 1941 sous le titre "La Faune de la collaboration (Ecrivain français en chemise brune)".
Dénonçant Henri Jeanson comme l'un des "écrivains français en chemise brune", la revue communiste décrivait, d'une part, sa contribution au journal Paris-soir pendant tout le mois de juillet 1940 et, d'autre part, les conditions dans lesquelles il avait pris le mois suivant la direction du journal Aujourd'hui et les motifs de son éviction tout en soulignant avec justesse le rôle que les Allemands avaient attribué à ce nouveau quotidien de la presse parisienne.
Vraiment ???
Est-ce que Retronews a lu les numéros qu'il a mis en ligne ?
On pourra pallier à cette défaillance en portant à sa connaissance les numéros des 12 octobre 1940, 28 octobre 1940 et 6 novembre 1940. Les éditoriaux de ces trois numéros constitueront une parfaite illustration de la ligne politique du journal Aujourd'hui.
Par ailleurs, on reproduira un extrait d'un texte publié dans La Pensée libre clandestine n° 1 de février 1941 sous le titre "La Faune de la collaboration (Ecrivain français en chemise brune)".
Dénonçant Henri Jeanson comme l'un des "écrivains français en chemise brune", la revue communiste décrivait, d'une part, sa contribution au journal Paris-soir pendant tout le mois de juillet 1940 et, d'autre part, les conditions dans lesquelles il avait pris le mois suivant la direction du journal Aujourd'hui et les motifs de son éviction tout en soulignant avec justesse le rôle que les Allemands avaient attribué à ce nouveau quotidien de la presse parisienne.
Autre élément d'intérêt, les communistes indiquaient que Henri Jeanson avait été libéré par... les Allemands qui étaient entrés dans Paris le 14 juin 1940 et avait procédé à la libération des défaitistes et des pacifistes détenus dans les prisons de la région parisienne. Incarcéré à la prison de la Santé, ce dernier avait été condamné en décembre 1939 à 5 ans de prison pour provocation de militaires à la désobéissance et provocation à l'insoumission pour un article qu'il avait publié dans le numéro du 17 août 1939 du journal SIA (Solidarité Internationale Antifasciste).
Pudique, dans son éditorial du 10 septembre 1940 publié dans le premier numéro de Aujourd'hui (numéro absent du site Retronews), Henri Jeanson attribuait sa libération à... la défaite de la France :
Pudique, dans son éditorial du 10 septembre 1940 publié dans le premier numéro de Aujourd'hui (numéro absent du site Retronews), Henri Jeanson attribuait sa libération à... la défaite de la France :
"Les journaux des deux cents familles qui composaient la République des camarades nous ont traité d'apatride et de défaitiste, leurs policiers nous ont arrêté, leur juges nous ont condamné, mais leur défaite nous a libéré."
Aujourd'hui du 12 octobre 1940
"Chef de l'Etat français" dans le cadre du régime qu'il a fondé le 11 juillet 1940, le maréchal Pétain prononce une allocution radiodiffusée le 9 octobre 1940 dans laquelle il vante le bilan des trois premiers mois de son action avant d'annoncer que la presse du lendemain publiera un message dans lequel il exposera son projet pour la France :
"Dans le message que les journaux publieront demain, et qui sera le plan d'action du gouvernement, je montrerai ce que doivent être les traits essentiels de notre nouveau régime : national en politique étrangère, hiérarchisé en politique Intérieure, et par dessus tout social, dans son esprit et dans ses institutions.
Vous y reconnaitrez les grandes lignes de cette révolution nationale qu'ensemble nous accomplissons, qu'ensemble nous poursuivons."
Le 10 octobre, comme annoncé la veille, la presse de la zone non occupée publie l'intégralité du "message du chef de l'Etat". Un exemple : Le Figaro. Ce texte fondamental est aussi reproduit dans le Journal officiel du jour.
Dans son message, le maréchal Pétain expose les conditions du relèvement de la France dans trois parties distinctes :
1) "Politique extérieure :un régime national".
2) "Politique intérieure : un régime hiérarchique et sociale".
