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Négociations de l'été 1940 entre le PCF et les nazis

A l'été 1940, dans une France occupée par les nazis, sur des Instructions de l'Internationale communiste, le Parti communiste a mené au mois trois négociations avec les autorités allemandes dans le but d'obtenir la légalisation de ses activités.

La première s'est tenue les 18, 19 et 20 juin 1940, autrement dit avant même la signature de l'armistice franco-allemand et donc l'arrêt des combats, entre une militante communiste et la Propoganda Staffel Frankreich avec pour unique objet la reparution de l'Humanité dont la publication avait été suspendue le 26 août 1939 en raison de son soutien... au Pacte germano-soviétique.

La deuxème s'est déroulée entre le 26 juin et le 27 août 1940 entre Robert Foissin, avocat communiste, et Otto Abetz, le représentant d'Hitler en France. Deux dirigeants communistes ont participé à cette négociation qui a eu pour cadre l'ambassade d'Allemagne. Elle a porté sur la reparution de l'Humanité puis celle de Ce Soir. Autres sujets évoqués : la libération des militants communistes détenus ou internés pour avoir défendu la Paix, le retour dans leurs fonctions électives des élus communistes déchus de leur mandat et plus particulièrement le rétablissement des municipalités communistes et enfin la légalisation des Comités populaires comme les Comités populaires d'entr'aide et de solidarité qui visaient à organiser, à l'échelle locale, le ravitaillement des populations ou encore les Comités populaires d'usine, appelés aussi Comité populaires d'entreprise, qui rassemblaient les personnels d'une entreprise en vue d'assumer deux fonctions : ravitailler en vivre les familles du personnel et remettre l'entreprise en activité. Au cours de ces pourparlers, les deux parties ont même discuté d'un... gouvernement communiste dans la zone nord. Ce dernier point a suscité une vigoureuse réaction de l'IC qui a demandé l'arrêt immédiat des négociations avec Abetz et rappellé qu'elle n'avait autorisé que des pourparlers avec l'admnistration militaire sur des points précis et à la seule condition qu'ils ne fussent menés que par des militants.

La troisième engagée à la mi-août visait à la légalisation de La Vie Ouvrière et n'a duré que quelques jours.

Les négociations entre les nazis et les communistes ont pris fin le 27 août 1940 avec la décision du PCF de ne pas les poursuivre. Deux raisons expliquent cette décision. Tout d'abord, l'absence de résultat, à l'exception de la libération des militants communistes détenus dans la zone occupée. Ensuite, une virulente critique de l'IC motivée par le comportement des communistes français qui étaient totalement sortis du cadre fixé en acceptant de discuter avec Abetz d'un gouvernement révolutionnaire à Paris. Pour expier la dérive dénoncée par l'IC, le Parti communiste a exclu Robert Foissin au mois de septembre. Cette décsion a été immédiatement annoncée dans un numéro de l'Humanité. Pour justifier cette exclusion la déclaration du Parti mettait en avant la collusion du militant avec un journal pro-allemand La France au Travail. Dire le véritable motif c'était reconnaître la réalité des négociations entre les communistes et Abetz.

Les négociations de l'été 1940 constituent une preuve incontestable de... la Résistance communiste. 
 
Ces négociations n'ont jamais été évoquées dans les publications communistes à l'exception d'une brochure diffusée en janvier 1941 sous le titre "Nous accusons".

Dans cette brochure rédigée en grande partie en octobre 1940, après avoir fait le procès... du bellicisme des gouvernements français pendant la guerre de 1939-1940 et célébrer dans le même temps son action en faveur de la Paix, le Parti communiste s'exprime sur le sujet dans les dernières pages consacrées à la période de l'occupation.

Il expose tout d'abord les motifs pour lesquels les négociations entre les communistes et les nazis étaient tout à fait légitimes et justifiées :

"[...] Le parti qui a lutté contre le Traité de Versailles, pour la fraternité des peuples français et allemand, contre la guerre impérialiste, a gardé le front haut. Et, le front haut, il réclame la restitution des droits qui lui on été ravis... Les dirigeants du Reich avaient affirmé au peuple allemand que la guerre leur avait été imposé par les gouvernements de Londres et de Paris. Ils avaient ajoutés que l'armée allemande n'avait pas d'autre ennemi que la ploutocratie occidentale. Ils avaient dit encore que l'Allemagne se félicite d'entretenir, depuis le 23 août 1939, des relations de bon voisinage avec l'URSS. (1)

Il poursuit en rappelant ses demandes et en regrettant que les autorités allemandes ne les aient pas satisfaites :

"A quoi les communistes français répliquaient : s'il en ainsi, accordez vos actes et vos paroles. Des milliers d'hommes sont dans les prisons et dans les camps parce qu'ils ont lutté contre la guerre : qu'on les libère ! Des municipalités ont été destitués parce qu'elles étaient dirigées par les adversaires les plus déterminés de la ploutocratie française : qu'on réinstalle les municipalités ouvrières ! Des journaux on été supprimés parce qu'ils ont approuvé le Pacte soviéto-allemand : qu'on restitue le droit à la parution légale à l'Humanité, à Ce Soir, à l'Avant-Garde, à la Vie Ouvrière, à la revue Russie d'aujourd'hui.
Et ce langage des communistes était le seul digne, et du peuple français, et du peuple allemand.
Il n'a pas été entendu des Autorités occupantes." (2)

Citons un dernier extrait dans lequel il dénonce l'incohérence des Allemands qui ont autorisé la parution de journaux qui étaient bellicistes pendant la guerre de 1939-1940 et qui continuent de refuser ce droit à la presse communiste qui était pacifiste :

"Avec la permission des Autorités occupantes, le Matin, du colonel Fabry; Paris-Soir, du ploutocrate Prouvost; l’Œuvre, qui avait été l'organe de la présidence du Conseil pendant neuf mois, ces feuilles qui durant la guerre n'avaient cessé de prêcher la haine contre le peuple allemand, de préconiser l'extermination du peuple allemand, la soumission de la France aux visées des conservateurs britanniques ont reparu dans la zone occupée. [...]
Mais l'Humanité, Ce Soir, la Vie ouvrière, l'Avant-Garde, Russie d'aujourd'hui, les organes des défenseurs de la paix, des champions de la fraternisation des peuples, demeurent interdits. Les diffuseurs des éditions illégales de ces journaux sont chaque jour arrêtés et jetés en prison". (3)

Toutes ces déclarations ne sont pas dans les livres d'histoire...

