L'Humanité du mercredi 19 juin 1940 publiée avec un "communiqué officiel allemand"

Le 17 juin 1940, à Bordeaux, le Maréchal Pétain annonce à la radio qu'il est entré en contact avec le gouvernement allemand pour négocier un armistice.

Le lendemain, à Paris où les armées hitlériennes sont présentes depuis quatre jours, suivant des instructions de Moscou, le Parti communiste engage - lui aussi - une démarche auprès des Allemands et ce pour obtenir la légalisation de l'Humanité dont la publication a été suspendue le 26 août 1939 en raison de son soutien... au Pacte germano-soviétique.

Invités à revenir le lendemain pour exposer à nouveau leur demande, les communistes décident de préparer un numéro modèle de l'Humanité légale : l'Humanité du mercredi 19 juin 1940. (Doc. 1)

Composé d'un "communiqué officiel allemand" et de six articles ("Vive Paris", "Il faut libérer les défenseurs de la paix", "Le nouveau gouvernement", "Négociations de paix", "Vive l'URSS", "Dans les communes de banlieue"), ce numéro zéro approuve la démarche du Maréchal Pétain de négocier un armistice avec Hitler ("Nous prenons acte"), dénonce les "banquiers de la Cité de Londres" dont la tutelle sur les dirigeants français explique l'entrée en guerre de la France, demande la libération des "défenseurs de la Paix et ennemis du capitalisme" autrement dit des militants communistes détenus ou internés pour avoir défendu la Paix, célèbre l'URSS comme "le pays du socialisme et de la paix" et enfin définit clairement les objectifs du Parti communiste : "la Paix" (libération nationale), "la lutte contre le capitalisme" (libération sociale) et "la fraternité des peuples" (fraternité franco-allemande).

En totale conformité avec la ligne défendue par le Parti communiste depuis le début du conflit, l'Humanité du mercredi 19 juin 1940 plaide pour la paix avec Hitler, fait l'éloge de la fraternité franco-allemande et condamne l'Angleterre : autant d'engagements politiques qui ne devraient pas heurter la censure allemande.

Autre élément devant permettre aux staliniens français d'obtenir une réponse positive des nazis : la publication dans ce numéro d'un communiqué de la Wehrmacht.
 
Cette publication doit prouver leur bonne foi en montrant qu'ils acceptent non seulement de se soumettre aux règles fixées par les Allemands en matière de presse mais aussi de faire de l'Humanité légale un relais de leur propagande.
 
On pourra juger du patriotisme du PCF au cours de la guerre franco-allemande de 1939-1940 en signalant le fait suivant : l'Humanité clandestine a publié plus de communiqués allemands (1) que de communiqués français (0).
 
Engagée avant même la signature de l'armistice franco-allemand et donc avant même l'arrêt des combats, cette première négociation entre le PCF et les nazis se termine le 20 juin avec l'arrestation par la police française de quatre militants communistes liés à ces pourparlers : Denise Ginollin qui était en relation avec la Kommandantur, deux agents ayant eu un rôle secondaire et, le plus significatif, Maurice Tréand, n° 2 du Parti communiste clandestin.

Les quatre staliniens sont libérés le 25 juin à la suite d'une intervention... d'Otto Abetz qui a été sollicitée par l'avocat communiste de Maurice Tréand, Me Robert Foissin. En contrepartie de cette intervention, le représentant d'Hitler en France a manifesté le désir de rencontrer le dirigeant communiste pour discuter de la question de l'Humanité avec l'ambition d'engager de plus larges négociations...
 
Le 26 juin, le Parti communiste ayant accepté de satisfaire la demande allemande, Maurice Tréand se rend à l'ambassade d'Allemagne pour conférer avec Otto Abetz. Il est accompagné d'un autre membre du Comité central : Jean Catelas. Sont aussi présents à la réunion : Me Foissin et Denise Ginollin.
 
C'est dans ce contexte favorable (libération de Tréand, reprise des négociations) que le PCF décide de diffuser clandestinement l'Humanité du mercredi 19 juin 1940 non sans susciter des critiques de certains militants.

Conservée dans le dossier d'instruction des militants communistes arrêtés les 20 et 21 juin 1940, pièce centrale de la première négociation entre le Parti communiste et les autorités allemandes, preuve de la compromission des communistes et de leur soumission aux exigences allemandes, l'Humanité du mercredi 19 juin 1940 a été portée à la connaissance du public dans un livre publié en 1975 par Raymond Tournoux sous le titre Journal secret.

A ceux qui pourraient douter de l'authenticité de ce document, on proposera une source plus en adéquation avec leur idéologie : une archive de l'IC datée du 19 juillet 1940 dans laquelle a été reproduit le contenu de l'Humanité du mercredi 19 juin 1940 à partir de la copie que les communistes français avaient envoyée à Moscou. 
 
Le présent texte est composé de six parties. Dans les Parties I et II, on décrira la situation de la France et celle du PCF en juin 1940. 
 
La Partie III sera consacrée aux négociations communo-nazies des 18, 19 et 20 juin 1940. Dans la Partie IV, on analysera le contenu de l'Humanité du mercredi 19 juin 1940. 
 
La Partie V portera sur l'ouvrage de Raymond Tournoux et les pages consacrées à "La vérité sur la demande de reparution de l'Humanité en juin 1940". Dans la Partie VI, on examinera le traitement de l'Humanité du mercredi 19 juin 1940 dans deux publications communistes : les Cahiers d'histoire de l'IRM du 3e trimestre 1983 et le livre publié en 2006 par les historiens Jean-Pierre Besse et Claude Pennetier sous le titre Juin 1940, La négociation secrète.


Partie I
Situation de la France

Gouvernement Pétain

Le 16 juin 1940, réfugié dans la ville de Bordeaux depuis deux jours, le Gouvernement Reynaud démissionne à 22 heures au terme d'un Conseil des ministres au cours duquel se sont une nouvelle fois affrontés opposants et partisans de l'armistice.

A la tête de ceux qui veulent mettre fin au conflit avec l'Allemagne et qui défendent au sein du gouvernement la même position que le Commandant en chef des armées françaises, le Général Weygand : le Maréchal Pétain, vice-président du Conseil et ministre d'Etat. Ce dernier est aussitôt chargé par le Président de la République de former un nouveau gouvernement.

Parmi ceux qui veulent continuer de se battre contre les Allemands : le Général de Gaulle, sous-secrétaire d'Etat à la Défense nationale et à la Guerre attaché à la présidence du Conseil. Opposé à la constitution de ce Gouvernement de Paix, il décide de rejoindre Londres pour continuer le combat.


Demande d'armistice

Le 17 juin, en début d'après-midi, le nouveau président du Conseil prononce à la radio une courte allocution dans laquelle il déclare qu'il faut mettre fin au conflit avec l'Allemagne ("il faut cesser le combat") avant d’annoncer qu'il est entré en contact avec le gouvernement allemand pour négocier un armistice.

Illustration de l'alliance germano-soviétique, quelques heures après cette annonce, Viatcheslav Molotov, président du Conseil et commissaire du peuple aux Affaires étrangères, convoque l'ambassadeur allemand à Moscou, Friedrich Werner von der Schulenburg, pour lui exprimer "les plus chaleureuses félicitations du Gouvernement soviétique pour le magnifique succès des forces armées allemandes". (Télégramme n° 1167 du 17 juin 1940)

Le lendemain, à Londres, le Général de Gaulle s'exprime à la BBC pour condamner la demande d'armistice et appeler les Français à poursuivre le combat contre l'envahisseur allemand. L'Appel du 18 juin 1940 est l'acte fondateur de la Résistance française : "Quoi qu'il arrive, la flamme de la résistance française ne doit pas s'éteindre et ne s'éteindra pas".


Partie II
Situation du PCF

Arrivée de Jacques Duclos à Paris

Jacques Duclos et Maurice Tréand arrivent à Paris le 15 juin 1940 soit le lendemain de l'entrée des troupes allemandes dans la capitale. La veille ils ont quitté Bruxelles en compagnie d'Eugen Fried qui repart immédiatement pour la Belgique.

Secrétaire du PCF, député de la Seine, Jacques Duclos s'est réfugié dans la capitale belge en octobre 1939 où il a établi une direction clandestine du Parti communiste.

Membre du Comité central, responsable de la Commission des cadres, organisme chargé de la sélection, du recrutement et de la surveillance des cadres à tous les échelons du Parti, Maurice Tréand a été l'un des membres de la direction communiste installée en Belgique.

Représentant de l'IC auprès du PCF, Eugen Fried a quitté Paris en septembre 1939 pour s'installer à Bruxelles où il a mis en place une antenne de l'IC qui était chargée de contrôler tous les partis communistes d'Europe occidentale.


Jacques Duclos,
Chef du Parti communiste clandestin

A son arrivée, Jacques Duclos prend la direction du Parti communiste clandestin en raison des absences de Maurice Thorez et de Benoît Frachon.

Secrétaire général du PCF, le premier s'est réfugié en Russie après sa désertion en octobre 1939 et un court séjour en Belgique. Ce départ a été caché aux militants pour ne pas les démobiliser. Secrétaire de la CGT, ancien membre du Bureau politique du PCF, placé à la tête du Parti en octobre 1939, le second a quitté Paris avant l'arrivée des Allemands.

Son principal adjoint sera Maurice Tréand. Ce dernier sera aussi pendant quelques semaines son seul contact avec l'extérieur.

Suivant des consignes orales d'Eugen Fried, cette nouvelle direction se fixe une priorité : obtenir des Allemands l'autorisation de publier l'Humanité.

En cas de succès, l'Humanité légale permettra au Parti communiste de faire connaître au plus grand nombre ses positions sur la situation de la France. Suivant les instructions envoyées ultérieurement par Moscou, elle devra en priorité expliquer aux Français que le PCF est le seul Parti légitime pour diriger le pays au motif qu'il est le seul Parti à s'être opposé à la guerre.

On fera remarquer qu'en adoptant cette ligne légaliste, le Parti communiste reconnaît les envahisseurs allemands comme des autorités légitimes sur les territoires qu'ils contrôlent et ce alors que la France est toujours en guerre contre l'Allemagne d'Hitler.
 
Les prescriptions de Fried seront confirmées par une Directive de l'IC du 22 juin 1940 définissant les conditions d'une activité légale communiste :

"Utilisez moindre possibilité favorable pour faire sortir journaux syndicaux, locaux, éventuellement l'Humanité". (1)

Envoyées le jour même à Eugen Fried dans un télégramme signé par Georgi Dimitrov, secrétaire général de l'IC, et Maurice Thorez, secrétaire général du PCF, les Instructions de Moscou seront reçues à Paris au début du mois de juillet et seront formellement approuvées par Jacques Duclos comme l'atteste son rapport du 3 juillet 1940 :

"Nous venons de recevoir vos indications avec lesquelles nous sommes entièrement d'accord". (2)
 
(1) Cahiers d'histoire de l'I.R.M, n° 52-53, 1993 p. 186.
(2) Ibid., p. 209.
 