3) "Politique économique : l'économie coordonnée et la monnaie au service de l'économie".
Les relations avec l'Allemagne sont évoquées dans la première partie :
Dans son message, le maréchal Pétain expose les conditions du relèvement de la France dans trois parties distinctes :
1) "Politique extérieure :un régime national".
2) "Politique intérieure : un régime hiérarchique et sociale".
3) "Politique économique : l'économie coordonnée et la monnaie au service de l'économie".
Les relations avec l'Allemagne sont évoquées dans la première partie :
"ll [Le régime nouveau] remettra en honneur le véritable nationalisme celui qui, renonçant à se concentrer sur lui-même, se dépasse pour atteindre la collaboration Internationale.
Cette collaboration, la France est prête à la rechercher dans tous les domaines, avec tous ses voisins. Elle sait, d'ailleurs, que quelle que soit la carte politique de l'Europe et du monde, le problème des rapports franco-allemands, si légèrement traité dans le passé, continuera de déterminer ton avenir.
Sans doute l'Allemagne peut-elle, au lendemain de sa victoire sur nos armes, choisir entre une paix traditionnelle d'oppression et une paix toute nouvelle de collaboration.
A la misère, aux troubles, aux répressions et sans doute aux conflits que susciterait une nouvelle paix faite « à la manière du passé », l'Allemagne peut préférer une paix vivante pour le vainqueur, une paix génératrice de bien-être pour tous.
Le choix appartient d'abord au vainqueur; il dépend aussi du vaincu.
Si toutes les voies nous sont fermées, nous saurons attendre et souffrir.
Si un espoir, au contraire, se lève sur le monde, nous saurons dominer notre humiliation, nos deuils, nos ruines. En présence d'un vainqueur qui aura su dominer sa victoire, nous saurons dominer notre défaite."
Ne voyant dans la France qu'un pays vaincu, le chef de l'Etat plaide pour la "collaboration" avec l'Allemagne.
Dans son éditorial du 12 octobre 1940, Henri Jeanson approuve avec ferveur le projet pétainiste tant sur le plan extérieur qu'intérieur.
Cette adhésion enthousiaste se manifeste :
1) dans le titre de l'article :
Cette adhésion enthousiaste se manifeste :
1) dans le titre de l'article :
"Le Maréchal Pétain nous fait de belles promesses
A nous de les tenir."
2) dans le chapeau du texte :
"Le maréchal Pétain a trente ans.
Son message est l'œuvre d'un homme jeune, intelligent, averti, subtil, téméraire et terriblement clairvoyant.
En un mot comme en dix le maréchal Pétain nous promet la révolution.
Nous la donnera-t-il ?
Et s'il ne nous la donne pas, aurons-nous le courage de la lui prendre ?
Les propos qu'il tient aujourd'hui lui eussent valu, il y a un an, les rigueurs du tribunal militaire. En effet, il n'est pas une phrase de ce message qui ne tombe sous le coup des décrets Daladier.
Comme le temps passe !
Voilà que le maréchal Pétain s'exprime comme un encyclopédiste, et cet apparent retour en arrière constitue un prodigieux bond en avant.
Souhaitons que le maréchal retombe sur ses pieds !"
3) dans cette prescription à la fin de l'édito :
"Lire page 3 le texte in extenso du message du Maréchal Pétain dont « Aujourd'hui » publia hier matin - SEUL DE TOUS LES QUOTITDIENS DE PARIS - les extraits les plus marquants".
4) dans le corps du texte :
"Le maréchal Pétain se tournant vers la porte dit à l'avenir :
— Entrez donc.
Cet avenir nous pouvons le regarder en face.
Tel que le maréchal nous le présente, il nous plait, car c'est celui dont précisément nous rêvions."
Aujourd'hui du 28 octobre 1940
Le 24 octobre 1940, le maréchal Pétain rencontre Hitler dans la ville de Montoire-sur-le-Loir. Sont présents à cette rencontre Pierre Laval, le dauphin du régime, et Joachim von Ribbentrop, le ministre des Affaires étrangères allemand.