A la Libération, le Parti communiste a été rapidement mis en cause pour ses relations avec les Allemands à l'été 1940 au sein même du Parlement et particulièrement aux séances de la 2e Assemblée nationale constituante des 4 et 18 juillet 1946 ou encore à  celle de l'Assemblée nationale du 4 décembre 1947.

A chaque fois les communistes ont répondu que les accusations de leurs adversaires étaient des calomnies et que les documents cités étaient des faux.

Changement d'attitude en 1967 avec la publication d'un livre intitulé Le Parti communiste français dans la Résistance. Dans ce livre le Parti communiste indique qu'en juin 1940 des militants ont pris l'initiative malheureuse de demander à la puissance occupante l'autorisation de publier l'Humanité et que ces militants ont été rapidement sanctionnée pour cette faute.

Si la position adoptée en 1967 ne nie plus la réalité des contacts entre les communistes et les Allemands au début de l'occupation, elle en minimise la gravité :

1) en les limitant à la seule reparution de l'Humanité,
2) en les attribuant à une initiative malheureuse de militants de bonne foi.
3) et surtout en écartant toute responsabilité de l'IC et de la direction du PCF de l'époque qu'elle soit à Moscou (Thorez) ou à Paris (Duclos).

On développera tous ces points en exposant la situation de la France à l'été 1940 (I), en décrivant les trois négociations que le Parti communiste a menée avec les autorités allemandes au cours de cette période (II), en consacrant un développement à la brochure de janvier 1941 intitulé "Nous accusons" et enfin on évoquant les polémiques de 1946 et de 1947 au Parlement (IV).

(1) Brochure "Nous accusons" de janvier 1941, p. 42 (site pandor)
(2) Ibid., pp. 42-43.
(3) Ibid. p. 43.


Partie I

Gouvernement Pétain

Le 16 juin 1940, réfugié dans la ville de Bordeaux depuis deux jours, le Gouvernement Reynaud démissionne à 22 heures au terme d'un Conseil des ministres au cours duquel se sont une nouvelle fois affrontés opposants et partisans de l'armistice.

A la tête de ceux qui veulent mettre fin au conflit avec l'Allemagne : le Maréchal Pétain, vice-président du Conseil et ministre d'Etat. Ce dernier est aussitôt chargé par le Président de la République de former un nouveau gouvernement. Dans ce Gouvernement de Paix qui sera formé en moins d'une heure entreront avec l'accord de Léon Blum deux socialistes qui étaient membres du cabinet démissionnaire : André Février et Albert Rivière.

Parmi ceux qui veulent continuer de se battre contre les Allemands : le Général de Gaulle, sous-secrétaire d'Etat à la Défense nationale et à la Guerre attaché à la présidence du Conseil. Après s'être illustré dans les combats contre la Wehrmacht à la tête de la 4e Division Cuirassée, ce dernier a rejoint le gouvernement le 5 juin 1940 pour servir de conseiller militaire au président du Conseil. N'ayant pas une fonction ministérielle, il n'assiste jamais au Conseil des ministres. En mission en Angleterre, il apprendra la démission du gouvernement à son retour à Bordeaux dans la soirée. Après la constitution dans la nuit d'un cabinet marquant la victoire du clan des défaitistes, il décide le lendemain matin de repartir pour Londres. Il s'embarquera dans l'avion ramenant en Angleterre l'envoyé spécial de Churchill, le Général Spears.


Demande d'armistice

Le 17 juin, en début d'après-midi, le nouveau président du Conseil prononce à la radio une courte allocution dans laquelle il déclare qu'il faut mettre fin au conflit avec l'Allemagne ("il faut cesser le combat") avant d’annoncer qu'il est entré en contact avec le gouvernement allemand pour négocier un armistice.

Illustration de l'alliance germano-soviétique, quelques heures après cette annonce, Viatcheslav Molotov, président du Conseil et commissaire du peuple aux Affaires étrangères, convoque l'ambassadeur allemand à Moscou, Friedrich Werner von der Schulenburg, pour lui exprimer "les plus chaleureuses félicitations du Gouvernement soviétique pour le magnifique succès des forces armées allemandes". (Télégramme n° 1167 du 17 juin 1940)

Le lendemain, à Londres, le Général de Gaulle s'exprime à la BBC pour condamner l'initiative pétainiste et appeler les Français à poursuivre le combat contre l'envahisseur allemand. L'Appel du 18 juin 1940 marque le refus de tout armistice avec le régime hitlérien. Il est l'acte fondateur de la Résistance française : "Quoi qu'il arrive, la flamme de la résistance française ne doit pas s'éteindre et ne s'éteindra pas".


Parti communiste français

Jacques Duclos, secrétaire du PCF, et Maurice Tréand, membre du Comité central et responsable de la Commission des cadres, arrivent à Paris le 15 juin 1940 soit le lendemain de l'entrée des troupes allemandes dans la capitale.

La veille, ils ont quitté Bruxelles où ils étaient réfugiés depuis octobre 1939. Particularité de la capitale belge : la présence d'une antenne de l'Internationale communiste qui est dirigée par Eugen Fried et dont la mission est de contrôler les partis communistes d'Europe occidentale.

Motivé par un télégramme de Moscou reçu quelques jours après l'invasion de la Belgique par les armées allemandes le 10 mai 1940, ce départ a été retardé pour des raisons de sécurité.

A son arrivée, Jacques Duclos prend la direction du Parti communiste clandestin en raison des absences de Maurice Thorez et de Benoît Frachon.

Secrétaire général du PCF, le premier s'est réfugié en Russie après sa désertion en octobre 1939 et un court séjour en Belgique. Responsable du Parti depuis octobre 1939, le second a quitté Paris avant l'arrivée des Allemands.

Sur la base des consignes orales d'Eugen Fried qui seront confirmées par une Directive de l'IC en date du 22 juin 1940, le Parti communiste s'engage rapidement dans des négociations avec les autorités allemandes pour obtenir la légalisation de ses activités qui ont été interdites par un décret-loi daté du 26 septembre 1939.


Partie II

Négociations des 18, 19 et 20 juin 1940

Engagée avant même la signature de l'armistice franco-allemand autrement dit avant même l'arrêt des combats, la première négociation entre le Parti communiste et les envahisseurs allemands s'est tenue les 18, 19 et 20 juin 1940. 

Répondant à des Instructions de l'Internationale communiste, cette négociation a eu pour unique objet la reparution de l'Humanité dont la publication avait été suspendue le 26 août 1939 en raison de son soutien... au Pacte germano-soviétique.

Elle a pris la forme de plusieurs rencontres entre une militante communiste, Denise Ginollin, et un officier de la Propaganda Staffel Frankreich, le lieutenant Weber.