 
L'Humanité du 25 août 1939
 
Le dernier numéro de l'Humanité légalement publié a été celui du du 25 août 1939 (édition parisienne). A la suite de cette publication, l'organe central du PCF a été successivement saisi, suspendu et interdit.
 
Dans l'après-midi du 25 août, la police s'est présentée à l'imprimerie du journal où elle a procédé à la saisie de l'Humanité du 26 août 1939 (édition de province) et empêché la préparation de l'Humanité du 26 août 1939 (édition parisienne). 
 
Le lendemain, le quotidien communiste a été suspendu par un arrêté du ministre de l'Intérieur, Albert Sarraut, radical-socialiste. Cet arrêté avait pour base juridique le décret-loi du 24 août 1939 autorisant la suspension de tout journal dont "la publication est de nature à nuire à la défense nationale". La saisie et la suspension de l'Humanité étaient fondées sur un même motif : le soutien du quotidien communiste au Pacte germano-soviétique. 
 
Dernier élément, le journal est entré dans le champ d'application du décret-loi de dissolution du PCF du 26 septembre 1939 interdisant en son article 3 toute publication communiste. 
 

Partie III
Négociations communo-nazies
des 18, 19 et 20 juin 1940

18 juin 1940

Le 18 juin 1940, Maurice Tréand organise une réunion dans un immeuble située au 12, avenue de l'Opéra. Sont présents à cette réunion : Jean Catelas, dirigeant communiste resté à Paris à la demande de Frachon pour mener l'action du Parti dans la région parisienne, et quatre militants dont Denise Ginollin.

Le dirigeant communiste leur annonce qu'il faut obtenir des Allemands l'autorisation de faire paraître l'Humanité. Il avance deux motifs pour justifier la démarche : une instruction de l'Internationale communiste et l'exemple de la presse communiste qui est autorisée dans les pays occupés par l'armée allemande (Belgique, Norvège et Danemark).

Après cette réunion, Maurice Tréand confie à Denise Ginollin la mission d'obtenir du service de presse de la Kommandantur l'autorisation de publier l'Humanité en lui précisant qu'elle doit mener cette démarche au nom des communistes parisiens.

Le choix d'une militante agissant de surcroît au nom de responsables régionaux doit préserver la direction centrale de toute compromission. Autre intérêt de ce choix : masquer aux Allemands la présence de dirigeants communistes dans la capitale.

A son premier contact avec la Propaganda Staffel Frankreich, située au 12 boulevard de la Madeleine, Denise Ginollin n'obtient aucune réponse. On l'invite simplement à revenir le lendemain.

C'est donc le mardi 18 juin 1940, jour de l'Appel du Général de Gaulle, que débute la première négociation entre le Parti communiste et les nazis avec pour objet la reparution de l'Humanité.

On peut aussi constater qu'elle commence avant même la signature de l'armistice et donc l'arrêt des combats.

Négocier avec les envahisseurs allemands avant même la fin des hostilités est une preuve incontestable de... la Résistance communiste.


L'Humanité du mercredi 19 juin 1940

Pour assurer le succès de l'entrevue du lendemain, les communistes décident de préparer un numéro modèle de l'Humanité légale : l'Humanité du mercredi 19 juin 1940.

Composé d'un "communiqué officiel allemand" et de six articles ("Vive Paris", "Il faut libérer les défenseurs de la paix", "Le nouveau gouvernement", "Négociations de paix", "Vive l'URSS", "Dans les communes de banlieue"), ce numéro zéro approuve la démarche du Maréchal Pétain de négocier un armistice avec Hitler ("Nous prenons acte"), dénonce les "banquiers de la Cité de Londres" dont la tutelle sur les dirigeants français explique l'entrée en guerre de la France, demande la libération des "défenseurs de la Paix et ennemis du capitalisme" autrement dit des communistes, célèbre l'URSS comme "le pays du socialisme et de la paix" et enfin définit clairement le projet du Parti communiste : "Paix" avec l'Allemagne nazie (libération nationale), "fraternité des peuples" (fraternité franco-allemande) et "lutte contre le capitalisme" (libération sociale).

Précisons qu'il ne doit pas être confondu avec l'Humanité n° 56 du 19 juin 1940 qui appartient à la série régulière des Humanités clandestines

En totale conformité avec la ligne défendue par le PCF depuis le début du conflit, l'Humanité du mercredi 19 juin 1940 plaide pour la paix avec Hitler, fait l'éloge de la fraternité franco-allemande et condamne l'Angleterre : autant d'engagements politiques qui ne devraient pas heurter la censure allemande.

Autre élément devant permettre aux communistes d'obtenir une réponse positive des Allemands : la publication dans ce numéro d'un communiqué de la Wehrmacht.

Cette publication doit prouver leur bonne foi en montrant qu'ils acceptent non seulement de se soumettre aux règles fixées par les Allemands en matière de presse mais aussi de faire de l'Humanité légale un relais de leur propagande.

On pourra juger du patriotisme du PCF au cours de la guerre franco-allemande de 1939-1940 en signalant le fait suivant : l'Humanité clandestine a publié plus de communiqués allemands (1) que de communiqués français (0).


19 juin 1940

Le 19 juin 1940, comme prévu, Denise Ginollin se rend à la Kommandantur où elle est reçue cette fois par un officier : le lieutenant Weber.

Courtois, ce dernier écoute avec attention la requête formulée par la militante communiste. Dans sa réponse, il lui indique qu'en principe rien ne s'oppose à la publication de l'Humanité. Il ajoute qu'il ne peut se prononcer de son propre chef et lui demande en conséquence de se présenter le lendemain pour connaître sa décision.

Après cette entrevue positive, la militante communiste retrouve Maurice Tréand pour lui exposer la situation. Au cours de cette conversation, il est décidé de préparer un argumentaire pour la réunion du lendemain.

Rédigé par Denise Ginollin sous la dictée du dirigeant communiste, le document final se compose de neuf feuillets tirés d'un carnet. Outre l'affirmation que sa démarche est faîte au nom des communistes parisiens ("Nous sommes Paris" (1)), on retiendra de ce texte l'extrait suivant :

"2) Sommes communistes avons appliqué ligne PC sous Dal [Daladier] Ray [Reynaud] juif Mandel
Juif M [Mandel] après Dal [Daladier] nous a emprisonnés. Fusillé des ouvriers qui sabotaient défense nat [nationale]
Sommes PC français pas eu peur
3) pas cédé face dictature juif M [Mandel] et du défenseur des intérêts capitalistes anglais Raynaud  [Reynaud]
4) [...]
avons été d'accord avec pacte G S [pacte germano-soviétique]
notre lutte contre Bonnet, Dal [Daladier], Ray [Reynaud], Man [Mandel], cela a facilité votre victoire
notre défense du pacte
cela vous a avantagé
pour l'URSS nous avons bien travaillé par conséquent par ricochet pour vous". (2)
 
Cet extrait permet de connaître les principaux arguments devant convaincre les Allemands de légaliser l'Humanité.

1) la célébration du Pacte germano-soviétique. Le message est clair : les communistes et les nazis sont des... alliés. L'ouverture d'une négociation entre le PCF et les autorités d'occupation est donc tout à fait légitime.
 
2) la lutte héroïque des communistes contre la guerre menée par le Gouvernement Daladier puis celui de Reynaud, à laquelle vient s'ajouter la revendication du sabotage des fabrications de guerre. Encore un message clair. La contribution des communistes à la défaite de la France et à la victoire allemande mérite une récompense : l'autorisation de publier l'Humanité.

3) la dénonciation de Georges Mandel, dernier ministre de l'Intérieur dans le Gouvernement Reynaud, en soulignant sa qualité de "Juif". Le sens de cette dénonciation est évident : les communistes sont comme les nazis des victimes des Juifs.

4) la condamnation des alliés anglais. Le propos est explicite. Les communistes et les nazis combattent un même ennemi : l'impérialisme britannique.

Indiquons pour terminer que Maurice Tréand a noté dans son carnet un résumé succinct de l'argumentaire dans lequel on peut notamment lire : "2° Nous sommes communistes 9 mois morts prisons par les Juifs Mandel". (3)

(1) Jean-Pierre Besse, Claude Pennetier, Juin 40, la négociation secrète, 2006, p. 13.
(2) Ibid., p. 10.
(3) Sylvain Boulouque, L'affaire de l'Humanité, 2010, p. 192.


20 juin 1940

16 heures

Le 20 juin 1940, les deux parties se rencontrent brièvement le matin avant de se retrouver à 16 heures pour une réunion au cours de laquelle le lieutenant Weber annonce à Denise Ginollin que l'Humanité est autorisée à paraître.

Les arguments de la militante communiste ont dû être convaincants...

18 heures

A 18 heures, elle revient au service de presse de la Kommandantur pour lui soumettre un ensemble de textes que lui a confiés Maurice Téand.
 
Parmi ces textes : la maquette du premier numéro de l'Humanité légale.
 
Rédigée par Jacques Duclos, cette maquette se présente sous la forme d'un feuillet manuscrit dans lequel sont indiqués la disposition et le titre des six articles soumis à l'approbation des Allemands : "Vive l'Humanité", "Vive Staline", "Libération des communistes emprisonnés avec le nom des députés", "Travailleurs unis de l'Humanité", "Formez vos comités populaire", "Libérez les militants syndicalistes". Sur la forme, elle porte la mention "Organe central du Parti communiste français" autrement dit ce journal autorisé par la Propaganda Staffel sera sans aucune équivoque la tribune officielle du Parti communiste. Dernier élément, la manchette de ce premier numéro est une condamnation des responsables de la guerre : "Les responsables doivent être châtiés !". (1)

L'officier allemand n'est pas satisfait par le contenu de ce premier numéro et notamment par l'article "Vive Staline".

Cette célébration de l'allié d'Hitler contrevient en effet à l'un des engagements pris par Denise Ginollin à leur rencontre du 19 juin et renouvelé à celle du 20 juin : ne pas faire l'éloge de l'URSS.