Aujourd'hui du 26 octobre 1940 annonce cet événement avec un titre barrant toute la une : "Une entrevue historique".
La rencontre et sa signification sont décrites dans un article titré "Le maréchal Pétain et le Führer Hitler se sont serré la main" et sous-titré "De l'entretien auquel ont pris part M. VON RIBBENTROP et M. Pierre LAVAL dépendent la situation et l'avenir de la France".
Cet article est complété par un second dont le titre témoigne de l'émotion du journal : "Un émouvant récit de l'entrevue des deux Chefs d'Etat".
Revenant sur la rencontre du 24 octobre, l'éditorial du 28 octobre 1940 signé Aujourd'hui célèbre le mot... "Collaboration" :
La rencontre et sa signification sont décrites dans un article titré "Le maréchal Pétain et le Führer Hitler se sont serré la main" et sous-titré "De l'entretien auquel ont pris part M. VON RIBBENTROP et M. Pierre LAVAL dépendent la situation et l'avenir de la France".
Cet article est complété par un second dont le titre témoigne de l'émotion du journal : "Un émouvant récit de l'entrevue des deux Chefs d'Etat".
Revenant sur la rencontre du 24 octobre, l'éditorial du 28 octobre 1940 signé Aujourd'hui célèbre le mot... "Collaboration" :
COLLABORATION
C'est un mot qui évoque l'idée de compétence
Lorsque M. Pierre Laval est arrivé à Paris au début du mois de juillet, il apporta avec lui dans ses bagages l'idée de collaboration et il nous plait de reconnaitre que tous ses efforts durant ces quatre derniers mois ont été tendu vers ce seul but qu'il semble avoir atteint aujourd'hui.
Rendons hommage au résultat obtenu bien que nous n'en connaissions ni les modalités, ni les conditions.
Mais il convient, par contre, d'avertir les Français de leurs devoirs et de leurs obligations au lendemain d'un accord qui semble être le point de départ d'une politique nouvelle.
Chaque collaborateur doit apporter à la tâche commune sa part d'idées créatrices et sa part d'action constructive. [...]
On notera que le texte fait de tout Français un collaborateur : "chaque collaborateur".
Aujourd'hui du 6 novembre 1940
Dans une allocution radiodiffusée le 30 octobre 1940, le maréchal Pétain rend compte de sa rencontre avec le chancelier Hitler et annonce qu'il "entre, aujourd'hui, dans la voie de la collaboration" :
"J'ai rencontré, jeudi dernier, le chancelier du Reich. [...]
Cette première rencontre entre le vainqueur et le vaincu marque le premier redressement de notre pays.
C'est librement que je me suis rendu à l'invitation du Führer. Je n'ai subi, de sa part, aucun diktat, aucune pression. Une collaboration a été envisagée entre nos deux pays. J'en ai accepté le principe. Les modalités en seront discutées ultérieurement. [...]
Celui qui a pris en mains les destinées de la France a le devoir de créer l'atmosphère la plus favorable à la sauvegarde des intérêts du pays. C'est dans l'honneur et pour maintenir l'unité française, une unité de dix siècles, dans le cadre d'une activité constructive du nouvel ordre européen que j'entre, aujourd'hui, dans la voie de la collaboration.
Ainsi, dans un avenir prochain, pourrait être allégé le poids des souffrances de notre pays, amélioré le sort de nos prisonniers, atténuée la charge des frais d'occupation. Ainsi pourrait être assouplie la ligne de démarcation et facilités l'administration et le ravitaillement du territoire.
Cette collaboration doit être sincère. Elle doit être exclusive de toute pensée d'agression. Elle doit comporter un effort patient et confiant. [...]
Cette politique est la mienne. Les ministres ne sont responsables que devant moi. C'est moi seul que l'Histoire jugera."
Nouvelle réaction enthousiaste de Henri Jeanson dans son éditorial du 6 novembre 1940 dans lequel il appelle les Français à "se ranger loyalement aux côtés du maréchal Pétain, lorsque celui-ci nous dit : « Collaborons ! »" :
"Qu’il n’y ait pas de paix possible en Europe sans un accord entre la France et l’Allemagne, c’est là une évidence vieille de plusieurs siècles et que nul ne songe à contester.