Cette militante a agi sur les ordres de Maurice Tréand, adjoint de Jacques Duclos, chef du Parti communiste clandestin.

Le 20 juin, après avoir obtenu à 16 heures l'autorisation de publier l'Humanité et soumis à 18 heures les articles devant paraître dans le premier numéro de l'Humanité légale, Denise Ginollin, munie d'un laissez-passer signé par le lieutenant Weber, devait revenir à 22 heures pour obtenir le visa définitif de la Kommandantur sur les modifications demandées.

A 20 h 30 près du Métro Saint-Martin, la militante communiste a rencontré comme prévu Maurice Tréand et Jeanne Schrodt pour faire le point sur les négociations.

C'est à ce moment qu'ils ont été arrêtés par la police française qui les soupçonnaient de vouloir faire reparaître l'Humanité.

Sans nouvelles de Denise Ginollin, le lieutenant Weber, passé le délai d'une heure qu'il avait accordé, a informé l'Etat-major que l'Humanité ne paraîtrait pas le lendemain :

"Le 20 juin à 23 heures, l'envoyé de l'Humanité n'ayant pas présenté les modifications demandées, ce journal ne paraîtra pas le 21 juin". (1)

C'est donc l'intervention de la police française qui a empêché la parution du premier numéro de l'Humanité sous censure allemande !!!

Le 21 juin, les trois suspects et une quatrième personne arrêtée le jour même, Valentine Grunenberger, ont été auditionnés par le commissaire Lafont. Le lendemain, sur la décision du Juge Pihier, Maurice Tréand et les trois militantes ont été incarcérés respectivement à la Santé et à la Petite Roquette.

(1) Jean-Pierre Besse, Claude Pennetier, Juin 40, la négociation secrète, 2006. p. 57.


Deuxième et troisième négociations

Lettre du 26 juin 1940

Le 27 juin 1940, soit cinq jours après la signature de l'armistice franco-allemand, le Parti communiste remet aux autorités allemandes une lettre dans laquelle il demande "l'autorisation de publier l'Humanité", la libération des "militants communistes emprisonnés ou internés dans des camps de concentration" pour avoir défendu la Paix et enfin le retour dans leurs fonctions électives des élus communistes déchus de leur mandat pour avoir, "envers et contre tous, défendu le pacte germano-soviétique".

Ayant pour objet principal la demande de reparution de l'Humanité, cette lettre datée du 26 juin 1940 porte les signatures de deux membres du Comité central du Parti communiste français : Maurice Tréand et Jean Catelas.

Elle a été rédigée dans l'après-midi du 26 à la suite d'une réunion qui s'est tenue dans la matinée à l'ambassade d'Allemagne et au cours de laquelle les deux dirigeants communistes ont rencontré Otto Abetz, le représentant d'Hitler en France.

Cette rencontre surprenante a été la contrepartie communiste à l'intervention d'Otto Abetz en faveur de la libération de Maurice Tréand et de trois de ses camarades qui avaient été arrêtés par la police française pour leur implication dans les négociations des 18, 19 et 20 juin.

Elle a marqué le début de la deuxième négociation entre le Parti communiste et les nazis.

Le représentant du Parti communiste dans ces nouveaux pourparlers sera Robert Foissin. Avocat de profession, il assiste sur le plan juridique l'ambassade soviétique depuis plus de dix ans. En charge de la défense de ses camarades arrêtés par la police française les 20 et 21 juin, il avait sollicité l'intervention d'Otto Abetz. Ce fut un succès.

L'Humanité

Sur le point particulier de l'Humanité, cette deuxième négociation prendra fin le 4 juillet sur un échec comme la première mais pour des motifs différents.

Dans le cas présent, les Allemands expliqueront aux communistes que pour des raisons politiques ils ne peuvent laisser paraître l'Humanité et qu'un journal communiste ne sera autorisé qu'à la condition de changer de titre. Après le lancement d'un quotidien du matin sur le modèle de l'Humanité ayant pour titre La France au Travail, les Allemands poseront une deuxième condition : une parution le soir.

Déterminé à obtenir la légalisation de son organe central, le Parti communiste proposera de faire paraître l'Humanité le soir sous le titre l'Humanité du soir. Nouveau refus.

Au final, il cèdera aussi à la seconde exigence allemande et demandera l'autorisation de reprendre la publication de Ce Soir, le quotidien communiste du soir.

Ce Soir

Les efforts et les concessions des communistes sont rapidement récompensés. En effet, dès le 5 juillet, Abetz invite Foissin à l'ambassade pour discuter de la publication de Ce Soir. Au terme de cette discussion, le diplomate allemand lui demande de préparer le premier numéro.

Les deux parties se retrouvent le 6 juillet pour une nouvelle conférence. Deux faits marquants dans cette réunion. Tout d'abord Foissin présente à Abetz la personne que le Parti communiste a désigné pour diriger Ce Soir : Jules Dumont (le colonel Dumont). Ensuite, conformément à sa demande, il lui remet la morasse (page imprimée) du premier numéro de Ce Soir. Ce numéro qui doit être soumis à la censure allemande porte la date du lundi 8 juillet 1940.

Ce numéro se compose de six articles, d'un espace réservé au "Communiqué" officiel allemand et d'un autre plus réduit pour les "Echos et informations".

L'éditorial intitulé "Dix mois d'interdiction" rappelle les raisons de l'interdiction du quotidien communiste et annonce une heureuse nouvelle :

"Ce Soir, journal indépendant, qui mena de courageuses campagnes pour défendre le peuple de France, fut interdit, en même temps que l'Humanité, pour avoir approuvé le pacte germano-soviétique et servi par cela même la cause de la paix. [...]
Aujourd'hui, après dix mois d'interdiction, Ce Soir a obtenu l'autorisation de reparaître". (1)

Peut-on dire qu'il y a un lien de causalité entre ces deux événements ?

Le 8 juillet, sans réponse des Allemands concernant la reparution de Ce Soir, Foissin évoque le sujet avec Picard, un agent d'Abetz. Démarche identique le lendemain.

Le 12 juillet, preuve de la détermination des communistes, Foissin rencontre Abetz pour lui manifester l'impatience de ses camarades et lui demander de les recevoir dans la journée.

L'entrevue aura lieu le lendemain à l'ambassade. Abetz sera accompagné d'un représentant de la Propaganda Staffel : Maass. Cette deuxième rencontre entre des dirigeants communistes et des officiels allemands constitue une nouvelle preuve de... la Résistance communiste.