On peut établir la réalité de cet engagement en s'appuyant sur l'argumentaire préparé par les communistes : "Je vous répète ce que je vous est dit si vous laissez [paraître] nous prenons engagement de ne pas faire l'éloge d'Hitler et URSS mais rien contre vous". (2)
 
On peut constater à la lecture de ce texte que les communistes s'engageaient à ne pas faire l'éloge d'Hitler (quel courage !), ni celui de Staline (quel sacrifice !) et le plus significatif à ne rien dire contre les Allemands (quel esprit de Résistance !)
 
Le lieutenant Weber conclut ses critiques en demandant des modifications. Denise Ginollin répond que ce n'est pas de sa responsabilité. Un nouveau rendez-vous est alors fixé : elle doit revenir à 22 heures avec les changements exigés.
 
Preuve des bonnes relations entre les deux parties, non seulement l'officier allemand lui délivre un laissez-passer pour qu'elle puisse circuler après le couvre-feu mais en plus il s'engage à l'attendre jusqu'à 23 heures.
 
20 heures 30

A 20 h 30 près du Métro Saint-Martin, Denise Ginollin rencontre comme prévu Maurice Tréand et Jeanne Schrodt pour faire le point sur les négociations.

C'est à ce moment qu'ils sont arrêtés par des policiers français qui les soupçonnent de vouloir faire reparaître l'Humanité et d'avoir de ce fait enfreint deux textes de loi. Tout d'abord, le décret-loi du 24 août 1939 en vertu duquel le journal communiste a été suspendu le 26 août 1939 par un arrêté ministériel. Ensuite, le décret de dissolution du PCF du 26 septembre 1939 qui proscrit la diffusion de toute publication communiste.

Ce sont les démarches entreprises tant auprès de l'imprimeur Dangon que des Allemands qui ont suscité ces soupçons.

Avant d'être interpellée, Denise Ginollin tente de se débarrasser de deux documents : l'Humanité du mercredi 19 juin 1940 qu'elle a déchiré, et un exemplaire du tract "Il y a des comptes à régler".

Ces deux documents, dont l'un est en morceaux, sont récupérés par les policiers. Ils feront l'objet d'un PV de saisie particulier. Ils serviront de base à une seconde accusation : une diffusion de tracts communistes.

23 heures

A 23 heures, sans nouvelles de la représentante du PCF, le lieutenant Weber, passé le délai d'une heure qu'il a accordé, informe l'Etat-major que l'Humanité ne paraîtra pas le lendemain :

"Le 20 juin à 23 heures, l'envoyé de l'Humanité n'ayant pas présenté les modifications demandées, ce journal ne paraîtra pas le 21 juin". (3)

C'est donc l'intervention de la police française qui a empêché la parution du premier numéro de l'Humanité sous censure allemande !!!

(1) J.P. Besse, C. Pennetier, Juin 40, la négociation secrète, 2006, p. 50.
(2) Ibid., p. 11
(3) Ibid., p. 57.

Intervention d'Abetz
 
Le 21 juin 1940, les trois suspects et une quatrième personne arrêtée le jour même, Valentine Grunenberger, sont auditionnés par le commissaire Lafont. Le lendemain, sur la décision du Juge Pihier, Maurice Tréand et les trois militantes sont incarcérés respectivement à la Santé et à la Petite Roquette.

Cette opération policière est évoquée dans Le Matin du 22 juin 1940 :
 
Arrestations à Paris de responsables communistes

La préfecture de police ayant constaté une tentative de regroupement de quelques éléments du parti communiste dissous et un début de diffusion d'un tract révolutionnaire, a ouvert immédiatement une enquête qui a amené l'arrestation de :
Maurice Treand, responsable de la commission des cadres de l'ex-parti communiste français;
Denise Reydet, femme Ginollin, du comité mondial des femmes;
Jeanne Lacloche, femme Schrodt;
Valentine Roux, femme Grunenberger.
Les inculpés ont été mis aussitôt à la disposition de la justice.
 
Les quatre staliniens sont libérés le 25 juin à la suite d'une intervention... d'Otto Abetz qui a été sollicitée par l'avocat communiste de Maurice Tréand, Me Robert Foissin. En contrepartie de cette intervention, le représentant d'Hitler en France a manifesté le désir de rencontrer le dirigeant communiste pour discuter de la question de l'Humanité avec l'ambition d'engager de plus larges négociations...
 
Le 26 juin, le Parti communiste ayant accepté de satisfaire la demande allemande, Maurice Tréand se rend à l'ambassade d'Allemagne pour conférer avec Otto Abetz. Il est accompagné d'un autre membre du Comité central : Jean Catelas. Etaient aussi présents à la réunion : Me Foissin et Denise Ginollin. 
 
Première rencontre entre un officiel allemand et... deux dirigeants communistes, cette réunion du 26 juin 1940 marque le début de la seconde négociation entre le PCF et les nazis. Encore une preuve de... la Résistance communiste.


Publication clandestine
de l'Humanité du mercredi 19 juin 1940

C'est dans ce contexte favorable (libération de Tréand, reprise des négociations) que le Parti communiste décide de diffuser clandestinement l'Humanité du mercredi 19 juin 1940.

Portant le n° 57, cette édition est distincte de l'Humanité n° 57 du 24 juin 1940 qui appartient à la serie régulière des Humanités clandestines.
 
La diffusion de ce numéro reproduisant un communiqué allemand est attestée par une militante communiste, Yvonne Rosé, et un dirigeant communiste, Arthur Dallidet.

Dans une lettre datée du 15 septembre 1940, Yvonne Rosé écrit qu'elle a été provisoirement relevée de ses fonctions pour avoir critiqué la diffusion d'une "Huma, N° 57 du mercredi 19 juin portant au recto « Communiqué allemand, sur l'ordre de l'autorité allemande »" (1).

Adjoint de Maurice Tréand à la Commission des cadres, Arthur Dallidet a quitté Paris avec Benoît Frachon au début du mois de juin. Après le rétablissement d'une liaison avec la direction du Parti, les deux dirigeants ont été informés des négociations avec les Allemands. Ils sont revenus dans la capitale au mois d'août.

Arthur Dallidet mentionne le numéro de l'Humanité avec un communiqué allemand dans ses rapports des 18 octobre 1940 et  26 février 1941 adressés à Jacques Duclos.

Dans le premier, le dirigeant communiste expose les raisons pour lesquelles il ne peut plus travailler avec Maurice Tréand.

Exemple des tensions entre les deux hommes, il relate sa première conversation avec son camarade à la mi-août au cours de laquelle ce dernier a vivement critiqué son attitude et notamment son questionnement concernant les négociations avec les Allemands :

"[Dallidet] — « Bien, mais je crois qu'il vaudrait mieux que nous ayons une discussion politique sur l`ensemble de tous ces problèmes. »
[Tréand] — « Tu n'es pas d'accord avec la politique du Parti  ? »
[Dallidet] — « Si, mais je serais heureux qu'on éclaircisse toutes les histoires que votre courrier a raconté (sic) des relations avec Abetz, du numéro de l'Huma avec le communiqué officiel allemand et ces histoires de Foissin avec son gouvernement populaire. »
[Tréand] — « On l`aura cette discussion, je te le promets, et quelle discussion ! »" (2)

Responsable de la Commission des cadres en remplacement de Maurice Tréand qui a été écarté, Arthur Dallidet met en cause l'action de son prédécesseur dans son rapport du 26 février 1941.

Dans ce rapport, il formule une série de critiques à l'encontre de son camarade et notamment - point C - la diffusion après sa sortie de prison d'un numéro de l'Humanité reproduisant un "communiqué allemand" :

"C. Tirage d'un numéro de l'Huma avec le communiqué allemand. Odette m'a dit en septembre : « Ah, c'est le numéro que Simon [pseudonyme de Maurice Tréand] a fait sortir à sa libération »." (3)

(1) Raymond Bourderon, La négociation. Eté 1940 : crise au PCF, 2001, p. 232.
(L'ouvrage reproduit la lettre datée du 15/9/40 qu'Yvonne Rosé a rédigée à la demande de son responsable. Elle écrit que quelques jours après son retour à Paris le 25 juin 1940 un camarade lui a remis "une Huma, N° 57 du mercredi 19 juin portant au recto « Communiqué allemand, sur l'ordre de l'autorité allemande »". Elle a alors exprimé son "désaccord complet" avec cette initiative. Elle mentionne aussi sa suspension de toute activité militante pendant un mois en estimant qu'elle est due, au vu de la chronologie des faits, à ce commentaire critique et non à son absence de Paris pendant 10 jours, motif avancé pour justifier cette sanction.)
(2) Ibid. p. 205.
(3) Ibid. p. 220.


Approbation de l'IC

Dans son rapport du 30 juin 1940, Jacques Duclos rend compte dans le détail de son action à la tête du Parti depuis son arrivée dans la capitale le 15 juin.
 
Il fait état notamment des négociations des 18, 19 et 20 juin, de l'arrestation de ses camarades, de leur libération par les Allemands et des pourparlers qui ont repris le 26 juin avec une rencontre à l'ambassade d'Allemagne entre Otto Abetz et une délégation communiste composée de Denise Ginollin, de Robert Foissin, avocat, et de deux membres du Comité central : Maurice Tréand et Jean Catelas.

Ce rapport sera suivi de ceux plus succincts des 3 et 6 juillet 1940. Seront aussi envoyés à Moscou un exemplaire de chaque tract diffusé par les communistes au cours de cette période et même une copie de l'Humanité du mercredi 19 juin 1940. Cette copie sera reproduite dans un document interne de l'IC daté du 19 juillet 1940.

Sur la base de ces documents décrivant avec précision l'action des communistes français, l'Internationale communiste adoptera une Directive le 19 juillet 1940 qui sera envoyée le lendemain dans un télégramme signé par Georges Dimitrov, secrétaire général de l'IC, et Maurice Thorez, secrétaire général du PCF.

Dans ce télégramme du 20 juillet 1940, l'IC adresse un satisfecit à la direction du Parti communiste :

"Reçu vos matériaux jusqu'au six juillet. Considérons juste ligne générale.
Indispensable redoubler vigilance contre manœuvres des occupants. Etait juste entreprendre démarches pour obtenir presse légale, mais entrevue avec Abetz faute, car danger compromettre parti et dirigeants." [...]
Juste utiliser toutes possibilités légales, mais en renforçant organisations illégales" (1)

Dans ce texte, Dimitrov et Thorez approuvent sans aucune équivoque la démarche engagée par les communistes auprès des autorités allemandes pour obtenir la légalisation de l'Humanité : "Etait juste entreprendre démarches pour obtenir presse légale".

Sont donc validées par Moscou la première négociation entre Denise Ginollin et le lieutenant Weber ainsi que la seconde qui a débuté le 26 juin 1940. La seule critique ("faute") porte sur l'entrevue que Maurice Tréand et Jean Catelas ont eue avec Otto Abetz. Pour l'IC, les dirigeants communistes ne doivent pas participer à ces négociations. Leur présence est une compromission.