Cet accord, nous l’avons toujours souhaité parce que nous avons mis la paix au-dessus des partis et parce que nous savons qu’en temps de guerre, la liberté perd ses droits.
Et c’est pourquoi le devoir de tout pacifiste véritable, de tout Européen authentique est de se ranger loyalement aux côtés du maréchal Pétain, lorsque celui-ci nous dit : « Collaborons ! »"
Comme les texte précédents, cet appel symbolise parfaitement la volonté de Henri Jeanson et de ses camarades... d'être "indépendant du régime de Vichy" (Retronews).
Ajoutons qu'il est postérieur à la promulgation le 18 octobre de la loi du 3 octobre 1940 "portant statut des Juifs". Loi intégralement reproduite dans... Aujourd'hui du 19 octobre 1940.
Une remarque supplémentaire : Henri Jeanson est mort le... 6 novembre 1970. Doit-on tirer un enseignement particulier de cette coïncidence de date ?
On terminera cette première partie en rappelant la thèse de Retronews : le journal Aujourd'hui s'est engagé dans la voie de la collaboration après l'arrivé du "futur collaborateur Georges Suarez" !!!
Ajoutons qu'il est postérieur à la promulgation le 18 octobre de la loi du 3 octobre 1940 "portant statut des Juifs". Loi intégralement reproduite dans... Aujourd'hui du 19 octobre 1940.
Une remarque supplémentaire : Henri Jeanson est mort le... 6 novembre 1970. Doit-on tirer un enseignement particulier de cette coïncidence de date ?
On terminera cette première partie en rappelant la thèse de Retronews : le journal Aujourd'hui s'est engagé dans la voie de la collaboration après l'arrivé du "futur collaborateur Georges Suarez" !!!
"La Faune de la collaboration
(Ecrivain français en chemise brune)"
(Ecrivain français en chemise brune)"
En février 1941 paraissait le premier numéro de la Pensée libre clandestine, publication fondée par trois intellectuels du Parti communiste : Georges Politzer, Jacques Decour et Jacques Solomon.
Dans ce premier numéro, un article s'attaquait violemment à la "La Faune de la collaboration (Ecrivain français en chemise brune)"
Dénonçant Henri Jeanson comme l'un des "écrivains français en chemise brune", la revue communiste décrivait, d'une part, sa contribution au journal Paris-soir pendant tout le mois de juillet 1940 et, d'autre part, les conditions dans lesquelles il avait pris le mois suivant la direction du journal Aujourd'hui et les motifs de son éviction tout en soulignant avec justesse le rôle que les Allemands avaient attribué à ce nouveau quotidien de la presse parisienne.
Autre élément d'intérêt, les communistes indiquaient que Henri Jeanson avait été libéré par... les Allemands qui étaient entrés dans Paris le 14 juin 1940 et avait procédé à la libération des défaitistes et des pacifistes détenus dans les prisons de la région parisienne. Incarcéré à la prison de la Santé, ce dernier avait été condamné en décembre 1939 à 5 ans de prison pour provocation de militaires à la désobéissance et provocation à l'insoumission pour un article qu'il avait publié dans le numéro du 17 août 1939 du journal SIA (Solidarité Internationale Antifasciste).
Pudique, dans son éditorial du 10 septembre 1940 publié dans le premier numéro de Aujourd'hui (n° absent du site Retronews), Henri Jeanson attribuait sa libération à... la défaite de la France :
Dénonçant Henri Jeanson comme l'un des "écrivains français en chemise brune", la revue communiste décrivait, d'une part, sa contribution au journal Paris-soir pendant tout le mois de juillet 1940 et, d'autre part, les conditions dans lesquelles il avait pris le mois suivant la direction du journal Aujourd'hui et les motifs de son éviction tout en soulignant avec justesse le rôle que les Allemands avaient attribué à ce nouveau quotidien de la presse parisienne.