Le 19 juillet, le jour même du discours d'Hitler célébrant devant le Reichstag la victoire de l'Allemagne contre son ennemi héréditaire : la France, Maass annonce à Tréand que Ce Soir est autorisé à paraître. L'entretien porte sur plusieurs sujets ainsi qu'une surprenante proposition de l'Allemand. Constatant que les communistes viennent de diffuser un tract reproduisant la lettre des députés communistes du 1er octobre 1939 appelant à la Paix, Maass les invitent à recommencer l'opération en suggérant un plus grand tirage et un petit changement : l'ajout d'extraits du discours d'Hitler !!! Preuve du traitement privilégié accordé aux communistes, cette troisième rencontre entre un dirigeant communiste et un officiel allemand a lieu au domicile de Robert Foissin.

Abetz

Le 20 juillet, Abetz quitte Paris. Il a été convoqué par Joachim Ribbentrop pour rendre compte de la situation en France. Il sera absent pendant plus de deux semaines. En attendant les décisions qui seront prises à Berlin par le ministre des Affaires étrangères et... le Führer, Adolf Hitler, les relations avec les communistes sont gelées.

Les sujets en suspens sont l'autorisation d'un journal communiste, la possibilité pour les communistes de s'exprimer par voie d'affiche, la libération des militants communistes détenus en zone occupée et.. en zone non occupée, le rétablissement des municipalités communistes et enfin la légalisation des comités populaires.

Directive de l'IC du 5 août 1940

Le 5 août, sur la base notamment d'un rapport de Tréand décrivant sa rencontre du 19 juillet avec Maass et d'un compte rendu fait par Foissin au chargé d'affaires russe dans lequel il indiquait que les négociations avec Abetz portaient aussi sur la constitution d'un gouvernement révolutionnaire dans la zone nord, l'Internationale communiste adopte une Directive qui montre que le comportement des communistes français a suscité à Moscou la consternation, l'inquiétude et la sidération.

Dans ce texte, l'IC rappelle une nouvelle fois que les dirigeants communistes ne doivent pas participer aux négociations avec les Allemands, dénonce Abetz et ses manœuvres qui mettent en danger le Parti et enfin après avoir déclaré que toute négociation politique était une trahison accuse Foissin d'être un agent des occupants.

Au final, l'IC exige l'arrêt immédiat des négociations avec Abetz. Elle demande aussi au Parti communiste de poursuivre ses efforts pour la légalisation de la presse ouvrière en s'appuyant uniquement sur des militants et en limitant au strict nécessaire les contacts avec les autorités militaires allemandes. 

La Vie Ouvrière

A la mi-août, suivant les instructions de l'IC, les communistes initient une nouvelle démarche auprès de la Propaganda Staffel pour faire reparaître La Vie ouvrière, journal de la CGT de tendance communiste. Cette troisième négociation se soldera rapidement par un échec avec le rejet du numéro soumis à la censure.

Télégramme du PCF du 21 août 1940

Le 21 août, le Parti communiste répond à l'IC en indiquant qu'il a mis fin aux pourparlers avec Abetz et en niant avoir mené une quelconque négociation politique avec ce dernier.

Dans les faits les négociations avec le dignitaire nazi se poursuivent pendant quelques jours pour connaître les contre-propositions allemandes.

Contre-propositions allemandes

Le 22 août, plus de deux semaines après son retour à Paris avec le rang d'ambassadeur, Abetz invite Foissin à passer à l'ambassade. Après s'être excusé de n'avoir pu le recevoir plus tôt, l'ambassadeur allemand lui annonce le résultat de ses conversations avec Ribbentrop et Hitler. En suivant une note de l'avocat communiste en date du 7 novembre 1944, ces annonces ont été les suivantes :

"1° Accord sur le développement du mouvement des comités d'entreprise.
2° Impossibilité de la reparution de Ce Soir trop marqué par sa position lors de la guerre d'Espagne mais entrée à "La France au Travail" qui sera profondément remaniée.
3° Accord sur la libération des détenus de la zone non occupée." (2)

Le 25, Foissin transmet les contre-propositions allemandes à Catelas qui lui demande de prendre rendez-vous avec Abetz pour le 27 août.

Fin des négociations

Le 27 août, le dirigeant communiste ne se présente pas chez Foissin qui l'attend pour se rendre à l'ambassade.

Ce fait marque la fin non seulement de la deuxième négociation entre le PCF et les Allemands mais aussi des relations entre les deux parties. D'une durée de deux mois, concomitante à la troisième démarche concernant la Vie Ouvrière, visant à la légalisation des activités du PCF, portant même sur un gouvernement communiste dans la zone nord, cette deuxième négociation aura été un échec à l'exception de la libération des militants communistes détenus dans la zone occupée.

Le 31, Foissin est exclu du PCF sur les ordres de Moscou (Thorez). On lui reproche ses discussions avec Abetz sur un gouvernement révolutionnaire à Paris. Son exclusion sera annoncée dans un numéro spécial de l'Humanité en date du 27 septembre 1940 avec comme motif sa participation à la France au Travail. Donner le véritable motif c'était reconnaître la réalité des négociations avec les Allemands.

(1) Cahiers d'histoire de l'IRM n° 14, 1983 p. 168.
(2) Crémieux Francis, Estager Jacques, Sur le Parti 1939-1940, 1983, p. 354.


Partie III

Brochure "Nous accusons"

Diffusée en janvier 1941 à 20 000 exemplaire, la brochure "Nous accusons" est l'une des rares publications du Parti communiste évoquant les négociations de l'été 1940.

Rédigée en octobre 1940, cette brochure de 48 pages est un véritable réquisitoire contre... le gouvernement français et son bellicisme pendant la guerre de 1939-1940. Il est aussi - à l'inverse - une célébration du Parti communiste et de son combat pour la Paix.