Autre élément d'intérêt, l'IC renouvelle la recommandation portant sur une activité légale communiste : "Juste utiliser toutes possibilités légales".
 
(1)  B.Bayerlein, M. Narinski, B. Studer, S. Wolikow, Moscou, Paris, Berlin. Télégrammes chiffrés du Komintern, 1939-1941, 2003, p. 265.


Partie IV
L'Humanité du mercredi 19 juin 1940

Communiqué officiel allemand

L'Humanité du mercredi 19 juin 1940 présente la particularité de reproduire sous le titre "Le COMMUNIQUE OFFICIEL ALLEMAND publié par ordre de l'autorité militaire allemande" un extrait du communiqué allemand paru la veille dans la presse autorisée ( Le Matin du 18 juin 1940") :

"L'armée française, dont la résistance est rompue, se retire en se décomposant vers le Sud et le Sud-Ouest, suivie de près par les troupes allemandes. La ville d'Orléans a été occupée et une tête de pont s'est formée sur la rive gauche de la Loire. (Des) colonnes françaises battant en retraite ont été bombardées par l'aviation allemande sur de nombreux pont de la Loire.
Les troupes allemandes avançant en Bourgogne et par Langres ont gagné du terrain vers le Sud.
Au Sud-Est de Besançon, la frontière suisse à été atteinte. Les troupes allemandes se rapprochent de St-Mihiel."

"Ordre de l'autorité militaire allemande", "communiqué officiel allemand", publication dudit communiqué, autant d'éléments devant prouver aux Allemands la bonne volonté des communistes et leur acceptation de faire de l'Humanité légale un relais de leur propagande.

Dans le cas présent l'Humanité rend compte de l'avancée des troupes allemandes et de la décomposition des armées françaises.

Dernier élément, on notera - quel ironie ! - que c'est en reproduisant un "communiqué officiel allemand" que l'Humanité utilise pour la première fois le mot "résistance"


Ligne politique de l'Humanité légale

Célébration du Peuple de Paris, l'article "Vive Paris" revient sur l'action héroïque de l'Humanité candestine avant de définir les objectifs et les mots d'ordre de l'Humanité légale :

"PARIS, notre grand Paris, est occupé par l'armée allemande. Le peuple de notre capitale, fier, digne et calme dans le malheur, sait pourquoi et comment des gouvernements criminels nous ont conduits là, par haine du peuple, par soumission aux volontés des oligarchies capitalistes
« L'HUMANITE » interdite en août dernier par un des principaux responsables de la guerre, Daladier, mais qui en dépit de tout, a continué clandestinement, en pleine guerre, sa lutte pour la paix et contre les puissances d'argent, fait entendre à nouveau sa voix pour dire qu'il faudra châtier les responsables des malheurs de notre pays, qu'il faudra faire rendre gorge aux profiteurs de guerre pour soulager les misères du peuple et pour reconstruire notre France.
Notre drapeau, c'est le drapeau de la paix, celui de la lutte contre le capitalisme, celui de la fraternité des peuples et tout cela c'est la pensée profonde de notre grand Paris."

1) Célébration du Peuple de Paris

Article central de l'Humanité du 19 juin 1940, l'article "Vive Paris" s'adresse au peuple de Paris.

Ce choix s'explique principalement par le fait que Denise Ginollin s'est présentée aux Allemands comme une représentante des communistes parisiens.

2) Numéro modèle de l'Humanité légale

Comme le communiqué allemand, l'affirmation que "L'Humanité [...] fait entendre à nouveau sa voix" constitue une preuve interne que l'Humanité du 19 juin 1940 a été préparée dans le but de servir de numéro modèle à l'Humanité légale.

3) Objectifs de l'Humanité clandestine

Interdite par le Gouvernement Daladier à la fin d'août 1939 pour son soutien au Pacte germano-soviétique, l'Humanité a publié le 26 octobre 1939 son premier numéro clandestin.

Dans ce numéro le journal communiste plaidait pour la Paix et la destruction du régime capitaliste :

"Contre la dictature Daladier il importe de sceller l'union des travailleurs autour du Parti Communiste, ce Parti plus vivant que jamais, décidé au combat pour le socialisme libérateur qui mettra bas le capitalisme fauteur de misère et de guerre.
EN AVANT, PEUPLE DE FRANCE, POUR LE PAIN, LA PAIX, LA LIBERTE !"

C'est donc sans surprise que l'article "Vive Paris" affirme que l'Humanité "a continué clandestinement, en pleine guerre, sa lutte pour la paix et contre les puissances d'argent".

4) Objectifs de l'Humanité légale

Prolongeant le combat de l'Humanité clandestine, l'Humanité légale s'engage à défendre la "Paix" (libération nationale), "la "lutte contre le capitalisme" (libération sociale) et la "fraternité des peuples" (fraternité franco-allemande).

On peut supposer que la censure allemande se montrera plus favorable à ces thèmes que ne l'aurait été la censure française si l'Humanité n'avait pas été interdite..

5) Mots d'ordre

L'article fait aussi référence aux mots d'ordre que l'Humanité légale lancera à court terme compte tenu de ses objectifs (Paix et révolution socialiste) et de la situation (négociation d'armistice) : "châtier les responsables de la guerre" et "faire rendre gorges aux profiteurs de guerre".

Illustration de cet engagement, la maquette manuscrite du premier numéro de l'Humanité légale porte la manchette suivante : "Les responsables doivent être châtiés !".

Dernier élément, on pourra montrer le rôle de Jacques Duclos en s'appuyant sur un texte saisi sur Denise Ginollin le jour de son arrestation.

Rédigé par le dirigeant communiste, ce texte décrit la situation de la France ainsi que les réactions de la population avant de définir l'action du Parti communiste. Concernant le contenu de la propagande communiste, le chef du Parti écrit :

"Nos trois thèmes de propagande :
Châtier les responsables
exproprier les capitalistes
faire un vrai gouvernement de la France" (3)

On notera qu'il ne fait aucune référence aux Allemands. Un oubli sûrement...

(1) Jean-Pierre Besse, Claude Pennetier, Juin 40, la négociation secrète, 2006, p. 109.


Soutien à la demande d'armistice

Dans l'article "Le nouveau gouvernement", l'Humanité du mercredi 19 juin 1940 apporte son soutien à la demande d'armistice en citant le Maréchal Pétain et en rappelant l'initiative pacifiste prise par les députés communistes à la fin de la Campagne de Pologne : 

"Tous les hommes qui constituent le gouvernement portent, à des titres divers, la responsabilité de la politique qui a conduit la France à la guerre, à la catastrophe. Le maréchal Pétain a dit qu'il faut tenter de cesser le combat. Nous prenons acte, mais le peuple prendra acte aussi du fait que si, en septembre dernier les propositions des députés communistes avaient été retenues, nous n'en serions pas où nous en sommes.
Les députés communistes qui, en septembre proposaient une paix qui auraient laissé intactes la puissance et l'économie française, en même temps qu'elle aurait épargné bien des vies humaines et des destructions, furent jetés en prison et aujourd'hui ceux qui ont fait cette criminelle besogne sont acculés à la paix après la défaite."

Concernant la citation du Maréchal Pétain - "il faut tenter cesser le combat" - on précisera qu'elle n'est pas tirée du discours prononcé par le président du conseil le 17 juin 1940 mais de celui publié dans la presse du lendemain. En effet, le texte remis à la presse a été modifié sur un point particulier : la phrase "il faut cesser le combat" du discours original a été remplacé par "il faut tenter de cesser le combat". Cette initiative du ministre des Affaires étrangères Paul Baudouin a été motivée par le constat que certaines unités avaient interprété le message du Maréchal Pétain comme un appel à déposer les armes.

Quant à l'initiative pacifiste des députés communistes, elle fait référence à la lettre du 1er octobre 1939 dans laquelle ils demandaient au président de la Chambre, Edouard Herriot, d'organiser un vote du Parlement en faveur d'une "paix juste, loyale et durable".

Cette initiative a justifié l'ouverture d'une procédure judiciaire qui a abouti à la tenue d"un procès en mars-avril 1940 et à leur condamnation à des peine de prison ferme.


Demande de libération
des "défenseurs de la paix"

L'Humanité du mercredi 19 juin 1940 appelle les autorités allemandes à libérer "les défenseurs de la paix" :

IL FAUT LIBERER LES 
DEFENSEURS DE LA PAIX

Depuis des mois, des hommes et des femmes sont emprisonnés pour avoir défendu la paix; des députés communistes illégalement déchus de leur mandat sont en prison pour avoir "prôné la paix" comme l'indiquait l'acte d'accusation et, pendant ce temps, les Daladier, les Reynaud et les Mandel sont en liberté, eux qui devraient être sous les verrous parce qu'ils ont conduit la France à l'abîme.
Nous demandons la libération des défenseurs de la paix et ennemis du capitalisme que les fauteurs de guerre ont emprisonnés.
Liberté, LIBERTE pour les hommes de la paix.

Ces "défenseurs de la Paix" sont les élus et militants communistes qui ont été condamnés par les tribunaux de la République entre septembre 1939 et juin 1940 pour leur engagement en faveur de la Paix avec l'Allemagne nazie, ainsi que ceux qui pour les mêmes motifs ont été internés administrativement sur la base du décret-loi du 18 novembre 1939 relatif aux mesures à prendre à l'égard des individus dangereux pour la défense nationale.

Le texte fait d'ailleurs référence aux 44 députés communistes condamnés en avril 1940 à des peines de prison "pour avoir prôné la paix" dans une lettre remise au président de la Chambre le 2 octobre 1939.

A l'inverse, l'Humanité estime que "les fauteurs de guerre" qui soutenaient l'intervention contre l'Allemagne nazie doivent être incarcérés. Le journal communiste cite nommément Edouard Daladier, président du Conseil d'avril 1938 à mars 1940, Paul Reynaud, qui lui a succédé avant d'être remplacé par le Maréchal Pétain en juin 1940, et enfin Georges Mandel, ministre des Colonies d'avril 1938 à mai 1940 puis de l'Intérieur jusqu'au 16 juin 1940 et la démission du Gouvernement Reynaud.

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Au cours de leur invasion de la France, les Allemands ont pris l'initiative de libérer dans les territoires passés sous leur contrôle les défaitistes emprisonnés. C'est ainsi qu'ont été libérés des centaines de militants communistes condamnés "pour avoir prôné la paix" avec l'Allemagne nazie.