Autre élément d'intérêt, les communistes indiquaient que Henri Jeanson avait été libéré par... les Allemands qui étaient entrés dans Paris le 14 juin 1940 et avait procédé à la libération des défaitistes et des pacifistes détenus dans les prisons de la région parisienne. Incarcéré à la prison de la Santé, ce dernier avait été condamné en décembre 1939 à 5 ans de prison pour provocation de militaires à la désobéissance et provocation à l'insoumission pour un article qu'il avait publié dans le numéro du 17 août 1939 du journal SIA (Solidarité Internationale Antifasciste).
Pudique, dans son éditorial du 10 septembre 1940 publié dans le premier numéro de Aujourd'hui (n° absent du site Retronews), Henri Jeanson attribuait sa libération à... la défaite de la France :
"Les journaux des deux cents familles qui composaient la République des camarades nous ont traité d'apatride et de défaitiste, leurs policiers nous ont arrêté, leur juges nous ont condamné, mais leur défaite nous a libéré..."
On reproduira ci-après le passage consacré à Henri Jeanson :
"Par contre, on pouvait feuilleter les quotidiens sans trouver de signatures connues, chacune de celles qu'on apercevait n'étant que le pseudonyme honteux d'un rédacteur allemand ou d'un Français famélique, prêt à manger du juif, du maçon, du communiste, du républicain, du Français, selon les ordres qu'il recevrait de ses maîtres. Faisons pourtant mention de Maurice Rostand qui n'a pas eu honte d'aller prodiguer là-dedans le reste de ses charmes déflorés.
Ce décor n'était d'ailleurs qu'un paravent derrière lequel s'agitaient des personnages bien autrement dangereux : Capgras et Henri Jeanson.
Capgras est un richissime fabricant de jus de fruits qui s'est fait mécène et dirige le Théâtre des Ambassadeurs, où sa femme, Alice Cocéa, règne par son talent acide. Du jour de l'entrée des Allemands à Paris, Capgras s'est mis à leur disposition et il a joué, pendant toute la période des débuts, le double rôle de Fürher de la presse et du théâtre. Nous allons bientôt le retrouver dans le second de ces emplois.
En ce qui concerne la presse, Capgras est à l'origine de la réapparition de l'édition parisienne de Paris-soir. C'est lui qui a dirigé, en fait, le lancement de cet affreux canard de grosse propagande lavalo-hitlérienne. Mais il avait besoin d'un homme du métier, doué d'une plume alerte et montparnassienne. Le sort mit sur sa route, un jour de la fin du printemps, son ami Jeanson, qui fut libéré, lui, par les Allemands. [...]
Donc Jeanson commença aussitôt (juillet) à collaborer à ce Paris-soir qui avait commencé par le style écumant, copié sur la presse nazie de l'époque la plus basse, l'Angríff par exemple. Capgras et son compère montrèrent alors qu'ils ne répugnaient pas à ces besognes.
Pourtant la résistance opposée à ce journal immonde par l'opinion publique, la chute des Dernières Nouvelles, la vente désastreuse de La France au Travail, du Pílori, tous ces signes prouvaient la nécessité de biaiser et de changer d'hameçon.
Abetz [1] découvrait qu'un peuple intelligent, fin, lettré, doué d'une des plus vieilles et illustres traditions de culture, exercé au goût de la nuance, ne se maniait pas avec la trique. Jeanson fut chargé de mettre sur pied un journal destiné à piper les « honnêtes gens », les intellectuels, la partie « cultivée » de l'opinion. Ce fut Aujourd'hui.
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La consigne y est de noyer le poisson, de cacher la propagande sous l'esprit parisien, de donner en apparence la première place aux lettres, aux arts, aux « variétés », de reléguer l'odieuse « politique » dans les coins, et surtout de mettre une sourdine aux polémiques racistes, antimaçonniques, antimarxistes, qui irritent le public. L'antisémitisme, au lieu d'y être asséné, y est distillé, à doses homéopathiques. Le lecteur distrait n'y prend pas garde et absorbe le virus en douce.