Consacrées à la période de l'occupation, les dernières pages reviennent sur les négociations de l'été 1940 :

"[...] Le parti qui a lutté contre le Traité de Versailles, pour la fraternité des peuples français et allemand, contre la guerre impérialiste, a gardé le front haut. Et, le front haut, il réclame la restitution des droits qui lui on été ravis... Les dirigeants du Reich avaient affirmé au peuple allemand que la guerre leur avait été imposé par les gouvernements de Londres et de Paris. Ils avaient ajoutés que l'armée allemande n'avait pas d'autre ennemi que la ploutocratie occidentale. Ils avaient dit encore que l'Allemagne se félicite d'entretenir, depuis le 23 août 1939, des relations de bon voisinage avec l'URSS. 
A quoi les communistes français répliquaient : s'il en ainsi, accordez vos actes et vos paroles. Des milliers d'hommes sont dans les prisons et dans les camps parce qu'ils ont lutté contre la guerre : qu'on les libère ! Des municipalités ont été destitués parce qu'elles étaient dirigées par les adversaires les plus déterminés de la ploutocratie française : qu'on réinstalle les municipalités ouvrières ! Des journaux on été supprimés parce qu'ils ont approuvé le Pacte soviéto-allemand : qu'on restitue le droit à la parution légale à l'Humanité, à Ce Soir, à l'Avant-Garde, à la Vie Ouvrière, à la revue Russie d'aujourd'hui
Et ce langage des communistes était le seul digne, et du peuple français, et du peuple allemand. 
Il n'a pas été entendu des Autorités occupantes.
Avec la permission des Autorités occupantes, le Matin, du colonel Fabry; Paris-Soir, du ploutocrate Prouvost; l’Œuvre, qui avait été l'organe de la présidence du Conseil pendant neuf mois, ces feuilles qui durant la guerre n'avaient cessé de prêcher la haine contre le peuple allemand, de préconiser l'extermination du peuple allemand, la soumission de la France aux visées des conservateurs britanniques ont reparu dans la zone occupée. [...]
Mais l'Humanité, Ce Soir, la Vie ouvrière, l'Avant-Garde, Russie d'aujourd'hui, les organes des défenseurs de la paix, des champions de la fraternisation des peuples, demeurent interdits. Les diffuseurs des éditions illégales de ces journaux sont chaque jour arrêtés et jetés en prison.
D'ordre des Autorités occupantes, les maires réactionnaires jusqu'au-boutistes, jusqu'au 5 juin... mais fuyards après le 5 juin, ont été réintégrés dans leur municipalité, en dépit des protestation légitimes de la population. Par contre, les élus ouvriers n'ont pas recouvré le mandat qui leur a été ravi par le fauteur de guerre Sarraut, et quelques-uns d'entre eux ont été arrêtés courant octobre par ordre des Autorités occupantes.
D'ordre des Autorités occupantes, les milliers d'hommes et de femmes incarcérés ou interné par Sarraut et Mandel ont été maintenus dans les prisons et dans les camps, où, depuis le 15 juin, des centaines d'autres sont venus les rejoindre.
[...] Si gênant que cela soit pour les dirigeants allemands, qui ont régalé leurs soldats de couplets contre les fauteurs de guerre et les ploutocrates, il faut que les soldats allemands sachent, en même temps que le public français, que les adversaires de la ploutocratie française, que les ennemis des fauteurs de guerre sont emprisonnés sur les ordres des Autorités allemandes. Dans ces persécutions qui servent si bien les oligarchies capitalistes, la responsabilité des Autorités occupantes est totale. [...] Mais allons plus loin. Les Autorités occupantes ne sont point responsables seulement de ce qui se passe dans la zone occupée. On sait - et la presse de Berlin ne prend pas la peine de le dissimuler - qu'elles gouvernent en fait la France entière. Le gouvernement de Vichy tient d'elles sa raison d'être. C'est par elles - et elles seules - qu'il a été créé et mis au monde et qu'il tient en place. Laval, Belin et le très glorieux Maréchal Philippe ne font et ne disent que ce que les maitres des Autorités occupantes leur ordonnent de dire et de faire. Ce sont les Autorités occupantes qui ont dicté aux hommes de Vichy le nouveau décret sur les suspects qui aggrave les dispositions du décret Daladier de novembre 1939. Et ce sont les Autorités occupantes qui ont délibéré de maintenir en prison les défenseurs de la Paix, dans les deux zones.

(Brochure "Nous accusons" pp 42-44)

Dans ce texte, après avoir montrer qu'il avait toute toute légitimité pour négocier avec les Allemands et que ses revendications étaient tout à fait justifiées, le Parti communiste regrette que ses négociations avec les autorités allemandes n'aient pas abouti en soulignant l'injustice de cet échec au vu d'une part des privilèges accordés aux bellicistes et d'autre part des discours anti-capitalistes des dirigeants du Reich.

1) Légitimité du Parti communiste

Le Parti communiste soutient qu'il avait toute légitimité pour négocier avec les Allemands parce qu'il avait mené par le passé des combats pro-allemands, qu'il partageait avec l'envahisseur nazi le même ennemi - la France capitaliste - et enfin que l'Allemagne et l'URSS entretenaient de bonnes relations.

Sur le premier point il rappelle qu'il avait "lutté contre le Traité de Versailles, pour la fraternité des peuples français et allemand, contre la guerre impérialiste".

En d'autres termes, il était le partenaire idéal puisqu'il avait dénoncé comme Hitler l'humiliant diktat de Versailles imposé à l'Allemagne en 1919, qu'en 1923 il avait appelé les soldats français qui occupaient la Rhur à fraterniser avec la population allemande et enfin - le plus important - que pendant la guerre franco-allemande il s'était mobilisé pour la paix dès septembre 1939.

Sur le second point il reprend à son compte la position allemande sur la guerre 1939-1940 : Agressée par la France et l'Angleterre impérialistes, l'Allemagne nazie avait combattu "la ploutocratie occidentale".

Les communistes et les nazis avaient donc le même ennemi : l'impérialisme français.

Sur le dernier point, il rappelle la signature du Pacte de non-agression germano-soviétique en août 1939 garantissant des relations pacifiques entre l'URSS et l'Allemagne.

Ce rappel permet de souligner qu'au final les négociations entre le Parti communiste et les autorités allemandes n'étaient qu'une déclinaison de ce Pacte.

2) Revendications communistes

Le Parti communiste détaille les revendications qu'il a soumises aux autorités allemandes en soulignant qu'elles étaient tout à fait justifiées :

- Libération des communistes détenus "dans les prisons et dans les camps parce qu'ils ont lutté contre la guerre".

- Rétablissement des municipalités communistes qui "étaient dirigées par les adversaires les plus déterminés de la ploutocratie française".

- Reparution des  journaux communistes "supprimés parce qu'ils ont approuvé le pacte soviéto-allemand"

3) Echec des négociations

Le Parti communiste constate avec regret l'échec de ses négociations avec les Allemands : "Et ce langage des communistes était le seul digne, et du peuple français, et du peuple allemand. Il n'a pas été entendu des autorités occupantes.

Il souligne même l'injustice de cet échec au vu des privilèges accordés par la puissance occupante aux bellicistes qui avaient - contrairement aux communistes - soutenu la guerre contre l'Allemagne nazie.

Ainsi sont autorisés les journaux "qui durant la guerre n'avaient cessé de prêcher la haine contre le peuple allemand, de préconiser l'extermination du peuple allemand, la soumission de la France aux visées des conservateurs britanniques".