Plusieurs documents communistes de l'été 1940 attestent de ces libérations massives :

1) Rapport de Jacques Duclos du 30 juin 1940 adressé à l'IC :

"Les camarades du Parti qui étaient en prison à Lille furent libérés au moment de l’occupation allemande, d’autres camarades qui étaient à Fresnes en prévention ont été également libérés, mais nous n’avons pas encore de nouvelles des députés qui sont à Angers et nous faisons intervenir les avocats pour obtenir leur libération". (1)

Député de la Seine et secrétaire du Parti communiste, Jacques Duclos s'est réfugié en Belgique en octobre 1939 à la suite de la dissolution du Parti communiste et de la procédure engagée par la justice militaire contre le groupe parlementaire communiste. En relation avec l'antenne de l'IC installée à Bruxelles, il a dirigé une direction du Parti communiste qui doublait celle dirigée clandestinement en France par Benoît Frachon. Cette direction belge a été un véritable centre d'imprimerie pour la propagande communiste.

A la suite de l'offensive allemande de mai 1940, l'IC a demandé à Jacques Duclos et à son équipe de se replier sur la France. Ce dernier n'a été en mesure de quitter Bruxelles que le 14 juin 1940. Il est arrivé le lendemain à Paris où il a pris la direction du Parti communiste clandestin en raison du départ de Benoit Frachon qui avait décidé avec les membres de sa direction de quitter la capitale avant l'arrivée des troupes allemandes.

Le 30 juin 1940, Jacques Duclos a rédigé à l'attention de l'IC un long et détaillé rapport sur les activités du Parti communiste depuis sa prise de fonction.

Dans l'extrait tiré de ce rapport, il indique que les militants communistes incarcérés à la prison de Lille (en fait à la prison de Loos qui est située en périphérie de Lille) ont été libérés par les Allemands qui sont entrés dans la capitale du Nord au début de juin 1940. Il ajoute que les communistes incarcérés en préventive à la prison de Fresnes en région parisienne ont bénéficié de la même mesure.

Concernant Lille, Jacques Duclos tenait ces informations de Maurice Tréand avec lequel il avait quitté Bruxelles et qui avant ce départ avait fait un aller-retour à Lille dans la première décade de juin pour réorganiser une direction régionale du PCF autour de Martha Desrumeaux.

Quant à Fresnes, on pourra compléter le rapport de Duclos en citant un extrait d'un mémorandum de Robert Foissin du 7 novembre 1944 dans lequel cet avocat communiste qui a participé aux négociations de l'été 1940 relate d'une part le succès de son intervention auprès des Allemands pour faire libérer quatre de ses camarades (Maurice Tréand, Jeanne Schrodt, Denise Ginollin, Valentine Grunenberger) qui avaient été arrêtés les 20 et 21 juin 1940 par le police française et d'autre part la libération de tous les communistes enfermés à Fresnes et dans deux prisons parisiennes, la Santé et la Petite-Roquette (prison pour femmes) :

"Le 25 juin au matin, je revois Picard [avocat français au service d'Abetz] qui m'assure que mes camarades seront libérés dans la journée [...]. De fait, dans la journée, sont libérés non seulement ces quatre militants [Tréand, Schrodt, Ginollin, Grunenberger] mais encore tous ceux qui avait été poursuivis ou condamnés depuis septembre 1939 pour avoir défendu le pacte germano-soviétique et qui se trouvaient soient détenus soit à Fresnes, soit à la Santé, soit à la Petite-Roquette." (2)

2) Rapport de Jacques Duclos du 18 juillet 1940 adressé à l'IC :

"D’ailleurs dans le département de la Somme le travail du Parti est en avance sur d’autres départements pour les raisons suivantes : au moment de l’avance des allemands la ville d’Amiens qui a été très éprouvée, comme nous avons pu nous en rendre compte fut complètement évacuée ou presque; il ne restait que la prison où étaient enfermés des camarades de différents coins du département, les gardiens de la prison étaient partis et nos camarades furent libérés par les troupes d’occupation après quoi ils se trouvèrent à pied d’œuvre pour s’occuper du ravitaillement des secours etc." (3)

Dans son rapport à l'IC du 18 juillet 1940, Jacques Duclos indique que les militants communistes détenus à la prison d'Amiens ont été libérés par les Allemands en juin 1940.

3) Instructions de juillet 1940 :

"CE QUI EN RESULTE . — Le P.C. n'est plus tout à fait illégal. Il est semi-illégal.

Exemple : Des distributeurs de tracts, arrêtés par la police française, sont relâchés le lendemain après intervention de la Kommandantur. Les prisonniers politiques, dans les régions occupées, sauf toutefois tous les députés, sont libérés par les troupes allemandes en même temps que les membres de la cinquième colonne emprisonnés."

En juillet 1940 - soit un mois après la signature de l'armistice franco-allemand - le Parti communiste a diffusé des Instructions dans lesquelles il mentionnait que les militants communistes ("prisonniers politiques") détenus dans "les régions occupées" avait été été libérés par les Allemands.

On pourra citer en exemple la libération en juin 1940 d'une quarantaine de militants communistes incarcérés à la prison de Tours en s'appuyant sur le témoignage d'Yvonne Bertho publié en 1970 dans "Debout, Partisan !" :

"« Le lendemain, première surprise : on me demande au parloir.
Deuxième surprise : c'était Lucien Terrion !
Troisième surprise : « L'Allemand qui t'a interrogée, me dit-il, est un communiste. Ne crains rien : vous allez sortir. Dis seulement aux camarades qui sont avec toi de répondre, lorsqu'on les interrogera, qu'elles sont en prison pour avoir défendu le pacte germano-soviétique. Cela aidera à vous faire libérer. »
Tout s'est passé comme Lucien me l'avait dit, effectivement. A 2 heures, on nous a fait appeler. L'officier allemand était là, avec un homme en civil qui devait être policier. On nous a demandé ce que nous ferions si on nous laissait sortir. Nous avons répondu que nous rentrions chez nous et que nous retournerions travailler. On nous a demandé : quels faits vous reproche-t-on ? nous avons répondu : d'avoir eu en mains des tracts défendant le pacte germano-soviétique. Dans l'après-midi nous étions libres, une quarantaine, hommes et femmes. »" (4)

L'affirmation selon laquelle l'officier de la Wehrmacht était en fait un communiste allemand venu libérer ses camarades doit-elle conduire à penser que cette libération était en fait une évasion ?

Dans tous les cas, on notera la subtilité du plan d'évasion consistant à dire la vérité à savoir que ces militants communistes avait été emprisonnés pour avoir soutenu l'alliance germano-soviétique et en conséquence défendu la Paix avec l'Allemagne.

Preuve que la libération des communistes par l'envahisseur allemand est un sujet délicat, le livre de deux historiens communistes publié en 2006 - Juin 1940, la négociation secrète - dans lequel il est affirmé qu'Yvonne Berto a été libérée... avant l'arrivée des Allemands :

"Yvonne Bertho, secrétaire du député maire de Malakoff fut « incarcéré à la prison de Tours (Indre-et-loire) est libérée le 30 mai 1940, avant l'arrivée des Allemands (14) »". (5)

4) Tract "Les Deux France" d'août 1940 :

"Dans la France de VICHY, des députés communistes condamnés pour avoir, dans une lettre adressée le 1er Octobre 1939 au Président de la Chambre, réclamé la conclusion de la paix, sont toujours emprisonnés au Puy (Haute Loire). Parmi ces emprisonnés se trouvent : Florimond Bonte, Billoux, Costes, Croizat, Barel, Berlioz, etc. 
Dans la France de PARIS, des militants communistes ont été libérés au début de l’occupation, mais les députés communistes et militants syndicaux internés à l’île de Noirmoutiers et à l’île d’Yeu, sont toujours internés. Parmi ces internés se trouvent, Jean Duclos, aveugle de guerre, Félix Brun, amputé des deux jambes, mutilé de guerre, Dadot, Renaud Jean, blessé de guerre, Racamond, Becker, Finck, Henry Raynaud, etc.
Dans la France de VICHY, des militants communistes, pour avoir lutté courageusement contre la guerre, qui a conduit la France à la catastrophe, sont toujours emprisonnés.
Dans la France de PARIS, des conseillers municipaux de la capitale, Frot, Le Gall, des militants syndicaux, Pierre Semard, Tournemaine, etc., sont toujours à la prison de Bourges.
Dans la France de VICHY, on continue à poursuivre les communistes parce que les facteurs [fauteurs] de guerre, les responsables du désastre ne leur pardonnent pas d’avoir vu clair et d’avoir eu le courage de faire entendre, en pleine guerre, la voix de la vérité, la voix de la raison.
Dans la France de PARIS, en exécution d’une ordonnance du 20 Juin, des communistes sont emprisonnés pour avoir diffusé la lettre des députés communistes en faveur de la paix, cette lettre que les ploutocrates ne leur ont jamais pardonnée." (6)

Diffusé en août 1940, le tract "Les deux France" met en évidence qu'il n'y a aucune différence entre "la France de PARIS" et "la France de VICHY".

Dans l'extrait cité, le PCF dénonce le maintien en détention dans les deux zones de ses élus et militants condamnés pour leur pacifisme pendant la guerre franco-allemande. Il reconnait toutefois que "des militants communistes ont été libérés au début de l’occupation". Il dénonce aussi la poursuite dans les deux zones de la répression des activités communistes en soulignant que dans la "France de PARIS" des militants communistes ont été arrêtés parce qu'ils diffusaient "la lettre des députés communistes en faveur de la paix" (Lettre du 1er octobre 1939) et que dans "la France de VICHY" les militants communistes sont incarcérés parce que "les fauteurs de guerre" ne leur pardonnent pas leur pacifisme. Les communistes ne sont donc pas réprimés pour leur engagement dans la Résistance à l'occupation allemande mais pour leur pacifisme.

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La libération des militants et élus communistes et la mise en accusation des responsables de la guerre ont été deux revendications récurrentes de la propagande communiste et notamment de l'Humanité.

Elles ont même été formulées dans deux numéros de journaux communistes soumis à la censure allemande.

Le premier, c'est l'Humanité du mercredi 19 juin 1940 soumis au visa de la Kommandantur le 20 juin 1940 alors que les armées françaises étaient toujours engagées dans des combats contre la Wehrmacht.