Moyennant quoi, Jeanson se flatta de réussir là où le lourd Châteaubriant [2] avait échoué et de réunir une gerbe de signatures brillantes, connues, « bien françaises ».
Il a pu croire qu'il allait gagner la partie.
Hélas, pour Jeanson et ses patrons, cela ne devait pas durer. Notre peuple qui a retrouvé, en quelques jours, l'art de lire entre les lignes, - cette arme des nations asservies, - a éventé la mèche. [...]
La tâche dévolue à L'Œuvre est différente, comme sont différents le public qui occupe son secteur de propagande et l'homme chargé de cette mission [3]. L'Œuvre se propose de travailler les dirigeants syndicaux et le personnel enseignant. [...]
Cette tâche, que l’indignation de notre peuple rend de jour on jour plus ingrate, Déat y apporte une espèce de colère noire, d’ironie sans gaieté et de pesanteur auvergnate, qui diminuent beaucoup sa prise sur le lecteur. Il ne pardonne pas à Pétain, à Maurras, à Bergery et aux familiers du Maréchal, d'avoir torpillé, en juillet, son grand projet de Parti Unique, dont il devait être le manitou, ce qui aurait fait de cet aigre ambitieux une espèce de Führer français.
On a vu une trace de ces luttes de crabes dans l'article venimeux par lequel Jeanson, porte-plume de Bergery, a essayé de discréditer Déat, la veille du jour où L'Œuvre allait reparaître à Paris [4].
Déat, Jeanson et leurs équipes ont beau s'épuiser en distinguos entre la politique extérieure de Laval, qui est belle, qui est bonne, qui est pure, qui est sainte, et la politique intérieure de Vichy, qui est bête, brutale et destructive, ils ne convainquent personne : le Français, plus malin que ses pions ne le croient, ne fait pas de différence entre les fascistes soi-disant français de Vichy, et les fascistes ouvertement hitlériens qui forment l'entourage de Doriot et de Brinon à Paris. Et le Français a raison.
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Post-scripium. - La roue tourne si vite, si vite les figurants apparaissent et s'éclipsent, en ce régime dit de la stabilité, que le temps même de prendre un instantané, le paysage a changé. Par exemple, quinze jours après que le collectif de nos collaborateurs littéraires nous avait envoyé l'article ci-dessus, Jean Piot avait résigné ou dû résigner son fauteuil à L'Œuvre et Jeanson était chassé de la direction d'Aujourd'hui.
En soi, ce dernier événement n'aurait pas de quoi retenir l'attention, si La Gerbe, organe quasi-officiel de l'Ambassade de la rue de Lille [5], ne lui avait donné sa signification politique en liant le départ de Jeanson à la « disparition » de Bergery, lequel serait tombé en disgrâce à Vichy et se serait réfugié à Berne ! Et La Gerbe de pousser des cris de joie en piétinant les vaincus avec une élégance « bien française ». Pour nous qui ne faisons pas de choix entre ces messieurs, tous ennemis du peuple français, nous attendons patiemment qu'un demi-tour de la roue ait ramené au pinacle les vaincus de l'heure et qu'ils piétinent à leur tour les triomphateurs de cette semaine. Et Dieu sait si Bergery, Jeanson et consors sont experts à cet aigre sport !
Jeanson est remplacé, à la tête d'Aujourd'huí, par un « ultra », Georges Suarez, le collaborateur de toutes les feuilles hitlériennes et anti-françaises de ces dernières années, le cambrioleur des papiers posthumes de Briand. Ses premiers articles ont dû enchanter à la fois Vichy et Berlin. « Pétain ou la démocratie, il faut choisir ». Voilà qui est net."
[1] Ambassadeur allemand.
[2] Fondateur de l'hebdomadaire La Gerbe.
[3] Marcel Déat.
[4] L'Œuvre a reparu à Paris le 21 septembre 1940. Le journal a quitté Clermont-Ferrand en zone non occupée où il avait repris sa publication au mois de juillet.
[5] Ambassade d'Allemagne.