A l'inverse, "l'Humanité, Ce Soir, la Vie ouvrière, l'Avant-Garde, Russie d'aujourd'hui, les organes des défenseurs de la paix, des champions de la fraternisation des peuples, demeurent interdits".

On notera que dans ce texte publié en janvier 1941, l'Humanité n'est pas célébré comme l'organe des Résistants de la première heure

De même "les maires réactionnaires jusqu'au-boutistes" ont pu reprendre leurs fonctions contrairement aux édiles communistes qui ont été suspendus de leur mandat en septembre 1939 par un décret-loi signé par  "le fauteur de guerre Sarraut" alors ministre de l'Intérieur.

Injustice aussi le maintien en détention des militants communistes compte tenu des discours anti-capitalistes des dirigeants Reich.

En effet s'adressant directement aux soldats allemands ("il faut que les soldats allemands sachent"), le Parti communiste dénonce la contradiction de leurs dirigeants qui pendant le conflit prétendaient combattre "les fauteurs de guerre et les ploutocrate" et qui maintenant non seulement refusent de libérer "les adversaires de la ploutocratie française", "les ennemis des fauteurs de guerre" autrement dit les communistes, mais en plus les font même emprisonnés.

Ce dernier point fait référence aux arrestations massives de militants et d'élus communistes au début d'octobre 1940 avec - pour la zone occupée - l'accord des autorités allemandes. Cette vague d'arrestations fait suite à l'adoption par Vichy d'un nouveau texte juridique modifiant les conditions de l'internement administratif qui étaient fixées dans le décret-loi du 18 novembre 1939 : la loi du 3 septembre 1940 relative aux mesures à prendre à l'égard des individus dangereux pour la défense nationale ou la sécurité publique.

La responsabilité de cette répression est attribuée aux Allemands au motif que Vichy est leur création. Argument d'ailleurs utilisé par les communistes dans leurs négociations avec les autorités allemandes pour obtenir la libération de leur camarades détenus non seulement en zone occupée mais aussi en zone non occupée.

Mais le plus important c'est que le Parti communiste affirme que ses militants sont "persécutés" parce qu'ils combattent "les oligarchies capitalistes". Aucune référence à la lutte armée contre l'occupant allemand. D'ailleurs, le texte se termine en dénonçant "les Autorités occupantes qui ont délibéré de maintenir en prison les défenseurs de la Paix, dans les deux zones".


Partie IV

Séance du 4 juillet 1946

La séance du 4 juillet 1946 de la 2ème Assemblée nationale constituante doit se prononcer sur la validité de l'élection du député de Paris Edouard Frédéric-Dupont du Parti républicain de la liberté.

Indigné par le comportement des communistes qui demandent l'invalidation de son élection en formulant des accusations qu'il juge mensongères concernant son comportement pendant l'occupation allemande, ce dernier prend la parole d'abord pour se défendre puis pour mettre en cause l'attitude des communistes entre 1939 et 1941 en s'appuyant sur plusieurs documents.

Pour montrer la collusion des communistes avec les Allemands pendant la guerre franco-allemande de 1939-1940, il cite les documents suivants :

- la lettre du 1er octobre 1939 des députés communistes demandant au président de la Chambre l'organisation d'un vote en faveur de la Paix,
- le Traité germano-soviétique du 28 septembre 1939 aboutissant au partage de la Pologne entre l'URSS et l'Allemagne,
- la déclaration germano-soviétique du 28 septembre 1939 appelant la France et l'Angleterre à faire la Paix avec l'Allemagne.

Abordant la période de l'occupation, le député de Paris accuse le Parti communiste d'avoir voulu tiré profit de son attitude pendant la guerre de 1939-1940 en demandant aux Allemands l'autorisation de faire paraître l'Humanité. Les protestations sur les bancs communistes sont si vives qu'elles provoquent une suspension de séance.

A la reprise, pour prouver le bien fondé de ses déclarations, Edouard Frédéric-Dupont lit des extraits de la lettre du 26 juin 1940 demandant la reparution de l'Humanité. Cette lettre porte les signatures de deux membres du Comité central du PCF : Maurice Tréand et Jean Catelas. Condamné à la peine de mort par le Tribunal d'Etat, ce dernier a été guillotiné le 24 septembre 1941.

Député communiste, ancien chef du Parti communiste clandestin, Jacques Duclos réagira avec vigueur aux accusations du député de Paris en déclarant que le document cité est un "faux", le fruit d'une "machination de la Gestapo" qui visait à "porter atteinte à l'honneur" de Jean Catelas :

"M. Frédéric-Dupont. Trois jours après ce pacte [Traité du 28 septembre], qui consacrait le quatrième partage de la Pologne, vous avez été les courtiers d'Hitler pour une paix de déshonneur [Lettre du 1er octobre]. Vous le savez d'ailleurs très bien, puisque vous en avez touché le bénéfice... (Exclamations et bruit à l'extrême gauche.)

M. Waldeck Rochet. C'est vous qui avez négocié avec les Allemands.

M. Frédéric-Dupont. ...car cinq jours avant l'armistice, en pleine guerre, le délégué central du parti communiste est allé solliciter de la Gestapo qui l'a accordée, l'autorisation de faire paraître l'Humanité. (Vives interruptions et protestations à l'extrême gauche.)

[Note du Blog : Le député évoque la première négociation avec les Allemands]

M. Georges Cogniot. Souvenez-vous de Péri !

M. le président. Devant ce tumulte, je vais suspendre la séance ! (Le tumulte continue. — Les membres du mouvement républicain se lèvent et quittent la salle des séances.)

(La séance, suspendue à seize heures quarante-cinq minutes, est reprise à dix-sept heures dix minutes.