Le second, c'est  Ce Soir n° 1 du 8 juillet 1940. Dans ce numéro, qui n'a finalement pas été autorisé, était reproduit un article intitulé... "Amnistie générale" avec le sous-titre suivant :

"Libération immédiate de tous les détenus et internés politique.
Abrogation des décret-lois Daladier-Mandel-Reynaud 
Mise en accusation et arrestation de tous les responsables de la répression" (7)

Ces deux revendications étaient conformes à la ligne fixée par Jacques Duclos. Cette ligne a d'ailleurs été formalisée dans son rapport à l'IC du 30 juin 1940 avec l'ébauche d'un "programme revendicatif" dans lequel étaient inscrites les deux mesures suivantes :

"Libération de tous les défenseurs de la paix, communistes et autres, jetés en prison ou internés dans les camps de concentration pour avoir combattu la guerre.
Mis en accusations et jugement public des responsables de la guerre et de tous ceux qui, a la faveur de la guerre ont assassiné des défenseurs de la paix." (8)

Dans les négociations qu'il a engagées avec la puissance occupante à l'été 1940, le Parti communiste a évoqué la libération des "défenseurs de la Paix" détenus dans les zones occupée et non-occupée avec d'autant plus d'espoir d'obtenir satisfaction que des centaines d'entre eux avaient déjà été libérés.

Précisons que les communistes ont demandé aux Allemands de faire libérer leurs camarades incarcérés dans les prisons de Vichy car ils considéraient que le Maréchal Pétain était leur créature.
 
Enfin, on mentionnera qu'après le 22 juin 1941 et l'invasion de l'URSS par les armées allemandes, les communistes détenus dans les prisons et dans les camps n'ont plus été célébrés comme les "défenseurs de la Paix".

(1) Cahiers d'histoire de l'institut de recherches marxistes, Le PCF et l'Internationale de la guerre à l'effondrement de la France, n° 52-53, 1993, p. 194.
(2) Francis Crémieux, Jacques Estager, Sur le Parti 1939-1940, 1983, p. 354.
(3) Cahiers d'histoire de l'institut de recherches marxistes, Le PCF et l'Internationale de la guerre à l'effondrement de la France, n° 52-53, 1993, pp. 217-218
(4) Claude Angeli, Paul Gilet, "Debout, Partisan !", 1970, pp. 47-48.
(5) Jean-Pierre Besse, Claude Pennetier, Juin 40, la négociation secrète, 2006, p. 114.
[La note 14 indique "Information Maitron". Il s'agit de la fiche biographique d'Yvonne Bertho publiée dans le Maitron, un dictionnaire biographique du mouvement ouvrier. Le rédacteur de cette fiche est... Jean Pierre Besse, l'un des auteurs  de Juin 40, la négociation secrète.] 
(6) Cahiers d'histoire de l'institut de recherches marxistes, Le PCF 1938-1941, n° 14, 1983. pp. 175-177.
(7) Ibid. p. 171.
(8) Cahiers d'histoire de l'institut de recherches marxistes, Le PCF et l'Internationale de la guerre à l'effondrement de la France, n° 52-53, 1993, p. 197.


Partie V
Les révélations de Raymond Tournoux

Journal Secret

Dans Journal secret, ouvrage publié en 1975, Raymond Tournoux, directeur politique de Paris Match, revient sur les événements marquants de l'année 1974 en France et dans le monde pour les éclairer avec des témoignages, des confidences et même des documents inédits.

Au nombre des événements évoqués, celui du 12 novembre 1974 est annoncé avec ce titre : "La vérité sur la demande de reparution de l'Humanité en juin 1940" (1).

Partant d'un vif échange ce jour-là au Sénat entre le sénateur communiste, Jacques Duclos, et le ministre l'Intérieur, Michel Poniatowski, au cours duquel a été évoqué la tentative de reparution de l'Humanité en juin 1940, l'auteur révèle qu'il a connaissance depuis quelques années du contenu du dossier d'instruction de cette affaire, se propose de publier les principales pièces de ce "dossier historique" (2) qui serviront de base à sa description de la négociation des 18, 19 et 20 juin 1940 entre le PCF et les envahisseurs allemands et de ses suites à savoir l'arrestation puis la libération à la demande des Allemands des communistes impliqués dans cette démarche, et enfin indique qu'il a interrogé Jacques Duclos sur cette procédure judiciaire au cours d'un entretien qui a eu lieu le 15 octobre 1973.

(1) Raymond Tournoux, Jounal secret, 1975, p. 202.
(2) Ibid., p. 224.


Séance du Sénat
du 12 novembre 1974

Le 12 novembre 1974, se tient au Sénat un débat sur une question orale posée par le sénateur communiste Jacques Duclos, en réaction à des propos du ministre de l'Intérieur, Michel Poniatowski, qui a déclaré le 22 octobre devant l'association de la presse anglo-américaine que le Parti communiste était "un parti totalitaire et de caractère fascisant".

Dans son intervention, Jacques Duclos s'indigne d'une accusation qu'il juge d'autant plus insultante qu'elle vise un parti qui a payé un lourd tribut dans son combat contre l'hitlérisme entre 1940 et 1944.

Dans sa réponse, le ministre de l'Intérieur indique sur ce point particulier non seulement que le PCF n'a eu aucune activité de Résistance avant le 22 juin 1941 et l'invasion de l'URSS par les armées allemandes mais en plus qu'il s'est compromis avec l'occupant allemand en le sollicitant en juin 1940, avant même l'armistice, pour obtenir la reparution de l'Humanité :

"Certes, il y a eu de nombreux électeurs, sympathisants et militants communistes engagés dans la Résistance avant juin 1941. Il n'en reste pas moins que le parti communiste, en tant que parti, a eu une attitude suspecte, sinon incertaine, jusqu'au 22 juin 1941. (Applaudissements et droite, au centre et sur les travées de l'U.C.D. P.) [...]
Ne dites pas que vous êtes le seul vrai parti de la Résistance quand, avant même l'armistice, en juin 1940, dans Paris occupé, des membres du parti communiste dont l'un est membre du comité central, demandent à l'occupant l'autorisation de faire reparaître publiquement L'Humanité, et quand on peut lire dans ce journal le 3 juillet 1940 : «  Travailleurs, hommes et femmes du peuple qui voulez un journal, en qui vous puissiez avoir confiance, demandez aux autorités que soit enfin autorisée la publication de L'Humanité. » (Applaudissements sur certaines travées à droite.) (1)

Le sénateur communiste reprendra la parole pour déclarer :

"Je dois dire que cette réponse de votre part ne m'a pas étonné. Pour réfuter les arguments que j'ai avancés pour établir que notre résistance aux occupants hitlériens a immédiatement fait suite à l'occupation, vous avez fait fouiller dans les poubelles les plus diverses et, en définitive, vous n'y avez rien trouvé si ce n'est tout ce qui a traîné un peu partout. [...]
Je me doutais que vous parleriez de la demande de parution de l'Humanité faite à l'initiative de camarades de bonne foi (Exclamations à droite), qui furent de braves résistants pendant la lutte et qui avaient été circonvenus par des éléments contre lesquels notre parti prit les sanctions qui s'imposaient, ce que vous vous êtes bien gardé de dire.
Vous avez agi en spécialiste de la fouille des archives et l'on reconnaît votre patte dans un certain ramassis d'attaques anti-communistes qui paraît de-ci, de-là. Ce qui est sûr, c'est qu'aucun numéro de L'Humanité n'est sorti avec l'assentiment des hitlériens, et l'on ne peut pas en dire autant dans certains milieux où l'on vous soutient fermement. Et aucun autre journal clandestin ne peut se vanter d'avoir consenti autant de sacrifices que L'Humanité clandestine à la lutte, jusqu'au bout, pour l'honneur et l'indépendance de la patrie." (2)

Même s'il se scandalise qu'on attaque le Parti communiste en l'accusant d'avoir sollicité les Allemands en juin 1940 pour faire reparaître l'Humanité, Jacques Duclos reconnait la réalité de cette négociation en l'attribuant à l'initiative malheureuse de quelques militants de bonne foi qui ont été fourvoyés par d'autres militants qui ont été exclus pour leurs fautes.

Cette position est celle que le Parti communiste a exprimé pour la première fois dans un livre publié en 1967 sous le titre Le Parti communiste français dans la Résistance.

Dans la période antérieure, à chaque fois qu'il était mis en cause sur le sujet, le PCF se défendait en affirmant que les accusation étaient des calomnies et que les documents cités étaient des faux.

Si la position adoptée en 1967 reconnaît qu'il y a eu des contacts entre les communistes et les Allemands à l'été 1940, elle en minimise la gravité :

1) en les limitant à la seule reparution de l'Humanité,
2) en les attribuant à l'initiative de militants de bonne foi (Tréand, Ginollin, Catelas) fourvoyés par d'autres militants (Foissin) qui ont été exclus pour leurs fautes,
3) et surtout en écartant toute responsabilité de l'IC et de la direction du PCF de l'époque qu'elle soit à Moscou (Thorez) ou à Paris (Duclos).

Une précision sur Robert Foissin : avocat communiste, ce dernier avait été désigné par le Parti communiste pour mener la négociation qui a débuté le 26 juin et à laquelle Tréand et Catelas ont partcipé pour satisfaire une demande d'Abetz. Sur la base d'un rapport qu'il a fait à un diplomate soviétique à la mi-juillet indiquant qu'un gouvernement communiste pourrait être installé à Paris par les Allemands, l'IC a réagi avec vigueur et célérité en demandant à Duclos l'arrêt immédiat des négociations avec Abetz. Autre conséquence : Foissin a été exclu du PCF à la fin d'août 1940 sur les ordres de Moscou. On lui reprochait d'avoir accepter de discuter avec Abetz d'un gouvernement révolutionnaire dans la zone nord. En d'autres termes, il n'a pas été exclu pour avoir négocier avec les Allemands au nom du PCF mais pour être totalement sorti du cadre fixé par l'IC. Son exclusion a été annoncée dans un numéro spécial de l'Humanité en date du 27 septembre 1940 avec comme justification sa collaboration à un journal lancé par les Allemands sur le modèle de l'Humanité : La France au travail. Indiquer le véritable motif de son exclusion c'était reconnaître l'existence de pourparlers avec les Allemands. Trois décennies plus tard les communistes ne nient plus la réalité de ces négociations, accusent Foissin d'avoir entraîné ses camarades dans cette démarche condamnable et indiquent qu'il a été exclu pour cette faute. Comme dans le cas précédent, les communistes ne donnent pas la vraie raison de son éviction. Cette fois c'est pour masquer le fait que les négociations de l'été 1940 répondaient à des Instructions de l'IC fidèlement mises en oeuvre par... Jacques Duclos, chef du Parti communiste clandestin.

(1) J.O du Sénat du 13 novembre 1974 p. 1702.
(2) Ibid., pp 1705-1706.