M. le président. La séance est reprise.
[...]
M. le président. Nous reprenons la suite de la discussion des conclusions du rapport du 9e bureau sur les opérations électorales de la 1re circonscription de la Seine. 
La violence des incidents qui se sont produits tout à l'heure m'a obligé à suspendre la séance, car il m'apparaissait que la raison ne pouvait avoir raison de la passion.
Je regrette, vous regretterez tous de part et d'autre, j'en suis sûr, la violence de ces incidents, surtout au moment où se tient à Paris la conférence que vous savez. (Applaudissements à gauche, au centre et à droite.)
Ne vous contentez pas de m'applaudir, mes chère collègues ! Je vous demande aux uns et aux autres de prendre garde : quelques séances comme celle d'aujourd'hui risquent de compromettre, non seulement la dignité de l'Assemblée, mais le régime représentatif lui-même. (Applaudissements à gauche, au centre et à droite.)
 J'ai prié M. Frédéric-Dupont de terminer son exposé et je l'invite à nouveau à ne pas mettre en cause une puissance étrangère [l'URSS]...
 [...]
M. le président. [...] Je demande à chacun de vous de respecter la dignité de ses collègues.
L'accusation est libre, la défense est libre. M. Frédéric-Dupont doit pouvoir se faire entendre dans le silence. Deux orateurs du parti communiste se sont fait inscrire pour lui répondre et je suis sûr que nos collègues de la droite les écouteront également en silence. 
Ensuite auront lieu les explications de vote et le scrutin sera ouvert. 
Des engagements ont été pris de part et d'autre. Je vous demande, dans l'intérêt de l'Assemblée et aussi par amitié pour moi-même, si vous le voulez bien (Applaudissements sur un grand nombre de bancs), de rester calmes et de terminer ce débat dans la dignité où il aurait dû se poursuivre
La parole est à M. Frédéric-Dupont.

M. Frédéric-Dupont. [...] J'en reviens au point où j'en étais resté. Je constate avec regret que vous avez alors envoyé au conseiller Turner, le jour de l'armistice, la lettre suivante :
« Monsieur, comme suite à la conversation que nous avons eue ce matin, nous tenons à vous préciser les préoccupations qui sont nôtres dans les moments difficiles que traverse notre pays. Nous avons été seuls à nous dresser contre la guerre et à demander la paix à une heure où il y avait quelque danger à le faire. Il y a un journal qui est capable d'inspirer confiance au peuple parce qu'il a été interdit par le gouvernement des fauteurs de guerre. Ce journal, c'est l'Humanité, bien connu comme organe central du parti communiste fiançais.
« Nous vous demandons l'autorisation de publier l'Humanité, sous la forme dans laquelle elle se présentait à ses lecteurs avant son interdiction par Daladier, au lendemain de la signature du pacte germano-soviétique.
« L'Humanité publiée par nous se fixerait pour tâche de dénoncer les agissements des agents de l'impérialisme britannique qui veulent entraîner les colonies françaises dans la guerre et d'appeler les peuples coloniaux à lutter pour leur indépendance contre les oppresseurs impérialistes. »

M. Jacques Duclos. Voulez-vous me permettre de vous interrompre.

M. Frédéric-Dupont. Je préfère continuer, vous répondrez tout à l'heure. (Interruptions à l'extrême gauche.)
Or, j'ai le regret de constater que cette lettre, dont on possède l'original, a été envoyée au conseiller Turner le jour-même de l'armistice par le comité central du parti communiste français.
« Fauteurs de guerre impérialistes ». Est-ce que cela ne vous rappelle pas les slogans d'Hitler ?
[...]
M. Jacques Duclos. Tout à l'heure, M. Frédéric-Dupont, sortant un peu du sujet qui nous préoccupe et qui a trait à une affaire de commerce avec l'ennemi, a donné lecture d'un certain nombre de documents. Nous aurons sans doute l'occasion de parler de ces documents dans de prochains débats et nous ferons toute la lumière sur les problèmes qui ont été soulevés dans un but évident de diversion. Cependant, sans attendre davantage, je veux me permettre de dire quelques mots au sujet de l'un d'eux.
Il s'agit de ce document [la lettre du 26 juin 1940] qui traîne depuis quelque temps dans les colonnes de l'Epoque, le journal bien connu des trusts. Ce document tend à faire la démonstration qu'au mois de juin 1940, le comité central du parti communiste français aurait demandé l'autorisation de faire paraître l'Humanité. Permettez-moi de vous dire que c'est là une machination de la Gestapo. (Rires et exclamations à droite. — Applaudissements à l'extrême gauche).
Qu'il me soit permis de dire que M. Frédéric-Dupont n'a pas parlé des deux signataires présumés, d'après la Gestapo, de cette fameuse lettre. L'un de ces deux prétendus signataires était un de nos anciens collègues de la Chambre élue en 1936, M. Jean Catelas, député d'Amiens, décoré quatre fois sur le front, à Verdun, au cours de la guerre 1911-1918. Catelas avait été un des députés persécutés en 1939-1940. Il fut arrêté et condamné par les tribunaux de Vichy et, un matin de septembre 1941, il était guillotiné dans la cour de la prison de la Santé. Il n'y avait pas de préfet de police pour l'aider à s'enfuir. (Vifs applaudissements à l'extrême gauche )
Quand la Gestapo a lancé ce faux, elle voulait porter atteinte à l'honneur de cet homme qui est mort en brave, qui est mort en héros.
Aussi permettez-moi de dire à l'Assemblée comment est mort Jean Catelas, député communiste d'Amiens. Après avoir été condamné à mort par la justice de Vichy, Jean Catelas fut guillotiné avec deux autres de ses compagnons, un jeune architecte de 22 ans, Jacques Voog, et un ouvrier métallurgiste, Adolphe Guyot, un matin de septembre 1941. Jean Catelas, exécuté le dernier, vit tomber la tête de ses deux camarades dans la cour de la prison de la Santé, tandis qu'un détachement de SS était venu assister à l'exécution de trois communistes.
Ces SS. étaient les mêmes qui, le jour où l'on fusillait des communistes à Chàteaubriant, disaient « Communistes, pas Français ! », comme si les Boches étaient habilités à délivrer des. certificats de patriotisme français. (Applaudissements à l'extrême gauche.)
Jean Catelas, dont le nom figure sur ce faux de la Gestapo...

A droite. Cela est en dehors de la question.

Jacques Duclos. ... que M. Frédéric-Dupont a lu à l'Assemblée est mort en héros, en criant : « Vive la France !» et : « Vive le parti communiste français ! » et c'est le couperet de la guillotine qui arrêta la Marseillaise sur ses lèvres ! (Applaudissements à l'extrême gauche.)
Permettez-moi de vous dire...

M. André Mutter. Parlez-nous de l'affiche de Cachin.

M. Jacques Duclos. ...que si nous avons tout à l'heure entendu l'éloge de certains de nos camarades qui sont morts pour que vive la France, nous n'oublions pas que souvent on exalte les morts pour insulter les vivants et nous savons aussi qu'il y a des gens qui regrettent que tous les communistes n'aient pas été tués pendant l'occupation. (Applaudissements à l'extrême gauche.)
On en a tué beaucoup, certes, mais il en reste encore et aujourd'hui ils vont se compter dans cette enceinte pour voter contre la validation de M. Frédéric-Dupont. (Applaudissements à l'extrême gauche.) (1)

(1) Journal officiel du 5 juillet 1946, pp 2592, 2593, 2594, 2596.