"Dossier historique"

Après avoir succinctement décrit la séance du Sénat du 12 novembre 1974, Raymond Tournoux révèle qu'il a connaissance depuis quelques années du contenu du dossier d'instruction de l'affaire Tréand-Ginollin.

Il rappelle ce fait que l'on peut juger étrange : disparu des archives du ministère de la justice, ce dossier a été retrouvé à la Libération dans le grenier de ce même ministère... "coincé entre deux poutres". (1)

Autre rappel : le dossier de l'affaire Tréand-Ginollin a été "cité, analysé. Il n'a jamais été publié". (2)

Pour établir "La vérité sur la demande de reparution de l'Humanité en juin 1940" (3), l'auteur se propose de publier les principales pièces ce "dossier historique" (4).

Capitales pour connaître le contenu de la négociation des 18, 19 et 20 juin 1940 entre le PCF et les envahisseurs allemands, preuves de l'intervention allemande pour libérer les membres de la cellule communiste arrêtés par la police française les 20 et 21 juin 1940, ces pièces sont :

● les dépositions des quatre prévenus. A celles de Tréand, Schrodt et Grunenberger viennent s'ajouter les deux dépositions de Ginollin.
● la déposition d'un témoin : l'imprimeur Dangon.
le texte de l'Humanité du mercredi 19 juin 1940. C'est le numéro que Denise Ginollin a déchiré puis jeté avant d'être interpellée le 20 juin 1940. Récupéré en morceaux par la police, ce document central des négociations entre le Parti communiste et les Allemands a été reconstitué et mis sous scellé.
● le PV de saisie des documents en possession de Denise Ginollin le jour de son arrestation. Le PV indique que le 3e document saisi est l'Humanité n° 56 du 19 juin 1940 et précise que son contenu est distinct de celui de l'Humanité du mercredi 19 juin 1940 qui a été "placé sous cote spéciale" : "3° Un exemplaire du numéro ronéotypé du 19 juin 1940 de l'Humanité (N° 56), organe central du Parti Communiste Français, dont le texte est différent du numéro placé sous cote spécial." (4)
● le texte du tract "Il y a des comptes à régler".
● quatre lettres de l'administration pénitentiaire en date des 25 et 26 juin 1940 annonçant les libérations de Tréand, Ginollin, Schrodt et Grunenberger à la suite d'une intervention allemande.
● deux notes de renseignement de la Préfecture de Police de Paris en date d'août 1942 et de septembre 1942 envoyées au magistrat-instructeur et portant sur Tréand pour la première et sur Ginollin pour la seconde.

Signalons pour terminer que d'autres pièces du dossier d'instruction seront reproduites dans un livre publié en 2006 sous le titre Juin 1940, La négociation secrète.

(1) Raymond Tournoux, Jounal secret, 1975, p. 205.
(2) Ibid., p. 205.
(3) Ibid., p. 202.
(4) Ibid., p. 224.


Entretien avec Jacques Duclos

Le 15 octobre 1973, soit un an avant la polémique Duclos-Poniatowski, ayant pu consulté le dossier d'instruction de l'affaire Tréand-Ginollin, Raymond Tournoux se présente au siège du PCF pour rencontrer Jacques Duclos :

"Je viens jouer cartes sur table. J'expose à mon interlocuteur : « Avec le plus grand soin dont je suis capable, j'ai étudié le dossier de juin 1940 tel qu'il a été découvert dans les combles du ministère de la Justice. Qu'en pensez-vous ? »

M. Jacques Duclos : « Au début de l'occupation, le parti était réduit à sa plus simple expression : deux ou trois cents communistes, éparpillés dans Paris, tous dispersés, sans lien.

Les Allemands ont joué le jeu de la séduction. Ils ont libérés, c'est vrai, des prisonniers communistes, pour les réincarcérés d'ailleurs en septembre-octobre.

Des éléments appartenant à nos rangs ont été entrainés à présenter cette demande de reparution de l'Humanité par deux avocats (1), membres du PC, ensuite exclus, qui ont essayé de faire croire que la publication de ce journal était possible. Ou bien ils ne se rendaient pas compte de la gravité de l'opération; ou bien ils conduisaient nos camarades dans une voie dangereuse.

Les Allemands voulaient se donner un faux nez, gagner des sympathies en libérant des Français qui avaient lutté contre la guerre. Ils allaient bientôt autoriser la parution de journaux dits de gauche : le Cri du peuple de Doriot, L'Œuvre de Marcel Déat, La France au travail qui s'efforçait de copier l'Humanité.

Les militants communistes, mêlés à l'affaire de juin 1940 dont vous me parlez, étaient honnêtes. On les a blâmés. Ils ont combattu dans la clandestinité.

Aujourd'hui, Tréand est mort. Il y avait aussi dans le coup, après l'armistice, Jean Catelas, député d'Amiens, membre du Comité central, qui a été guillotiné en 1941 par Pétain; dans la cour de la Santé, il a chanté la Marseillaise en montant à l’échafaud, où il suivait Adolphe Guyot, et un jeune architecte. »

Maintenant, Jacques Duclos se tait. [...]

Je respecte le silence. Puis de façon inattendue, inquiète, M. Jacques Duclos m'interroge : « Et dans ce dossier de la Justice, que dit-on de la sortie de prison de ces camarades, en juin 1940 ? Qui les a libérés ? »

Et moi qui désapprouve toute l'action de son existence, je sens, en cet instant, la souffrance intime de ce combattant authentique de la Résistance, lui-même ancien soldat de Verdun. Tous ces relents de Propaganda Staffel lui font mal. Je devine cette douleur morale et j'y participe.

A mi-voix, moi-même mal à l'aise, je réponds : « Qui les a libérés ? La Wehrmacht, monsieur Duclos. » (1)

Deux remarques sur la note (1) placée après "deux avocats". Tout d'abord, on exposera son contenu : "Dont Maître Foissin qui avait remis aux autorités d'occupation une demande ainsi rédigée : [suit trois paragraphes tirés de la demande de reparution de l'Humanité du 26 juin 1940]." (2)

Ensuite on indiquera que le second avocat, évoqué mais pas nommé par Duclos, est Juliette Goublet. Proche du PCF sans en être membre, elle a été dénoncée dans le numéro spécial de l'Humanité du 27 septembre 1940 pour sa participation à La France au travail. Contrairement à Foissin, elle a effectivement collaboré à ce journal. En revanche elle n'a eu aucun rôle dans les négociations entre les Allemands et les communistes.

(1) Raymond Tournoux, Jounal secret, 1975, pp. 222-224.
(2) Ibid, p. 223.


Partie VI
Deux publications communistes

Cahiers d'histoire de l'IRM

Dans son numéro spécial du 3e trimestre 1983 intitulé Front populaire, antifascisme, résistance / Le PCF 1938-1941, les Cahiers d'histoire de l'institut de recherches marxistes publient une série de documents illustrant l'action des communistes au cours de cette période.

Dans le chapitre "Paris, juin-juillet 1940" sont reproduits trois documents dont l'Humanité du mercredi 19 juin 1940.

La revue communiste reproduit le texte de ce numéro de l'Humanité et, nouveauté par rapport au livre de Raymond Tournoux, un fac-similé de l'exemplaire saisi sur Denise Ginollin.

Le texte de présentation accompagnant cette publication souligne "l'absence de tout contenu pro-allemand" (1) dans ce numéro de l'Humanité !!!

Le communiqué officiel allemand, le soutien à la demande d'armistice et enfin l'engagement en faveur de la Paix avec Hitler feraient-ils de l'Humanité du mercredi 19 juin 1940 un Appel à la Résistance ?

(1) Cahiers d'histoire de l'I.R.M, n° 14, 1983, p. 260.


Juin 1940, La négociation secrète

En 2006, Jean-Pierre Besse et Claude Pennetier publient Juin 1940, La négociation secrète.

Relatant les négociations de l'été 1940 entre le Parti communiste et les autorités allemandes en s'appuyant sur de nombreux documents dont certains inédits, cet ouvrage est très favorable aux communistes.

En effet, sans nier les faits qui ne peuvent plus l'être, on contaste à la lecture la tentative systématique de vider de leur substance tous les faits incriminant les communistes.

On pourra citer comme exemple le traitement de l'Humanité du mercredi 19 juin 1940 dans les pages consacrées à la négociation des 18, 19 et 20 juin 1940.

Les deux historiens défendent la thèse que ce numéro, dont un fac-simile est reproduit en annexe, était un simple numéro de l'Humanité clandestine dont la diffusion limitée a suscité la critique des dirigeants communistes réfugiés en zone non occupée (Arthur Dallidet, Benoît Frachon).
 
En d'autres termes, ce numéro, dont ils reconnaissent la diffusion, n'était pas un numéro zéro de l'Humanité légale et n'a pas été soumis à la censure allemande !!!

Pour étayer leur thèse ils décrivent le contenu de ce numéro en ces termes : 

"Cinq thématiques sont affichées : 1. l'exaltation de Paris; 2. la nécessité de rendre légale l'Humanité (« L'Humanité interdite en août dernier par un des principaux responsables de la guerre, Daladier, [... doit] faire entendre à nouveau sa voix pour dire qu'il faudra châtier les responsables des malheurs de la France »); 3. les négociations de Paix avec le chancelier Hitler; 4. l'exaltation de l'URSS et de la diplomatie de Dimitrov; 5. une demande de retour des élus communistes de banlieue au moment où des maires comme le socialiste Barthélémy ont quitté leur ville. S'y ajoute le communiqué militaire allemand en page une, communiqué d'ailleurs banal par son contenu."

Les deux historiens mettent en avant cinq thématiques qui renvoient à quatre des six articles publiés dans l'Humanité du mercredi 19 juin 1940 sans toutefois en refléter réellement le contenu. Partant de ce constat, on fera des remarques sur les articles manquants, les thématiques avancées et le communiqué allemand : 

1) Articles manquants

Aucune des thématiques avancées ne fait référence aux articles "Il faut libérer les défenseurs de la Paix" et "le Nouveau gouvernement".

Le premier est une demande de libération des élus et militants communistes adressée aux Allemands. Quant au second, il approuve le Maréchal Pétain d'avoir sollicité le pouvoir nazi pour négocier un armistice. 

Au vu du contenu de ces deux articles, on comprend qu'on ait préféré les oublier.

2) Thématique avancées

a) "l'exaltation de Paris"

Cette thématique illustre le contenu de l'article "Vive Paris" sans toutefois permettre de savoir ce qui est précisément exalté.