Séance du 18 juillet 1946

Députés du Vaucluse

La séance du 18 juillet 1946 de la 2e Assemblée nationale constituante est consacrée pour partie à la vérification des pouvoirs des députés du Vaucluse sur la base d'un rapport du 10e bureau.

Toutes les élections de ce département sont validées à l'exception de celle du radical-socialiste d'Edouard Daladier qui est contestée par le Parti communiste.

Les communistes tentent par ce détournement de procédure d'éliminer l'ancien président du Conseil d'avril 1938 à mars 1940, l'un des hommes politiques les plus important de la IIIe République. 

Les débats s'ouvrent par une déclaration du rapporteur qui indique que le 10e bureau s'est prononcé majoritairement en faveur de la validation de l'élection d'Edouard Daladier au motif qu'aucune irrégularité ne l'avait été entachée et que les motifs invoqués par la minorité communiste était d'ordre politique.

Edouard Daladier

Après les interventions de deux députés communistes demandant son exclusion de l'Assemblée, Edouard Daladier prend la parole pour répondre à leurs accusations : trahison de Munich en septembre 1938, abandon de la Tchécoslovaquie en mars 1939, sabotage des négociations anglo-franco-soviétiques du printemps et de l'été 1939, impéritie dans la préparation de la guerre, persécution des communistes pendant la guerre de 1939-1940.

Justifiant sa lutte contre les communistes, il fera état notamment de leurs sabotages des fabrications de guerre.

Evoquant la période de l'occupation il décrira les négociations entre les communistes et les Allemands :

"Le 20 juin 1940 avant que l'armistice ne fût conclu, un membre du comité central du parti communiste, accompagné de deux dames, était arrêté. C'était M. Maurice Tréand. Ces personnes portaient, des papiers de la Propagandastaffel, établissant que des pourparlers avaient été engagés avec les services allemands dans le but de faire reparaître l'Humanité. Une de ces dames était d'ailleurs munie, d'autre part, d'un laissez-passer établi à son nom par les mêmes services pour les besoins de ce journal et signé : lieutenant Weber.
Sur réquisitoire du procureur de la République, une instruction fut ouverte contre eux et trois mandats de dépôt furent délivrés; M. Maurice Tréand fut écroué à la Santé et les deux dames à la Roquette.
Mais, le 25 juin, ils étaient délivrés par intervention des autorités allemandes, sur l'ordre du conseiller supérieur de justice — il porte un nom national, puisqu'il s'appelle Fritz — chef des affaires de la justice au Palais-Bourbon.
Il ne s'agit pas là de faux émanant de la Gestapo. Il suffit d'aller consulter le registre d'écrou de la Santé ou de la Roquette ou d'interroger les magistrats qui ont poursuivi, pour avoir confirmation de ces faits.
Ainsi, au 20 juin, dans Paris occupé par les forces allemandes, au moins un membre du comité central du parti communiste sollicitait l'autorisation de faire reparaître publiquement l'Humanité. 
Quelques jours après, d'ailleurs, l'Humanité reparaissait, mais toujours sous une forme clandestine. (Exclamations, et rires à l'extrême gauche.)
C'était à un refus, sans doute, que le parti communiste s'était heurté, non pas de la Propagandastaffel, mais de la préfecture de police agissant au nom du gouvernement de Vichy. (Exclamations sur les mêmes bancs.)
De sorte que, sans Pétain, l'Humanité aurait reparu et aurait été d'ailleurs interdite à la libération.
M. Raymond Guyot. On est en plein roman feuilleton !
M. Arthur Ramette. C'est du pastis !
M. Edouard Daladier. Monsieur Ramette, ce sont des plaisanteries que Gringoire a employées avant vous et que vous pourriez lui laisser.

Edouard Daladier publiera son discours du 18 juillet 1946 dans une brochure intitulée "Réponse aux chefs communistes" ainsi que plusieurs documents étayant ses affirmations.

Concernant les négociations de l'été 1940, cette brochure reproduira des extraits de la lettre du 26 juin 1940 demandant la reparution de l'Humanité et l'intégralité de la lettre d'Otto Abetz du 28 juin 1940. Le diplomate allemand a joint cette lettre à celle du 26 juin dans le pli qu'il a envoyé au Dr Turner, Chef de l'Etat-Major administratif du Commandant militaire de Paris.

Validation

Après l'intervention de deux députés communistes et une nouvelle réponse de l'ancien président du Conseil, l'Assemblée valide l'élection du député du Vaucluse.


Séance du 4 décembre 1947

Le 9 décembre 1947, à la suite d'une polémique l'opposant à la députée communiste Denise Ginollin, le député MRP Pierre de Chevigné lit dans l'hémicycle plusieurs documents prouvant que la militante communiste a sollicité en juin 1940 la Kommandantur pour obtenir l'autorisation de publier l'Humanité et qu'après avoir été arrêtée par la police française pour cette démarche elle a été libérée par les Allemands.

Les documents cités sont tirés du dossier d'instruction ouvert à la suite de l'arrestation les 20 et 21 juin 1940 de Maurice Tréand et de trois de ses camarades : Denise Ginollin, Jeanne Schrodt et Valentine Grunenberger.

Les deux principales pièces utilisées sont les dépositions du 21 juin 1940 de Denise Ginollin et de Maurice Tréand.

La lecture est ponctuée par les réactions virulentes des élus communistes qui contestent toute négociation avec les autorités allemandes : Fernand Grenier : "Entre 1940 et 1944, les collaborateurs et rédacteurs de l'Humanité ont été fusillés par suite de l'action de ce journal et parce qu'il paraissait clandestinement. Voilà la vérité !"; Georges Cogniot : "Vous devriez avoir honte de la besogne que vous faites"; Madelaine Braun : "C'est un roman d'Agatha Christie que vous nous racontez là"; Marcel Servin à trois reprises : "Quand aurez-vous fini de calomnier le parti qui à verser son sang plus que tous les autres partis réunis", "Quand on parlait de poubelles, tout à l'heure, on était trop modeste", "Je constate simplement qu'il a fallu deux ans pour forger ces documents"; Arthur Ramette : "On a mis deux ans pour fabriquer un faux". (1)

Absente à la séance du 9 décembre, Denise Ginollin répondra aux accusations de Pierre de Chevigné à celle du 11 décembre en déclarant notamment : "Les documents que vous utilisez, Monsieur de Chevigné, sont des faux dignes des officines de la Gestapo".

(1) Journal officiel n° 128 du 10 décembre 1947, pp. 5560-5564.