Cet oubli s'explique par le contenu de cet article dans lequel le Parti communiste célèbre le Peuple de Paris en affirmant qu'il soutient la paix avec Hitler, la révolution socialiste et la fraternité franco-allemande :  "Notre drapeau, c'est le drapeau de la paix, celui de la lutte contre le capitalisme, celui de la fraternité des peuples et tout cela c'est la pensée profonde de notre grand Paris.".

b) "la nécessité de rendre légale l'Humanité"

Pour justifier cette thématique les auteurs citent une phrase de l'article "Vive Paris" en réussissant l'exploit de faire une coupe et de réécrire le texte. 

- Phrase originale : "« L'HUMANITE » interdite en août dernier par un des principaux responsables de la guerre, Daladier, mais qui en dépit de tout, a continué clandestinement, en pleine guerre, sa lutte pour la paix et contre les puissances d'argent, fait entendre à nouveau sa voix pour dire qu'il faudra châtier les responsables des malheurs de notre pays, qu'il faudra faire rendre gorge aux profiteurs de guerre pour soulager les misères du peuple et pour reconstruire notre France."

- Phrase citée : "L'Humanité interdite en août dernier par un des principaux responsables de la guerre, Daladier, [... doit] faire entendre à nouveau sa voix pour dire qu'il faudra châtier les responsables des malheurs de la France".

La coupe porte sur le passage relatif à l'Humanité clandestine et à "sa lutte pour la paix".

Quant à la réécriture du texte, la phrase "L'HUMANITE ... fait entendre sa voix" est devenue "L'Humanité [... doit] faire entendre sa voix". 

La prise de parole de l'Humanité légale ("fait entendre") devient un simple plaidoyer de l'Humanité clandestine ("[... doit] faire entendre") en faveur de sa légalisation. Grâce à cette modification le texte ne contredit pas la thèse des auteurs selon laquelle l'Humanité du mercredi 19 juin 1940 est un numéro qui n'a pas eu d'autre finalité que d'être diffusé clandestinement

c) "l'exaltation de l'URSS et de la diplomatie de Dimitrov"

Cette thématique fait référence à l'article "Vive l'URSS" sans toutefois en refléter le contenu pacifiste et anglophobe.

Le pacifisme de cet article se manifeste dans  l'éloge d'une initiative diplomatique de Molotov, commissaire du Peuple aux Affaires étrangères de l'URSS, (et non pas de Dimitrov qui était le secrétaire général de l'IC) à la fin de la Campagne de Pologne : "aujourd'hui on peut voir que lorsque, en septembre dernier le camarade Molotov conseillait à la France de faire la paix, il traduisait les intérêts profonds du peuple de France".

Dans cet éloge manque la mention du camarade Ribbentrop puisque ce texte est en réalité une célébration de... la Déclaration germano-soviétique du 28 septembre 1939 dans laquelle les gouvernements allemand et soviétique - représentés par leur ministre des Affaires étrangères respectifs - appelaient la France et l'Angleterre à faire la Paix avec l'Allemagne en soulignant que leur refus leur ferait porté la responsabilité de la continuation de la guerre.

L'article "Vive l'URSS" permet aussi d'illustrer l'anglophobie du Parti communiste : "Ceux qui ont conduit la France à la défaite, au désastre avaient l'amitié des banquiers de la Cité de Londres."

Ces deux thématiques n'ont pas été retenues par les deux... historiens. Un oubli sûrement.

d) deux thématiques conformes au contenu de deux articles

Les articles "Négociations de Paix" et "Dans les commune de banlieue" sont correctement décrits par ces deux thématiques : "les négociations de Paix avec le chancelier Hitler" et "une demande de retour des élus communistes de banlieue".

3) Communiqué allemand

Les auteurs mentionnent le communiqué allemand publié dans l'Humanité du mercredi 19 juin 1940 en soulignant que c'est cet élément qui a suscité la critique des dirigeants communistes réfugiés en zone non occupée (Arthur Dallidet, Benoît Frachon).

Toutefois, ils ne s'interrogent pas sur le motif pour lequel il a été publié dans ce numéro de l'Humanité. Et surtout ils qualifient de "banal" le contenu de ce communiqué qui rend compte de l'avancée des divisions allemandes et de la décomposition des armées françaises.

Servir de relais à la propagande de la Wehrmacht dans la dernière phase de son invasion de la France serait donc un acte banal.

Le traitement de l'Humanité du mercredi 19 juin 1940 dans cet ouvrage publié en 2006 prouve que le souci de la vérité historique n'est pas une vertu pour l'historiographe officielle.


Document 1 : l'Humanité du mercredi 19 juin 1940 (Fichier Zip)


MERCREDI
Le Numéro

19 JUIN 1940
0,50 cent.
l'Humanité
ORGANE CENTRAL DU PARTI COMMUNISTE FRANÇAIS

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VIVE PARIS

PARIS, notre grand Paris, est occupé par l'armée allemande. Le peuple de notre capitale, fier, digne et calme dans le malheur, sait pourquoi et comment des gouvernements criminels nous ont conduits là, par haine du peuple, par soumission aux volontés des oligarchies capitalistes.
"L'HUMANITE" interdite en août dernier par un des principaux responsables de la guerre, Daladier, mais qui en dépit de tout, a continué clandestinement, en pleine guerre, sa lutte pour la paix et contre les puissances d'argent, fait entendre à nouveau sa voix pour dire qu'il faudra châtier les responsables des malheurs de notre pays, qu'il faudra faire rendre gorge aux profiteurs de guerre pour soulager les misères du peuple et pour reconstruire notre France.
Notre drapeau, c'est le drapeau de la paix, celui de la lutte contre le capitalisme, celui de la fraternité des peuples et tout cela c'est la pensée profonde de notre grand Paris. 
Vive PARIS !

IL FAUT LIBERER LES
DEFENSEURS DE LA PAIX

Depuis des mois, des hommes et des femmes sont emprisonnés pour avoir défendu la paix; des députés communistes illégalement déchus de leur mandat sont en prison pour avoir "prôné la paix" comme l'indiquait l'acte d'accusation et, pendant ce temps, les Daladier, les Reynaud et les Mandel sont en liberté, eux qui devraient être sous les verrous parce qu'ils ont conduit la France à l'abîme.
Nous demandons la libération des défenseurs de la paix et ennemis du capitalisme que les fauteurs de guerre ont emprisonnés.
Liberté, LIBERTE pour les hommes de la paix.

LE COMMUNIQUE OFFICIEL ALLEMAND
publié par ordre de l'autorité militaire allemande

L'armée française, dont la résistance est rompue, se retire en se décomposant vers le Sud et le Sud-Ouest, suivie de près par les troupes allemandes. La ville d'Orléans a été occupée et une tête de pont s'est formée sur la rive gauche de la Loire. (Des) colonnes françaises battant en retraite ont été bombardées par l'aviation allemande sur de nombreux pont de la Loire.
Les troupes allemandes avançant en Bourgogne et par Langres ont gagné du terrain vers le Sud.
Au Sud-Est de Besançon, la frontière suisse à été atteinte. Les troupes allemandes se rapprochent de St-Mihiel.

LE NOUVEAU GOUVERNEMENT

Après le départ du gouvernement Reynaud-Pétain-Mandel à participation socialiste, un nouveau gouvernement a été constitué sous la présidence du vieux Maréchal Pétain. Ce gouvernement  comprend  5  militaires  parmi  lesquels  le  général  Weygand  organisateur

(page 1)


de l'armée de Syrie destinée à combattre l'URSS. 
En plus de ces 5 militaires le gouvernement compte 5 fonctionnaires parmi lesquels 2 représentants directs des oligarchies capitalistes, M. Paul Baudoin de la banque d'Indo-Chine, du Crédit Colonial etc... ministre des Affaires Etrangère, M. Yves Boutillier de la Compagnie Transatlantique ministre des Finances et du Commerce.
A ces 10 personnes s'ajoutent 8 parlementaires parmi lesquels 2 radicaux dont le sinistre Chautemps, 2 socialistes, 2 USR dont l'aventurier Frossard, et 2 réactionnaires dont le PSF Ybarnébaray.
Tous les hommes qui constituent le gouvernement portent, à des titres divers, la responsabilité de la politique qui a conduit la France à la guerre, à la catastrophe. Le maréchal Pétain a dit qu'il faut tenter de cesser le combat. Nous prenons acte, mais le peuple prendra acte aussi du fait que si, en septembre dernier les propositions des députés communistes avaient été retenues, nous n'en serions pas où nous en sommes.
Les députés communistes qui, en septembre proposaient une paix qui auraient laissé intactes la puissance et l'économie française, en même temps qu'elle aurait épargné bien des vies humaines et des destructions, furent jetés en prison et aujourd'hui ceux qui ont fait cette criminelle besogne sont acculés à la paix après la défaite. Il y a des comptes à régler. Le peuple de France a été trahi, livré à la finance internationale, sacrifié aux intérêts des ploutocrates, cela le nouveau gouvernement ne parviendra pas à le faire oublier.

NEGOCIATIONS DE PAIX 

Le Maréchal Pétain ayant dans la nuit du 16 au 17 juin fait demander au gouvernement allemand quelles étaient ses conditions pour accepter la cessation du combat, le chancelier Hitler et Mussolini se sont rencontrés le 18 en vue de conférer sur la réponse à faire au nouveau gouvernement français.

VIVE L'URSS

Le gouvernement français a mené une abominable campagne d'excitation et de haine contre l'URSS et aujourd'hui on peut voir que lorsque, en septembre dernier le camarade Molotov conseillait à la France de faire la paix, il traduisait les intérêts profonds du peuple de France.
Ce misérable Daladier envoya des avions et du matériel de guerre à la Finlande pour combattre l'URSS, mais on sait ce qui arriva.
L'association des amis de l'URSS a été dissoute par Daladier et pourtant un grand courant d'amitié envers l'Union Soviétique règne parmi le peuple français. Cette amitié, peuple de Paris, revendique-la fièrement.
Ceux qui ont conduit la France à la défaite, au désastre avaient l'amitié des banquiers de la Cité de Londres.
Ceux qui guériront la France de ses blessures, ceux qui la délivreront des parasites capitalistes revendiquent l'amitié de l'URSS, pays du socialisme et de la paix.
Vive l'Union Soviétique.

Dans les (COMMUNES DE BANLIEUE)

Le mangeur de communistes Barthélemy, maire de Puteaux a f.... le camp, mais le départ de ce personnage pose une question : Le Préfet de la Seine va-t-il s'obstiner à priver les communes de la banlieue qui avaient élu des municipalités communistes de leurs représentants véritables ayant la confiance de la population, une confiance qui a rendu encore plus grande la marche des événements en prouvant que les communistes avaient raison. La population de banlieue pose la question : il faudra bien répondre.